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Full text of "Revue des langues romanes: Traductions norroises de textes francais médiévaux."

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T^J^I S'éO 



HARVARD COLLEGE 
LIBRARY 




FROM THB FUND OF 

CHARLES MINOT 

CLASS OF 1828 




REVUE 



DES 



LANGUES ROMANES 

R 






MONTPELLIER. — IMPRIMERIE GRAS. 



Si 



REVUE 

DBS 

LANGUES ROMANES 



PAR LA SOCIETE 

POUR L'ÉTUDE DES UNGUES ROMANES 

TOME PREMIER 



^ MONTPELLIER PARIS 

XU BU&BAU DBS PDBUCATIONS A LA LIBRAIRIE DB A. FRANCK 

DE LA SOCIÉTÉ ; (TIEWBB, uropriéUI») 

POHl'iniHSiiUieuHUNUia [ 67, hdb kicbblibd, 67 



^P^^^aL^^o 



HMVAM) COLim lIMMtr 







La première livraison de la Revue devait paraître 
avec une Introduction de M. Saint-René Taillandier. 
Ayant soutenu les félibres de l'appui de son nom et 
de Tautorité de sa parole, lorsqu'ils entreprirent si 
hardiment de renouer la tradition, il était naturel 
qu'il a^t de même pour nous, dont la tentative n'est 
en quelque sorte qu'une conséquence de la leur. Il nous 
l'avait promis, ^ nous l'espérions ; mais la révolution 
pacifique qui vient de s'accomplir en a disposé autre- 
ment. Nommé , par une confiance éclairée , Secrétaire 
général du ministère de l'Instruction publique, puis 
Conseiller d'Etat; appelé à prendre une part active et 
glorieuse aux réformes qui vont être faites , placé ainsi 
subitement au milieu du tumulte et des exigences impé- 
rieuses de notre époque, on comprend qu'il lui soit 

1 



II- 



impossible de tenir sa promesse. <* Que la chère muse 
provençale me pardonne ! nous dit -il. Je lui laisse 
de vaillants auxiliaires, qui n'ont pas besoin d'être 
présentés au public, w Ces paroles aimables n'étouffe- 
raient pas nos regrets, si nous ne savions que ce qui 
est différé n'est pas perdu. LMUustre professeur appar- 
tient de cœur et d'âme à notre cause, car il est de 
ceux qui savent ce qu'il y a de justice et de grandeur 
dans nos désirs de décentralisation ; l'exemple qu'il en 
a donné, alors qu'il faisait de la chaire de littérature 
de Montpellier un centre d'initiative et de haute cri- 
tique, nous tâcherons de le suivre. Plus tard, lorsque 
la presse des affaires aura cessé, il se souviendra de 
sa promesse et la tiendra. 

A. M. 



REVUE 



DES 



LANGUES ROMANES 



DIALECTES ANCIENS 



— - — *-a- r~a t -tt- 



LA CHIRURGIE D'ALBUCASIS 

Traduite en dialecte toulousain ( bas pays de Foix ) du XIV* siècle 



I 

Le célèbre médecin arabe que Ton connaît sous le nom 
diAlbucasis était né à Alzahra ou Zahara, dans les environs 
de Cordoue. Il exerça la médecine dans cette dernière ville, 
où il mourut vers Tan 500 de Thégire ( 1106-1107 de J.-C). 
On ne sait rien de sa vie ; la date mêôle que je viens de don- 
ner, bien que généralement admise, est contestée par quelques 
auteurs. 

Le vrai nom de ce médecin , Aboul Kassem Khalaf ben 

' Bibliothèque de la Faculté de médecine de Montpellier, manuscrit 
H. 95. Je suis heureux de pouvoir remercier ici le savant conservateur 
de cette bibliothèque, M. le docteur Kûhnholtz-Lordat, de l'extrême obli- 
geance avec laqueUe il a bien voulu faciliter mes recherches 



4 DIALECTES ANCIENS 

Abbas, a été scindé et dénaturé de façon à produire les formes 
suivantes: Albucassim, Albucasim, Albucasis, Albucasa, Albu- 
chasius, Buckasis, Bulchasin, Benabezerius , Bulcharis-Galaf, 
et enfin, du nom de la ville d'Alzahra, Azzahrawi, Alsaharavius 
et Azaravius. La forme Albucasis est celle qui a prévalu. 

Albucasis paraît avoir écrit une sorte d'encyclopédie mé- 
dicale intitulée Al Tassrif, c'est-à-dire Exposition des ma- 
tières, et divisée en trois grandes parties : Tune traitant de la 
médecine proprement dite ; la deuxième, de la chirurgie ; la 
troisième, de la chimie pharmaceutique. Il n'est pas certain 
cependant que cette dernière partie soit du même auteur que 
les deux premières, et doive être rattachée à VAl Tassrif *. 

On a prétendu qu' Albucasis n'était qu'un plagiaire de 
Rhasès. Des juges compétents assurent néanmoins que ses 
travaux sont très-remarquables pour leur époque. La partie 
chirurgicale a joui d'une grande réputation ; c'était un livre 
classique dans les écoles de médecine du moyen âge ; elle a 
été plusieurs fois traduite en latin et en d'autres langues . 

L'un des biographes d' Albucasis, M. le docteur Hoefer, dit 
que l'on conserve à la Faculté de médecine de Montpellier 
une traduction en vieux catalan de Y Al Tassrif entier. C'est là 
une double erreur. D ajoute qu'il existe à la Bibliothèque 
impériale une traduction provençale de la Chirurgie, Mon ami 
M. Boucherie * et moi avons parcouru une partie des cata- 
logues de la Bibliothèque impériale, sans rencontrer aucune 
indication qui vînt confirmer l'assertion de M. le docteur 
Hoefer. Je me propose de continuer ces recherches et d'en 
faire connaître ici même le résultat ; mais il serait possible 
que la prétendue traduction catalane de Y Al Tassrif et la pré- 
tendue traduction provençale de la Chirurgie fussent une seule 

' Cette partie a été traduite en latin sous le titre suivant : Liber servi- 
toris BiUchasin Beneheracerin, interpretihus Sim, Januensi et Abrahamo 
Judœo. 

^ M. Boucherie; dont le nom est connu des philologues, a bien voulu 
se charger de collalionDer mes transcriptions. Je lui dois aussi des remer- 
ciements pour ses bienveillants conseils. 



LA CHIRURGIE d'aLBUCASIS 5 

4 

et même traduction, celle dont je vais parler, et qui ne con- 
tient que le traité de chirurgie. 

Le manuscrit de la Faculté de médecine de Montpellier est 
un bel in-folio sur vélin, parfaitement conservé, et composé 
de 70 feuillets, soit 140 pages à deux colonnes. L'écriture en 
est belle et régulière ; elle présente tous les caractères des 
écritures de la seconde moitié du XIV« siècle ; mais les abré- 
viations y sont bien moins fréquentes que dans les manuscrits 
latins de la même époque. C'est, du reste, une particularité 
que Ton remarque dans beaucoup de documents en langue 
vulgaire. Ce volume contient une assez grande quantité de 
lettres ornées et de nombreuses figures d'instruments de chi- 
rurgie coloriées avec soin. Il ne porte aucune date, aucun 
nom de traducteur, de copiste ou de possesseur, aucun indice 
qui puisse servir à en déterminer la provenance, si ce n'est, 
au bas de la première page, un écusson armorié ayant la 
forme d'un écu de tournoi, penché à l'antique, avec l'échan- 
crure pour passer et appuyer la lance, et dans lequel figurent 
les armoiries écartelées de Foix et de Béarn; l'écu est sur- 
monté d'un casque de profil, ayant pour cimier la tête de 
vache de Béarn au milieu d'un vol banneret aux armes de 
Foix. Sur une banderole est tracé le cri de guerre : Febus 
AUANT. Ce sont là, sans aucun doute, les armoiries du célèbre 
Gaston Phœbus, comte de Foix, vicomte de Béarn, mort en 
1391. Les enluminures du manuscrit et le style de l' écusson 
viennent, en effet, confirmer les indications données par le 
type de l'écriture relativement à l'âge de ce document *. 

' Un érudit, qui a publié divers travaux sur les pays pyrénéens, 
M. de Bascle de Lagrèze, assure que les calligraphes de cette région 
sont en retard d'un siècle environ sur ceux du reste de la France {Histoire 
du droit dans le comté de Bigorre ). Cette observation, rapprochée de ce 
fait que plusieurs des successeurs de Gaston Phœbus ont fait usage des 
mêmes armoiries et du même -cri [de guerre que ce prince, pourrait don- 
ner à penser que la version romane de TAlbucasis est postérieure au 
XIV* siècle; mais la parfaite conformité de la langue de cet ouvrage 
avec celle de VEltàddari de las proprietatz de totas res naturalSf dont 
je parlerai plus bas, ne permet aucun doute à ce sujet. 



6 DIALECTES ANCIENS 

Nous établirons tout à Theure que la langue est bien celle 
qui était parlée au XIV® siècle dans une partie du comté de 
Foix. Quelques particularités philologiques nous prouveront, 
en outre ( ce que Ton serait, d'ailleurs, autorisé à supposer 
à priori), que la traduction romane a été faite, non sur le 
texte arabe, mais sur une traduction latine, celle de Gérard 
de Crémone, la seule sans doute qui existât à cette époque , 
et dont la bibliothèque de la Faculté de médecine de Mont- 
pellier possède un beau manuscrit de la fin du XIV' siècle *. 

II 

La langue employée par le traducteur roman d'Albucasis 
n'est point la langue littéraire du midi de la France au moyen 
âge, et Raynouard, qui a connu notre manuscrit, a eu le tort 
de lui emprunter quelques mots pour son Dictionnaire de la 
langue des troubadours. Le savant auteur de la Grammaire 
romane n'a, d'ailleurs, cherché dans l'Albucasis que des radi- 
caux ; il a entièrement négligé les particularités dialectales, 
qui constituent cependant le côté le plus intéressant du docu- 
ment qui nous occupe. 

Je viens de dire que la langue de l'Albucasis roman n'est 
pas celle des troubadours. Sans vouloir aborder la question si 
importante, et non encore résolue, de l'existence simultanée 
d'une langue d'oc littéraire et d'une langue d'oc populaire, 

' Ce manuscrit est coté H. 89 ter. Un biographe d'Albucasis ( Eloy, 
Dictionnaire historique de la médecine, copié en partie par les auteurs de 
l'article Albucasis dans la Biographie Michaud ) dit que « les ouvrages 
de ce médecin n'avaient été connus en Europe que de Mathieu de Gra- 
dibus, qui mourut en 1480, lorsque Paul Kicius, juif allemand, médecin 
de l'empereur Maximilien I", en fit une assez mauvaise traduction. » La 
traduction de Gérard de Crémone , qui vivait au XII« siècle, et celle de 
notre anonyme du comté de Foix, prouvent que le traité de chirurgie 
d'Albucasis était connu en Europe longtemps avant Mathieu de GradihiAs 
et Paul Ricius. — On trouve dans le catalogue de la Bibliothèque impé- 
riale ( fonds latin ) , la mention suivante: « N» 7127.— Albuchasis traduit 
en latin par Gérard Carmonensis; XIV* siède, avec le dessin des instru- 
ments, » Je dois cette indication à M. Boucherie. 



LA CHIRURGIE d'aLBUCASIS 7 

on peut kffirmer que la seconde moitié du XIV® siècle a pro- 
duit des œuvres dans lesquelles les règles posées par les 
troubadours étaient rigoureusement observées * , d'autres qui 
offrent quelques vestiges de ces règles appliquées souvent à 
faux et sans intelligence, d'autres enfin qui semblent s'en 
écarter avec intention pour leur substituer un système gram- 
matical différent. L'Albucasis est de cette dernière catégorie. 
J'aurai l'occasion de revenir sur ce point, et d'établir que 
l'écrivain à qui l'on doit cette traduction a employé, non une 
langue littéraire, mais un dialecte vulgaire, avec cette diffé- 
rence que, faisant une œuvre écrite et calquée sur un original 
de forme scientifique, il a dû se servir d'un certain nombre de 
locutions et de tournures inusitées dans la langue parlée. 

Je ne connais qu'un document écrit dans un dialecte à peu 
près identique à celui de notre manuscrit : c'est VElucidari 
de lus proprietatz de totas res naturah (Explication • des pro- 
priétés de toutes choses naturelles ), compilation scientifique 
mélangée de vers et de prose, exécutée par les ordres de 
Gaston Phœbus. Il serait téméraire d'affirmer que l'auteur 
de VElucidari est aussi le traducteur d'Albucasis, bien que les 
deux ouvrages traitent de matières qui ont parfois une cer- 
taine analogie, et qu'ils aient été faits pour le même prince ; 
mais il suffit de rapprocher le texte de l'Albucasis roman des 
fragments de VElucidari publiés par M. Bartsch, pour recon- 
naître que, à l'exception de certaines différences orthogra- 
phiques dépendant sans doute des copistes, la langue de ces 
deux traités est exactement la même '. 

* La tradition des troubadours était maintenue et peut-être quelque 
peu ressuscitée par la Compagnie de la Gaya sciensa de Toulouse, dont 
le Code littéraire, intitulé las Leys d'amors, fut rédigé et promulgué 
entre les années 1330 et 1356. On sait que las Leys d'amors ont été pu- 
bliées sous le titre général de Monuments de la littérature romane, par 
M. Catien Arnoult. Toulouse, 1841-43, 3 vol. gr. in-8». 

^ Ou plutôt Elucidaire, traité qui élucide. 

^ Voy, Bartsch, Ckresiomathie provençale, col. 357 et suivantes» Ces 
fragments sont tout ce que je connais de VElucidarif mais ils sont suf- 
fisants pour me permettre cette affirmation. 



8 DIALECTES ÂNGIBNS 

Je vais indiquer rapidement, pour chaque espèce de mots, 
les particularités les plus saillantes que présente le manuscrit 
de la Faculté de médecine de Montpellier. 

Article. — L'article masculin est constamment le à tous 
les cas du singulier et les à tous les cas du pluriel, avec les 
contractions habituelles del et dels au génitif, al et ah au datif. 
On peut attribuer, je crois, à une erreur de copie la forme lo 
et los, qui se trouve trois fois seulement dans le fragment que 
j'ai transcrit. La forme le paraît être une exception dans la 
langue des troubadours. Raynouard ne la signale pas. Ce- 
pendant les Leys (Tamors, composées à Toulouse au milieu 
du XIV® siècle *, donnent , conmie règle de la déclinaison de 
Tarticle : pour le singulier, le au nominatif, lo à Faccusatif ; pour 
le pluriel, li au nominatif, los à T accusatif. Cette règle n'a pas 
été généralement observée, surtout en ce qui concerne le sin- 
gulier. On la trouve assez régulièrement appliquée dans le 
Roman de Flamenca ( XIIP siècle ) • et dans les parties les 
plus anciennes ( commencement du XIIP siècle ) du Petit Tha- 
lamus de Montpellier. Dans ce dernier document, le cas direct 
disparaît peu à peu pour faire place, avant le XIV® siècle, au 
cas oblique lo et los, que Ton prononçait lou et lous '. Dans les 
environs de Toulouse, c'est, au contraire, le cas direct qui a 
prévalu au singulier, et qui a peut-être servi à former par 
imitation le pluriel les. On pourrait supposer néanmoins, avec 
quelque apparence de raison, que, dans certains pays, le et 
les étaient des formes usitées dans la langue populaire , alors 
que les poètes et les auteurs qui se piquaient de purisme écri- 
vaient, suivant les cas, le et lo, li et los, La comparaison de 
trois ouvrages d'une certaine étendue, qui sont à peu près 
contemporains, l'Albucasis, YElucidari et las Leys d'amors, 

* Voy. Gatien Arnoult, Monuments de la littérature romane^ t. II, 
p. 116 et 117. 

^ Le Roman de Flamenca a été publié par M. Paul Meyer. 

^ Voir, pour la prononciation de l'o, l'arlicle publié par M. Paul Meyer, 
dans les Mémoires de la Société de linguistique, sous le titre : Phonétique 
provençale 0. 



LA CHIRURGIE d'aLBUCâSIS 9 

fournit Un argument sérieux à Tappui de cette hypothèse* 
De nos jours, l'article fe et les est usité dans quelques-uns 
de nos dialectes méridionaux, et en particulier dans le dialecte 
toulousain, parlé dans le département de la Haute- G-aronne et 
dans une partie des départements de TAude et de FAriége * . 

Substantif et adjectif. — Il n'y a pas la moindre trace 
de déclinaison. La règle de Vs a disparu, sans laisser d'autre 
vestige que ce qu'en a conservé le français moderne, c'est- 
à-dire que Vs devient la lettre caractéristique de tous les cas 
du pluriel. 

C'est surtout pour la déclinaison que l'on peut, comme je 
l'ai dit plus haut, diviser les écrivains romans du XIV® siècle 
en trois classes : ceux qui respectent la tradition des vieux 
poètes; ceux qui, s'en écartant par ignorance, emploient au 
hasard la forme du cas direct et celle du cas oblique ; ceux 
enfin — et l'auteur de l'Albucasis est de ce nombre — qui 
suppriment systématiquement le cas direct pour ne conserver 
que le cas oblique. 

Nous avons à remarquer, en outre, dans les substantifs de 
notre manuscrit, quelques doubles formes, telles que sciencia 
et sciensa, dia et jom, La première est la plus ancienne, celle 
que le texte latin a suggérée au traducteur ; la seconde est celle 
qui était le plus en usage. 

Pronom personnel et pronom possessif. — Le cas oblique 
de la troisième personne est lu pour le singulier, lor pour le 
pluriel. La première de ces formes est assez rare dans la lan- 
gue des troubadours. On la remarque dans VElucidari; mais, 
dans l'Albucasis lu et lor ont un emploi particulier tout à fait 
contraire au génie des langues romanes. Notre traducteur 
anonyme , calquant servilement sa phrase sur la phrase latine 
de Grérard de Crémone qu'il a sous les yeux, met, dans les 
mêmes cas que le latin, le génitif du pronom personnel à la 
place du pronom possessif. Sciencia ejus, separatio eorum, sont 

* Ce dialecte se divise aujourd'hui en plusieurs sous-diaiecles. Je ne 
gais s'il en était de même au XIV* siècle. 



10 DIALECTES ANCIENS 

rendus par sctencia de lu, separacio de lor, et cette tournure 
amène une répétition si fréquente des mots de lu et de lor que 
le style en devient singulièrement lourd et monotone. 

Le pronom possessif a les deux formes le mien, le tien, le 
sien, et mon, ton, son, qui paraissent employées à peu près 
indifféremment. On trouve le tieu dit (le tien doigt) ; les huels 
siens, les yeux siens ; la sieua ma ou la sua ma (la sienne main), 
et enfin sa ma (sa main). Cette dernière forme paraît être la 
moins fréquente. 

Pronom relatif. — L'article le se rencontre constamment 
dans le pronom lequal, lesquals, lequel, lesquels. 

Qui sujet, après un substantif, se rend tantôt par que, tantôt 
par lequal :vi un metge que près..., (je vis un médecin qui prit..), 
vi un autre metge lequal prenia... (je vis un autre médecin le- 
quel prenait). 

Verbe. — La première personne du singulier du parfait de 
rindicatif est en egui, pour la première conjugaison: aparelhe- 
gui, je préparai. Cette forme est inusitée dans la langue des 
troubadours ; elle appartient au dialecte toulousain. Les œu- 
vres de Goudouli ( xvii® siècle ) en offrent des exemples ; elle 
subsiste encore dans le sous-dialecte de T arrondissement de 
Pamiers, où elle correspond à la forme eri, qui, à Toulouse, 
Ta de nos jours complètement remplacée. Dans les villages de 
la Haute-Garonne , situés sur les limites de TAriége , la con- 
sonne de cette terminaison participe à la fois du son de IV et 
de celui du g. 

Il est probable qu'on trouve aussi dans VElucidari des 
parfaits en egui; les fragments de cet ouvrage publiés par 
M. Bartsch ne permettent pas de l'affirmer. 

Il ne faut pas confondre la terminaison egui de la première 
conjugaison, qui a l'accent tonique sur e, avec la terminaison 
gui de la deuxième : conogui, je connus ; pogui, je pus, où 
l'accent porte sur la syllabe gui^. Le participe passé de ces 

' En catalaD, quelques verbes de la deuxième conjugaison ont conservé 
le prétérit en gui : conegui, entenguu 



LA CfflRURGIE d'aLBUCASIS H 

derniers verbes est en gut: conogut, pogut; tandis que dans le 
participe passé de la première conjugaison, le g s. entièrement 
disparu : aparelhat. 

La troisième personne du singulier du parfait de Tindicatif 
se termine, pour toutes les conjugaisons, en c : foc (quelquefois 
/b), il fut ; estec (de l'auxiliaire estar)^ il fut , il se tint ; layssec, 
il laissa ; perte, il périt ; vene, il vint. Le g et, plus rarement, 
le t remplacent quelquefois le e:reslteg, il relia; desliet, il délia. 
On trouve aussi, au lieu de la forme forte* vene, il vint, la 
forme faible venguet, qui est plus moderne. La troisième per- 
sonne du singulier du prétérit en c est encore Tun des carac- 
tères du dialecte toulousain. 

La troisième personne du pluriel du même temps est en ero 
{desecordero, ils se désaccordèrent ; romasero, ils restèrent), au 
lieu de eron, qui est la forme commune. En général, la termi- 
naison caractérise, dans ce dialecte, lés personnes qui finis- 
sent le plus souvent en on dans Fancienne langue, en on, en 
oun ou en ou dans la langue moderne ; par exemple : so, ^e 
suis, devenu plus tard soun dans le dialecte toulousain. 

Tournures particulières. — J'ai déjà signalé l'emploi de de 
lu, de lor, à la place du pronom possessif, dans le sens du latin 
yus, eorum. C'est encore sous l'influence du latin que le tra- 

' On a appelé formes fortes celles qui ont Taccent tonique sur le 
radical , et formes faibles celles qui sont accentuées sur la terminaison. 
M. Ghabaneau a montré l'inconvénient de ces dénominations ( Histoire 
et théorie de la conjugaison française, pag. 3). Il est difficile cependant de 
ne pas les employer tant que la science n'en aura pas adopté de plus 
exactes. — M. Boucherie propose d'appeler formes savantes les lormes 
fortes, et formes populaires les formes faibles, en faisant observer, d'ac- 
cord avec M. Ghabaneau, que les formes allongées , ou, pour parler plus 
scientifiquement, à radical immuable et à flexions sonores et sensibles, 
sont d'origine populaire. Gf. les formes allongées et populaires dt^e^, disant 
(Saintonge) et les formes savantes et plus courtes dites, disent. Ges formes 
allongées, par cela même qu'elles sont tout à fait différentes des formes la- 
tines classiques, doivent être considérées comme populaires, puisque toutes 
les fois que la règle latine a été violée, elle n'a pu l'être que par les illet- 
trés, c'est-à-dire par le peuple. 



12 DIALECTES ANCIENS 

ducteur d'Albucasis a introduit dans la langue romane le que 
retranché : cove lo seu actor esser excercitat ( il convient celui 
qui la pratique être exercé ), et ces tournures : vi un metge 
aver mctrfiV ( je vis un médecin avoir coupé) ; un metge près que 
el traquera (un médecin entreprit qu'il tirât) ; es a mi vist que 
y eu complesca (il m'a paru que je complète)*. 

III 

On a vu par ce qui précède : 

Que le seul manuscrit connu de la traduction romane de la 
Chirurgie d'Albucasis porte les armoiries de Gaston Phœbus, 
comte de Foix ; 

Que le dialecte de cette traduction est semblable au dialecte 
dans lequel est écrit VElucidari de las proprietatz de iotas res 
naturals, ouvrage composé pour le même Gaston Phœbus ; 

Que ce dialecte offre les principaux caractères du dialecte 
toulousain. 

Or, dans la partie septentrionale du comté de Foix, appelée 
le bas pays de Foix et formant aujourd'hui l'arrondissement 
de Pamiers, on parlait et on parle encore l'idiome de Tou- 
louse. Je n'ai pas de données suffisantes pour affirmer qu'au 

' Pour achever de faire connaître le manuscrit roman de TAlbucasis, je 
dois ajouter deux remarques, l'une relative au groupement des mots, 
l'autre à la ponctuation. 

Le copiste a, d'ordinaire, assez nettement séparé les' mots , excepté les 
prépositions a et d6 et la conjonction e, qui sont souvent réunies au mot 
qui les suit, surtout lorsque ce dernier est monosyllabique. 

Le point tient lieu de la virgule ; il se trouve presque constamment de- 
vant la conjonction e et très-souvent devant mays (mais), quar (car, puis- 
que), (ou), sino (sinon), per so que (pour cela que), so es (c'est-à-dire) et 
autres locutions semblables. Il marque quelquefois la Un d'une phrase. 
Les deux points se trouvent à la fin des titres de chapitre. Il n'y a pas 
d'autre signe de ponctuation, & moins que Ton ne considère comme tel le 
signe de l'alinéa, qui se trouve souvent au milieu d'une ligne pour séparer 
deux phrases. Contrairement à mon opinion, et pour me conformer à 
l'usage adopté généralement en France, j'ai ponctué l'Albucasis à la 
manière moderne. Lorsque le signe de l'alinéa se trouve au milieu d'une 
ligne, je le remplace par un tiret (— ). 



5 



LA CHIRURGIE d'aLBUCASIS 13 

XIV® siècle la langue du bas pays de Foix se distinguât de la 
langue toulousaine par des caractères qui en auraient fait un 
sous- dialecte, auquel, dans* ce cas, il faudrait évidemment rat- 
tacher notre manuscrit ; mais, pour le moment, nous ne sommes 
autorisés à ranger la traduction romane de la Chirurgie d'Al- 
bucasis que dans la classe plus large des documents en dia- 
lecte toulousain. 

Si Ton compare l'ouvrage qui nous occupe, d'un côté avec les 
écrits contemporains de l'école académique de Toulouse , tels 
que las Leys d'amors et les poésies couronnées aux concours 
des Jeux floraux; de l'autre avec les œuvres de Groudouli, qui 
sont postérieures d'environ trois siècles; enfin avec l'idiome 
actuel de Toulouse et avec celui de l'arrondissement de Pa- 
miers, on ne peut s'empêcher de reconnaître que ces deux 
derniers idiomes procèdent par filiation directe de la langue 
de Groudouli, et celle-ci de la langue de l'Albucasis et de VEluci- 
dari, La langue des Leys d'amors, au contraire, sensiblement 
différente de celle de l'Albucasis, ne paraît pas s'être transfor- 
mée, mais bien avoir entièrement péri. H faut donc conclure 
de là que dans le pays toulousain, au xiv® siècle, il y avait 
une langue littéraire, morte aujourd'hui, et une langue parlée 
qui, se modifiant successivement, a produit le dialecte tou- 
lousain moderne. 

Ch. DE TOURTOULON. 



LA CHIRURGIE D'ALBUCASIS 



YSSI COMENSAN LAS PARAULAS DE ALBUCASIM 

fil, pus yeu he a vos complit aquest libre, lequal es le derier 
de la sciencia de medicina, per le compliment de lu so conse- 
quit la fe en lu, e per las exposicios de lu, e per las declaracios 
de lu, es a mi vist que yeu complesca aquela a vos am aquest 



14 DIALECTES ANCIENS 

tractât, lequal es partida de la operacio am ma, so es cyrurgia*. 
Quar la operacio am ma es prostrada en nostre (sic)religio •, e 
en nostre temps de tôt privada, entro que fort leu ' peric la 
sciencia de lu e le vistigi de lu es ostat ; e no romasero de lu 
sino alcunas petitas descripcios en les libres dels antics, les- 
quals mudero las mas, e endevenc ad aquels error e heyssi- 
tacio, entro que son clausaslas entenciosde lu e es elonguada 
la forsa de lu e Tart. — E es vist a mi que yeu vivifique aquela 
am ordenacio de aquest tractât en aquela, segon la via de 
exposicio, e de declaracio, e de abreviacio*; e per que vengua 
am las formas dels ferramentz de cautheri e dels altres instru- 
mentz de la obra, cum sia per addicio de la declaracio , e per 

' Le début de cette phrase est assez difticile à comprendre et, par con- 
séquent, à ponctuer. J*ai adopté le sens qui m'a paru le plus rationnel. 
11 ne faut pas oublier que ce traité de chirurgie n*est qu'une partie d'un 
ouvrage plus considérable, auquel l'auteur fait allusion dans ce passage. 
Voici la version de Gérard de Crémone, d'après l'édition ' de Strasbourg, 
1532, imprimée à la suite des œuvres d'Octavius Horatianus : « Postquam 
complevi vobis, o fUH, librum hune, qui est postremus scientiœ in medicina 
cum complemento ipsius et consecutus sum finem in eo, ex expositionibus 
ejus, et ipsius declaralionibus, visum est rnihi^ ut œmpleam ipsum vo- 
bis, etc. 9 

Cette première phrase de la traduction romane donne lieu aux remar- 
ques suivantes : 

1"» Fil traduisant fUii semblerait être le cas direct du pluriel ; mais ce 
serait le seul exemple de déclinaison d'un substantif que nous ofl'rirait 
notre manuscrit. On lit, d'ailleurs, fili dans le manuscrit latin H. 89 ter de 
la Faculté de médecine de Montpellier. La traduction latine publiée par 
Channing, en regard du texte arabe (Oxford, 1778, 2 vol. in-4'), éit fUii. 

2" So consequit. pour rendre consecutus, sum est un singulier latinisme. 

3» Le mot fe est la traduction de fidem et non celle de finem. Faut-il voir 
ici une forme inconnue du substantif fi. fin^ fin, ou bien une faute du tra- 
ducteur ou du copiste ? 

^ Le manuscrit latin H. 89 ter, l'édition citée plus haut de Gérard de 
Crémone et la traduction de Channing, disent in regione nostra et non in 
religione nostra. 

^ Fort leu traduit fortasse^ peut-être. On dit encore aujourd'hui dans le 
môme sens be-lèu. 

* Le copiste a écrit abiemacio. 



LA CHIRURGIE d'aLBUCASIS 15 

preparacio de lu, laquai causa es necessaria. — Majs la causa 
per laquai no es atrobat be * artifex am la sieua ma en aquest 
nostre temps, es quar la art de medicina es longua, e que 
cove le sieu actoi* denant aquo esser excercitat en la sciencia 
de anotomia (sic), laquai recontec Gualia, entro que sapia les 
juvament (sic) dels membres e las formas de aquels, e la con- 
junctio e la separacio de lor, e haia la conoyssensa dels osses, 
dels nervis e dels lacertz, el nombre de aquels, e la egrecio 
de lor, e de las venas pulsatils e de las quietas, e dels locs de 
Peyssiment de lor. E per aquo ditz Ypocras que am unom^es 
mot, mays en Tobra petit, e maiorment en la art de la ma. Mays 
nos ja avem dit de aquel [en V] • introït de aquest libre ; quar 
qui no es scient aquo que li avem dit de anotomia, no es éva- 
cuât que no caia en error per laquai siran mortz les homes, 
ayssi.cum yeu he vist trops de aquels. — Quar alscus son for- 
matz en esta sciencia e gettan se de aquela ses sciencia e ses 
experiment. Quar yeu vi un metge folh e enperit aver incidit 
una postema estrophilos en le colh de una femna, e incidic 
alcunas arterias * del colh, perque fluic gran sanc, entro que 
la femna cazec morta entre las mas de lu. E vi un autre metge 
que près que el traguera una peyra d'un home lequal avia 
procesit en sa état ; e la peyra era gran , e venguet a lu , 
e trayssec aquela peyra am un tros de la vesiqua, perque 
aquel home al tertz dia es mort. E yeu ja apelat fuy a es- 
trayre * aquela, e vi que per la grandesa de la peyra e per 
la disposicio del malaute conogui sobre lu que morira.— E vi 
un autre metge lequal prenia stipendie de un duc de nostra 

* Probablement erreur de copie pour 60. Le latin dit artifex bonus, 

' Faute de copie. On lit dans la traduction latine : « Et propter illud 
dixit Ypocrates quod nomen cum nomine est multunit cum opère vero 
paucum. 9 

' Les mots entre crochets ont été omis par le copiste ; ils sont nécessaires 
pour le sens. Cf. le manuscrit H. 89 ter et la traduction latine imprimée de 
Gérard de Crémone. 

* Le copiste a écrit : arcerias 

^ Estrayra, dans le manuscrit. Erreur éyidenle de copie. 



16 DIALECTES ANCIENS 

terra per cyrurgia, e endeven a un crastrat nègre, lequal era 
deves lu, fractura en la coyssa de lu ; e per parec * le metge 
am la sua ignorancia, estreyssec la fractura sobre la plagua 
am pulvinas e astelas am fort strectura, e no layssec a la pla- 
gua espiracio ; e aprop lo (sic) desliet segons los (sic) sieus 
desiriers, e aprop le relieg, e aprop le leyssec per alscus jorns 
e comandec que no deslies le liament, e estec ayssi entre que 
la coyssa el pe foro apostematz, e pervenguet a perdicio. E 
yeu fuy apelat a lu, é aparelhegui a desliar le liament, e con- 
seguida es tranquilitat, e en ayssi amermet de sasdolors. Mays 
empero ja corrupcio era confermada en le membre, perque 
no pogui refrenar aquela , e no cessée perambular la cor- 
rupcio en le membre, entre quel malaute peric. — E vi un 
autre metge lequal perforée una postema cancres, e fo ulcérât 
aprop alscus dias, entre que foc magnificada la malicia de lu 
am lo senhor de lu. Laquai causa es quar le cranc cant es pur 
de humor melencolic , lahoras no cove que pervengua a lu am 
ferr detot, sino que sia an membre lequal suffertes que detot 
fos hostat. 

E per aquo, filh, necessari es a [F° 1, v°]* vos que la ope- 
racio am ma sia devesida en dos devesios : se es en operacio 
a lu quai (sic) es associada salut, e en obra am laquai es pe- 
rilh en las maiors disposicios. — E yeu ja he exsitat aquo en 
tôt loc de aquest libre en lequal venc opperacio en laquai es 
error e temor ; perque necessari es a vos que guardetz aquo 
e laysetz aquel, perque les folhs no atrobo via a parlar e a 
vos deonstar. — E donc prenetz las vostras armas am soUi- 
citut e am proteccio de Dieu, e les vostres malautes am faci- 
litât ' e am fermetat, e usatz de la milhor via per la gracia de 
Dieu perdusent a salut e a lausable successio, e laysatz las ma. 

' Le latin dit properavit Quelques lignes plus bas, properavi est traduit 
par aparelhegui 

2 Alin de faciliter les recherches, j'indique entre crochets le commen- 
cement de chaque page du manuscrit. 

^ Le copiste a écrit fàlicitat (Cf. Gérard de Crémone, manuscrit et im- 
primé : cum facilitate). 



LA CHIRURGIE d'aLBUCASIS 17 

lautîas terriblas de difficil sanacio, e ostatz las vostras armas 
de aquo que vos fa temer, per so que ysitatio e en vostra fe e 
en le vostre nom no vos evasisca ; quar mays es rémanent a la 
vostra gloria, e pus aut en le mon e. en derier, a las vostras 
sanctitatz *. Gualia ja diyssec en alcunas sieuas monicios : No 
mediquetz malautia mala persoque mais metges no siatz nomp- 
natz. E yeu ja he devesit aquest libre segontz très capitols : 

COMENSA LA DIVISIO DEL LIBRE, E, PRIMIER*, DE LA PRIMIEYRA 

PARTIDA : 

Le primer (sic) capitol , ordenat del cap entres pes, en las for- 
mas dels instrumentz e en les ferrementz dels cauteris, e de 
aquo que necessari es en la opperacio. 

LA DIVISIO DE LA SEGONDA PARTIDA: 

Lo segon capitol, de siccio e perforacio, e de ventosas, e de 
plaguas, e de extrictio de sagetas e de semblantz ad aquelas ; 
tôt capitolat e ordenat de las formas dels instrumentz. 

DIVISIO DE LA TERSA PARTIDA : 

Lo tertz capitol, de restauracio, e de dislocacio, e de curacio 
de torcio , e de semblantz ad aquels. Capitol ordenat del cap 
entres pes, e de las formas dels instrumentz. 

' Gérard de Crémone dit : ad quantitates vestras. 

2 On trouve constamment, dajis VJSlucidari, prumier au lieu de pri- 
mier. Dans l'arrondissement de Pamiers, on dit aujourd'hui prumier. 



{A continuer.) 



18 



LA PASSION DU CHRIST 

POEME ÉCRIT EN DI4LECTB FRÂNGO-VéNITIEN DU XIV* SIÈCLE 



Le poëme que je publie sous ce titre est un des plus courts, 
mais non pas des moins curieux échantillons de ce dialecte 
franco-vénitien qui est né, aux xiii® et xiv® siècles, de l'in- 
fluence de la littérature française en Italie ; dialecte hybride 
et de convention, connu par les extraits qu'en ont donnés 
MM. Paul Lacroix * et Keller, par les citations de Génin à la 
suite de la Chanson de Roland, parles indications de MM. Grues- 
sard, P. Meyer et Gr. Paris , par les analyses de M. Léon 
Grautier et de M. V. Leclerc*, et surtout par les travaux de 
M. Mussafia, qui en a fait une étude spéciale. 

La plupart des ouvrages écrits dans ce jargon bizarre ne 
sont que des transcriptions d'originaux français. En est-il de 
même de l'opuscule que je publie ? Je ne le crois pas : les ita- 
lianismes y sont si fréquents, les mots tellement violentés, 
qu'on devine un auteur en lutte avec les exigences de la rime, 
bien plus qu'un scribe négligent qui bronche à chaque pas 
contre une orthographe étrangère , et trouve plus commode 
d'y substituer celle dont il a l'habitude. Le texte, tout parsemé 
de citations latines, rappelle celui des fragments de Nicolas 
de Padoue , cités par M. P. Meyer {Bibl. de VÉc. des chartes, 
6, 111, 314). On y sent la même inspiration , les mêmes habi- 
tudes cléricales, et il ne serait pas impossible que les deux 
ouvrages fussent du même écrivain. Les procédés de composi- 
tion sont des plus simples : selon que la rime l'exige, l'auteur 

' Documents historiques^ tom . III, pag. 349. 350. Collection des docu- 
ments inédits sur Thist. de France, 1847. 

^ Hist, littéraire^ tom. XXIV, pag. 544 et sq. 



LA PASSION DU CHRIST 19 

mutile les mots, change leurs terminaisons, attribue à la même 
voyelle deux sons différents, confond le genre et le nombre des 
noms et des adjectifs, confond le nombre et les temps des 
verbes; en un mot, il ne tient aucun compte de la forme 
des mots et de la correction grammaticale, pourvu qu'il aligne 
de longues tirades, où la rime satisfasse à la fois Toeil et 
Toreille. C'est ainsi que plaist se change en pléis pour rimer 
avec vis, voix en voist pour rimer sive&prendist, etc.; que u la- 
tin a le son clair dans Nazarenus rimant avec disus, et le son 
0, ou, dans tuits rimant avec doloros; c'est ainsi que mesaise 
devient mexais, et nazarain, nazaraine (Jésus nazaraine), que 
liga est formé par apocope de ligarent p. lièrent'^ que même, 
chose monstrueuse, un parfait se transforme en futur, mal- 
gré le sens et pour la rime, tu conostrais (conostras) pour tu 
connus. 

Ce poëme écrit, je ne dis pas composé, au mois de juin 1371 
(Ms. VI, Bibl. St'Marc de Venise, fonds français), n'est pas 
ancien, et ne peut pas l'être, puisqu'il appartient à un dia- 
lecte qui n'est pas ancien lui-même. Ce qui achève de prouver 
qu'il est d'une époque relativement récente, c'est la forme 
sous laquelle il a été composé. En effet, tous les poëmes reli- 
gieux vraiment anciens que nous possédons ont la forme ly- 
rique ; ils sont soit en vers de huit pieds {Passion du Christ et 
de saint Léger), soit en vers de dix pieds {Alexis, — Epître farde 
pour le jour de St-E tienne), soit en vers de dix et de quatre 
pieds {Fragment d'un petit poème dévot, publié par M. G. Paris 
dans le Jahrbuch fur rom. Lit,), mais toujours divisés par stro- 
phes. Or, par exception, ce poëme franco-vénitien a tout à 
fait la forme épique ; il est écrit en longues tirades monorimes 
d'inégale étendue, écrit pour être lu des yeux seulement ou 
de vive voix, mais non pour être chanté. 

Quant au vers, c'est celui des chansons de geste, le vers de 
dix syllabes, auquel l'auteur a substitué parfois l'alexandrin. 
On observe une particularité analogue dans les compositions 
de Nicolas de Padoue, avec cette différence cependant que, 
chez cet auteur, les vers de douze syllabes forment des cou- 



20 DIALECTES ANCIENS 

plets entiers *, et ne sont pas, comme dans la Passion, noyés 
au milieu des vers décasyllabiques. 

Outre les italianismes d'orthographe, on y remarque ce que 
j'appellerai un italianisme de versification; je veux parler des 
décasyllabes qui ont la césure au pixième pied, tels que ceux-ci : 

Ghe d* un sanglent suor. fu entrepris. . . . 

Il trait le cultel. senç plus termin 

Aul cev (tôt) aussi saine, ebien se prist, 
Gh*il non a mire aul segle. chi mielç garist. 
Contaminé mant homes, de nostre orine. . . 
Gum enemis mortal. s'en sont esté. . . . 

On reconnaît là l'influence de la versification italienne, qui, 
dans cette sorte de vers, admet indifféremment la césure au 
quatrième ou au sixième pied. Nos anciens poètes ont employé 
ces deux formes, mais jamais dans la même pièce. Comme 
l'ajustement remarqué Marmontel, ces changements de coupe 
répugnent à notre oreille. 

Peut-être est-ce à l'emploi simultané de ces deux rhythmes 
qu'il faut attribuer ce mélange d'alexandrins et de décasyl- 
labes, vers qui ne diffèrent le plus souvent que par le premier 
hémistiche, et que l'on est bien près de confondre quand on 
supprime cette différence, c'est-à-dire quand on coupe le dé- 
casyllabe au sixième pied. 

Il me reste à signaler un autre problème de versification 
dont la solution m'a longtemps échappé. 

Ce poëme, je l'ai déjà dit, est rempli de citations latines. 
Très-certainement l'auteur a cherché à les faire entrer dans 
la mesure du vers ; mais il s'est permis tant de licences, et des 
licences si contraires, qu'au premier abord je n'ai vu dans cet 
assemblage de vers demi-latins qu'un rhythme d'à peu près et 
non un rhythme régulier. Je serais encore réduit aux conjec- 
tures, si je n'avais trouvé ailleurs, dans la, Passion du Christ 
et la Passion de saint Léger, des particularités analogues, qui 
m'ont fourni de précieux éléments de comparaison. 

* Hist, littéraire, tom. XXIV, p. 547. 



LA PASSION DU CHRIST 21 

Ces deux poëmes sont fort anciens , ils datent du x® siècle , 
et, de plus, comme leur titre Tindique, ils ont beaucoup d'affi- 
nité avec celui que je publie ; ils devaient donc être et ils ont 
été, de ma part, Tobjet d'un examen spécial. Concentrées sur 
un espace parfaitement déterminé , puisque je n'avais plus à 
compter, comme dans le texte franco-vénitien , avec deux et 
même trois rhythmes différents , mes recherches ont abouti 
et je suis arrivé à des résultats certains , quoique complexes , 
qui peuvent se résumer sous la formule suivante : 

Dans les poëmes écrits en langue vulgaire, on soumettait les 
mots latins tantôt aux règles de la versification vulgaire, tan- 
tôt à celles de la versification latine liturgique. 

II 

Pour bien comprendre la portée de cette observation et la 
valeur des preuves sur lesquelles elle s'appuie, il faut se rap- 
peler que, si la versification vulgaire et la versification latine 
liturgique* reposaient sur un principe commun, la numération 
des syllabes et la persistance de l'accent, elles différaient en ce 
que, dans les mots venus du latin, la première ne comptait 
réellement comme syllabes que celles qui avaient survécu au 
triage opéré par la prononciation populaire ; tandis que , dans 
ces mêmes mots, la seconde comptait toutes les syllabes sans 
exception. Ainsi Francorum, virginem, qui représentaient trois 
syllabes dans la prosodie latine, n'en représentaient plus que 
deux dans la prosodie comme dans la langue du peuple, sous 
cette forme, Francor, vîrgine. 

Il semble que les versificateurs n'avaient qu'à choisir entre 
les deux procédés. Mais à cette époque, comme dans toutes 
les périodes de formation, on n'était pas exclusif : on les ac- 

' Je désigne par là cette forme de versification qui a défrayé la poésie 
religieuse au moyen âge, et- qui avait pour base le système iambique et 
trochaïque. 

Je renvoie ceux qui veulent approfondir cette question à la remarquable 
dissertation de M. G. Paris qui a paru sous le titre de Lettre à M. Léon 
Gautier. 



22 DIALECTES ANCIENS 

cepta tous les deux, et on en tira parti suivant les besoins de 
la mesure ou les habitudes du rhythme adopté. C'est ce qui 
ressort de Texamen comparatif des particularités prosodiques 
que Ton peut signaler dans la Passion du Christ et dans celle 
de saint Léger, et que toutes rentrent dans le cadre que je 
viens de tracer. 

Elles se divisent naturellement en deux groupes : le prenaier 
comprend celles qui se rattachent à la tradition populaire ; le 
second, celles qui relèvent de la tradition savante. Comme 
elles ne sont pas en trop grand nombre, j'ai cru pouvoir les 
énumérer toutes. De la sorte, le lecteur compétent qui tient à 
se former une opinion définitive pourra le faire vite et bien, 
sans être obligé de se livrer à des recherches complémentaires. 

Tradition populaire. — 1° Quand la pénultième était ac- 
centuée, on pouvait supprimer la finale, même devant un mot 
qui commençait par une consonne : 

Per tôt obred que verus Béus. (Str. 2, Chr.) 
Hanc non fud hom qui mèigis Taudis. (Str. 22, id.) 
Que nos ne dest (p. dêsit) tua pietad '. (Str. 77, id.) 
Qu' in templum Dé» cortine pend. (Str. 82, id.) 

Déus, mâgis et Déi sont contractés en une seule syllabe. 

2° Quand l'antépénultième était accentuée, on pouvait 
compter pour une seule les deux syllabes finales : 

Un asne addûcere se roved. (Str. 5, Chr.) 
Ghi eps lo morz faise revîuerc. (Str. 9, id.) 
Rovat que YiUeras apresist. (Str. 3, St-L.) 

Dans ces vers, addûcere, revîvere, ne comptent chacun que 
pour trois syllabes et lîtteras pour deux, par suite delà réduction 
en une seule des deux finales inaccentuées. Sous leur forme 
populaire, ces mots seraient écrits adduire, revivre, littres, 

3° On pouvait pratiquer ou ne pas pratiquer l'élision , habi- 

« 

' G*est à M. Ghabaneau que je dois l'explication de cette forme , dont le 

savant Diez ne s'était pas bien rendu compte. La traduction latine de ce 

vers est donc : 

Quod nobis ne desit tua pietas. 



LA PASSION DU CHRIST 23 

tude également étrangère à la versification latine classique , 
qui avait rendu Télision obligatoire, et à la versification la- 
tine liturgique, qui tout au contraire la supprimait. Ce pro- 
cédé d'élision ad libitum, qui est d'origine purement populaire, 
semble appartenir plus particulièrement à Fauteur du poëme 
franco-vénitien ; du moins je n'en ai trouvé trace, que ce soit 
un effet du hasard ou de la volonté des auteurs, ni dans la 
Passion du Christ ni dans celle de saint Léger. Deux fois seu- 
lement, Télision de la syllabe latine n'y est pas pratiquée. 

Gum il Jheswm occir fesant. (Str. 44, Ghr.) 
Jhesum in alla cruz clauûsdrent. (Str. 57, id.) 

Mais on conçoit qu'il en ait été ainsi. Jésus avait l'accent sur 
la finale, et c'aurait été défigurer ce mot que d'élider sa syllabe 
accentuée. 

Tradition savante. — 1^ Quand la pénultième était accen- 
tuée, on pouvait compter la finale. C'est ce qui avait lieu pres- 
que toujours : 

Déw* vers rex Jhesu Christ. (Str. 76, Ghr.) 
Regnum Déi nuncent pertot. (Str. 122, id.) 

Les exemples analogues sont très-nombreux. J'ai choisi ces 
deux vers comme contre-partie de ceux que j'ai cités quel- 
ques lignes plus haut, et où la tradition populaire a réduit 
Deus et Dei à l'état de monosyllabes. 

2° On pouvait compter toutes les syllabes latines sans excep- 
tion, même quand l'antépénultième était accentuée : 

Occidere lo commandât. (Str. 37, St-L.) 
Lo spiritus de lui anet. (Str. 80, Ghr.) 
Le spiritus aparegues. (Str. 110, id.) 
Spiritus sanctus sobr'elz chad. (Str. 119, id.) 
Sans spiritum posche laudar. (Str. 129, id.) 
Domine Deu devemps lauder. (Str. 1, St-L.) 
Ssi grâtia per tôt ovist. (Str. 15, id.) 
Domine Deu il cio laissât. (Str. 22, id.) 
Domine Deus in ciel flaiel. (Str. 30, id.) 



24 DIALECTES Â^CIENS 

On pouvait continuer d'appliquer cette règle aux mots latins, 
même quand ils avaient pris la forme populaire. 

De pûrpure donc lo vestirent. (Str. 62, Ghr.) 
Vkngeles Deu de cel dessend. (Str. 99, id.) 
A foc, a flamma vai ardant 
Et a glàdie^ percutan. (Str. 13, St-L.) 
Qui tal exercise vidist. (Ibid.) 

Cette règle ainsi constatée nous permet même de rétablir, 
chemin faisant, un vers faux de la str. 101, Chr. : 

A las femnes si parlât. 

Il faut lire : 

A las fémines si parlet. 

3° Quand les mots latins ainsi accentués finissaient le vers, et 
que Ton comptait toutes les syllabes, on déplaçait Taccent : 

Crucifigel Crucifigé^l. . (Str. 57, Ghr.) 

Te posche rendre </râcia, 

Devant to paire gflôrtâ, 

Sans spiritum posche laudar 

Et iiunc per tôt in séculâ, (Str. 129, id.) 

On déplaçait même Taccent de la pénultième : 
Jhesum querem Nazarénûm ... { Str. 34, id. ) 

La langue populaire aurait fait de ce mot nazaren, en sup- 
primant la finale non féminine et inaccentuée um, ou nazarène, 
en y substituant Ye muet (Cf. « Père omnipotence, . . . Deci 
qu'en Oriente )> des Chansons de geste), mais elle n'aurait ja- 
mais déplacé l'accent. Cette anamolie, contraire aussi aux 
règles ordinaires de la prosodie latine liturgique, est due ce- 
pendant à la tradition savante, qui, fidèle à ses principes tant 
qu'elle s'exerçait sur un texte entièrement latin, ne craignait 
pas de les violer parfois dans les textes mélangés, pour s'accom- 
moder aux besoins de la prosodie populaire. Delà viennent ces 
déplacements d'accent, opérés surtout pour faire rimer les 
finales latines avec les finales masculines françaises. Tant que 

* Le premier accent aigu indique la vraie place de la tonique. 



LA PASSION DU CHRIST 25 

l'accent prosodique se portait de Tantépénultième à la dernière 
sjllabe, comme dans ce vers, « Te posche rendre gracia n^ il 
n'y avait au fond aucune irrégularité, puisque c'est ainsi que se 
terminaient les octosyllabes latins, d'où était né l'octosyllabe 
français *. Mais ce qui était vraiment anormal, c'était d'en- 
lever l'accent à la pénultième pour le mettre sur la finale , 
comme dans le vers déjà cité, « Jesum querem Nazarenûmn , 

n ne faudrait pas conclure de là que les auteurs de ces 
poésies ignoraient l'accentuation latine ou ne l'observaient 
plus que par hasard ; au contraire, ils la connaissaient et la 
pratiquaient bien ; mais une irrégularité de ce genre, tout à 
fait choquante quand l'accent tombe sur une syllabe muette, 
comme le sont les syllabes eii e inaccentué du français, leur 
paraissait conciliable avec la tonalité latine, qui conservait aux 
syllabes finales inaccentuées une sonorité diminuée, il est vrai, 
mais sensible encore. Il ne faut pas oublier non plus que cette 
licence se produisait le plus souvent dans les vers de huit syl- 
labes, vers d'origine ecclésiastique, et destinés dans le principe 
à être chantés. Or on sait que l'accent tonique ne garde toute 
sa valeur que dans la langue de la conversation ou dans le débit 
oratoire, et que dans le chant il est, et a été de tout temps', 
pnmé par l'accent musical. 

Ce qui vient encore à l'appui de cette observation, c'est que 
dans le décasyllabe, que l'on peut considérer comme le vers 
populaire ou laïque par excellence, puisqu'il était plus spéciale- 
ment consacré à la poésie épique , ce déplacement de l'accent 
dans les mots latins ne se produisait jamais ou presque jamais. 

III 

Si maintenant nous relevons toutes les citations latines 
qui ont été répandues à profusion dans le poëme franco-véni- 

* Cf. Diez, Ztoei aU. romanische Gedichte, p. 6. 

^ Voir pour le grec la déclaration formelle de Denys d'Halicarnasseï dans 
son traité de Composit. verborum. 



26 DIALECTES ANCIENS 

tien, et que nous leur appliquions les procédés que nous ve- 
nons d'énumérer et d'expliquer, nous ne serons plus embar- 
rassés que par Tabondance des solutions possibles. Dans cer- 
tains cas, on en trouve jusqu'à trois pour le même hémistiche. 
U serait fastidieux d'en donner une liste complète ; quelques 
exemples suffiront. Le lecteur, mis au courant de la question 
par ce qui précède et par ce que je vais dire, pourra, s'il le 
veut, poursuivre l'expérience jusqu'au bout, et vérifier le plus 
ou moins de justesse de mes explications. 

Ces exemples se partagent en cinq groupes : 

P Les exemples où l'accent est à sa place, 

2° Ceux où l'accent est déplacé, 

3° Ceux où l'élision est pratiquée, 

4° Ceux où elle ne l'est pas, 

5° Ceux qui présentent plusieurs solutions. 



Premier groupe, — Quand la pénultième est accentuée, la 
finale est assimilée aux syllabes françaises en e muet, et sou- 
mise aux mêmes règles : 

Ministri méi. aul trençaat de ses espé. 
Tecum certàrent. che à toi non fus livré... 
Ergo rex es tu. se je ai bien noté. . .* 
Quid habemûs nos. fors la gran baronie. .. 
Potaverùnt me. quan moi veerunt transir.. . 

Tantôt elle compte pour un pied, et tantôt ne compte pas 



* Je scande rex es tu, en traitant tu comme une enclitique ; je fais de 
même pour nos après hahemus^ et pour me après potaverùnt Dans ce cas, 
l'accent se déplace régulièrement de he sur muSt et de ver sur unt^ par 
suite de l'attraction exercée par Fenclitique. Il suffirait aussi, pour les 
deux derniers vers, de déplacer nos et me : 

Quid nos habômus. . . 
Me potaverùnt... 



LA PASSION DU CHRIST 27 

du tout, même quand il n'y a pas prétexte à élision, c'est-à- 
dire devant un mot commençant par une consonne : 

Et si Johânem dimittis. li juif dit li a... 
Johàn^^ le vit. de l*oil si li cigna . . . 
Cestor toi dige. se J8 dia?t rens de boisi. . . 

Si l'accent est maintenu sur Tantépénultième, les deux syl- 
labes qui suivent ne comptent aussi que comm-e une syllabe 
française : 

a 

Non es amicus Cœsam. ne jamès non sera — 
Sûrgi^e feit-il. molt per estes çaitis. . . 
Grucifige crucifie, et non tardar tu ça. . . 
Quis glâdio férit. glâdto péril enfin — 

Mais même alors, même quand elles ne représentent plus 
qu'une seule syllabe, elles ne peuvent disparaître que par l'effet 
d'une élision régulière , c'est-à-dire devant un mot commençant 
par une voyelle : 

Pater si possi6i7e est. aufer cestui calis. . . 

Deuxième groupe. — L'accent se déplace, soit pour termi- 
ner le premier hémistiche : 

Quid quseritis. por choi estes venus. . . 
Petre Petré. tome el brand en vagin. . . 

soit pour terminer le vers : 

Ec vos venir, cilla chi ert Tancillâ. . . 
Distrent cellor. Jhesum Nazarenûs. . . 
Et dist sic respondés — tu ribaut principi. . . 
Enquéri lui, non respondis michi. 
Jésus respond cum sermons humili. . . . 
Uûlier dist il. eccefLliW tuùs. . . 

Ce déplacement, facultatif dans le premier cas, comme le 
prouvent les exemples plus nombreux encore d'hémistiches 
où l'accent garde sa place, était obligatoire dans le second, 
car jamais le mot latin qui termine le vers n'est accentué 
ailleurs que sur la finale. 



28 DIALECTES ANCIENS 



Troisième groupe. — Cas où Télision est pratiquée 

Gonsummatum est. dit Jhesus senç respit. . . 
Eccc ego sum. n'i alleç qirant il plus. . . 
Tu de illis es. mester ni auuras. . . 



Quatrième groupe, — Cas où rélision n'est pas pratiquée. 

Se * ad modum terrains, avoie mon régné. . . 
Quid me interrogas. demande pur ç'illi. . . 
Nullam invenio. qu'il seii à mort çuçé. . 



Cinquième groupe, — Ce groupe se compose d'exemples où , 
suivant qu'on déplace ou non l'accent, suivant qu'on pratique 
ou non l'élision, on trouve des vers réguliers de dix ou de 
douze syllabes. Le nombre en est grand, comme on peut le 
penser, avec une telle tolérance dans l'emploi des ressources 
prosodiques. 

1° Double solution obtenue par le déplacement ou le main- 
tien de l'accent : 

Et vestem cândidam. el vestirunt çel fie. Décasyllabe. 
Et vestem candidàm Alexandrin. 

2° Double solution obtenue par l'élision ou par la non-éli- 
sion : 

Caro infirma est. e pront li espiris. Alexandrin. 
Car inflrm'est Décasyllabe. 

3° Double solution obtenue par le déplacement ou le main- 
tien de l'accent combinés avec l'élision ou la non-élision : 

Hor» apprdpinquânt. che çelor sont proçaine. Alexandrin . 

Hor* appropinquant. Décasyllabe . 

Ne in temptatione.oaschuns de vos soit mis.. Alexandrin. 



' Se p. si. 



LA PASSION DU CHRIST » 

N' in temptatiône ' Aleooandrin, 

Usque ad môrtem. ântma méa * est tristis. DécasyUahe. 
Usqu' ad mortôm W. 

4® Double solution obtenue par la suppression ou la non- 
suppression de la finale inaccentuée : 

Non secundum vellé meum. mes cum tu vis. . . Âleooandrin. 
Non secundun véir méum Décasyllabe. 

commençant par un hémistiche de six syllabes. 

Ici vélk apocope est l'équivalent du vieux françois veuil. 

5** Dans certains cas, il est permis de supposer jusqu'à trois 
solutions. Ainsi, le vers 

Dimitte sanguinem ejus super nos et nostre uxor 
peut se scander de trois manières : 

Dimitte sanguin'éjus. sup*r (lisez sur) nos et nostr'uxor. Alexandrin. 

Dimitte sangu'n'ejûs Id. 

Dimitt' sangu'n'ejûs Décasyllabe. 

On le voit, il est difficile d'imaginer quelque chose de plus 
compliqué et de moins homogène ; c'est un système de tolé- 
rance, mais de tolérance excessive, qui déroute à chaque in- 
stant le lecteur par les changements de rhythme et de procédés 
métriques ; si bien qu'on se demande, même après toutes ces 
explications, que j'ai tâché de faire aussi claires et aussi com- 
plètes que possible, si l'auteur, tout le premier, se rendait 
bien compte des moyens qu'il employait. 

Tel est ce poëme de la Passion, assemblage bizarre des 
éléments les plus contraires et des formes les plus diverses, 

* Peut-être môme, si Ton voulait pousser la supposition jusqu'au bout, 
pourrait-on faire de ce vers un décasyllabe, en faisant une syllabe de tio : 
n'intemptattone. . . 

* L'a de mea s'élide. 



30 DIALECTES ANCIENS 

véritable monstre philologique, utile à. étudier cependant, 
parce qu'il nous permet de constater jusqu'à quel point, et de 
quelle manière, notre littérature était alors connue , et notre 
versification pratiquée, de Faiitre côté des Alpes. 

L'unique copie qui nous en soit parvenue offre une par- 
ticularité intét'essante, que j'ai scrupuleusement reproduite 
dans mon édition : la fin de chaque vers et de chaque hémi- 
stiche est marquée par un point. Il paraît que c'est une excep- 
tion ; du moins M. G. Valentinelli *, le très-savant et très- 
obligeant conservateur de la Biblioth. de S*-Marc, à qui je l'ai 
signalée, la considère comme telle. Il a observé, en effet, que 
dans les autres poëmes français de cette bibliothèque, j com- 
pris le Roman (TAspremont, écrit par le même copiste et dans 
le même manuscrit, on a bien marqué presque toujours la fin 
du vers, mais presque jamais celle de l'hémistiche. 

J'ai cru devoir traduire ce poëme aussi littéralement que 
possible, pour ceux de nos lecteurs qui ne sont pas familia- 
risés avec la vieille langue française, et à plus forte raison 
avec ce vieux français si singulièrement défiguré par l'ortho- 
graphe et la prononciation italiennes. 

Le même sujet a été traité, mais en vers de douze syllabes, 
par un poète italien qui s'est servi du même dialecte, par 
Nicolas de Vérone. Ce poëme est inédit. Le manuscrit, proba- 
blement unique, qui nous l'a conservé, appartient à M. Rouard *, 
bibliothécaire d'Aix. 

Le hasard a voulu que ces renseignements ne me soient 
parvenus qu'à la dernière heure, presque au moment dé re- 
mettre mon travail à l'imprimeur. Je le regrette, car, si j'avais 
pu me les procurer plus tôt, je me serais empressé de me 
mettre en relations avec M. Rouard, et je l'aurais prié de 



* C'est à M"« veuve Astruc que je dois d'avoir été mis en relations avec 
l'abbé G. Valentinelli. Je la prie de vouloir bien agréer mes respectueux 
remerciements. 

2 Gazzera, Trattato dèUa dignità di Torquato Tasso^ p. 44. 



LA PASSION DU CHRIST 31 

vouloir bien joindre ses eflfbrts aux miens pour compléter 

cette étude. 

A. Boucherie. 

Montpellier, 1" janvier 1870. 

P, S. — J'ai écrit en italique, et sans les traduire, les mots 
latins du texte original. 



'■*'i»'H 



32 



LA PASSION DU CHRIST 

EN DIALECTE FRANCO-VÉNITIEN DU XIV* SIÈCLE 



— Apres la Passe*, quand Yhesus dure paine. 
Doul e travaille, sol por la jens humaine. 
Por nos garir. da li diables maine. 

Li voir. Jhesus. ses disciples amaine. 

De denc uns ort. dont la flor fu saine. 

Che bien sa voit, et chonuit por certaine. 

Che ensir i covint. de ceste vie terraine. 

A ses disciples, en dist li rois sopraine. 

Hore apropinquant ^ che çelor" sont proçaine. 

Chi moi traira. Petras parle autaine. 

Nen toi doter, tan nen ai foible vaine. 

Si omnes te relinquenf, por durer mors estraine. 

Non te relinquam. Aj Jhesus naçaraine. 

— Jhesus respond. e tint li çev en bais. 
Quand il oi. de Petrus le bubais. 
Corne celui, chi soit de cuer verais. 
Tout ce che doit, avenir e fu mais. 
Présent li sont, nel mescreeç vos pais. 
Respont a Petrus. nel tenir tu a agais*. 
Par choi des autres, plus urgoillos te fais. 
Tout li primer, toi di che tu serrais. 
Devant Jugif. par trois fois jurerais. 

Che en tôt ta vie. tu moi nen conostrais. 
Petrus respont. j a ce ne moi dirais. 
Si me oportuerit mort tecum veerais. 

' Chaque fois que la finale Pasqua est suivie d'un mot commençanl par 
qUf le copiste la supprime. 
^ Ms. Appropinquat. 



33 



LA PASSION DU CHRIST 



EN DIALECTE FRANCO-VENITIEN DU XIV® SIÈCLE 



Aux approches de Pâques, quand Jésus endure peine, 

Qu'il souffre et se fatigue uniquement pour la race humaine, 

Pour nous préserver de la compagnie du diable. 

Le vrai Jésus, ses disciples amène 

Dans un jardin dont les fleurs exhalaient un parfum salutaire. 

Car il savait bien et connut d'une manière certaine 

Qu'il lui fallait sortir de cette vie terrestre. 

A ses disciples dit le Roi suprême : 

« Horœ appropinguant : Que ces instants sont proches ! 

Qui me trahira ? « Petrus parle d'une voix assurée : 

« Ne crains rien : je n'ai pas le cœur si faible. 

Si omnes te relinquant, pour endurer mort extrême, 

Non te relinquam, ah ! Jésus de Nazareth. » 

— Jésus répond, et tint la tête en bas. 

Quand il ouït de Petrus la fanfaronnade. 

Comme celui qui sut de cœur vrai 

Tout ce qui dut avenir et fut déjà — 

(Présentes lui sont toutes ces choses) (?) n'en doutez pas — 

Répond à Petrus : « Ne le tiens pas à plaisanterie. 

Puisque tu te montres plus orgueilleux que les autres, 

Tout le premier te dis que tu seras 

Devant les Juifs, par trois fois jureras 

Que dans toute ta vie tu ne m'as pas connu. 

Petrus répond : Jà, ce ne dirai-je. 

Si me oportuerit mort, tecum tu me verras. 

* Litt* : que celles-ci {horœ) sont proches 

* Je lis : Kel tenir tu à gab. 



34 DIALECTES ANCIENS 

Apareille sui ot toi. a bien et a mexais. 
Tormant e paine. tecum durer en pais ^ 
Respont Jhesus. ja point ce non farais. 
Ante quam gallus cantet, tu ter moi renoierais. 

— Quant a ce dit. le sanct Jhesu cruciâs. 
Trois de ces diciples. de denç un ort floris. 
Ot soi les moine, les autres i sont remis. 
Tôt par deors. leç units oliver foillis. 
Orate vos. ce li dit Jhesu Cris. 

a 

Ne in temptatione, caschuns de vos soit mis. 

Caro infirma est. e pront li espiris. 

A peçe fere. volunter e non envis. 

Quand a ce dit. a genoil s'est Ûatis. 

Sa oraisons, chomence e si dis. 

Pater si possibile est, auffer cestui calis. 

Ut non bibam illum biaus sirre se a toipleis. 

Non secundum velle meum. mes cum tu vis. 

Quand a ce dit. fu si fort exbais. 

Che d'un sanglent suor. fu tôt entrepris. 

Tam tost soi levé e par deors s'en is. 

Tôt ses disciples, atrova il endormis. 

Trestout li exveille, quant * il geta un cris. 

Surgite feit il molt per estes çaitis. 

Pur solet un hora ne un mumens de dis '. 

Vigilare mecum. dond vos nen estes depis. 

Horate dico. puis en Tort fu revertis. 

Jésus adore de parfont cors pensis. 

Un sermons dit. che très bien fu ois. 

Usque ad mortem. anima mea est tristis 

De Tort s'en ist. ses disciples coisis. 

Anchor dormant, caschuns ex oil dois. 



' En pas synonyme de aussitôt, sur-le-champ : En pas qu'el vidren 
les custodes. ( Pa^ssion du Christ. ) 
2 On peut traduire « Quand il jeta un cri. » Cependant je serais plus 



LA PASSION DU CHRIST 35 

Tout prêt suis avec toi, à bien et à mésaise, 
Tourment et peine tecum endurer sur-le-champ. 
Répond Jésus : « Jà ne le feras nullement. 
Anteqtuim gallus cantet, tu ter me renieras. » 

— Quand a ce dit, le saint Jésus crucifié 

Trois de ses disciples dans un jardin fleuri 

Avec soi les mène, les autres là sont restés 

Tout par dehors près diunus olivier feuillu. 

« Orate vos, dit alors Jésus-Christ, 

Ne in temptatione quelqu'un de vous soit mis. 

Caro infirma est, et prompt l'esprit 

A péché faire volontiers, et non malgré lui. » 

Quand a ce dit, à genoux s'est mis, 

Son oraison commence, et ainsi s'exprime : 

« Pater sipossibile est, au fer ce calice. 

Ut non bibam illum, beau sire, s'il te plaît. 

Non secundum velle meum, mais comme tu vis, » 

Quand a ce dit, fut si fort ému. 

Que d'une sueur sanglante fut tout couvert. 

Bien vite se lève, et par dehors s'en va. 

Tous ses disciples trouva-t-il endormis. 

Tous alors les éveille, tel fut le cri qu'il jeta ! 

« Surgite ! ûiril. Vous êtes bien chétifs ! 

Pour une heure seulement et un moment vous refusez 

Vigilare mecuml N'êtes-vous pas méprisables ! 

Orate, dico. » Puis au jardin s'en fut retourné. 

Jésus se met en prière de profond cœur pensif. 

Une parole dit, qui très-bien fut ouïe. 

« Usque ad mortem, anima mea est tristis, » 

Du jardin sort, ses disciples aperçut 

Encore dormant, chacun aux yeux fermés. » 

porté & voir dans quant l'exacte reproduction du îatin qiHmtus. 
^ Je lis desditeSf de se dédire 



36 DIALECTES ANCIENS 

Surgtte feit il. ci sont nostrt * nemis. 
Cellor se leven. jongirent li Juys. 
Ftistibm et glacUis. caschuns. bien manuis '. 
Mes Judas Scariotes. qi da Deus malleis ". 
Tan tost cum vit Jhesus. si dit ave rabis. 
Par mostrer le cellor li * baisse boce e vis. 



Al baisser, che fist li malestrus. 
Tout li Jujf. Ten ont bien coneus. 
Mes Jhesu Cris, si lor oit respondus. 
Quid queritis, por choi estes venus. 
Jugif distrent. naçarenum Jésus, 
Ecce ego sum. ni allée qirant il plus. 
Cum li Juyf. le mot ont entendus. 
Che sol venoit. da divine virtus. 
Par tel mainere. fu caschuns experdus. 
Che illi en perdirent, cors frons e lus ' 
Cum fussent mort, chairent estendus. 
Li voir Jhesus ancor li oit amentaus. 
Quid queritis. quand il sont revenus, 
Cellor distrent. Jesum naçarenus. 
Ecce ego sum, primer vos ai disus. 
Se moi voleç de ces pas soit ' prendus. 
CM sont ot moi. ne lor forfacec nus '^. 

a 

A vos voloir. sol soie retenus *. 

— Or estoit il pri^. por li lignaç Chain. 
Le bon profete. Jésus naçarin. 
Come lairons. le lièrent ensin. 
Bâtant il vont, a bâtons de sapin. 



' Romv. notri. 

' Je ne sais à quelle forme régulière attacher ce mot; toutau plus y 
soupçonne-t-on la racine main. 
^ Je lis Dam Deus maleisse. 
* Ms. si 



LA PASSION DU CHRIST 37 

« Surgitel fit-il. Ici sont nostri ennemis. » 

Ceux-ci se lèvent. Les Juifs les rejoignirent, 

Fustihus et gladiis^ chacun bien armé. 

Mais Judas Iscariote, que le Seigneur Dieu maudisse, 

Aussitôt comme il vit Jésus, ainsi dit : « Ave, Rabbi. » 

Pour le montrer à ceux-ci lui baise bouche et visage. 

— Au baiser que fit le malheureux 
Tous les Juifs l'en ont bien reconnu. 
Mais Jésus-Christ ainsi leur eut répondu : 
(( Quid quœritis ? Pourquoi êtes venus ? » 
Juifs dirent : « Nazarenum Jemm, » 

« Ecce ego sum, n'allez plus le cherchant. » 

Quand les Juifs le mot ont entendu, 

Qui ne venait que de divine vertu. 

Par telle manière fut chascun éperdu. 

Qu'ils en perdirent cœur, assurance et la vue : 

Comme s'ils fussent morts tombèrent étendus. 

Le vrai Jésus leur dit encore là: 

« Quid quœritis ? Quand ils sont revenus à eux. 

Ceux-ci dirent : « Jesum Nazarenum. » 

(( Fcce ego sum, vous ai-je dit tout d'abord. 

Si me voulez, de ce pas sois-je pris. 

De ceux qui sont avec moi, à aucun ne faites mal. 

A votre vouloir seul sois-je retenu. » 

— Or était-il pris pour le lignage de Caïn, 
Le bon prophète Jésus de Nazareth. 
Comme larron le lièrent ainsi, 

Battant le vont à bâtons de sapin, 

^ Lus p. luXi mot emprunté au latin, avec le sens de vue, regard. 
« Soit ^MT soie. 

' Le mot-à-mot est : a Ne faites de tort à nul de ceux »; lor^ lat. iUorum. 
* Là s'arrête la citation du Homvart. 



38 DIALECTES ANCIENS 

Ë cum coreges. i font gran disiplin. 
Nen fu mené, si vilmant home terrin. 
Com condurent li Juyf li rois divin. 
Quand ce vit Petrus, si'n prist tiel ain. 
Nen soi tenist. por un moi d'or fin. 
Ch'il non disist. filç a puitan mastin. 
Char mon mastre. menée a tiel train. 
Ne vos vaudra, arme un terrin *. 
Che non sentec. de ces cultel acarin. 

3 9 3 

n trait le cultel. senç plus termin. 
Malchus feri por merveillos ustin. 
Ch'il le detrance le caveus e le crin. 

3 

Con tôt r oreille, chairent al camin. 
Jhesu lui excrie. che dit son latin. 
Petre Petre. tome el brand en vagin. 
Quis gladio ferit. gladio périt en fin. 
Or bien toi di che tu es de cors frain. 
Char tu non crois, en moi de domin *. 
Se ensir volist. des mains de ces tapin. 
Che eje el poust fere '. mes toi di e destin. 
Se pur setas ♦. un cri al pater divin. 
Che plus auroie. de cent mil chérubin. 
CM trencerent li Jujf miserin. 
Mes sufirir voil. le tormant e Fustin. 
Par vos n'estre. del leu miserin. 



(A continuer.) 



* Je ne comprends pas. 

2 Latin, de dominio; litt., concernant ma puissance. 

3 J'ai reproduit autant que possible le texte avec toute la violence de ses 
inversions et l'étrangeté de ses ellipses. La phrase complète serait: « Car 



LA PASSION DU CHRIST 39 

Et avec courroies là lui infligent rude discipline. 
Ne fut mené si vilement homme ici-bas, 
Comme les Juifs conduisirent le roi divin. 
Quand ce vit Petrus, ainsi en prit telle haine, 
Que, pour un muid d'or fin, il ne put s'empêcher 

De dire : « Fils à p , mâtins ! 

Car mon maître menez avec tel tumulte ! 

Ne vous vaudra aucune arme... 

Que ne sentiez de ce coup d'acier. » 

n tire le couteau sans plus de délai. 

Frappe Malchus par merveilleux choc, 

Tellement qu'il lui détranche les cheveux 

Et l'oreille avec, — tombèrent dans le chemin. 

Jésus lui crie (il lui parle en latin) : 

« Pétrel Peire / iouTue le bran en son fourreau. 

Qui gladio ferit, gladio périt à. la. un. 

Or, te le dis bien, que tu es de mauvais cœur, 

Car tu ne crois pas en moi, en ma puissance ; 

' Si sortir voulusse des mains de ces misérables. 

Que je le pusse faire. Mais je te le dis et te le prédis, 

Si je jetais un cri au Pater divin. 

Que j'aurais plus de cent mille chérubins 

Qui trancheraient les Juifs malheureux. 

Mais souffrir veux le tourment et la violence, 

Pour que vous ne soyez du lieu de misères. » 

{A continuer.) 



tu ne crois pas en moi (tu ne crois pas que) ; si je voulais sortir des mains 
de ces misérables, cela me serait possible, i Remarquez la tournure toute 
latine de co passage: c Exire si vellem. . .possem. » 
^ Je lis : a Se pur ce jetasse )>. 



40 



DIALECTES MODERNES 



DE L'ORTHOGRAPHE 



La Société se proposant de publier de nombreux documents 
en langue d'oc moderne, il est nécessaire de déterminer l'or- 
thographe à suivre. 

Si Ton écarte d'abord les excentricités , où la fantaisie a 
plus de part que le bon sens , et en vertu desquelles chacun 
écrit comme il veut et prononce conmie il lui plaît, il est facile 
de voir qu'il n'y a en présence, et prétendant au choix , que 
deux systèmes acceptables : le système vocal, qui se conforme 
à la prononciation, et le système étymologique, qui remonte 
aux origines. — Malheureusement tous deux ont des inconvé- 
nients graves mêlés à des avantages réels, l'un acceptant toutes 
les corruptions du patois, l'autre toutes les extravagances du 
pédantisme. 

Si nous avions une littérature à créer, il est clair que le 
premier serait préférable, puisqu'il est le seul qui s'appuie 
sur une donnée philosophique, l'accord constant du son et du 
signe qui le représente. Mais il n'en est rien. Nos ancêtres 
nous ont légué une littérature célèbre et une orthographe 
reçue, toutes deux classiques en quelque sorte, et qu'il est de 
notre devoir et de notre intérêt de respecter. 

Mais comme , depuis le moyen âge, la langue a subi des 
modifications importantes, et que, d'ailleurs, les dialectes exis- 
tants veulent aller de pair, il est juste et convenable d'appor- 
ter à cette orthographe antique le sage tempérament qui con- 
siste à tenir compte et des changements survenus et des formes 



DE l'orthographe 41 

dialectales régulièrement admises. Du reste, ce motif n'existe- 
rait pas que la philologie nous en ferait une obligation impé- 
rieuse, r étude de ces particularités lui étant indispensable. 

Il résulte de ce qui précède que Torthographe à adopter 
doit être mixte et satisfaire à la fois la tradition et T usage , 
par une égale mesure. C'est assez dire qu'elle doit laisser aux 
mots leur contexture d'autrefois, soit en représentant les mê- 
mes sons par les mêmes lettres, soit en reconnaissant les 
mêmes filiations , et en second lieu s'écarter de Tétjmologie 
dès qu'elle est en désaccord avec les règles actuelles de la 
langue ; ou, si l'on veut, pour résumer en un seul principe ces 
deux formules , respecter la tradition , tout en donnant aux 
différences de temps et de dialecte la liberté de se produire. 

Ainsi se trouve décidé, sans que le caprice individuel y ait 
part, ce qui concerne les diphthongues , l'accentuation, les 
désinences euphoniques, les lettres facultatives, la syntaxe, etc. 
Quant aux différences de détail, l'orthographe des troubadours 
étant décisive, la Société a résolu de publier, dans peu, sous 
une forme élémentaire, une Grammaire et un Lexique de la 
langue d'oc. 

Il est bon de dire, avant de terminer, que ce système mixte 
est celui qu'ont adopté, depuis leur renaissance littéraire, les 
Provençaux et les Catalans, qui acceptent en effet la tradition 
et ne s'en écartent que pour les exigences particulières de 
leurs dialectes. En l'admettant, la Société affirme la commu- 
nauté d'efforts et de travaux qu'elle veut établir dans tout le 
Midi par une première unité, tout extérieure, qui est celle de 

l'écriture. 

Achille MoNTEL. 



42 



NOTE SUR LE DIALECTE PROVENÇAL 

ET SES SOUS-DIALECTES 



Les deux pièces inédites *, signées de noms illustres, que la 
Revue des langues romanes a la bonne fortune de pouvoir offrir 
à ses lecteurs dès son premier numéro, sont écrites dans le 
sous-dialecte provençal des bords du Rhône. 

On appelle quelquefois langue provençale la langue d'oc 
prise dans son ensemble. C'est un legs de l'époque des trouba- 
dours, un souvenir des temps où le nom de Provence s'éten- 
dait à toute la France méridionale ; mais la tradition a été si 
longtemps interrompue , et les noms de Provence et de pro- 
vençal sont aujourd'hui si bien localisés dans une partie de la 
Provence de nos vieux poètes, qu'il nous paraît préférable, 
pour éviter toute confusion, de donner à ces mots leur signi- 
fication moderne. Nous appellerons donc langue d'oc la langue 
populaire de la France du Midi, par opposition à la langue 
d'oïl, qui est celle de la France septentrionale. Ces deux ex- 
pressions ont l'avantage d'être usitées depuis longtemps dans 
le sens que nous leur donnons, de ne point supposer résolues 
des questions d'origine encore pendantes, et de ne permettre 
aucun malentendu. 

Nous réserverons le nom de Provence au pays situé entre 
les Alpes, la Méditerranée, le Rhône et le Dauphiné, et celui 
de provençal à la langue parlée dans cette région. Au point 
de vue du langage et des mœurs, comme sous le rapport géo- 
graphique, le Comtat Venaissin et le comté de Nice doivent 
être compris dans la Provence. 

* Les vers de M. Aubanel, A Vamigo que n'ai jamai visto, imprimés 
ici pour la première fois, ont été lus par Tauteur dans la séance littéraire 
qui eut lieu à Saint-Remy en septembre 1868, à l'occasion des fêtes don- 
nées aux poètes catalans par les poètes proveaçaux. 



DIALECTE PROVENÇAL 43 

Le provençal, considéré comme un des grands dialectes de 
la langue d'oc, se subdivise en sous-dialectes dont les trois prin- 
cipaux sont, pour employer une expression du pays , le parler 
du Rhône, le parler marseillais et le parler de Nice. 

Si l'on imagine la Provence divisée en deux parties d'inégale 
étendue par une ligne qui, de la limite inférieure du dépar- 
tement de la Drôme, descende perpendiculairement sur la 
Méditerranée, en passant entre Aix et Carpentras, à peu près 
à égale distance de chacune de ces deux villes, on aura, à la 
gauche de cette ligne , les pays où se parle le sous-dialecte 
des bords du Rhône, c'est-àrdire une partie du département de 
Vaucluse et la portion de celui des Bouches-du-Rhône qui cor- 
respond à l'arrondissement d'Arles. A la droite, se trouveront 
les pays de parler marseillais, c'est-à-dire les départements du 
Var, des Basses-Alpes, une partie de ceux des Alpes-Mari- 
times et de Vaucluse, et les Bouches-du-Rhône, moins un arron- 
dissement. L'ancien comté de Nice a , comme nous l'avons 
dit, un sous-dialecte particulier, appelé le ntçard. 

Il est inutile de dire que les limites des sous-dialectes, 
comme celles des dialectes, comme celles de toutes les langues 
en général, sont très-difficiles à déterminer avec précision, le 
langage d'un pays se modifiant de proche en proche jusqu'au 
point où il se fond en quelque sorte dans le langage du pays 
voisin. Cest ainsi que la rive languedocienne du Rhône parle à 
peu près le même sous-dialecte que la rive provençale, et que le 
parler marseillais pénètre dans la Drôme et dans les Hautes- 
Alpes. 

Le caractère général des sous-dialectes ^provençaux * est 
l'absence de Ys final du pluriel. L'article seul sert à distin- 
guer les nombres. Lorsque le pluriel est suivi d'un mot com- 
mençant par une voyelle, on écrit et on prononce Ys par 
euphonie. 

^ Nous voulons parier des trois principaux sous-dialectes mentionnés 
plus haut. Us du pluriel se prononce, parait-ii, dans quelques cantons 
de la Provence. 



44 DIALECTES MODERNES 

L'article singulier est à peu près le même dans les trois 
sous-dialectes désignés ci-dessus. 

MASCOLIN FÉMININ 

Nominatif et accusatif: lou la 

Génitif : dôu ou dau de la 

Datif : au à la 

L'article pluriel est, sur les bords du Rhône, H, di, i, pour 
les deux genres; dans les pays marseillais, lei, dei^ et, aussi 
pour les deux genres ; et à Nice, lu, dai, ai, pour le masculin, 
et H, de li, à li, pour le féminin. 

On considère quelquefois le niçard comme la transition du 
provençal à l'italien. Il est diflâcile cependant de ne pas recon- 
naître dans ce sous-dialecte les principaux caractères de la 
langue d'oc *. L'influence italienne s'y fait néanmoins sentir 

' On en jugera par le fragment qui suit d'un poëmo héroï-comique qui 
a joui d'une certaine réputation. Nous donnons l'argument et le début du 
premier chant: « Gant premiè. — Argumen: — Introdussion au poëma. 
Ideadai prinsipal poêla epico. Envocassion de la Musa. Lou Pégase dau 
poëta. Omage au proutetour de l'ouvrage. Pintura dau siel de Nissa. 
Amour de Lubin e Courina. Réveil de l'Envidia ; sieù portret ; sieù la- 
menta : suona très furia au sieù secours : la Discordia, la Galonnia e TIpo- 
crisia ; li fa un discours; ciangion de figura e sen van. Eloge d'un aë. 

Ben de gen mi diran : che sota vanità 1 
Emb'ai sieù cant, acheù si ores de n'encantà ? 
Perche n'ha faç toui rire en assemblan doui rima, 
Pensa de l'Elicon estre soubre la sima, 
E ch'un poëma enfin naisse com'un boulet. 
Sieù fouol, acô si poù, ma non sieù lou soulet. 
Laugié sera e matin s'ougne li papigliota ; 
Fieuferre nueç e giou vieste de mariota ; 
Boufet fa de prouget, e Marta a sincant'an 
Grès, emb'un pou d'afart, de paroisse un enfan. 
Se soufrés tantu sot, soufrés la mieù mania; 
Lu mieù vers a la fin son contra l'insomnia : 
Lou suget es picion, e non vou blessa en rem, 
E per la tersa fes, vouôli parla de Nom. » 
( La Nemaida, o sia lou Trionf dai sacrestan^ poëma nissart de Joseph- 
Rosalinde Rancher. Nissa, 1823. ) 

Il faut remarquer qu'un certain nombre de points de ressemblance 



DIALECTE PROVENÇAL 45 

dans quelques-unes de ses flexions et surtout dans sa phoné- 
tique, par exemple dans la diphthongaison fréquente en owo 
de Yo accentué : mouort, houon, pouorta , pour mort, bon, porta. 
H faut remarquer aussi que le niçard a la finale féminine en a. 

Dans le parler marseillais, on retrouve la diphthongaison de 
Yo accentué, non plus en owomais en oue:fouent, bouen^ vouestre^. 
Le son ou j s, une certaine tendance à se transformer en e, sur- 
tout devant la nasale, passten pour passioun. Dans ce sous-dia- 
lecte, comme dans celui de Nice, on termine en t les premières 
personnes du singulier de certains temps des verbes, qui, sur les 
bords du Rhône, se terminent en e : mangi, anavi, au lieu de 
mange, anave, 

A Marseille, comme à Avignon, à Arles, les finales féminines 
sont en o. 

J'emprunte à M. Mistral {Armana prouvençau de 1856) quel- 
ques-unes des indications qui précèdent. Voyez aussi, pour le 
sous-dialecte marseillais, la préface écrite par le même auteur 
pour la Bresco de Crousillat (Avignon, 1865). Je n'ai point la 
prétention de donner ici la caractéristique complète des sous- 
dialectes du provençal , mais seulement quelques renseigne- 
ments généraux, qu'un travail plus approfondi complétera par 
la suite. 

Pour faciliter, non-seulement la lecture, mais encore l'étude 
philologique des œuvres écrites dans le sous-dialecte des 
bords du Rhône, il me reste à donner quelques règles rela- 
tives à l'orthographe et à la prononciation. Ces règles me 
sont fournies par les publications mêmes de l'école des fé- 
libres; les principales ont d'ailleurs été formulées déjà dans 
une note qui figure en tête de Mirèio , et que plusieurs 



entre le fragment qui précède et l'italien sont purement orthographiques. 
Tel est l'emploi du ch et du gif qu'on pourrait, sans aucun inconvénient, 
remplacer par les signes provençaux correspondants. 

* Pour le cas où se produit cette diphthongaison, voyez l'excellent 
travail publié par M. Paul Meyer sur la phonétique de To provençal. 
[îiémoires de la Société de linguistique , 1. 1, p. 145-161.) 



46 DIALECTES MODERNES 

poètes provençaux ont empruntée à M. Mistral*. Nous distin- 
guerons parmi ces règles celles qui sont applicables à tous 
les dialectes de la langue d'oc de celles qui sont particulières 
au sous- dialecte du Rhône et à celui de Marseille. 



I. Règles applicables a la langue d'oc dans son ensemble * 

On prononce toutes les lettres, à l'exception de quelques 
consonnes finales. Les groupes qu et gu ont la même valeur 
qu'en français, c'est-àrdire que l'w ne s'y prononce pas dans un 
grand nombre de cas. 

Les deux // n'ont jamais le son mouillé. 

E sans accent ou surmonté d'un accent aigu ' se prononce 
comme Ye fermé français; ainsi les e de teté, devé, sonnent, 
à peu de chose près, comme ceux de été, vérité. 

" On trouvera d'excellentes indications orthographiques dans la première 
édition (1853) de la Part dôu bon Dieu, par M. Roumanille. 

* Nous croyons que le catalan doit être classé, surtout au point de vue 
de la phonétique, parmi les dialectes de la langue d'oc ; nous l'exceptons 
néanmoins des règles générales que nous donnons ici. Ce dialecte a une tra- 
dition orthographique arrêtée et déjà ancienne, qui ne s'éloigne guère du 
système provençal , mais qu'il nous paraît difficile pour le moment de faire 
entrer dans le même cadre II ne faut pas oublier, d'ailleurs , qu'une 
théorie de l'orthographe de la langue d'oc, applicable à tous les dialectes 
de cette langue en ce qu'ils ont de commun , ne peut être que le résultat 
d'un long travail, dont la Revue des langues romanes s'efforcera de réunir 
les éléments. L'article de M. Achille Montel sur Y Orthographe de la langue 
d'oc moderne a posé le principe général ; nous indiquons ici les conséquen- 
ces que les écrivains, provençaux en ont tirées pour leur dialecte , et nous 
dironsplus tard, à propos de la Baga d'or, de quelle manière nous croyons 
que ce principe doit être appliqué au dialecte de Montpellier. — Toutes 
les règles énoncées à partir de ce paragraphe, jusqu'à la la fin de l'article, 
ont été soumises à une commission spéciale de la Société pour l'étude des 
langues romanes, qui les a approuvées. 

3 L'accent aigu de l'e ne sert guère, dans la langue d'oc, qu'à indiquer 
la place de l'accent tonique, et à distinguer la diphthongue eu (prononcez 
éou) du son et*, employé quelquefois avec la même valeur qu'en français. 



DIALECTE PROVENÇAL 47 

È surmonté d'un accent grave , comme dans rh, venguè, se 
prononce ouvert. 

LV et Yi, quoique suivis de consonnes, comme dans sacramen, 
vifiy empercùre, conservent toujours leur son alphabétique. 

Uu se prononce comme en français, excepté quand il suit 
immédiatement une autre voyelle ; dans ce dernier cas, il 
prend le son ou. Cette règle a été constamment suivie par les 
troubadours classiques. 

Le groupe ou se prononce comme en français ; mais, quand 
Yo est surmonté d'un accent, on fait sentir le son de chacune 
des deux voyelles, en donnant à la seconde la valeur de You 
français ; ainsi, du se prononce ôou. 

Toutes les fois que deux ou plusieurs voyelles se suivent 
immédiatement dans le même mot, elles se prononcent en une 
seule émission de voix, tout en conservant chacune leur va- 
leur alphabétique. On a, par exemple, des diphthongues dans 
mai, rèiy galoi, et des triphthongues dans pièi, vuet, iéu. 

Exceptions : 1° Quand les deux premières voyelles sont un 
o non surmonté d'un accent et un u, ces deux voyelles ne 
comptent que pour une seule, ayant le son de la pseudo-diph- 
thongue française ou : fouet, pouort. 

2^ Quand une voyelle est surmontée d'un tréma, on la pro- 
nonce séparément de celle qui la précède : pais a deux syllabes, 
tandis que mai n'en a qu'une. 

3° L't entre deux voyelles les sépare en deux syllabes, et 
se joint à la seconde. Uiau, caiau sont dissyllabes {u-iau, 
ca-iau), 

4** L'i accentué ne forme pas diphthongue avec la voyelle 
qui le suit : mio ( Rhône ) est dissyllabe ; mania (Nice) est tris- 
syllabe. Discordia a trois syllabes avec l'accent tonique sur 
cor ; ipoucrisia en a cinq et l'accent porte sur st. 

5° L'z non surmonté d'un accent et You ne forment pas 
diphthongue avec la voyelle qui suit, dans quelques mots pour 
lesquels nous n'avons pu encore formuler une règle; par 
exemple : friand, espiat, coua (il couve), coua (queue), etc. 

Dans les triphtiiongues, la voix doit dominer sur la voyelle 



48 DIALECTES MODERNES 

intermédiaire, tout en faisant sentir les autres ; dans les diph- 
thongues, elle domine sur la première. Il y a quelques excep- 
tions à cette règle ; par exemple, dans les diphthongues ia, te, 
10, ouo, oue, la voix appuie sur la dernière voyelle. 

Accent tonique : 1° Lorsqu'il se trouve dans le corps d'un 
mot une voyelle surmontée d'un accent, l'accent tonique est 
ordinairement sur cette voyelle. 

2° Il porte sur la dernière syllabe , à moins qu'il ne soit 
marqué ailleurs , dans les mots terminés par une consonne , 
une diphthongue ou l'une des voyelles i et u, — Exceptions : Il 
porte sur la pénultième dans les mots terminés en es *, et dans 
la troisième personne du pluriel des verbes terminée en on, en 
oun ou en ou, suivant les dialectes : que digues , que tu dises ; 
sabon, ils savent. 

3° Dans les mots terminés en e, l'accent tonique porte sur 
la pénultième. 



II. RÈGLES PARTICULIÈRES AU PROVENÇAL ( SOUS-DIALECTES 

DU Rhône et de Marseille). 

Le g devant un e ou un i et le / se prononcent dz sur les 
bords du Rhône : ainsi, gémi, gibous, image, jalous, doivent se 
prononcer dzemi, dzibous, imadze, dzalous *. 

Ch se prononce ts: ainsi, charra, machoto, chima, se pro- 
noncent tsarra, matsoto, tsima. 

Dans le dialecte marseillais, la prononciation du g devant 



' Et, hors de la Provence, dans les pluriels terminés en as ou en 05, 
suivant les dialectes. Les mots qui forment leur pluriel par l'addition 
d'un s conservent l'accent tonique sur la môme syllabe qu'au singulier. 

2 Le son du g devant Ve et l't et du j varient , suivant les dialectes, du 
son dz le plus doux au son tch le plus rude. Le ch, qui n'est qu'un j plus 
dur, subit des variations analogues. 



DIALECTE PROVENÇAL 49 

e, iy du j et du ch, est plus accentuée et varie entre le z et le gi 
italien {zaffiro, giammat) *. 

L'm à la fin d'un mot a le son de Vn dans les deux sous- 
dialectes. Lum, fum, fam, se prononcent lun, fun, fan. 

Accent tonique. — Dans les mots terminés en a, l'accent 
tonique est sur la dernière. Il porte sur la pénultième dans 
ceux qui se terminent en o, à moins qu'il ne soit marqué 
ailleurs. Tn. 

^ Cette observation nous a été communiquée par M. Mistral. 



I 

i 



LA PRINCESSO CLEMÊNÇO 



AU JUGE CASTIOUN, DE CADAROUSSO 



A passa tèms qu'avian dins la Prouvènço 

Un rèi nouma Carie segound lou Goi ; 

Car, — siegue di sènso ie mètre ôufènso, — 

En caminant anavo de-guingoi : 

L'avien fa coume ac6... Mai, noum-de-goi I 

Avié 'no fiho, apelado Clemènço, 

Bello mai que la mar noun es inmènso. 



Èron pichot, 11 rèi qu'avian à-z-Ais, 
le sufisié même lou noum de comte... 
Mai pichounet tambèn èro lou fais 
De soun gouvèr : regnavon à bon comte, 
E tant simplas que vuei semble de conte. 
L'ivèr, quand Fauro amourro pin e frais, 
Pèr espargna lou bos, de soun palais 



Sourtien d'à pèd, soulet^ sens ceremôni, 
Prene, davans li barri, lou soulèu ; 
E devisant emé Pèire, emé Tôni, 
De la meissoun, o dôu tèms, o di flèu, 
Di mau publi couneissien lou tablèu, 
E segound Fèr jouga pèr la fanfôni, 
Menavon plan lou coumun patrimôni. . . 



LA PRINCESSE CLEMENCE 



AU JUaE CASTION, DE CADEROUSSE 



Au temps jadis, nous avions en Provence — un roi nommé 
Charles II le Boiteux ; — car, et soit dit sans intention bles- 
sante, — en cheminant il allait de guingois : — on Pavait fait 
ainsi... Mais, sur ma foi, — il avait une fille, appelée Clé- 
mence, — plus belle que n'est immense la mer. 



Petits étaient nos rois, nos vieux rois d'Aix, — même leur 
suffisait le nom de comte... — Mais tout petit aussi était le 
faix — de leur pouvoir : ils régnaient à bon compte, — et si 
simples que cela tient de la fable. — L'hiver, lorsque le vent 
plie pins et frênes, — pour épargner le bois, de leur palais 



Sortant à pied, seuls, sans cérémonie, — ils allaient prendre 
le soleil aux remparts ; — et, en causant avec Pierre ou 
Antoine — de la moisson, du temps ou des fléaux, — ils con- 
naissaient Tétat des maux publics, — et selon Tair joué par 
la musette — ils ménageaient le commun patrimoine... 



52 DIALECTES MODERNES 

D'un bout de court, Testiéu, segui tout just, 
E 'ncavalant un grignoun de Camargo, 
A Tarascoun, à Manosco, à Frejus, 
Fasien lusi la bravado e la targo ; 
D'un pau cadun aléujayon la cargo, 
Di long proucès adoubavon Tajust 
Ë mantenien dôu païs li vièis us. 



Ato ! pertout Ta pièi sis escaufèstre, 

Ë lou bonur noun se peso à quintau : 

En virouiant cadun crèi de miéus èstre, 

E d'aquéu tèms coume aro, gènt d'oustau, 

Ami leitour, èro gènt d'espitau... 

Mai quand Tavé bat libre lou campèstre, 

Se vèn lou loup, n'es pas la fauto au mèstre. 



Niço, liBaus, Marsiho, Fourcauquié, 
Favié de jour que se plagnien de graisse ; 
E boulegant un centenau d'arquié : 
<( Poro, tiran ! cridavon, plus de faisso ! » 
— «Ah! se ie vau, fasié lou comte, laisse ! » 
E coume un pastre, abile nourriguié, 
Em'un caiau 11 tournavo au pasquié. 



Mai nôsti rèi, emai siguèsson paure 
(E goi, de-fes), aviendefiho, vès, 
Meravihouso ! e jamai, pèrenclaure, 
Fado an vira tant de cor à Tenvès... 
Basto, Clemènço, aquelo que sa vès, 
Ero, vous dise, un rai d'or fin e saure : 
D'un rai parié quauque jour Dieu me daure ! 



LA PRINCESSE CLEMENCE 53 

D'un brin de cour, Tété, suivis à peine, — montant quelque 
étalon de la Camargue, — à Tarascon, à Manosque, à Fréjus, 

» 

— ils faisaient luire la bravade et la joute ; — ils allégeaient 
le fardeau d'un chacun, — accommodaient du mieu:^ les longs 
procès — et du pays maintenaient les vieux us. 



Dame ! partout il y a, puis, ses troubles, — et le bonheur 
ne se pèse à quintal ; — en se retournant, chacun croit être 
mieux.... — Alors, comme à présent, gens de famille, — ami 
lecteur, étaient gens d'hôpital. — Mais dans la lande quand 
le troupeau va libre, — si le loup vient, la faute n'est au 
maître. 



Nice, les Baux, Marseille, Forcalquier, — à certains jours 
se plaignaient de leur graisse; — et, agitant une centaine 
d'arcs, — criaient : « A bas le tyran ! plus de lien ! » — 
« Ah ! si j'y vais, faisait le comte, attends !... » — Et comme un 
pâtre, habile nourricier, — à l'herbe les ramenait sa hou- 
lette. 



Mais, bien que pauvres (et boiteux quelquefois), — nos rois 
avaient des filles, voyez-vous, — merveilleuses ! et jamais, par 
sortilège, — fées n'ont tourné tant de cœurs à l'envers... — 
Clémence, bref, celle que vous savez, — était, vous dis-je, un 
blond rayon d'or fin : — d'un rayon tel puisse Dieu me dorer ! 



54 DIALECTES MODEREES 

Or Feiretié dôu reiaume di Franc, 
Ausènt parla de la bello princesso, 
De soun amour aguè 'nvejo subran, 
E pèr Tavé n'agaè trèvo nicesso. 
Mai lou pâlot moustrè bèn que bassesso 
Niso de-fes dins lou cor di plus grand, 
Coume veirés, aquest conte durant. 



Part de Paris uno proumto embassado, 
Perla Prouvènço uno embassado part. 
Après festin, e la questioun pausado, 
Acourdamen e grand gau di dos part, 
Li députa demandon à despart 
Uno entre-visto à la jouino ûançado, 
E lou plus yièi esclargis sa pensado : 



— « Bello Clemènço, astre clar dôu Miejour, 

Ansin lou vièi ie vèn de-cauto-cauto, 

Dins li rousié sort d'espino toujour, 

E sian tengu de vous dire sens fauto 

Uno resoun que sus vôsti dos gauto 

Fara segur espandi la roujour... 

Basto qu'acô noun vous mete en frejour I 



» Es pas que noun saches que voste paire 

Es un pau goi, — parlant sènso respèt... — 

Ah ! gros malur ! car, se noun es troumpaire 

Ço que se dis, de Tespalo o dôu pèd 

A si parent un enfant es souspèt, 

— Diguen lou mot, princesso, — de retraire, 

E de laid chat noun vèn bel emperaire. 



LA PRINCESSE CLEMENCE 55 

Or rhéritier du royaume des Francs, — oyant parler de la 
belle princesse, — eut tout à coup envie de son amour, — et 
pour Taroir n'eut cesse ni repos. — Mais le balourd montra 
bien que bassesse — niche parfois dans le cœur des plus 
grands, — ainsi que vous verrez durant ce conte. 



De Paris part une prompte ambassade, — pour la Provence 
une ambassade part. — Après festin, et la question posée, — 
accord et grande liesse des deux parts, — les députés deman- 
dent en secret — une entrevue à la jeune fiancée, — et le 
plus vieux se fait leur interprète : 



— « Belle Clémence, astre clair du Midi, — le cauteleux 
vieillard ainsi commence, — dans les rosiers toujours naissent 
épines, — et nous devons vous dire sans manquer — une pa- 
role qui fera sur vos joues, — certainement, éclore la rou- 
geur... — Puisse en froideur cela ne point vous mettre ! 



» Vous n'êtes pas sans savoir que votre père, — sauf le res- 
pect, est boiteux quelque peu... — Ah! grand malheur ! car, 
s'il est véridique — le vieux dicton, par l'épaule ou le 
pied — à ses parents un enfant est suspect — de ressembler, 
princesse; et vilain gars — ne deviendra jamais bel empereur. 



56 DIALECTES MODERNES 

» Maladicioun ! que dirien lis Angles , 
Se lis enfant de la rèino de Franco 
Êron manchet, panard, gibous, o blés ? 
Donne, pèr avé la ferme asseguranço 
Que sias sens déco e riche d'esperanço, 
Noste segnour lou prince de Valés 
A nôstis iue yôu que vous desvelés. » 



— <( Oh I rinsoulènt ! digue la Prouvençalo, 
D*un Franchimand m'estouno pas... Mai noun, 
Sara pas di, Prouvènço en res vassale, 
Que ti princesse, umblamen, de-clinoun, 
D'èstre endecado an subi lou renoum... 
Esperas-me, vau tourna dins la sale... 
E tu, Pudour, cuerbe-me de tis aie I » 



Elo, acô di, s'envai coume Fuiau ; 
Se descourdello, estrassant li courduro ; 
De cisclatoun e de broucat reiau 
Lèu à si pèd toumbo sa vestiduro ; 
E gardo just la simple atrencaduro 
D'une bèuta que mounto au lie nouviau 
Entre li bras de Tespous vermeiau. 



la sublime e gènto vierginello ! 
Vêla que vèn, soute un telage fin 
De papalino e téuno e clarinello. 
Que de si gràci e de soun cors divin 
Permet de vèire acoumencanco e fin. 
Di mandadou lis ardènti prunello 
Devourissien la nôvio blanquinello. 



LA PRINCESSE CLEMENCE 57 

» Malédiction ! que diraient les Anglais, — si les enfants de 
la reine de France — étaient manchots, boiteux, bossus ou 
bègues? — Donc, pour avoir le garant que vous êtes — sans 
nul défaut et riche d'espérance, — notre seigneur le prince 
de Valois — veut qu'à nos yeux vous vous montriez sans 
voiles. )) 



— « Oh ! rinsolent î dit lors la Provençale, — d'un Franchi- 
mand point ne m'étonne... Mais — il ne sera pas dit, Pro- 
vence reine, — que tes princesses, humbles, le front baissé, 
— d'être mal faites ont subi le renom... — Attendez-moi, je 
reviens dans la salle... — Et toi. Pudeur, couvre-moi de tes 
ailes! )) 



Elle, à ces mots, s'en va comme l'éclair, — et se délace, en 
rompant les coutures ; — de siglaton et de brocard royal — son 
vêtement tombe vite à ses pieds ; — elle ne garde que la simple 
toilette — d'une beauté qui, au lit nuptial, — vient dans les 
bras de son époux vermeil. 



la sublime et gente jouvencelle ! — Elle s'avance, sous 
un fin tissu — de popeline déliée, transparente, — qui de ses 
grâces et de son divin corps — permet de voir commencement 
et fin. — Des envoyés les ardentes prunelles — dévorent la 
jeune et blanche fiancée. 



58 DIALECTES M0DEIU9BS 

— « Se fau juja lafrucho pèr li gréu, 
Vierge, à Tamour proumetes grand culido, 
De Tembassado aqui faguè lou préu. 
Moussèu de rèi, ta persouno poulido 
De cap à. pèd es en tout acoumplido ; 
Pèr noste prince es un trésor, pèr eu 
E pèr la Franco entière... Mai peréu 



» Degno acoumpli ço que nous recoumando 
Ë ie leva dôu su tout cascavèu... 
Laisse briha Testello puro e cando 
A nôstis iue, sènso nivo ni vèu..* 
Car dôu countrat es acô lou clavèu, 
E pènso bèn qu'au bout de sa demande 
Uno courouno es lou doun que te mando. » 



Aior, se dis qu' em'un biais soubeiran , 
Sens bataia soulamen uno briso, 
D*unmouvemen, ardido, revirant 
Darrié soun côu soun peu que se desfriso 
A long trachèu : — « Que pèr uno camiso 
Ague perdu la courouno di Franc, 
Oh! s'escridè, certo, noun lou diran I » 



E pereila la teleto d'aragno 

Volo, e Venus Arlatenco aparèi 

Goume lou jour au trecôu di mountagno. 

Esbarluga de la glôri que vèi, 

Aurié vougu, cadun, èstre lou rèi ; 

Mai en amour, un perd e Tautre gagne ; 

Pièi, la bèuta, pecaire I es uno eigagno. 



LA PRIMGESSE GEMENGE 59 

— « S'il faut juger les fruits par les bourgeons, — vierge, à 
Tamour tu promets grand'cueillette, — lui fait soudain le 
chef de l'ambassade. — Morceau de roi, ta personne jolie — 
est accomplie en tout de pied en cap ; — pour notre roi 
c'est un trésor, pour lui — et pour la France entière... Mais 
aussi 



» Daigne accomplir ce qu'il nous recommande — et lui ôter 
tout martel de la tête... — Laisse briller l'étoile pure et claire, 
— à nos regards, sans nuage ni voile... — Car du contrat 
c'est là la clause expresse, — et pense bien qu'au bout de sa 
demande — une couronne est le don qu'il t'envoie. » 



Alors, avec un charme souverain, — sans hésiter, dit-on, 
le moins du monde, — et hardiment rejetant derrière elle — 
sa longue chevelure qui déroule — ses écheveaux : — « Que 
pour une chemise — m'ait défailli la couronne des Francs, — 
— non ! s'écria-t-elle, on ne le dira pas ! » 



Et dans l'espace la toile d'araignée — vole, et Vénus Arlé- 
sienne apparaît, — comme le jour au sommet des monta- 
gnes. — De cette gloire éclatante ébloui, — chacun aurait 
voulu être le roi; — mais en amour l'un perd où l'autre 
gagne ; — puis la beauté, las ! est une rosée. 



60 DIALECTES MODERl^ES 

Nostradamus, lou bon istourian, 

Ajusto que tout lou mounde en Prouvènço 

Aplaudiguè, coume encaro farian, 

A rerouïco e superbo Clemènço. 

Quau noun fai mau, en efèt, noun mau pènso. 

Ë di Yalés lou sagatun brihant 

Prenguè racino en aquéu souleiant. 



Frederi Mistral. 



Maiano (Bouco-dôu-Rose). j 



LA PRINCESSE CLEMENCE 61 

Nostradamus, le bon historien, — ajoute que tout le monde 
en Provence — battit des mains, comme encore nous ferions, 
— à Théroïque et superbe Clémence ; — car point ne pense 
à mal qui ne fait mal. — Or des Valois la brillante cépée — à 
ce soleil de beauté prit racine. 



Frédéric Mistral. 



Maillane (Bouches -du-Rhône). 



A L'AMIGO QUE FAI JAMAI VISTO 



Escusas-me, Madamisello , 
Mai leissas-me vous demanda 
La couleur de vôsti trenello. 
Despièi que m'avès enfada, 
Proun fes moun esprit ie pantaio, 
Car di chato que lou cor béu 
Ço que lou mai me bouto en aio 
Noun es pèd prim, man fino, taio 
Encantarello, iue que dardaio, 
Gràci, tendresse. . . : es lou long peu. 

Lou peu ! lou peu ! aquelo glôri 
Gisclado di man dôu bon Dieu ; 
Lou peu! aquéu cap-d'obro flôri» 
Aquéli rai paupable, viéu ! 
De li mira'n touto jouvènto 
M'enchusclo emai me fai fresi. 
Voudriéu èstre Tauro que vènto 
E me perdre i como mouvènto, 
la pienche au couifa savènto , 
E dins lou drut mordre à plesi 1 

Avès-ti la treno castagne 
Di chato que y an, lou matin, 
Mena 11 cabre à la mountagne ? 
Si pèd meuret, franc de patin. 
An lou prefum di ferigoule : 
Trepon li baus escalabert 
Sènso esfraia li reguindoulo, 
E, quand sauton i farandoulo, 
Soun peu castan arrage coule 
Dins lou beumbet entre-dubert. 



A L'AMIE QUE JE N'AI JAMAIS VUE 



Pardonnez -moi, Mademoiselle, — mais laissez-moi vous 
demander — la couleur de vos tresses. — Depuis que vous 
m'avez ensorcelé, — bien souvent mon esprit j rêve, — car 
des jeunes filles que le cœur dévore — ce qui le plus m'exalte, 
— ce n'est pas pied mignon, main fine , taille — enchante- 
resse, œil qui darde, — grâce, tendresse. . . : ce sont les longs 
cheveux. 



Les cheveux ! les cheveux ! cette gloire — jaillie des mains 
du bon Dieu ; — les cheveux ! ce chef-d'œuvre triomphant, — 
ces rayons vivants, palpables ! — De les contempler en toute 
jeune fille — cela m'enivre, me fait frissonner. — Je voudrais 
être la brise qui souffle — et me perdre aux chevelures mou- 
vantes, — ou le peigne à coiffer habUe, — et dans le dru 
mordre à plaisir ! 



Avez-vous la tresse châtaine — des jeunes filles qui vont, le 
matin, — conduire les chèvres à la montagne ? — Leurs pieds 
brunis, francs de chaussures , — ont le parfum du thym : — 
elles hantent les rocs escarpés — sans effrayer les lézards gris, 
— et, quand elles sautent aux farandoles, — leurs cheveux châ- 
tains, en désordre, coulent — dans le corsage entr'ouvert. 



64 DIALECTES MODERNES 

Di bloundo sias-ti sorre ? L'uno, 
Fadeto, ai-las I que mor trop lèu, 
Oufello à peu plen de luno ; 
L'autro, à frisounplen de soulèu, 
Sèmpre mai renadivo, a gaire 
Qu'un bais de Toundo pèr ajust; 
Parlo i felibre em'i pescaire, 
E li marin que de tout caire 
Van à la fiero de Bèu-caire 
Toujour te rescontron, Venus ! 



Soûl vièsti de la Madaleno, 

fourèst de si peu de fio, 

Quand touto belle, blanco, leno, 

Plouro la pecairis, en-lio 

Noun trouvant Dieu qu'en la calaumo, 

Coume uno flamo si trachèu 

Sèmblon crema la Santo Baumo . 

Despièi, alin, la flour di caumo 

De r encens de si peu embaume 

L'erbo e Taubre, Tome e Taucèu. 



Pourtas-ti la negro courolo 

Qu'anelavo lou gai coutet 

De Zani, de ma caro drolo, 

E qu'an souvent mescla mi det ? 

bèlli trenello negrasso 

Coume la niue e la brumour, 

Coume l'alo di tartarasso, 

Coume un tron que l'uiau estrasso, 

Feroujo, enebrianto de raço, 

Que m'avès tant liga d'amour? 



A l'amie que je n'ai jamais vue 65 

Des blondes êtes- vous sœur? L'une, — petite fée, hélas I qui 
meurt trop tôt, — Ophélia, aux cheveux pleins de lune ; — 
l'autre, aux boucles pleines de soleil, — sans cesse renais- 
sante, n'a guère — qu'un baiser de l'onde pour parure ; — elle 
parle aux poëtes et aux pêcheurs, — et les marins qui de 
tous pays — vont à la foire de Beaucaire — te rencontrent 
toujours, ô Vénus ! 



Seul vêtement de la Madeleine, — ô forêt de ses cheveux de 
feu, — quand douce , blanche, toute belle, — la pécheresse 
pleure, nulle part — ne trouvant Dieu que dans la quiétude , — 
sa chevelure, comme une flamme, — semble embraser la Sainte 
Baume. — Là-haut, depuis lors, la fleur des cimes — de l'encens 
de ses cheveux embaume — l'herbe et l'arbre, l'homme et 
l'oiseau. 



Portez-vous la noire torsade — qui retombait en boucles sur 
la nuque charmante — de Zani, de ma bien-aimée, — et qu'ont 
souvent emmêlée mes doigts ? — belles tresses noires, noires 
— comme la brume et comme la nuit , — comme l'aile des 
oiseaux de proie, — comme le nuage que l'éclair déchire,— 
farouches et enivrantes de race, — qui m'avez si fort lié 
d'amour ? 



66 DIALECTES MODERNES 

Peu nègre de la rèino Jano 
E de madame Marcabrun *, 
Espigo dure d'Italiano, 
Toursudo à flo sus lou côu brun, 
Coume la serp que s'envertouio 
E que s'eirisso e que fai pôu , — 
torco ! urous quau vous embouio 
(Car lou caligna desmemouio) ! 
Quau em'uno chato a garrouio 
Pèr un poutoun près sus soun côu ! 

Remembras-ti la Desdemouno 
Souto lou porge de Sant-Marc , 
Quand Otello, poumpous, ie douno 
La man e descend vers la mar? 
Lou page, que s'escarrabiho 
Emé duquesso e chivalié, 
Enterin que jogo e babiho, 
Laisse trinassa la raubiho 
Qu'à bèu pan, trop grève, escoubiho 
Lou maubre fier dis escalié. 



De sa caloto cremesino 
Que flourisson perlo e rubis, 
Sus sa raubo d'or que cracino, 
Soun peu en ventau s'espandis. 
Lou soulèu, que dins Terso clugo, 
Abro enca mai lis amourous ; 
D'aquel encèndi qu'esbarlugo 
Ço que lou mai esparpelugo, 
Di diamant es pas li belugo, 
Mai lou trelus di grand peu rous. 

' La plus fameuse poëte en nostre langue provensalle (Jean de Nos- 
tredame). 



A l'amie que je n'ai jamais vue 67 

Cheveux noirs de la reine Jeanne — et de madame Marca- 
brun, — épis serrés d'Italienne, — tordus à flots sur le cou brun, 
— comme le serpent qui enlace — et qui se dresse et qui fait 
peur ; — ô tresses ! heureux celui qui vous brouille — ( car 
Tamour fait délirer)! — heureux celui qui avec une jeune fille 
a querelle — pour un baiser pris sur son cou ! 



Ressemblez-vous à la Desdemona — sous le porche de 
Saint -Marc, — quand Othello, pompeux, lui donne — la 
main et qu'elle descend vers la mer? — Le page, qui se fait 
espiègle — avec duchesses et chevaliers , — cependant qu'il 
joue et babille, — laisse traîner la robe — qui , à beaux plis, 
trop lourde, balaye — le marbre fier des escaliers. 



De sa calotte cramoisie, — fleurie de rubis et de perles, — 
sur sa robe d'or qui bruit, — ses cheveux en éventail s'épan- 
dent. — Le soleil, qui dans la vague s'éteint, — embrase d'un 
plus vif éclat les amoureux ; — de cet incendie qui éblouit -^ 
ce qui le plus fait baisser la paupière , — des diamants ce ne 
sont pas les étincelles, — mais le rayonnement des grands 
cheveux roux. 



68 DIALECTES MODERNES 

Ahl de vosto cabeladuro, 
Certo ! noun sabe lou secret , 
Mai quand toumbo à vosto centuro, 
Segur es un délice escrèt. . . 
De-que soun li rai dis estello, 
De-qu'es Tesplendour dôu soulèu, 
Contro la como qu'enmantello 
De soun velout, de sa dentelle ? 
papàrri de farfantello, 
Ounte li sen fan dous relèu ! 



Teodor Aubanel. 



Avignoun. 



A l'amie que je n'ai jamais vue 69 

Ah I de votre chevelure — certes ! j'ignore le secret, — 
mais quand à votre ceinture elle tombe, — assurément c'est 
un pur délice... — Que sont les rayons des étoiles, — qu'est la 
splendeur du soleil, — à côté de la chevelure qui vous enve- 
loppe — de son velours, de sa dentelle ? — manteau d'é- 
blouissements, — où les seins font deux reliefs ! 

Théodore Aubanel. 



Avignon, 



70 



ÉCRIVAINS CONTEMPORAINS EN LANGUE D'OC 



ALBERT ARNAVIELLE 



Lous Cants de l*at^o. ~ Ntmes, t868 

M. Albert Arnavielle, Fauteur des Cants de VAubo, est Tun 
des plus jeunes et des plus vaillants disciples de l'école des 
félibres. A Tâge de vingt- quatre ans, il a déjà remporté de 
brillants succès dans les concours littéraires du Midi, et c'est 
lui qui a reçu la seule mission officielle qu'il soit donné de nos 
jours à un écrivain de la langue d'oc de recevoir et de rem- 
plir dans cette langue : il fut chargé de traduire la bulle con- 
tenant la définition du dogme de l'Immaculée Conception dans 
le vieux langage du midi de la France. Singulier retour de 
l'histoire! la papauté, qui sous Innocent III a tant contribué 
aux catastrophes politiques qui ont amené la décadence de la 
langue d'oc, est, de notre temps, la seule institution qui con- 
serve encore officiellement à cette langue son rang parmi 
toutes les langues que parle l'univers habité. 

Le titre du recueil poétique de M. Albert Arnavielle ne 
saurait être mieux choisi : ce sont bien des chants d'aurore 
que ces chants où résonne, à son premier réveil, une âme 
ardente et généreuse. L'amour profond de la charmante Tel- 
dète, le sentiment puissant de la patrie cévenole, l'afiSrmation 
énergique de tous les devoirs de la vie, voilà les trois thèmes 
que développe la m^se d' Arnavielle, avec une fraîcheur d'in- 
spiration et une franchise d'allures qui ne sont pas les moin- 
dres de ses charmes. 

Les Cants de l'aubo sont écrits dans le dialecte raiol (rojal). 
Ce dialecte , parlé dans la partie des Cévennes dont le prin- 



ALBERT ARNA VIELLE 71 

cipal centre est Alais , est un dialecte intermédiaire entre la 
langue de la Provence et celle du bas Languedoc. On y 
trouve r* au pluriel ; Tarticle féminin pluriel n'est plus H, 
mais las; Yn manque à la troisième personne du pluriel, pour 
certains temps des verbes de la première conjugaison. Mais 
le participe ne prend pas de t, et Vo domine comme voyelle 
finale, de même que dans Tidiome provençal. 

Le vocabulaire des Cants de l'aubo mérite de fixer l'atten- 
tion du philologue qui s'intéresse aux langues vivantes. La 
littérature des dialectes du Midi comprend deux courants 
divers : le premier tend vers un idiomatisme caractérisé. Là, 
on recherche le mot propre au pays , l'expression curieuse et 
rare, le tour de pensée caractéristique ; le but qu'on se pro- 
pose, c'est surtout de rendre ce que la physionomie de telle 
ou telle région a de singulier. Il en résulte un particularisme 
littéraire, s'il est permis d'ainsi parler, qui s'attache à peindre 
des scènes de genre , qui excelle dans le travestissement de 
tableaux déjà connus, et qui exploite volontiers la veine rail- 
leuse ou épicurienne. 

L'autre courant porte les esprits vers de plus hautes ambi- 
tions. Là, tout en conservant à la langue sa saveur locale, on 
cherche à l'élargir, à lui donner plus de richesse, plus d'am- 
pleur, plus d'élan. Devenus des patois, réservés presque exclu- 
sivement aux classes inférieures de la société, les idiomes 
ont perdu une grande partie de leurs notes élevées ; ils n'ont 
pu surtout profiter du progrès historique opéré dans les esprits 
cultivés et de ce travail du temps qui a amené les langues, in- 
strument de recherches scientifiques, à se créer un fonds nou- 
veau pour rendre des idées nouvelles. Il s'agit de rendre à ces 
dialectes, étouffés en quelque sorte par l'extension des lan- 
gues voisines, l'air qui leur manque, et de les élever au niveau 
de la pensée moderne. A ce point de vue, les auteurs du mou- 
vement provençal ont entrepris un travail aussi considérable 
que délicat. Cette revivification d'une langue dont le dévelop- 
pement s'est fait dans des conditions incomplètes n'a aucun 
rapport avec les pastiches littéraires auxquels s'est complue 



72 DIALECTES MODERNES 

parfois ringénieuse curiosité des philologues. C'est une en- 
treprise qui a une base philologique sérieuse, un idéal phi- 
lologique précis, des règles philologiques susceptibles d'être 
scientifiquement déterminées. C'est donc plus qu'une œuvre 
de pure imagination : c'est une œuvre qui intéresse la science 
autant que l'art, et qui doit appeler le concours des vrais sa- 
vants , ne fût-ce que pour la contrôler. 

C'est ce courant qu'a suivi M. Albert Amavielle. Son voca- 
bulaire dépasse le vocabulaire ordinaire du dialecte raiol. 
Tout en lui conservant le cachet qui lui est propre et qui lui 
vient des habitudes, des mœurs, des occupations locales, il le 
rend accessible aux idées générales par des emprunts intel- 
ligents aux dialectes frères, surtout au provençal, qu'ont si 
bien enrichi les travaux de la nouvelle école. 

C'est encore cette littérature provençale qui a inspiré le 
caractère poétique de M. Arnavielle. Il est difficile, à vingt- 
quatre ans, de découvrir une voie entièrement nouvelle. On 
ne saurait donc s'étonner si l'on trouve aux différents accents 
que prend le jeune poëte des antécédents littéraires reconnais- 
sablés. 

Les Cants de l'Aubo sont divisés en trois livres. Dans le 
premier, il est aisé de reconnaître l'inspiration directe de 
Théodore Aubanel, qui a su imprimer à la poésie amou- 
reuse des troubadours un caractère moderne, tout en restant 
l'homme de son pays et de sa langue, et qui , tout en faisant 
résonner une note tendre, plaintive et douloureuse, a su se 
préserver de cette mélancolie métaphysique dont la poésie 
contemporaine a tant abusé. Chez Arnavielle, comme chez 
Aubanel, on sent quels avantages offre à l'expression des sen- 
timents sincères et vrais une langue qui n'a pas été soumise 
au travail d'abstraction qu'ont supporté des langues plus sa- 
vantes. Bien plus, une pareille langue s'oppose, d'elle-même, 
à ces excès de la réflexion qui étouffent la vie et qui rempla- 
cent l'expression naïve des délicatesses du cœur par la dissec- 
tion analytique de la pensée. 

M. Arnavielle s'est heureusement inspiré de l'auteur de la 



ALBERT ARNA VIELLE 73 

Miôugrano , et tel ou tel morceau des Cants de Vaubo peuvent 
supporter la comparaison avec l'œuvre de celui qui passe, à 
bon droit, pour être un des maîtres de la nouvelle poésie pro- 
vençale. Peut-être la note est-elle moins intense et moins naïve 

a 

chez M. Arnavielle, mais cela ne saurait étonner : quelle que 
soit la puissance avec laquelle sent le poëte, il est difficile 
que la désespérance ait, à son âge, pénétré dans son cœur aussi 
profondément qu'il le dit et qu'il le croit. 

La seconde partie, consacrée surtout à la poésie lyrique, et la 
troisième, qui comprend deux poèmes dans le genre moral et 
descriptif si heureusement exploité par Jasmin, sont à la hau- 
teur de la première. Plusieurs odes, notamment celles au 
Languedoc, celle du Châtaignier, la Gardounado, renferment de 
réelles beautés, qui permettent d'augurer que l'auteur trouvera 
là sa voie définitive, et dotera, quand son beau talent aura 
mûri, la littérature méridionale d'un véritable poëte lyrique. 

Le nom de raiol a, de nos jours, cette mauvaise fortune 
qu'il n'est pas pris en bonne part dans les riches contrées que 
baigne la Méditerranée ; on ne pouvait mieux le venger qu'en 
l'attachant à cette œuvre littéraire, où respire d'un bout à 
l'autre l'heureux élan d'une âme généreuse et saine. 

A. Glaize. 



74 



NÉCROLOGIE 



CAMBOULIU 



Le 29 octobre dernier, celui que la Société pour Vétude des 
langues romanes avait placé à sa tête, lors de sa formation, 
F. Cambouliù, professeur à la Faculté des lettres, président 
de TAcadémie des sciences et lettres de Montpellier, décédait 
dans cette ville, encore jeune et alors qu'il aflait entrer dans 
une voie large et hardie, où son talent et sa connaissance par- 
faite de nos idiomes et de nos littératures du Midi lui eussent 
assuré de brillants et nombreux succès. 

Né le 9 août 1820, à Palalda, village du Roussillon, qui se 
cache parmi les fleurs et les pampres comme un nid d'oiseau , 
au versant de la montagne, sur la rive du Tech, au milieu des 
grands chênes et des vignes embaumées, non loin des thermes 
d'Amélie-les-Bains, charmante et fraîche oasis dont le souvenir 
fut toujours présent à sa pensée, il grandit, fier et libre, se 
développant sous la double influence d'un soleil brûlant et d'un 
sang généreux. — La nature lui prodigua ses soins; elle le 
traita en favori, soit en déployant à ses yeux ses radieuses 
merveilles, soit en transformant pour son âme naïve tous ses 
spectacles en enseignements. Ce fut elle qui en fit un rêveur 
et un adorateur de la lumière, avide de contemplatious et 
d'émotions, écoutant cette voix intérieure qui supplée à tout 
et qui livre à l'imagination charmée les magnificences de sa 
poésie. Diverses causes gênèrent cette vocation enfantine et 
l'étouffêrent : la nécessité d'abord, l'ignorance de la vie ensuite; 
l'une résultant de sa position précaire, l'autre de sa solitude 
forcée. Elles prirent sa riche fantaisie, lui brisèrent les ailes, 



75 NÉGBOLOGIE 

et la rejetèrent, ainsi mutilée et impuissante, aux souffles im* 
pétueux de tous les vents du ciel. 

Ainsi ce que la nature lui accordait si généreusement d'une 
part, l'existence le lui refusait de l'autre. Cette lutte horrible 
du rêve et de la réalité, dont les incidents sont marqués par 
des amertumes continuelles et des aspirations incessantes, ex- 
plique ce qu'il y a de complexe et d'indécis dans son allure. Il 
eût été poète, si les circonstances lui eussent été favorables ; 
il fut professeur par obligation. Sa vie entière a été l'exemple 
des troubles et des déchirements d'une vocation contrariée. 
De là, ce caractère étrange, à la fois passionné et contempla- 
tif, allant de ce que l'action a de plus fougueux à ce que la rê- 
verie a de plus tendre et de plus enivrant. Mais, si les diffi- 
cultés furent grandes, son énergie le fut encore davantage. 
Elle protesta, elle résista, luttant, méditant, travaillant nuit 
et jour, et sa belle intelligence, secondée par une volonté de 
fer, se fit dans le monde, dans l'Université, une place honorable. 

Je n'ai pas à le suivre dans ses succès universitaires ; ils fu- 
rent rapides, si l'on tient compte du point de départ et des 
difficultés de la marche, plutôt que de l'impatience dévorante 
des natures de cette sorte. Il doit me suffire de signaler suc- 
cinctement les principales phases de sa carrière militante, 
pour que l'on sache ce qu'il lui fallut de vigueur et de con- 
stance. D'abord l'élève d'un vieux prêtre de campagne, puis 
l'aide d'un simple instituteur, il est reçu bachelier es lettres en 
1838, maître d'étude au collège de Perpignan en 1841, régent 
de quatrième au collège de Bédarieux en 1843, licencié es 
lettres à la Faculté de Montpellier le 3 août 1844, professeur 
de troisième au lycée de Pau en 1845, professeur de rhétori- 
que au lycée d'Alger en 1847, agrégé pour les classes supé- 
rieures à la même époque, professeur de troisième au lycée de 
Toulouse en 1850, docteur es lettres et licencié en droit à la 
Faculté de cette dernière ville en 1854, professeur de rhéto- 
rique au lycée de Montpellier la même année, censeur des 
études au même lycée en 1858, enfin professeur de littérature 
ancienne à la Faculté des lettres de Strasbourg en 1859, puis 



76 CAMBOULIU 

à celle de Montpellier en 1862, prenant ainsi place parmi ceux 
qui avaient été ses maîtres et ses guides. De plus, les dernières 
années le virent officier de Finstruction publique dès 1864 et 
président du jurj pour le certificat d'aptitude des langues es- 
pagnole et italienne à partir de 1868. Cette longue énuméra- 
tion était utile, afin de montrer qu'aucun de ses moments n'a- 
vait été perdu pour la science. 

Mais mon devoir est plus particulièrement de faire- une cri- 
tique rapide de ses travaux. Ses premières productions sont 
de deux sortes : les unes, nécessitées par les exigences de sa 
position, appartiennent aux étufies classiques ; les autres, in- 
spirées par son amour de la langue et des traditions de son 
pays, aux études romanes. Celles-ci furent toujours les favori- 
tes ; mais au début, alors qu'il essayait de se poser sur une base 
sûre, de faire un examen sévère des connaissances acquises , 
les premières durent inévitablement dominer. C'est en effet 
ce qui eut lieu. Il faut citer dans ce genre, et par ordre de 
date : d'abord sa thèse pour le doctorat es lettres, les Femmes 
d'Homère (Toulouse, Delboy, 1854), où il étudie séparément, 
avec beaucoup d'esprit et de finesse, les sept principaux types 
de femme de V Iliade et de Y Odyssée ; Arété, Hécube, Péné- 
lope, Andromaque , Hélène, Nausicaae , Euryclée, c'est-à-dire 
l'aïeule, la mère, l'épouse, la jeune femme, l'amante, la vierge, 
l'esclave, pour en tirer, par la réunion de leurs traits communs, 
l'idéal de la femme aux temps héroïques, de la femme d'après 
Homère, idéal dont la grandeur fait honte à la servilité pas- 
sive de celui des époques de décadence ; — et la thèse latine, 
des Progrès de r histoire depuis Hérodote jusqu'à Bossuet {de 
Prœcipuis historiée incrementis, ab Herodoto usque ad Bossuetii 
tempora. Toulouse, veuve Sens, 1854), qui repose sur une com- 
paraison entre les méthodes de la science ancienne et celles de 
la science nouvelle, telle qu'elle est sortie des mains de Vico, 
de Bacon et du grand orateur. — Puis viennent V Essai sur la 
fatalité dans le théâtre grec (Paris, Aug. Durand, 1855), où il 
attaque hardiment le préjugé absurde qui suppose les tragi- 
ques d'Athènes fatalistes, mais qui cependant ne me paraît pas . 



NÉCROLOGIE 77 



avoir établi une distinction suffisante entre Fesprit des lé- 
gendes mythiques, qui attribue en eifet tout au Destin, et T es- 
prit du poëte, qui, cédant à la civilisation, se sert de la voix 
du chœur pour protester au nom du libre arbitre ; — enfin 
Y Etude sur Vauvenargues (1857), insérée dans les mémoires de 
l'Académie des sciences et lettres , analyse très-ingénieuse. 

Dès que les devoirs de sa charge le lui permirent, il revint à 
ses études favorites, celles qui concernent nos études romanes, 
ainsi que je l'ai dit, comme s'il pressentait que là était sa vo- 
cation définitive. Il débuta par un discours sur la Renaissance 
de la poésie provençale à Toulouse au xiv* siècle (1851), où, re- 
prenant l'opinion de M. Noulet contre du Mége, il essayait 
de démontrer par diverses citations que Clémence Isaure, la 
réorganisatrice et la bienfaitrice des Jeux floraux, cette femme 
dont le nom indique dans notre histoire toute une renais- 
sance, n'avait jamais existé ; cette opinion me paraît contes- 
table, et mérite qu'on procède à un nouvel examen, avant 
qu'on ne prononce un jugement définitif. 

Peu après, il publia son Essai sur rhistoire de la littéra- 
ture catalane, qui, quoiqu'il ne le présentât que comme une 
ébauche, est sans contredit son œuvre capitale, autant par 
l'importance et l'étendue du sujet — sur lequel nous n'avions 
que quelques monographies incomplètes de trois de ses compa- 
triotes, les Roussillonnais Jaubert de Passa, Tastu et Puiggari, 
et des aperçus rapides de Fauriel, Sismondi, Bouterweck et 
Ticknor — que pour les idées d'ensemble, les vues nouvelles 
qu'il y émettait, se proposant de les reprendre plus tard sur un 
cadre plus large et plus convenable, en appuyant sur les lignes 
et les points qu'il n'avait pu que marquer. Ce ne fut d'abord 
qu'un simple discours, qu'il fit insérer dans les Mémoires de 
notre Académie (1857), et dont il donna, dès l'année suivante, 
une édition séparée (Paris, Aug. Durand, 1858), en y ajoutant 
le texte de la Comedia d'amor, de Fra Rocaberti, si curieux 
pour le philosophe, et des fragments de la traduction de la 
Divine Cmaédie par André Ferrer. On l'a depuis translaté en 
catalan, pour le faire paraître dans une revue littéraire de 
Barcelone, le Gay Saber (1869). 



CAMBOULIU 78 

La littérature catalane ne mérite certainement pas le dédain 
que Ton Toudrait faire peser sur sa réputation. Elle recèle de 
véritables trésors pour ceux qui voudront se donner la peine 
d'en faire Texploration et d'en formuler la critique. Le juge- 
ment qu'en a porté Cambouliù me paraît juste et exact, autant 
du moins que je puis en juger. « Le bon sens pratique uni à 
Fesprit d'entreprise, une noble fierté qui ne dégénère jamais 
en orgueil, tel est le fond du caractère de la nation catalane. 
Sa langue et sa littérature portent l'empreinte de ses dis- 
positions. Ce n'est point par l'éclat, la pompe, l'abondance, 
qu'elles se distinguent, mais par la justesse, la netteté, la me- 
sure. Entre l'Italie et la Castille, où l'esprit moderne s'aban- 
donne sans réserve et sans frein à sa fécondité luxuriante, la 
Catalogne semble avoir conservé quelque chose de la sagesse 
et de la sobriété de l'esprit antique. Les œuvres qui dominent 
dans la littérature catalane, ce sont celles qui ont pour objet 
la vie réelle, et qui sont susceptibles d'aboutir à un résultat 
pratique : les récits historiques, les tableaux de mœurs, les 
enseignements de la sagesse. La fiction proprement dite y est 
rare, et toujours soumise, en tout cas, aux lois de la vraisem- 
blance. Dans les spéculations de l'intelligence, comme dans la 
pratique de la vie , la raison, chez les Catalans, demeure tou- 
jours maîtresse. Ajoutons encore la sincérité et la bonne foi, 
dont leurs écrits portent l'empreinte, et qui, unies à je ne sais 
quelle force de style que l'on remarque jusque dans leurs 
moindres écrivains, présentent une analogie assez frappante 
avec leur invincible amour de la justice et leur constance à 
toute épreuve. » 

Après avoir reconnu et avoué les difficultés immenses de son 
entreprise, les documents nécessaires , en général manuscrits 
ou rares, étant dispersés çà et là et difficiles à se procurer; 
après avoir parlé de l'influence de nos troubadours sur la Pé- 
ninsule, dès l'aube du moyen âge, influence dont on peut ap- 
précier l'action à toutes les époques, quoiqu'il ne se soucie 
guère d'en convenir, il distingue dans cette littérature vigou- 
reuse et austère trois périodes principales, à physionomies 



79 NECROLOGIE 

tranchées : Tune qui va du xiii*' au xiv« siècle, se développant 
sous rimpulsion successive de notre compatriote, l'héroïque 
Jacques P^ d'Aragon, des chroniqueurs Muntaner, d'Esclot et 
Pierre le Cérémonieux, et des poljgraphes Arnaud de Ville- 
neuve et Raymond Lulle, le docteur illuminé ; l'autre du xiv« 
au milieu du xv®, qui accepte les idées rénovatrices des main- 
teneurs de Toulouse, reçoit avec respect les rhétoriques de 
P. Vidal de Bezaudun et G. Molinier, et institue des Jeux flo- 
raux, à l'instar de ceux de la cité palladienne ; enfln, la troi- 
sième, à partir de cette dernière date, qui acquiert une place 
immortelle avec Ausias March, le prince des poètes catalans, 
et ses vaillants émules, Jaume Roig, FenoUar, Gazull, le ro- 
mancier Martorell, et ce bouffon recteur de Vallfagona, qui 
fut pour la Catalogne ce que l'archiprêtre de Hita a été pour 
l'Espagne, le prieur de Celleneuve pour le Languedoc et le 
curé de Meudon pour la France. Il va sans dire qu'à cette 
heure il faudrait en ajouter une quatrième, celle qui reconnaît 
pour chefs Victor Balaguer et ses amis. 

Cependant, ainsi que je* l'ai remarqué, dans son intention 
cet essai, pour si consciencieux qu'il fût, n'était et ne pouvait 
être qu'une ébauche, dont il voulait par la suite préciser, com- 
pléter et développer les grandes lignes. Il avait en effet le 
projet de le refaire d'après un nouveau plan, dans lequel 
toute individualité marquante eût été étudiée séparément, 
chaque période analysée, chaque école déterminée, de façon 
que ce modeste travail serait ainsi devenu peu à peu une his- 
toire littéraire complète de la Catalogne. 

Cette intention était née en lui le jour même où il en ache- 
vait la dernière page, puisqu'il s'y exprime en ces termes : 
(( Ce n'est pas sans nous faire quelque violence que nous nous 
sommes borné à signaler en courant des œuvres que nous 
avons lues avec le plus vif intérêt. Peut-être reprendrons- 
nous quelque jour en entier notre sujet, pour le traiter avec 
tous les développements qu'il comporte. Nous serons heureux 
de rendre ce pieux hommage à la patrie de nos ancêtres, à la 
langue de notre enfance. » 



80 GâMBOULIU 

Après cet aveu, exprimé avec tant de franchise, la critique 
aurait mauvaise grâce à être sévère. Néanmoins, parmi les 
opinions qu'il y soutient, il en est une sur laquelle je crois de- 
voir insister, parce qu'elle me paraît douteuse et qu'il la ré- 
pète avec une sorte de persistance. Si l'on en croyait certains 
philologues, des plus célèbres, la langue des troubadours était 
factice, purement artificielle, et qui plus est sans attaches dans 
le peuple ; Cambouliù était de cet avis, qui a longtemps pré- 
valu dans la république des lettres, et il en poussait l'aggra- 
vation à ce point de prétendre que le catalan formait une 
langue particulière. Cette opinion, des plus excessives, n'a 
d'autre fondement qu'un amour-propre national mal entendu, 
qui craint que l'originalité native, le caractère propre de son 
idiome, ne soit nié et contesté, si l'on ne reconnaît plus en 
lui qu'un simple dialecte. 

En réalité , et il suffit d'attester les documents de l'époque, 
il y avait alors comme aujourd'hui sept dialectes distincts, à 
caractères précis, dont le catalan faisait partie, et dont le plus 
illustre, favorisé par des circonstances exceptionnelles, que je 
n'ai pas à déterminer à cette heure, était devenu littéraire , 
classique même pour toute l'Europe latine, sans cesser d'être 
employé là où il avait pris son origine, et d'être entendu dans 
toutes les provinces du Midi, malgré les différences dialectales» 
ces différences étant encore moins tranchées que de nos jours. 

Quelque temps après, Cambouliù fut nommé à la ^chaire de 
littérature ancienne de Strasbourg. Cette nomination, qui eût 
autrefois comblé tous ses vœux, ne le satisfit point, pour ce 
motif qu'elle avait deux désavantages considérables : d'abord, 
elle arrivait trop tard, quoi qu'en disent les usages actuels de 
l'Université ; en second lieu, cet enseignement était contraire 
à ses goûts» Son énergie s'était épuisée dans des grades infé- 
rieurs, et il craignait avec raison qu'elle ne lui fît défaut au 
moment où il lui serait si nécessaire de la manifester dans 
toute sa puissance. 

D'un autre côté, sa gracieuse fantaisie, son imagination vive, 
son esprit indépendant, s'accommodaient avec peine des Règles 



NÂGROLOaiE 81 

inflexibles, quoique infiniment larges, de Testhétique des an- 
ciens ; il lui préférait, de cœur et d'âme, ces splendides littéra- 
tures, aux formes libres comme la vie et souples comme la pas- 
sion, nées d'un rayon de soleil et d'un sourire d'amour, que la 
liberté fit croître et s'épanouir dans nos riantes contrées, à la 
chute de la pesante servitude des Césars. Il accomplissait son 
devoir avec abnégation, sans se plaindre ; mais malgré lui sa 
pensée s'écartait volontiers d'Homère et de Virgile pour en 
revenir à nos gais chanteurs, et, au lieu de parler du poëte de 
Téos ou de celui de Tibur, de Bathylle ou de Lydie, c'était 
de littérature romane qu'il entretenait ses auditeurs. Dès son 
discours d'ouverture (Strasbourg, S. Huder, 11 juin 1859), on 
le voit céder à cette tendance, qui devint de plus en plus pro- 
noncée par la suite, comparant avec exactitude les origines du 
moyen âge à celles de l'antiquité, les chansons de geste aux 
poëmes classiques et les jongleurs aux rhapsodes. 

Le ministère de l'instruction publique aurait dû, ce me 
semble, profiter de cette prédisposition si nettement et si for- 
tement accusée en créant pour Cambouliù une chaire de litté- 
rature romane, cette chaire que notre Midi demande avec tant 
d'instance depuis un demi-siècle, comme un témoignage per- 
manent de sa splendeur passée. 

On comprend, d'après cela, que les exigences du professorat 
ne ralentirent en rien ses recherches historiques. On le voit pu- 
blier successivement, dans diverses revues ou recueils pério- 
diques, plusieurs études, qui dans sa pensée devaient trouver 
place dans cette œuvre importante qu'il rêvait, et dont il vou- 
lait auparavant approfondir les moindres détails. Il sufSit de 
mentionner : UEspagne et les Mores durant le moyen âge 
{Magasin de librairie du 10 février 1860, liv. 31, tome VIII), 
curieuse par le contraste qu'elle établit entre l'idée que s'en 
faisait le peuple et ceUe que s'en faisaient les nobles ; la Poésie 
à Cuba et le poëte Placido {id. du 25 mai 1860, liv. 28, tom. X.), 
qui révèle tout un ordre d'idées étrange, et émeut par le récit 
touchant de* la vie et du supplice d'un pauvre mulâtre, qui fut 

le martyr de l'indépendance de son pays; le Cid de l'histoire et 

6 



82 CAMB0ULIU 

fe Cid de la légende {id. du 25 août 1860, liv. 44, tom. XI), 
d'après les travaux de Damas-Hinard, Rosseeuw-Saînt-Hilaire, 
Huber Wolf, Dozy, Fun véritable brigand, l'autre incarnation 
titanique et vengeresse de la pensée d'un peuple ; — enfin 
la Poésie espagnole au xv® siècle {Revue nationale du 14 mai 
1861, livr. 3, tom. IV), critique du Cancionero de Baena, 
publié par Francisque Michel, recueil d'autant plus impor- 
tant pour nous qu'il concerne l'époque où le roi Jean II d'Ara- 
gon, le prince Henri de Villena, le marquis de Santillane, 
donnaient une impulsion irrésistible à la littérature de leur 
patrie par l'imitation acceptée et convenue des troubadours 
et des Toulousains. Ajoutons encore, du même temps, la Note 
sur les limites méridionales de la Celtique (1861), entre les sources 
de la Garonne et la Méditerranée, lue à la réunion des Sociétés 
savantes de la Sorbonne. 

Le discours prononcé lors de la prise de possession de la 
chaire de Montpellier (Boehm et fils, 13 décembre 1862) et le 
Compte rendu (1862) du mouvement littéraire en Alsace, l'in- 
terrompirent quelques instants; mais bientôt sa pensée reprit 
son cours par une étude sur Lope de Vega, sa vie et ses oeuvres 
{Revue nationale du 10 mars 1863, liv. 37, tome XII), avec le- 
quel il se sentait de secrètes ressemblances, par la verve et la 
même ardeur pour le théâtre ; — la publication de la Com- 
plainte inédite de Fogassot {Revue des langues latines, 1863) sur 
la captivité de l'infortuné Charles de Viane ; — des Recher- 
ches sur les origines étymologiques de l'idiome catalan {Mémoires 
de l'Académie des sciences et lettres, 1864), dont il essaye de 
rattacher quelques mots au gaulois ; — et la Note sur le Mé- 
morial des Nobles, manuscrit de nos archives municipales, 
note insérée dans une revue allemande de Marbourg, les 
Annales des littératures romane et anglaise {Jahrbuch fur roma- 
nische und englische Literatur). 

Il j eut alors dans ses travaux une sorte de défaillance réeUe, 
qui l'éloigna des études sérieuses pour le précipiter dans tout 
Ce que les rêves de la jeunesse ont de plus séduisant et de 
plus enchanteur. Il se laissa entraîner, et, pendant cinq années 



NÉCROLOGIE 83 

de suite, il ne s'occupa plus que de théâtre et de poésie. Il en 
résulta des drames inédits et des romans, Julie de Montclary, 
la Maison de Rocagirade^ le Droit des aînés, publiés soit dans le 
Messager du Midi, soit dans la Revue contemporaine, et qui prou- 
vent une grande finesse d'observation, une délicate compré- 
hension de la nature, mais aussi une complète ignorance de la 
réalité, de cette réalité dont il avait connu cependant toutes 
les tortures. De cette partie de son existence je ne connais de 
plus que le discours prononcé à la rentrée des Facultés, le 
15 novembre 1864, sur la Critique contemporaine, qui lui valut 
des éloges de Sainte-Beuve, et celui ayant pour sujet Arago, 
professeur et écrivain, qui ouvrit les conférences de Perpignan, 
le 11 janvier 1867. 

Pourtant, et quoi qu'il en soit de ces œuvres de pure ima- 
gination, il comprenait si bien que là n'était pas sa vocation 
définitive, qu'il salua avec l'enthousiasme des jeunes années 
la création d'une école de philologie, d'un centre de hautes 
études, si l'on veut, destiné à propager et à maintenir le. goût 
de notre poétique langue et le respect de nos vieilles tradi- 
tions, la Société pour l'étude des langues romanes, due à son 
initiative et à celle de quatre autres d'entre nous, C. de Tour- 
toulon, Paul Glaize, A. Boucherie et le signataire de ces lignes, 
mais qu'il serait inexact de lui attribuer d'une manière exclu- 
sive. Pour cette cause sacrée dont il s'était fait de suite l'ai^ 
dent propagateur, et dans ce milieu si favorable à ses goûts, 
où son intelligence eût trouvé à la fois satisfaction et apai- 
sement, il se promettait de magnifiques résultats; malheu- 
reusement sa vie s'était épuisée par un travail de toutes 
les heures, et par ces fatigues qui brisent et qui dévorent. 
Il se sentit mourir, ainsi qu'on l'a dit avec raison, victime 
de sa passion pour la science, sainte et cruelle chose, hon- 
neur et tourment des âmes d'élite. Il vécut assez cependant 
•pour voir le succès accueillir nos premiers efforts, et le nombre 
des membres s'élever à près de deux cents. Élu président, il 
avait accepté sa part dans les études communes, et préparait 
pour la Revue une Histoire littéraire de la Catalogne, un Abrégé 



84 CAM60ULIU 

de la grammaire de DieZy la publication du Dante d'A. Ferrer, 
et des documents empruntés à la chancellerie du royaume de 
Majorque, lorsque la mort vint Tenlever à notre affection, à 
Tamour de sa famille, à ses propres espérances. 

Les regrets furent unanimes. Il fut accompagné à la der- 
nière demeure par une foule grave et recueillie, accourue pour 
lui rendre ce témoignage solennel d'estime et de sympathie. 
Le doyen de la Faculté des lettres, M. Germain, qui avait été 
son maître avant d'être son collègue, et qui par conséquent 
l'avait suivi dans sa carrière, l'animant de la voix et du geste, 
se fit l'interprète de notre douleur par des paroles émues et 
éloquentes, qui furent l'éloge de son aimable caractère et de 
sa vie de dévouement. Peu de jours après, dans un excel- 
lent article du Journal des Pyrénées-Orientales (2 novembre, 
M. F. Autié, son élève et son ami, professeur de seconde au 
collège de Perpignan, rendait un pieux hommage à sa mémoire. 

Cambouliù était de haute stature ef d'une physionomie douce, 
triste et en général rêveuse. Ses traits avaient la beauté virile 
et fière de la race catalane. Il s'est peint physiquement et 
moralement dans le Droit des aînés ; le portrait qu'il trace du 
héros, Rafaël, étant aussi le sien, je ne puis mieux faire que de 
le reproduire : «C'était un beau jeune homme d'une vingtaine 
d'années, grand, droit, mince de taille, avec des épaules larges 
et des cheveux noirs, qui frisaient naturellement et retom- 
baient sur sa nuque en boucles abondantes; son visage, modelé 
à l'espagnole, avait la pâleur saine et pleine des beaux types 
méridionaux. Une fierté douce brillait dans son regard, et au 
repos son œil se colorait d'une nuance de rêverie, comme s'il 
se fût mis à écouter quelque voix intérieure sitôt qu'il s'arrêtait 
de causer. » 

Tour à tour écrivain, orateur, érudit, il montra sous ces 
divers aspects des qualités éminentes ; mais, à mon sens , 
l'homme était encore supérieur, quoiqu'il fût indéfinissable 
pour la plupart des gens. J'ai parlé du contraste qui était en 
lui. Il avait l'esprit d'un vieillard et le cœur d'un enfant, ce 
qui arrive à tous ceux qui ont traversé les épreuves de ce 



NECROLOGIE « 85 

monde, se dirigeant vers un but lointain, au pays des chimères ; 
les années avaient effleuré sa tête, sans éteindre dans sa poi- 
trine les flammes du jeune temps. Ceux qui Ton connu, ceux 
qui Font aimé, savent ce que sa nature aimante avait de gran- 
deur et de bonté. Elle attachait par la loyauté, par la fran- 
chise, ces vertus si rares qui sont Tindice des grandes âmes. Le 
malheur et lui se connaissaient depuis longtemps ; mais, quoi- 
qu'il eût beaucoup souffert, quoique les hommes Teussent 
souvent blessé, son esprit n'en avait pas gardé rancune. Ja- 
mais parole amère ne vint à ses lèvres contre personne ; son 
imagination ardente oubliait le passé, comme un fardeau dont 
on se délivre pour ne vivre que dans l'avenir. Ainsi que je l'ai 
déjà remarqué ailleurs, on trouverait sans doute une exis- 
tence plus glorieuse, on n'en trouverait pas de mieux remplie. 

Achille Mqntel. 



«6 



BIBLIOGRAPHIE 



KARMANA PROUVENÇAU 

Publié par les Félibres. ( Avignon , Roumanllle, 1870.) 

La renaissance de la littérature romane en Provence a 
triomphé parce que, sortie du peuple, elle s'est toujours 
adressée à lui, même dans ses plus hautes aspirations. Elle est 
populaire par son succès, comme elle l'a été par son origine. 
Presque tous les félibres ont vécu de cette existence rustique 
et forte, faite d'émotions poignantes et de passions viriles, qui 
est la sienne, et auprès de laquelle la nôtre, gâtée par le con- 
venu, ne peut que paraître fade et ennuyeuse. Comme Antée, 
leur poésie reprend des forces dès qu'elle touche la terre et 
qu'elle s'unit, dans un divin délire, à ce que sa nature a de 
splendeurs, de merveilles et d'harmonies. 

C'est surtout parce que leurs magnifiques poèmes sont l'ex- 
pression des sentiments plébéiens, qu'ils enseignent à vivre, à 
croire, à prier, à chanter, à aimer, alors que de malheureux 
sophistes essayent d'éteindre ce que notre intelligence a de 
flamme, qu'ils ont mérité l'estime des penseurs, les applaudis- 
sements de ceux qui espèrent et ne veulent pas s'endormir 
dans la nostalgie panthéistique de l'éternel anéantissement, 
et qu'enfin leur tentative s'est transformée en un éclatant 
triomphe. Et, sans parler ici des grandes œuvres, dont l'un de 
nous, esprit fin et délicat, publiera des critiques détaillées, 
n'est-ce pas un fait remarquable, digne d'admiration et sans 
précédent dans l'histoire littéraire, que le succès de cette 
mignonne Revue, si modestement nommée Armana Prouven- 
çau, qui, ne s'adressant qu'à la foule, a été acceptée par elle 
avec un si vif empressement, si bien qu'il s'en édite, pour toutes 
les provinces du Midi, sept mille exemplaires, apportant par- 



BULLBTm BIBUOGRAPHIQnE 87 

tout, ainsi qu'il s'en vante, joie, plaisir et passe-temps, yo/o, 
soûlas e passo'tèms* 

Le voici à sa seizième année. Celui de 1870, qui a paru, n'a 
rien à envier à ses devanciers. C'est toujours le même entrain 
et le même enjouement de Cascarelet, dont les aimables plai- 
santeries et les bons mots en forment le sel, la même hardiesse 

A 

d'allure et la même fougue de la part des autres. On y remarque 
les noms aimés du public, tous les félibres : J. Brunet, J.-B. 
Gaut, l'enthousiaste auteur de l'ode lis Alo ; Aphonse Daudet, 
Amédée Pichot, B. Chalvet, M. Bourrely, Junior Sans, etc., 
qu'il suffit de citer; puis toute une cohorte jeune et intrépide, 
avide de gloire et disposée à. bien faire, montant à l'assaut de 
la renommée avec un courage à toute épreuve : le comte 
de Villeneuve ; Georges Saint-René Taillandier, qui chante le 
printemps de la Provence et le sien ; J. Monné, dont la verve 
a du souffle et de l'ampleur; C. Gleize, M. Girard, F. Gras, 
A. de Clarens, etc. Enfin, pour finir, une ode de Mistral sur 
la mort de Lamartine, aux strophes sublimes, pleines de la 
sainte indignation du poëte. 

A. M. 



88 BULLEniN BIBLIOaRAPHIQUE 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE LA LANGUE D^OC 

PENDANT L'ANNÉE 1869 



En attendant qu'il nous soit possible de donner une biblio- 
graphie générale des langues romanes, nous recueillons ici, 
dans Tordre de leur publication, toutes les productions nou- 
veUes et les réimpressions relatives aux divers dialectes de la 
langue d'oc. Nous serons reconnaissants aux personnes qui 
voudront bien nous signaler les ouvrages qui auraient pu 
nous échapper et nous aider à compléter ou à rectifier nos 
indications. 

En outre, nous les prions de nous faire connaître les arti- 
cles de revue et de journal qui pourraient intéresser nos études 
communes. 

Braeelmanm (J.)* La Pastourelle dans la poésie du nord et du 
sud de la France. {Jahrbuch fur romanische und englische Literatur ; 
Annales de littérature romane et anglaise, 1868, t. IX, 3^ cahier.) 
Leipzig, Brockhaits, 

Arnaud (J.) Lou Supoun de taverno. Saynetto bouffo, créée au 
Casino de Marseille le 18 juillet 1857. In -8, 8 p. Marseille. 

Idem. Aquéou oh! que parlo vo leïs douis soufflomous I Say- 
netto bouffo, musique de J.-B. de Groze, représentée au Casino de 
Marseille le 24 octobre 1857. In-8, 8 i^ ., Marseille. 

Idem. Marietto et Paulet. Saynetto bouffo, musique de J.-B. de 
Cro^e, représentée au Casino de Marseille le 20 mars 1858. In-8, 
4 p. Marseille. 

Idem. Leis Doués Bazaruttos. Saynetto bouffo, musique de L. de 
Croze, représentée au Casino de Marseille le 3 avril 1858. In -8, 
4 p. Marseille, 

Daudet (E.). Les Poètes de Provence. (Le Moniteur universel, 30, 
31 décembre 1868; 3, 4 janvier 1869.) 

Verdie (Meste), poète gascon. Œuvres complètes : Abanture co- 
mique de meste Bernât, ou Guillaoumet de retour déns sous fou- 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 89 

gueys ; Antony lou Dansaney, ou la Rebue dos Ghamps-Elyseyes 
de Bourdeou ; Bertoumiou à Bourdeou , ou lou Peysan dupât ; Ga- 
dichoune é Mayan , ou les Doyennes des fortes en gule daou mar- 
cat , dialogue recardey, en patois bourdelés ; la Mort de Mariote , 
ou Meste Bemat bengé. In-18, 77 p. et vign. Bordeaux ^ Goudin. 

Stbngel (E.). Vocalismus der lateinischen Elementes in den 
wichtigsten romanischen Dialecten von Graubûnden und Tyrol 
(Accent tonique de l'élément latin dans les dialectes romans les pltAS im- 
portants des Grisons et du Tyrol). Gr. in-8, in-64p. Bonn, Weber, 

Almanach de Provence, revue annuelle historique, biographique 
et littéraire, fondé et dirigé par A. Gueidon. 14» année, 1869. In-8, 
56 p., Paris et Marseille, 

G-EOPROY (L.). Mei Veiado. Poésies provençales, avec la traduc- 
tion française en regard et la photographie de Pauteur. In-18, 247 p. 
Paris, Dumoulin. 

GuisoL (F.) et J. Bessi. Mélanges poétiques, en français et niçois. 
In-16, 64 p. Nice, Caisson et Mignon, 

TouRNAmE (J.). Leis Savourginos, cansounetto; Leis Balouns, 
cansounetto. In-8, 4 p. Cannes, Maccary. 

Armana prouvençau pèr lou bel an de Dieu 1869 ; adouba e pu- 
blica de la man di felibre , etc. An quingen dôu felibrige. In-18î 
112 p. Paris, Thorin, Lemerre; Avignon, Roumanille, 

Germer-Durand (E.). Dictionnaire topographique du département 
du Gard, comprenant les noms de lieu anciens et modernes, ré- 
digé sous les auspices de l'Académie du Gard, ln-4, xxxvi-302 p . 
Paris, Imp, impériale, 

Ebert et Lemcke. Bibliographie de Tannée 1867, pour les litté- 
ratures romane et anglaise. {Jahrbuch fur romanisohe und englische 
Literatur, 1868, t. IX, 4® cahier.) 

Armanac bourdelés, abèque lous mes, les festes, les dichudes de 
chaque mes, les sésouns, les eschpses, quaouques countes coumi- 
ques, puey les péces de bers patois : Mous quarante ans, A l'hibert, 
Martine, les Bendéougnes, Mayoun la bouqueteyre, par Th. Blanc. 
In-8, 32 p. Bordeaux, Bord. 

Génag-Mongaut. Lettre à M. Paul Meyer, professeur à l'École 
des chartes, sur l'auteur de la Ghanson de la Groisade albigeoise en 
particuhor et sur certains procédés de critique en général. In-8, 
40 p. Paris, Aubry, 



90 BULLBTIN BIBIJMBAPHIQIDB 

GrAROM (E.)* Croisade du provençal contre le français. In-8, 
31 p. Paris y Poupart-Dovyl. 

Extrait de la Revue moderne. 
Meybr (P.) Phonétique provençale 0. In-8, 17 p. Paris, Laine. 

Extrait des Mâmoires de la Sodétô de linguistique de Paris. 

Favre ( J.-B. )y priéu de Gello-novo. Lou Siège de Gadaroussa, 
pouèmo eroui-coumique , em'un avans-prepaus de J. Roumanille ; 
edicioun nouvello, revisto coume se deu. la-iS ^ iOl ^. Avignon , 
Roumanille, 

Sancta Agnes. Provenzalisches geistliches Schauspiel, herausge- 
geben von Karl Bartsch. Pet. in-8, xxxij-76 p. Berlin, Wéber. 

Voir, sur ce mystère provençal du xiv* siècle, l'article publié par 
M. P. Meyer dans la Revue critique d'histoire et de littérature, 1869, 
t. VIII, p. 183-190. 

La Tour-Maono (J. de). Lou Carré de Nîmes» pouemo prou- 
vençau. ln-8, 8 p. Nîmes, Clavel-Ballivet. 

HippEAu. Discours prononcé à la réunion annuelle des Sociétés 
savantes à la Borbonne sur le concours de 1868. (Composition d'un 
Glossaire d'un des patois de la France.) — (Revue des Sociétés sa- 
vantes, 1869. 4« série, t. IX.) 

Pèlerinage de la paroisse de Verquières (Bouches-du-Rhône) à 
l'ermitage de Saint-Gens, dans la paroisse de Beaucet (Vaucluse), 
le 29 avril 1868, et Nouveaux Cantiques provençaux en l'honneur 
de saint Gens. In-8, 31 p. Avignon, Auhanel. 

BoEHMER (E.). Sur la Phonologie des langues romanes. {Jahrhuch 
fur romanische und englische Literatur, 1869, t. X, 2« cahier.) 

Thodron (V.-Q.). Un soldat du premier empire devenu berger, 
et Un soldat sous Napoléon III revenu du Mexique. Pastorale en 
vers provençaux, avec la traduction en regard. In-8, 25 p. Toulon, 
Aurel. 

RiCHiER (A.). Gantiquo a san Maourici, martyr; suivi de: Estatuo 
de la Bouano-Méro plaçado sus la roquo dé San-Maourici (vers) . 
In-8, 7 p. BrignoleSy Vian, 

La Tour-Magno (J. de). Lou Viel e li Très Jouine Garçoun (vers), 
en dialecte nîmois. In-8, 7 p. Nîmss, ClaveUBàllivet. 

Meyer (P . ) • Rapport présenté à la section d'histoire et de philo- 
logie du Comité des travaux historiques, au nom de la Commission 
du concours de 1868 (Dictionnaire d'un patois.) — (Revue des Sociétés 
savantes, 1869, 4« série, t. IX.) 



BULUBTQi BXBiilOGIUPmQUE 9a 

RousTAN (J.)k Lou Tour de vilo. Pèço publiado pèr la \^ fés à 
Nîmes en 1826, reculido et rapugado per J. L. (vers en patois 
nîmois). In-8, 4 p. Nimes, Chautard. 

Poésies gasconnes, recueillies et publiées par F. T. Nouv. édit., 
revue sur les mss. les plus authentiques et les plus anciennes 
impressions (xvn« siècle. J.-G. d'Astros, d'Arquier, chantis reli- 
gieux, mazarinades et autres poésies satiriques de la Lomagne). 
In-8, t. II, 343 p. Farù, Tross. 

Le t. !•' a paru en 1867, in-8, xii-310 p. 

Génac-Moncaut. Lettres à MM. Gaston Paris et Barry sur les 
Celtes et les Germains, les chants historiques basques et les inscrip- 
tions vasconnes des Gonvenae, à propos de l'histoire du caractère 
et de l'esprit français et de l'histoire des peuples pyrénéens. In-8, 
60 p. Paris, Aubry. 

LiOTARD (G.). Du Nouveau Poëme de F. Mistral, intitulé : Calen- 
dau. In-8, 8 p. Nîmes y Clavel-Ballivet. 

Extrait des Mémoires de rAcadémie du Gard . 

Jacoutyn. LouBéritable Programme dé l'assemblade dé la Souys, 
dictât per lou famus Jacoutyn (vers en patois). In-8, 7 p. Bor- 
deaux, Péchade, 

Fabrb (L.). La Rue de TAnge, de la ville de Perpignan ; suivi du 
cantique catalan et sa traduction en vers français, sur l'apparition 
publique de T Ange dans la très-fidèle ville de Perpignan, etc. In-8, 
20 p. Perpignan, Latrobe» 

Extrait du 16* Bulletin de la Société agricole, scientifique et littéraire 
des Pyrénées-Orientales. 

MouN vouyaché à Yichy (vers en patois), par E. Vianés. In-8, 
2i p. Montpellier, Cristin. 

GouRTAis père. Flors de Ganigo, premi dels jochs florals de Bé- 
ziers en 1868. Poesias catalanas. ln'-8, 35 p. Perpignan, Julia; Port- 
Vendres, Vauteur, 

Blanc (T.). La Médaille é soun rebert; Lamentatiouns d'un or- 
phéouniste malhérus (vers). In-8, 11 p. Bordeaux, Gounouilhou. 

Génac-Mongaut. De l'Orthographe des dialectes romans, à l'occa- 
sion de la grammaire béarnaise de M. Lespy. {Revue de Toulouse^ 
mai, juin 1869.) 

Haao (F.) Vergleichung des Prakrit mit den romanischen Spra- 
chen. ÇLe Prakrit comparé aux langues romane^). Gr. in-8, 68 p. 
Berlin, Calvary. 



92 BULLETIN BCBUOaiUPmQUB 

GuisoL (F.) Lou Poèta nissart renonsan a la Bien musa e la repi- 
glian. Pessa lirica. In-8, 12 p. Nice, Caisson et Mignon, 

Blanc (T.) Quaouques Brigailles : Mous quarante ans ; Part, soum- 
bre hibert; les Bendéougnes ; Martine (vers). In-S, 10 p. Bordeaux, 
Gounouilhou, 

Extrait de VÀrmanac hourdeiés pour 1869. 

Raynaoud (H.).Vidodoou rei René, comté d'Anjou et de Prou- 
venço (vers), ln-8, 11 p. Marseille, Samai, 

Clerc (E.). Gérard de Roussillon, récit du ix« siècle, d'après les 
textes originaux et les dernières découvertes faites en Franche- 
Comté, avec les plans des champs de bataille de Château-Châlon 
et de Pontarlier. In-8, 80 p., et 4 pi. Paris, Aubry ; Besançon, 
Marion» 

Odlfviê (H.) Lous Vièls de la viello. Dialogue en un ato è en 
vers; suivi de : Accourdas-vous è faresplooure. In-12, 24 p. Alais, 
Martin. 

VissiERO (J.), mécanicien. Pouesios patouesos. In-8, 16 p. Tou- 
louse, Savy. 

ScHOLLE (F.). Ueber den BegrifFTochtersprache. EinBeîtrag zur 
gerechten Beurtheilung des Roman, namentlich des Franzôs. {Les 
Langues dérivées. Essai d'appréciation des langues romanes, spéciale- 
ment du français) . Gr. In-8, 85 p. Berlin, Weber. 

Gigord(L.), cafetier à Nîmes. Poésies patoises. In-8, 16 p., Nîmes, 
Soustelle. 

Laincel (L. de). Voyage humouristique dans le Midi. Études 
historiques et littéraires. In-18, 502 p., et 2 grav. Paris, Lemerre; 
Valence, Combier. 

Madeloun. Responso ou manovro amoros. Mariage de Madeloun 
et dou manovro Jan (dialogo). Vers en patois par J. L. In-8, 
7 p. Nimes, La f are et Attenouœ, 

Dreyer (J.). La haiit sur las mountombres, chant national béar- 
nais. Paris, Heugel, 
Musique pour piano. 

Meyer (P.). Les Derniers Troubadours de la Provence, d'après 
le chansonnier donné à la Bibl. imp. par M. Ch. Giraud. {Biblio- 
thèque de VÈcole des chartes, 1869, t. V, 2* 3®, ¥ et 5« livr.) 

YouNET, de Mountech. Lou Poueto ignouren e Tlbrougno repentit 
(vers). In-8, 8 p. Montauban^ Forestié. 

CouRBiN (Meste J. ), forgeroun à Pourtets. Poésies. In-8, 31 p. 
Bordeaux, Lefraise, 



BULLETIK BIBLIOGRAPHIQUE 93 

Martin (M.-G.)? ancien juge de paix du canton d'Agde. Diverses 
poésies patoises, recueillies par les soins de ses deux enfants. 
In-8, 48 p. Montpellier j Crisiin, 

Yestrepain (L.). Las Abanturos d'un campagnard à Toulouso 
(vers). 5® édit. In-8, 16 p. Toulouse, V auteur, 

EsPLOi (lis) de Souré, par M. . . (chanson en patois). In-32, 16 p. 
Avignon, Gros, 

NouvÈ ( li ) de Micoiîlau Saboly e di felibre d' Astros , Aubert, 
Bonaparte- Wyse , Gastil-Blaze , Ganonge, Grousillat, Lambert, 
Mistral, Roumanille, Sabatier, Aubanel, etc.; em'uno charradisso 
pèr F. Mistral. In-12, xvi-184 p. Avignon, Aubanel, 

Pêlabon (L.), de Toulon. La Madeleine, ou Pèlerinage à la Sainte- 
Baume. Poëme légendaire; suivi des cantiques populaires de la 
Provence en l'honneur de cette sainte. In-8, 48 p. Toulon, 

Martelly (F.). L'Olivier. Poésie provençale. In -8, 8 p. Aix, 
Remondet' Aubin , 

Combes (A.) . Proverbes agricoles du sud-ouest de la France; 2« 
édit. In-8, 167 p. Castres, Hue. 

Glédat (J.). Ghansous nouvelas : Lous Mais de may, en la traduc- 
ciou francèso. In-8, 12 p. Vauteur, à Montignac (Dordogne), 

Alenory (E.), secrétaire de la mairie de Bessan. Houmaché à 
Mousseu Gosta-Flouret, depeutat dela4ecircouscriptiouderHéraou 
(vers), ln-8, 4 p. Béziers, Fuzier. 

Contes dau village. Legendos, récits, emed'aulreis peços en rimos 
prouvençalos, parlar dau terradou de Marsilho, suivi d'un gloous- 
sari ; per un bastidan J. F. R. D. M. In-8, 316 p. Marseille, Boy 
et fils, 

AuBANEL ( T ). La Sauro. A Madamo la Goumtesso Mario de 8e- 

menow, musico de Gourileff. 

Musique pour piano . 

Bernard (T.), de Gasseneuil (Lot-et-Garonne). Dus tsours passats 
al castel dé Biron (poëme en vers patois, au bénéfice d'une famille 
nécessiteuse); prumiè début d'un poèto gascon. In-8, 35 p. et 
portr. Périgueux, Dupont, 

MoNTEL (A.). La Littérature romane. {Le Messager du Midi, 21 
février 1869.) 

TouRTOULON (G. de). Renaissance de la littérature catalane et de 

la littérature provençale. Les Fêtes httéraires internationales de 

1868. In-8, 50 p. Toulouse, donnai et Gibrac, 
Extrait de la Revue de Toulouse. 



94 BtTLLBTDf BIBUOaRAPHIQtJB 

Marcelin (R.). Long dôu camîn ; poésies provençales, avec la 
traduction française en regard. In-8, xj-436 p. Avignoriy Roumanilk. 

MoNTEL (A.). Victor Balaguer. (Le Messager du Aftdt,22 mars 1859.) 

Germain (A.). Discours prononcé aux funérailles de M. Cam- 
bouliù, le 30 octobre 1869. In-8, 10 p. MorUpellier, Martel, 

AuTiÉ (F.). M. Cambouliù. (Journal des Pyrénées-Orientales , 2-5 
novembre 1869.) 

MoNTEL (A.). La Civilisation gauloise. lÉtudes sur la civilisation 

celtique, n® 1.) In-12, 22 p. Montpellier, Gras. 
Extrait du Messager du Midi. 
Jeux floraux de la ville d' Anduze (Gard) . Concours poétique de 
1869, l'* année. In-8, 127 p. Alais, Martin, 

S. Léotaro. 



95 

CHRONIQUE 



Nous devons remercier tout d'abord les nombreux journaux et 
recueils périodiques qui ont salué notre entreprise par des paroles 
de bienveillance et de bon augure. 



¥ ¥ 



Parmi les publications nouvelles, nous indiquerons Pélégant vo- 
lume de Rémy Marcelin, de Garpentras, Long dôu camin, où Mistral 
assure que brillent la rosée et le soleil de l'amour, avec quelques 
légères teintes de tristesse ; — Beteleriy de l'abbé Lambert, d'Avignon, 
poëme formé d'une multitude de noëls ; — Mei veiado , d'un Pro- 
vençal presque Parisien, Lucien Geoffroy, dont la nostalgie de la 
Provence a été l'inspiratrice, comme elle le fut des premiers trou- 
vères à partir de Thibaut de Champagne ; — les Flors de Canigo, de 
P. Gourtais, de Port-Vendres, qui s'est efforcé avec goût et avec 
succès de faire revivre le vieil idiome catalan de Rous sillon ; — les 
Mouments Perdus , de Rigal , compatriote de Jasmin ; — les Chants 
pyrénéens j réunis et publiés par Lamazou, de Pau ; — lou Ramelet di 
Sant Genaire, par l'abbé Bresson, d'Avignon; enfin une fantaisie 
d'un poète périgourdin, Telismard Bernard, de Ghasseneuil, Dous 
jours al castel de Biron, qui promet au dialecte gascon un brillant 
interprète. 



♦ * 



Il a paru également chez Aubanel frères, à Avignon, en éditions 
populaires à bon marché, les deux volumes des noëls de Peyrol, de 
Gassan, de Saboly et des félibres, sur lesquels nous reviendrons 
plus tard. 

* 

Le journal lo Gay sàber, de Barcelone, a publié (n9* 34 à 39) une 
traduction en catalan de Y Essai sur r histoire de la littérature catalane, 
par M. F.-R. Gambouliù, président-fondateur de la Société pour 
Vètude des langues romanes . 

■k 

M. E. Littré a publié dans le Journal des savants de juin 1869 
un article remarquable sur l'ouvrage de M. Ghabaneau, Histoire et 
théorie de l(\ conjugaison française . 

Les félibres ont eu la bonne pensée d'élever un monument au 
célèbre auteur de iVo^/*, Saboly. Ceux de nos amis qui désireraient 
participer à la souscription sont priés d'adresser leur offrande, pour 
si modeste qu'elle soit, au secrétaire de la Commission, M. J. Rou 
manille, à Avignon, rue Saint-Agricol, 19, ou bien au secrétaire de 
la Société pour l'étude des langues romanes, M . Achille Montel, rue 
Dessales-Possel, à Montpellier. 



96 CHRONIQUE 



* ♦ 



L'Allemagne a plusieurs chaires de littérature romane méridio- 
nale; la France, dont elle fut la gloire durant plusieurs siècles, 
n'en a pas une. Pour réparer autant que possible cet oubli fâcheux, 
M. Charles Révillo ut, professeur de littérature française à notre 
Faculté des lettres, a choisi pour sujet de son cours de cette année 
la Littérature française au moyen âge et ses rapports avec le roman- 
iisme. — Dans son discours d'ouverture, que notre Revue publiera 
dans sa prochaine livraison, il a applaudi à nos efforts et loué publi- 
quement notre tentative, qui lui paraît juste et convenable de tout 
point. Qu'il nous permette de le remercier de ses bonnes paroles 
et de le féliciter de sa brillante initiative. 



♦ * 



Il se prépare chez Roumanille des éditions des œuvres com- 
plètes de A. Boudin (liSet Garbelo), A. Tavan {lis Obro), A. Michel 
(lou Flasquet de méste Michéu), V.-Q. Thouron {les Pastorales) et 
F. Gras; chez Alexandre Gueidon (Marseille, rue Saint-Théo- 
dore, 1), de Marins Bourrely (les Fables de la Fontaine traduites). 



♦ * 



Un philologue dont le nom n'a pas besoin de recommandation, 
M. H. Gaidoz, prépare la publication d'un organe scientifique in- 
ternational, la Revue celtique, dont le titre dit assez la spécialité. 
Si quelque chose peut étonner dans cette création, c'est qu'une pa- 
reille revue soit encore à fonder, et qu'on ait laissé subsister si 
longtemps une lacune regrettable pour la réputation scientifique de 
la France. Nous souhaitons à la Revue celtique tout le succès que le 
talent de ses principaux rédacteurs est en droit d'espérer. 



♦ ♦ 



Par décret du 30 mars 1869, il a été institué dans chaque res- 
sort académique de l'Empire un prix annuel de miUe francs, pour 
l'ouvrage jugé le meilleur sur quelque point d'histoire, d'archéologie 
ou de science. Cette année , ce prix a été décerné à l'histoire poli- 
tique ou littéraire. Les lauréats sont : à Aix, prix : Bardinet {Études 
sur les Juifs) ; mentions : Gimon {Chronique salonaise)^ Gaffarel {la 
Fronde en Provence) ; — Bordeaux, prix : M. de Bascle de Lagrèze 
{Histoire du droit dans le comté de Bigorre) ; — à Montpellier, prix : 
M. Ch. de Tourtoulon, membre de l'Académie des sciences et lettres 
de Montpellier, président de la Société pour l'étude des langues ro- 
manes {Jacme /«' le Conquérant) ; mentions : André {Monastère et 
prieuré de Sainte-Énimie, le Consulat de la Garde-Guérin) , Soucaille 
{le Collège de Béziers), Clamens ( VÉvêché dArisitum ). 



* * 



L'abondance des matières nous oblige à renvoyer à la prochaine 
Chronique le récit des Jeux floraux d Aix, de Béziers, a Anduze, 
de Barcelone, et quelques mots sur diverses publications méridio- 
nales. 

Le gérant, Ernest HâMELIN. 



Montpellier, imprimerie Gras. 



DIALECTES ANCIENS 



PROCLAMATIONS 

FAITES A ASSAS, PRÉS MONTPELLIER, PAR ORDRE DES SEIGNEURS 

DU LIEU, EN 1483 



Les amis de notre langue romane, si intéressante et néan- 
moins naguère encore si abandonnée, nous sauront gré de leur 
présenter, au début de nos publications, une pièce authentique, 
où ils pourront étudier le dialecte en usage, à la fin du XV* siè- 
cle, dans le pays que nous habitons. Nous avons cru qu'elle ferait 
plaisir non-seulement sous le rapport de la linguistique, mais 
encore à cause des détails de mœurs qu'elle nous révèle, et 
qu'il sera curieux pour plusieurs de comparer avec les règle- 
ments de notre police contemporaine. 

Nous avons tiré ce document des archives du château de 
Jonquières, qui sont les archives particulières les plus riches 
que nous connaissions dans la contrée. Outre celles de la mai- 
son de Vissec-Latude, dont était issu Jean de Vissée, évêque 
de Maguelone,. on y trouve encore celles de la famille de 
Bonnal, qui a fourni un autre évêque du même siège et qui s'est 
éteinte dans la personne de Marguerite de Bonnal, femme de 
Louis de Pluviès, qui , ayant eu vingt-trois enfants *, laissa 
pour unique héritière Françoise de Pluviès. Cette noble dame 
avait eu six frères ^^ tués pour le service du roi Henri IV, 



' Neuf garçons et quatorze filles. 
3 Dont quatre commandants en chef. 



98 DIALECTES ANCIENS 

et était sœur du gentilhomme qui arrêta Ravaillac, et lui ar- 
racha le couteau ensanglanté dans la rue de la Ferronne- 
rie. Elle avait épousé Arnaud de Yissec de Jonquières, frère 
de Jean de Yissec de Fontes, tige des Yissec de Ganges. 
Nous avons retrouvé, Tan dernier, la pierre tombale qui cou- 
vrait les cendres d'Arnaud de Yissec et de Françoise de 
Pluviès ; elle a été maintenue dans l'église de Jonquières, 
mais non sans combat. Pourquoi, en effet, exhumer ce que 93 
avait enseveli? 

Le bisaïeul de Marguerite, André de Bonnal, était de 
Ganges ; il eut trois ûls : André, qui demeura à Ganges ; Jean, 
qui fut révêque de Maguelone dont on voit encore le tom- 
beau dans l'ancienne cathédrale, et Guillaume, seigneur de 
Salezon et d'Assas, par qui ont été conservées les proclama- 
tions que nous voulons faire connaître. 

Guillaume avait acquis du commandeur de l'hôpital des 
SS.-Simon-et-Jude, près le pont de Salezon, certaines terres à 
Salezon même, et dans les territoires de Mauguio et de Castries. 
La bulle de Pie II, donnée en confirmation de cette vente la 
première année de son pontificat (1459), le désigne par le nom 
de Guillermi Bonnalli, laïci mercatoris terrœ Moniispessulani. 
Cette bulle, dont l'original est conservé aux archives de Jon- 
quières, est un monument de calligraphie duquel pend intact 
le sceau en plomb portant, d'un côté, les têtes de saint Pierre 
et saint Paul, et de l'autre, les mots : PIYS . PAPA . II, en trois 
lignes, avec un point devant chaque mot et une petite croix 
pattée en tête. 

En 1486, Guillaume Bonnal ou de Bonnal (le nom est au 
génitif en latin) acheta de Rostang d'Assas, fils d'Hugues, la 
moitié de la seigneurie d'Assas, qui, dès 1155, avait été divisée 
en deux portions par le propriétaire, entre ses deux fils, 
Rostang et Guillaume. Dans la part vendue à Guillaume Bon- 
nal, outre un château, la juridiction et les fonds ou propriétés, 
se trouvaient encore une ancienne tour assise au lieu d'Assas, 
dite tour de Conques, un collier de justice, des piliers de 
justice pour les condamnés à mort, et un vieux mas, situé en 



PROCLAMATIONS FAITES A ASSAS 99 

ladite terre, dit mas Lazert, Le possesseur de cette part faisait 
seul le service du roi pour toute la place. Assas et le château 
de Figaret, situé sur le terroir de Guzargues, limitrophe d' As- 
sas, étaient tenus, en 1485, à un brigantinier pour le service 
de Sa Majesté. 

Le successeur de Guillaume Bonnal à Assas fut Guillaume II, 
le plus jeune de ses enfants. Les deux aînés étaient morts sans 
postérité, etSecondin, le troisième, fut chanoine de Maguelone 
et prieur de SaintJacques de Prades. Guillaume II n'ayant pas 
laissé de successeur mâle, la terre d'Assas vint par substitution 
àun professeur de médecine nommé Jacques de Salamon, fils de 
Marie de Bonnal et de Jean de Salamon ^ Ce professeur, ayant 
joui d' Assas une vingtaine d'années, ne laissa qu'une fiille 
nommée Tiphaine, qui épousa le sieur de la Coste. La substi- 
tution fut alors invoquée par Marguerite de Bonnal, fille de 
Guillaume II, en faveur de son fils aîné, comme plus proche 
héritier mâle, et, après de longs procès aux parlements de 
Toulouse et de Guienne et aux chambres de Tédit de Castres 
et d'Agen, Jacques de Pluviès, fils de Marguerite, fut vain- 
queur et prit possession d' Assas. Il ne le garda pas longtemps : 
s' étant marié à Marie de Bagnols, dame de Saint- Michel et de 
la Roque, il vendit Assas, en 1592, au trésorier de France 
Timothée de Montchal. 

Les amis de notre langue locale doivent être aussi les amis 
de rhistoire de notre pays, et ils nous pardonneront ces détails, 
qui, pour quelques-uns, ne seront pas sans intérêt. Revenons 
à nos proclamations, après avoir remercié M. le comte de 
Lansade, qui a bien voulu nous communiquer les papiers des 
antiques familles de ses ancêtres, documents précieux qui ne 
pouvaient tomber en meilleures mains. 

n 

Notre manuscrit est sur papier très-fort, d'une écriture fort 
nette et très-lisible, sans aucune trace de ponctuation et avec 

' Nous trouvons ce nom écrit parfois Salomon. 



100 DULBCTBS AMCIBNB 

fort peu d'abréviations ^ ; il renferme trente-six articles, mar* 
qués à la marge en chiffres romains cursifs. Les deux premiers 
sont contre les blasphémateurs du nom de Dieu et des saints , 
et contre ceux qui, contrevenant aux lois somptuaires, por- 
taient des vêtements prohibés. Viennent ensuite des règle- 
ments sur la dépaissance des bestiaux gros et menus, la 
propreté des fontaines publiques, la police des rues, la chasse, 
la pêche, les poids et mesures, les jeux d'argent, les femmes 
suspectes, le port d'armes, les chemins, les danses publiques, 
la police des chiens au temps où les fruits sont pendants dans 
les vignes, la défense de mettre le feu au chaume qui reste 
dans les champs {restouls) ou d'y mener paître les bestiaux 
avant la fête de sainte Magdelaine, défense probablement faite 
en faveur des pauvres gens qui y allaient glaner, etc. 

Chaque article porte une pénalité applicable au délinquant* 
Excepté celle du premier article, qui consiste à avoir la langue 
coupée ; celle de T article IV, qui est de L livres, et celles des 
articles XII et XV, qui est de X livres, les autres pénalités 
édictées sont toutes pécunaires et varient entre LX sous 
et V sous. Il j a aussi des confiscations et l'emprisonnement 
au château. 

Ces publications furent faites le 30 juin 1483, jour de saint 
Martial', fête patronale d'Assas, sur la place publique du 
lieu, par Etienne Lauzieras, lieutenant du baile et en pré- 
sence du baile lui-même ; aussitôt se présentèrent les trois syn- 
dics ou consuls d'Assas *, qui, en cette qualité, protestèrent 
contre cette publication, surtout quant à la défense faite de 
détourner, dans les propriétés des habitants, les eaux des fon- 
taines, sans la permission des seigneurs, si ce n'est depuis le 
coucher du soleil le samedi, jusqu'à son lever le dimanche. Le 

' Les t sont indifféremment marqués d'un accent ou d'un point ; sou- 
vent ils ne portent ni Tun ni Tautre de ces signes. 

^ Saint Martial est le 30 juin au martyrologe romain; nous le célébrons 
aujourd'hui le 3 juillet. 

^ Ils s'appelaient Bertrand Rezen, Valentin Rosselli et Jean Gruelli. 
Le nom du baile est Biaise Ferrussieras. 



PROCLAMATIONS PATTES A AS8AS 101 

baile leur offint de leur donner copie de ces proclamations et 
les assigna au lundi suivant, à Theure de tierce, pour alléguer 
leurs raisons. 

Au jour et à l'heure fixés, les consuls comparurent, renou- 
velant leur opposition et prétendant qu'ils avaient coutume de 
prendre les eaux des fontaines, sans permission, toutes les 
fois qu'ils en avaient besoin. Alors intervint le procureur des 
seigneurs, exhibant un instrument reçu par M® Radulphe, 
notaire à Montpellier, en 1241, où étaient énumérés les droits 
seigneuriaux consacrés par l'antique usage. Cette pièce, in- 
sérée au procès-verbal, vise un arrêt rendu en la cour ordi- 
naire de dame Béatrix, comtesse de Mauguio, sous l'année 1167, 
confirmant les principaux articles de notre proclamation et 
notamment, de la manière la plus formelle, celui auquel les 
consuls prétendaient s'opposer. Le baile demande aux consuls 
s'ils reconnaissent l'authenticité de cet acte et s'ils en récla- 
ment copie ; ceux-ci répondent qu'après la lecture qui vient 
d'être faite, ils retirent leur opposition et consentent aux 
prohibitions et défenses publiées ; sur cette déclaration , le 
baile prononce que les proclamations faites sortiront leur en- 
tier effet, selon leur forme et teneur. 

Nous venons d'analyser, aussi sommairement qu'il nous a 
été possible, deux procès- verbaux écrits en latin à la suite du 
texte roman qui fait l'objet de. cette note. Ils sont de la même 
main et de la même écriture, qui est celle d'Antoine Salamonis, 
notaire public et royal de Montpellier. Il instrumente sur 
la place commune d'Assas, en présence du prieur de Sainte- 
Croix-de-Quintillargues ; de Jean Roq, prêtre du même lieu ; 
de Jean Natalis, de Vendargues, et autres témoins étrangers 
à Assas. De Vendargues se dit de Vendranicis, et de Quintillar- 
gues, de Quintillanicts : le nom actuel en argues de ces localités 
ne vient donc pas d'ager. Ces publications furent renouvelées 
en 1507, 1521, 1523, 1534 et 1535, comme l'attestent des cer- 
tificats notariés mis à la suite de l'original de 1483, qui servait 
probablement au baile et aux ofû^iers du seigneur pour faire 
ces criées. 



102 DIALECTES ANCIENS 

m 

On pourrait faire plusieurs observations philologiques sur le 
texte que nous allons donner avec la plus scrupuleuse exacti- 
tude ; bornons-nous aux suivantes : 

La lettre anale du singulier féminin, qui est en roman lan- 
guedocien a ou (fa porta ou la porto), se rapprochait déjà de 
r^^ au temps de Louis XI, à Assas et à Montpellier ; ainsi nous 
remarquons dans notre texte : lengue, Vierges Marye, segnorie, 
esquille, ribteyre, une escudelade, cinquante, license, persone, 
diffamade, etc. 

Cette forme ûnale en e est employée concurremment avec 
la forme en a, et nous trouvons aussi: persona, licensa, hora, 
terra, pena, fema, etc. 

Nous pensons que cet a devait être adouci dans la pronon- 
ciation et se rapprocher de Ye. 

Remarquons encore : Dieu, condedeu, jurisdietieu, possessieu, 
lieuras, et non Diou, condedou... C'est que certainement Vu 
final ne se liait pas avec Ve pour faire une diphthongue ; il se 
prononçait ou, et Ve intercalé après Vi se faisait à peine sentir 
dans la prononciation. On écrit encore aujourd'hui en proven- 
çal Dieu, 

Aux environs de Lunel, on conserve encore Yn dans vin et 
chzns, tels que nous les trouvons ici. 

Nous lisons encore bens (biens) etfen (foin, de fenum); Mont- 
pellier aujourd'hui garde Yn dans le premier de ces mots et le 
supprime dans le second. 

Notons enfin les doubles formes : nuech et nioch,jour et jourt, 
cort et court, lac et Hoc, dengun et nengun. 

Nous ne pensons pas qu'il soit besoin de mettre une traduc- 
tion en regard du texte, que l'intelligence et la sagacité de 
nos lecteurs interprétera facilement. Nous nous bornerons à 
mettre au bas des pages quelques explications, qui même 
seront inutiles pour le plus grand nombre. 

L'abbé Léon Vinas, 

Membre de U Sodèté pour l'étude des laagUM 



PROCLAMATIONS FAITES A ASSAS 103 

Sbquntur proglamationbs loci db arsacio, factb anno incar- 
nationis domini millesimo quadringentesimo octuagesimo 
tertio et dib lune intitulata ultima mensis junu, quo ad 

REQUBSTAM PRECEPTO ET MANDATO DOMINORUM DICTI LOCI DE 
ARSACIO, CONSTANTE RELATIONE INFRASCRIPTA. 



I. Et permteirament, manda la cort delsditz* messignors (sic) 
d'Arsas que non li aia denguna persona, de qualque calitat et 
condecieu que sia, que non ause jurar ne renegar malversa- 
ment lo nom de Dieu , ne de la Vierges Marje , ne dels sants, 
ne de las santas de paradis, soubs la pena de la ley, so es de 
aver trencheda la longue et d'estar al castel. 

n. Item manda mais ladita court que non ly aia denguna 
persona que ause portar dengun arnejs ' devedat ', soubs la 
pena de Ix. solz et de perdre Tarneys. 

m. Item que non ly aia nenguna persona que ause mètre 
ne far paisse als deveses * delsditz segnors, nj en lurs posses- 
sions (sic), ne autres deveses de la terra et segnorye d'Arsas, 
sans licensa d'aquels que losditz deveses son, soubs la pena de 
Ix. solz t. *. 

IV. Item que non ly aia nenguna persona que ause mètre ne 
tener ne far paisse nengun bestial estrangier en la terra et 
jurisdictieu d'Arsas, sans license delsditz segnors, soubs la 
pena de cinquante lieuras t. • et de perdre lo bestial. 

V. Item que non ly aia nenguna persona, de qualque estât 
et condecieu que sia, que ause tener en la jurisdictieu d'Arsas 
alcuns byous sans une esquille ou esquillas, soubs la pena de 
cinq solz t. per jourt et cinq solz la nuech. 



* Losditz, lasditaSy lodiU ladita, sont toujours abrégés dans le texte, 
excepté dans l'artiole xi {deldits) et une fois dans Tarticle xii (deldUz) . 

^ Harnachement, habillement. 

* Défendu, prohibé, de veto. 

* Devois, pâturages. 

^ Abréviation de torneseSt tournois. 
« Torneseis. 



104 DIALECTES ANCIENS 

VI. Item que si las esquillas se trobavon clausas ^ de nuech 
ou de jour, que aquels delsquals saran los bious pagaran detz 

solz t. 

VII. Item que non ly aia nenguna persona, de qualque 
estât ou condecieu que sia, que ause lavar dengunas tripas de 
la font soutejrane en sus, soubs la pena de cinq solz t. 

vm. Item que non \j aia nenguna persona que ause lavar 
nengunas bugadas nj dengunas orduras en las fonts ne las 
fontanellas d*Arsas, soubs la pena de cinq solz t. 

IX. Item que non ly aia nenguna persona, de qualque estât 
et condecieu que sia, que ause cassar en la juridicieu (sic) 
d'Arsas counylz', perdrises, lebres, ny tendre tezuras*, soubz 
la pena de Ix. solz t. et de perdre lasditas tezuras. 

X. Item que non ly aia nenguna persona que ause pescar 
en la ribieyre del Salazou tant que s'estent la juridicieu d'Arsas, 
ny autres vallatz de las fontz, soubs la pena de 1.. solz t. et 
d'estar al castel. 

XI. Item que non ly aia nenguna persona que ause vendre 
vin en lo loc de Arsas, sinon en las mesuras antiquas et se- 
gnadas * dais segnors, et que non sie crydat per la cryda de 
la cort acostumada en licensa de la cort, soubs la pena de 
perdre lo vin et d'estar a la merce deldits (sic) segnors. 

xn. Item que non ly aia nenguna persona que ause tener 
autras per mesurar lo blat que aquelos ( sic ) que son del loc 
et juridicieu delditz segnors, assaber une escudelade mens 
que aquela de la val * soubre quasque eminal, et segnadas de 
la marca delsditz segnors, soubs la pena de x. lieuras t., et 
d'estar al castel a la merce delsditz segnors, et de perdre las 
mesuras. 

xm. Item que non ly aia nenguna persona que ause tener 

* Gloses, fennées. 

' Lapin, de cunicuXus. En espagnol, comjo ; en italien, coniglio, 
^ Pièges, de tendere, tendre. 

* Marquées, poinçonnées. 

' Je crois qu'il est ici question de la contrée appelée la vallée de Moni- 
ferrand, au bord de laquelle est situé Assas. 



PROCLAMATIONS FAITES A ASSAS 105 

nenguna fema diffamade en la juridicieu deldit Arsas, soubs 
la pena de perdre la rauba * et la rauba de la fema, et d'estar 
al castel a la merce dels segnors. 

XIV. Item que non \j aia nenguna persona,. de qualque estât 
et condecieu que sia, que ause mètre bestial gros ne menut en 
loc on \y aia abrictz d'abelhas prop de cinquanta passes, soubs 
la pena de xxv. sols t. 

XV. Item que non ij aia nenguna persona, de qualque estât 
et condecieu que sia, que ause tirar ne congitar de la cort 
d' Arsas dengun autre en autra cort, sans licensa delsditz se- 

» 

gnors, soubs la pena de x. lieuras t. et d'estar al castel. 

XVI. Item que persone (sic) non ause far nenguns camjs nou- 
vels et assoular * lous viels, soubs la pena de Ix. solx (sic) t. 

XVII. Item que nenguna persona non ause portar foc en 
Arsas sinon en una oula ', soubs la pena de cinq solx. 

xvni. Item que nenguna persona non ause anar de nioch 
hora suspechosa en armas, soubs la pena d'estar a la merce 
delz segnors et de perdre las armas. 

XIX. Item que nenguna persona non ause jogar a datz * ne 
a dengun autre joc a Targent, soubs la pena d'estar a la merce 
dels segnors de xxv. sols et de perdre Fargent. 

XX. Item que nenguna persona non ause injuriar la un 
Tautre, ne offendre en la persona ne los bens en nenguna ma-^ 
nyeira, soubz la pena de Ix. solz et d'estar a la merce dels se- 
gnors. 

XXI. Item que nenguna persona non ause vendre, ne pesar, 
ne mesurar dengunas deneyradas *, sinon que las mesuras sien 



* Vêtements, bardes. En italien, roha; en espagnol, ropa. 

* Assoular paraît avoir ici le sens de défricher, cultiver. Raynouard 
/Leooique V, 248) traduit assolar par unir, consolider. En languedocien mo- 
derne, assoulà signifie jeter par terre. Dans ces différentes significations, 
la racine est toujours le mot latin solunij sol. 

3 Marmite, pot. Olla, en latin. 

* Dos à jouer. 

* Denrées. Basse latinité, deneyrcUa. (Ducange.) 



106 DIALECTES ANCIENS 

ben adrechuradas * et segnadas per la court, soubs la pena 
d'estar al oastel et a la merce dels segnors, et de perdre la 
denejrada. 

xxn. Item que nenguna persona non ause prene dengunas 
legnas ' ne ramas de clausuras dels horts, bosses, vignas, ne 
d'autras possessions, sans licensa daquels de qui elas son, 
soubs la pena de x. sols t. 

xzui. Item que nenguna persona non ause mètre foc en la 
possessieu la ung de F autre, soubs la pena d'estar a la merce 
dels segnors, et de pagar la tala ' et domage que ledit foc 
aura donat. 

XXIV. Item que nenguna persona non ause prene en aucu* 
nas possessions de frucha en la possessieu de Tautre , sans 
licensa daquels de qui elas son, soubs la pena de x solz t. et 
del ban acostumat que es xvi deniers , et d'estar a la merce 
delz segnors. 

xxY. Item que cascuna persona aia a adobar ^ los passages 
de las ayguas que son costa ' lurs possessions, soubs la pena 
de cinq solx. 

xxYi. Item manda mais ladita court delsditz messegnors 
d'Arsas que non Ij aia nenguna persona, de qualque estât et 
condecieu que sia, que ause mètre ne far paysse, en la jurisdic- 
tieu d'Arsas en las terras que Ij aia dengunas fruchas, dengu- 
nas cabras, soubs la pena de Ix. sols t. 

xxvii. Item que aucuna persona, de qualque qualitat et 
condecieu que sia, non ause retenir ne aucunament virar las 
ayguas de las fontz et fontanelas d'Arsas en lurs possessions, 
sinon lo dissate tiran al dimergue, soubs la pena de Ix. solz. 

xxvni. Item que nenguna persona non ause tener duguns 
(sic) porcs sans bona garda suffisenta, soubz pena del ban acos- 
tumat. 

* Equilibrées, mises en droit. 
^ Bois à brûler, de lignum. 

' Dégât, ravage. Même sens en catalan et en espagnol. 

* Arranger, approprier. 

B A côté, contre, joignant* 



PROCLAMATIONS FAITES A ASSAS 107 

XXIX. Item que nenguna persona ause mètre en los prats 
nengun bestial nj anar an los rastels tant quant las garbas * 
del fen et garbiejras Ij saran, soubs la pena de cinq sols t. 
et del ban acostumat. 

XXX. Item que nenguna persona, de qualque estât et con- 
decieu que sia, non aja ny ause escobar • en las carrieyras 
del lioc d'Arsas, sinon cascun en son endret^, soubz la pena de 
cinq solz t. 

XXXI. Item que non ly aia nenguna persona, en temps que 
las fruchas son en las vignas, que ause tener nenguns chins 
corne que sye, en pargue ou autramen, sans una esquilla ou 
sonalha, soubs la pena de cinq solz t. et de far tuar losditz 
chins ont se trobaran. 

xxxn. Item que non ly aia nenguna persona que ause 
mètre foc en los restols * davantla festade laMadalena, soubs 
la pena de 1. solz t. 

xxxiu. Item que non ly aia nenguna persona que ause far 
fayre dansas publicas sans licensa, soubz la pena de Ix. solz t., 
et de perdre los exturments dels menestries ' et d'estar al 
castel. 

xxxiv. Item que non ly aia nenguna persona que ause mètre 
nengun joc d'escrima sans licensa, soubs la pena d'estre mes 
al castel, et Ix. sols d'emenda, et perdre los arneys. 

XXXV. Item que nengun ause desplegar mersarye • audit 
loc, soubs la pena de confiscacieu de la dita mersarye. 

xxxvi. Item que non ly aia nengun habitant que ause mètre 
nengun bestial menut als restouls de las planes de Pe*f et ny 
de Buzarens "^ davant la festa de la Madalena, soubs la pena 
de 1. sols t. d'emenda et d'estar al castel. 

* Gerbes, bottes de foin 

' Balayer. 

' Vis-à'Vis sa maison. 

^ Champs où est encore le chaume qui reste quand on a coupé le blé, . 

^ Joueurs d'instruments, ménétrier^. 

« Mercerie. 

7 Peret et Busarens, deux métairies du territoire d'Assas, 



LA PASSION DU CHRIST 

EN DULECTE FRANCO- VÉNITIEN DU XIV* SIECLE 

[Suite) 



— Puis che Jhesus le comandament âst. 
Simanis Petro. che li glavi meist. 

En sa vaïne celu tost le remist. 

Mes li Juyf che Jésus maleist. 

Crient a vox. e caschuns d'euls si dist. 

Che ses disciples après Jhesu prendist. 

Mes li disciples quand oirentla voist. 

De estre porpris caschuns de eus s'en fuist. 

N'il i a un sol. chi conpagne li tenist. 

Al voir Jhesus. son mastre e minist. 

Afors un sol jouen home chi Tseguist. 

A petit pas. derer * lui il son* mist. 

Malchus apelle. li verai Jesu Crist. 

Veant Jujf. dit che a lui en venist. 

La oreille prant. che Petrus li colpist. 

Aul cev ausi saine, e bien se prist. 

Ch'il non a mire aul segle. chi mielç garist. 

Ne cum aguille. ja rens mielç il coisist. 

— A la maisons. Anna li faus Judas. 
Menèrent Jhesus. li profete veras. 
Bâtant le vont, ausi cum caitiv e las. 
Tôt ses disciples, sunt si exbai e cas. 
Che ja un tôt seul, avec lui non remas. 
Afors un sol. chi Tseit a petit pas. 
Mes un Juyf. che le cors ot mauvas. 
Vit le valet, si li excrie ou vas. 

Mb.: de ren. 



LA PASSION DU CHRIST 

EN DIALECTE FRANCO -VÉNITIEN DU XIV* SIÈCLE 

(Suite) 



— Après que Jésus eut fait le commandement 

Simonis Petro qu'il mît le glaive 

En son fourreau, celui-ci tôt le remit. 

Mais les Juifs, que Jésus maudisse ! 

Crient à haute voix, et chacun d'eux ainsi dit 

Qu'il fallait prendre ses disciples en même temps que Jésus. 

Mais les disciples, quand ils ouïrent la voix, 

De peur d'être arrêté chacun d'eux s'enfuit, 

Et il n'y a un seul qui compagnie lui tînt, 

Au vrai Jésus, son maître et serviteur. 

Excepté seulement un jeune homme qui le suivit 

A petits pas, derrière lui se mit. 

Malchus appelle le vrai Jésus-Christ : 

Le voyant les Juifs, dit que vers lui vint. 

L'oreille prend, que Petrus lui coupa ; 

Au chef aussi saine et hien se prit, 

Qu'il n'y a médecin au siècle qui mieux guérisse, 

Et avec aiguille là rien mieux couse. 

-* A la maison d'Anne les faux Juifs 
Menèrent Jésus, le prophète véritable. 
Battant le vont aussi comme chétif et las. 
Tous ses disciples sont si émus et abattus, 
Que jà avec lui un tout seul ne demeure. 
Excepté un seulement qui le suit à petits pas. 
Mais un Juif, qui le cœur eut mauvais. 
Vit le valet, ainsi lui crie : « Où vas? 

' Je lis (M. 



110 DIALECTES ANCIENS 

Tu de ilKs es mester n'i auuras. 
Le renoier. non te vaudra ja pas. 
Avec ton mestre la paine portaras. 
Tan tost le prant. darere por ses dras. 
Fuant s'en vont *. ausi corne rabas '. 
A la maisons, doul socre Chayfas. 
lUi en unt condnt Jhesu Jujf Sathanas. 

— En tel hostel. Jhesus poi demora. 
A la maisons, de Chaifas lui mena. 
Li faus Jujf. iluec le liga. 
A une colone. formant batucTi a '. 

a 

Mes un vallet. che moût Jhesus ama. 

Ja por pavor. por ce nen laissa. 

Ch'il non seguisse. et en lamaixon entra. 

Char cum li prince, sacerdotum ch'il i a. 

Grand amiste. ensemblemant si a. 

Cum fu la soire. e Petrus li ariva. 

Entrer voloit. li porter le vea. 

Johens le vit. de Toil si li cigna. 

Tant fist le ber. che la gracie li trova. 

Petrus li intra. après li feu soi aseta *. 

Le froitfu grant. por ce caschuns secaufa. 

Ec vos venir, cilla chi ert Yancilla, 

Petrus conuit. char bien le révisa. 

En aut oit dit. che caschuns la ascouta. 

Des disciples es. de cestui profeta. 

Ne r vit James, dit Petrus e jura. 

Tôt ausi tost. cum Petrus le noya. 

* Je lis s* en va ou s* en vait. Dans ce texte, les nombres sont souvent con* 
fondus et quelquefois, comme ici, sans nécessité. 

' Je lis rohas, p. robarres, p. roherres, voleur. 

' Les verbes sont mis au singulier pour le besoin de la rime. 

* On emploie encore le verbe s'assiéter, s'asseoir, dans le patois de J*Aa- 
goamois et de la Saintonge, dérivé, ainsi que assiette, du supin primitif 
de assideOf asseditum, d*oii le supin classique assessum, Burguy dérive 
au contraire assiste de adsecta(ad-secare): étymologie très-soutenable 



LA PASSION DU CHRIST 111 

Tu de mis es, besoin n'y auras 

Le renier, ne te vaudra ja pas. 

Avec ton maître la peine porteras. » 

Aussitôt le prend derrière par ses vêtements. 

Fuyant s'en va, aussi comme voleur. 

A la maison du beau-père de Caïphe 

Alors ont emmené Jésus les Juifs âls de Sathan. 

— En telle demeure Jésus peu séjourna; 

A la maison de Caïphe l'emmenèrent 

Les faux Juifs : là le lièrent 

A une colonne, l'y ont fortement battu. 

Mais un valet, que Jésus aima beaucoup', 

Jà pour peur ne laissa pas 

De le suivre, et en la maison entra ; 

Car cum le prince sacerdotum qui se trouve là 

Grande amitié ainsi a-t-il. 

Quand fut le soir, et Petrus là arriva 

Entrer voulait ; le portier l'en empêcha 

Jean le vit, de l'œil ainsi lui fit signe. 

Tant fit le ber ® qu'il obtint pour lui la permission. 

Petrus là entra, près du feu s'assit. 

Le froid fut grand, pour ce chacun se chauffa. 

Voyez-vous venir celle qui est Yancilla I 

Petrus connut, car bien le dévisagea ; 

A haute voix eut dit, de sorte que chacun l'écouta : 

« Des disciples es de ce prophète ? » — 

« Ne le vis jamais », dit Petrus et jura. 

Tout aussitôt comme Petrus le nia, 

au point ae vue de la phonétique, mais inadmissible si Ton considère la 
filiation des idées. 

^ On pourrait traduire aussi : c qui aima beaucoup Jésus. » Dans ce 
texte, on trouve quelquefois che mis pour chi. 

* J'ai conservé ce mot, dont le sens littéral est baron, mais qui a souvent, 
comme c'est ici le cas, le sens plus général de galant homme, homme d'hon- 
neur, à peu près comme le latin vir. 



112 DIALECTES AHGIENS 

Le papellons. une fois çanta. 
Petrus Toi. mantinant soi rementa. 
De cil che Deus. li dist e deraisna. 
Tantost soi levé, et fors s'en alla. 
Devant la porte, si tendremant plora. 
De la dolor. a poine ch'il non pasma. 
Jésus bien soit, le duel ch'il démena. 
Prist lui pieté, por ce li pardona. 

— A la maisons tantost. cum cons la maitine. 
Doulbér Pillât, celle gent miserine. 
Menèrent Jesu. la persone divine. 
Devant la porte. cM ert de père marbrine. 
Qirent Pillât, e cil i vint senç termine. 
Che avec vos. chi menée tiel lastrine*. 

9 9 

Cil li respondent. cestui a mort destine. 
Chi ert pis d'un 1ère, chi sol viv de rapine. 
Pillât respont. cum cere palle et incline. 
Che a ces feit. dites moi la couvine. 
Se il nen oit mors, deservi por aine. 
Nel voil çuçer. peis seroe de meschine. 
Cil li respondent. en lingue jouine. 
Cucer le dois, nos raisons le destine. 
Por choi il oit. d'une fause doctrine. 
Contamine mant homes, de nostre orine. 
Feissant miracles, por vertuç enfernine. 
Et anchor plus dist. ch'el mond il domine. 
E rois el ert. mes corone sera il de spine. 
Ainç ch'il se parte, de la salle perine. 
Aura il bien, de spines fort marine. 

— Quand cil sermons. Pillât avoit oi. 
Jésus a feit. venir devant lui. 
E puis li oit dit. oiant tout li Juj. 

* Je lis tieUe (^stine^ c inimitié, querelle. » (Buront.) 



LA PASSION DU CHRIST 113 

Le coq une fois chanta. 
Peti*us Fouît : sur-le-champ lui ressouvint 
De ce que Dieu lui dit et expliqua : 
Aussitôt se lève, et dehors s'en alla. 
Devant la'porte si tendrement pleura 
De douleur, qu'il faillit s'évanouir. 
Jésus hien sut le chagrin qu'il éprouva : 
Pitié le prit, pour ce lui pardonna. 

— A la maison — aussitôt que sonnent matines — 
Du ber Pilate cette race malheureuse 
Menèrent Jésus, la personne divine, 

Devant la porte, qui est de pierre de marbre, 

Requirent Pilate, et celui-ci j vint sans délai: 

« Qu'avez-vous, vous qui montrez telle haine ? » 

Ils lui répondent : «• Prends celui-ci pour le mettre à mort, 

Cet homme pire qu'un larron qui ne vit que de rapine. » 

Pilate répond avec figure pâle et penchée : 

« Qu'a fait cet homme ? Dites-moi les motifs de votre accord 

S'il n'a mort mérité, par haine [contre lui.J 

Ne le veux juger : je serais pire qu'une prostituée. » 

Ils lui répondent en langue juive : 

« Juger le dois, — nous en avons des preuves convaincantes 

Parce qu'il eut d'une fausse doctrine 

Souillé maint homme de notre race, 

Faisant miracles par puissance infernale. 

Et encore plus, dit que dans le monde il domine. 

Et qu'il est roi. Mais couronné sera-t-il d'épines. 

Avant qu'il ne s'éloigne de la salle de marbre 

Aura-t-il bien une couronne d'épines marines. » 

— Quand ces paroles Pilate avait ouïes. 
Jésus a fait venir devant lui , 

Et puis lui eut dit, — l'entendant tous les Juifs ; — 



114 DIALECTES ANCIENS 

Quan si toi accuse *. mes tu de ce ch'en di. 

Jésus se taist. che a ce non respondi. 

D'une gran pièce, mes Pillât un aute fi. 

Enquéri lui. non respondis michi, 

Jésus respond cum sermons humili. 

Quid me interogas. demande pur çilli. 

Che devant les places, ma doctrine apandi. 

Char omnia pallam dtxi. et non sex^ri. 

Cestor toi dige. se je dixL rens de boisi. 

Quan a ce dit. adonc tuit s'i taissi. 

Mes un serjant. des Jugif mallei. 

Levé sa man et a çel point le ferri. 

Sor la maxelle. cum reprocer e cri. 

E dist sic respondes tu. rïbBMt prtncipi. 

Jésus rintend passablement sufri. 

E puis respond. cum un visaire pi. 

Si maie locutus sum menda tu ami. 

Si autem bene. por qoi m'ai tu feri. 

E puis se taist. che plus non respondi. 

— Pillât parolle. quan Jhesus ot ascoute. 
En tant* di moi. de cest te demande. 
Jugif toi enchuse. che tu es rois corone. 
Es tu donche rois, garde nen seit celle. 
Jésus respond. cum grand humilité. 
Dicis a temetipso o autrui l'ont conte. 
Ces paroles, che or m'ais anoncie. 
Bien voil che saces. dou tôt la vérité. 
Regnum meum non est ibi, ne non sui pas case. 
De hoc mundo, or intant s'il t'agre. 



' Je suppose qu'il faul lire quand cist toi accusent. On trouve dans ce 
texte des exemples de c pour s, et réciproquement. Nous avons déjà eu 
occasion de remarquer que la distinction des nombres n'était pas toujours 
observée. 

^ Calqué sur le latin in tantum. On pourrait cependant lire entant^ 



LA PASSION DU CHRIST 115 

« Quand ceux-ci t'accusent, mais toi, de cela qu'en dis-tu ? » 

Jésus se tait, tellement qu'à cela il ne répondit 

D'un bon moment. Mais Pilate une autre fois 

Lui a demandé : « Tu ne répondis mihi? » 

Jésus répond cum parole humili: 

« Quid me m^errog'as? Interrogez-les là-dessus, 

Puisque par les places ma doctrine répandis, 

Car omnia palam dixi, et non en secret. 

Que ceux-ci te disent si je dixi rien de mal. » 

Quand a ce dit, adonc tous se sont tus. 

Mais un serviteur des Juifs maudits 

Lève la main, et en cet instant le frappa. 

Sur la joue, cum reproche et cri, 

Et dit : « Sic respondes tu, ribaut, principi? » 

Jésus l'entend, passablement souffrit, 

Et puis répond avec un visage affectueux : 

« Si maie locutus sum, menda tu, ami ; 

Si autem bene, pourquoi m'as-tu frappé? » 

Et puis se tait, qu'il ne répondit plus. 

— Pilate parle, quand Jésus il eut écouté : 

« Dis-moi seulement — c'est là ce que je te demande — 

Juifs t'accusent que tu es roi couronné ; 

Es-tu donc roi ? Garde-toi de me rien celer. » 

Jésus répond par grande humilité : 

« Dicis a temetipso, — ou autrui l'ont conté 3, — 

Ces paroles que tu viens de m' adresser? 

Bien veux que tu saches du tout la vérité. 

Regnum meum non est ibi, et ne suis pas seigneur 

De hoc mundo. Or écoute, s'il te plaît : 

c entends, écoute-moi.» 

•' C'est à dessein que j'ai laissé subsister dans ma traduction certains 
solécismes qui n'en étaient pas alors, tels que autrui. . . l'ont conté^ CeUe 
race. . . le menèrent^ etc. 



116 DIALECTES ANCIENS 

Se ad modum terrains, avoie mon règne. 

Ministri met. aul trençant de ses espe. 

Tecum certarent. che a toi non fus livre. 

PiUat respont. cum la teste abasse. 

Ergo rex es tu. se je ai bien note. 

Jésus respond. passiblemant et atenpre. 

Tu dixisti. e puis senç demore. 

PiUat s'en ist. a Juyf il oit crie. 

Nullam invento. por qoi il seit a mort çuçe. 

In eo causam e li Juyf ont crie. 

Omntno mort, por vérité prove. 

Secundum legem. quam nobis fu done. 

Débet iste, ni oit mester tarde. 

Se regem fectt. contra la devee. 

Dou grand Cesaire. e Pillât fu retorne. 

A Jesu Crist. anchor Toit encerche. 

Mes nulle culpe de mort, en lui oit trove. 

Por ce che Jhesu. en fust plus beffe. 

Et da la jens. escherni e gabe. 

L'en oit Pillât, tramis et envoie. 

A cil Herodes. chi ert plens de crualte. 

Ch'il le cucast. a tôt sa volunte. 

E si nen avoit. PiUat amor porte. 

A cil Herodes. plus de dos ans passe. 

Cum enemis mortal. s'en sont este. 

Mes por la mort doul sanct home flagelle. 

Amb. dos furent, a cU point acorde. 

A cil point, fu la proficie avère. 

Doul sanct profete. chi aveit profete. 

Sol propter tercium facta est la amiste. 

( A continuer. ) 

ERRATA 

Pag. 22, ligne 5, et que totUe^ ; lisez : et qui. 
Pag. 28, dernière ligne, lisez : temptatiône. 



LA PASSION DU CHRIST 117 

Si je disposais de mon rojaume ad modum des puissants d'ici- 

Ministri met au tranchant de leurs épées [bas,] 

Tecum certarent, pour que je ne te fusse pas livré, » 

Pilate répond, en baissant la tête : 

« Ergo rex es tu? si j'ai bien entendu. » 

Jésus répond paisiblement et avec calme : 

« Tu dixisti. » Et puis sans délai 

Pilate s'en va : aux Juifs il eut crié ; 

« Nullam invenio pour qu'il soit à mort condamné, 

In eo causant^ » Et les Juifs ont crié : 

« Omnino mort pour vérité prouvée, 

Secundum legem quœ nobis fut donnée, 

Débet iste, et pas n'est besoin de tarder. 

Se regem fecit contra la défense 

Du grand César. » Et Pilate fut retourné, 

A Jésus- Christ, encore l'a questionné ; 

Mais nulle faute digne de mort en lui n'eut trouvée. 

Pour que Jésus en fût plus moqué. 

Et de la foule insulté et raillé. 

L'en eut Pilate livré et envoyé 

A cet Hérode qui était plein de cruauté. 

Pour qu'il le jugeât comme il l'entendrait. 

Et certes n'avait Pilate amour porté 

A cet Hérode : plus de deux ans passés, 

Comme ennemis mortels entre eux ont été. 

Mais pour la mort du saint homme flagellé. 

Tous deux se furent en cette circonstance accordés. 

En cette circonstance fut la prophétie réalisée 

Du saint prophète, qui avait prophétisé : 

« Seulement joropfer ^erft'Mm factaestY^xmiié, » 

{A continuer,) 



Pag. 29, première ligne, lisez : temptationé. 
Pag. 39, ligne 5, coup d'acier y lisez: couteau. 



CERTIFICAT EN LANGUE D^OC 

( GÉVAUDAN. — XVI* SIÈCLE ) * 

Ce document est écrit sur une feuille de papier dont la partie supérieure 
a été froissée et déchirée ; il y manque plusieurs mots que nous avons 
remplacés par des points. Les lettres et les syllabes écrites dans Toriginal 
sous forme d'abréviation sont imprimées ici en italiques. Nous nous pro- 
posons de publier, dans un prochain numéro, quelques observations sur 
le dialecte de cette pièce, comparé au dialecte actuel du pays où elle a 

été rédigée. 

Tn. 

Certiffique J. . . subsignat. . . près ung instrumew de venda 
Tan mil cinq cens trenta naou, et lo xix™® del mes de nouembre, 
Frances, per la graaa de Dieu , vey de Fransa etc Persona/- 
ment constituitz Johaw Cere coma 'procuvaire de Ysabels Rou- 
mia, relayssada de Aldebert Roumieu * coma de ladîYa pro- 
cura cowsta, instrumew près per me Tan et jorn susdtVs ; e aus^t 
Johanwa molher deldtV Cere fasen l&dita Johanna las causas de- 
jost scriptas de licensa et auctoritat de sondiV marit présent, etc. 
Los quais totz ensemble de lor bon grat etc an vendut, etc 
a satge home Guillem de la Vinha merchan del Nonestie (sic) 
de Isidita Diocesa présent etc. so es assaber ung lor ort situât 
en las iperienencias del Monestie , confron^an an Tort deldîV ' 
dels hereties de Bertran Clavel, et an Tort deldtY crompado, 
et an lo prat de Anthom Bodet, et an Tort de Alixeus Roffiaga * 
devers lo cap, et an lo camy per lo quai Ton vay deldit Mo- 
nestie vers la co. . s del prat de Mon^enhor del Monestie, et 
an sas autras conîrontacios etc. Lo près de naou lieuras tor- 
nesas, loqual près a confessât aver agut et ralamew^ recebut 
en ung scut del solhel et unse testes et la resta en moneda, 
amsi que plus suniplament consta, instrumew près per me del 
loc de Mowjusieuperroquiade Salmow, del Evescat de Mewdeetc. 

Deturno not. 

' Archives de la Société pour l'étude des langues romanes^ A, 20. 
^ Il y a ici une rature de trois mots ; les deux premiers sont etJohan, 
^ Ce mot a été évidemment écrit par erreur. 
♦ Un mot raturé. 



DIALECTES MODERNES 



NOTE SUR LE SOUS-DIALECTE DE MONTPELLIER 



I 



M. Octavien Bringuier est, croyons- nous, le premier poëte 
qui ait osé élever jusqu'à Tode le langage populaire de Mont- 
pellier ; mais, afin de se maintenir à la hauteur du genre et 
du sujet qu'il a choisis, il a dû ne point accepter le patois de 
cette ville tel qu'on le parle de nos jours. Il faisait une œuvre 
littéraire, c'est dans une langue et non dans un patois qu'il 
devait écrire. De plus, le vocabulaire actuel du peuple de Mont- 
pellier est tout à fait insuffisant pour rendre les idées et les 
sentiments qui tiennent la première place dans une composi- 
tion de cet ordre. Il fallait donc corriger les vices du langage, 
suppléer à son indigence, et cependant ne point altérer les 
caractères distinctifs du sous-dialecte. De là trois sortes d'opé- 
rations : 

1° Épurer le patois, en remplaçant les formes françaises qui 
s'y introduisent depuis quelques années (par exemple, glouèra, 
istouèra, mèra, frèra, sur, etc.), par les vraies formes de la lan- 
gue d'oc {gldria, istoria, maire, fraire, sorre, etc.); 

2° Créer, pour l'expression d'un certain nombre d'idées ab- 
straites, des termes qui n'existent point dans le langage popu- 
laire, et, pour cela, prendre soit dans la langue des trouba- 
dours, soit dans un autre dialecte, ou même dans une autre 
langue romane*, des radicaux qu'il a fallu modifier logiquement 

' Les emprunts de ce genre ne peuvent avoir pour résultat de corrompre 
un dialecte, comme quelques personnes semblent le croire. A l'exception 



120 DIALECTES MODERI^ES 

d'après les lois qui ont présidé à la formation du sous-dia- 
lecte de Montpellier ; 

3° Choisir, entre deux synonymes ou deux tournures égale- 
ment correctes, le mot ou la tournure qui conserve le mieux 
à la langue méridionale son relief et sa couleur, tout en évi- 
tant de tomber dans la singularité ou F archaïsme. 

C'est, on le voit, un vrai travail philologique qui s'impose à 
l'écrivain désireux d'entreprendre, dans un dialecte quelconque 
de la langue d'oc, une œuvre réellement littéraire, A Jasmin, 
à MM. Roumanille et Mistral, revient l'honneur d'avoir les pre- 
miers compris la nécessité et la possibilité d'un pareil travail. 
L'auteur de Mirèio et de Calendau l'a accompli pour son dialecte 
d'une manière admirable, grâce à la science qui, chez lui, 
seconde si merveilleusement le génie poétique. M. Mistral n a 
pas seulement épuré, et enrichi le parler du Rhône, sans lui 
rien faire perdre de sa physionomie ; il a encore facilité singu- 
lièrement la même tâche pour tous les autres dialectes de la 
langue d'oc. Tel est, croyons-nous, le modèle que M. Brin- 
guier s'est proposé d'imiter *. 

d'un nombre assez restreint de mots, qui se rapportent presque tous à des 
productions de la nature, à des usages ou à des métiers particuliers à 
une région, les radicaux romans constituent un fonds commun à tous les 
dialectes et ont dû être jadis employés dans chacun d eux; seulement, tan- 
dis qu'une expression tombait en désuétude dans une province, elle vi- 
vait dans une autre et s'y modiûait avec le temps, suivant certaines lois. 
Que serait devenu ce même radical dans tel ou tel pays si, au lieu d'y pé- 
rir, il s'y était conservé? Tel est le problème philologique qu'un écrivain 
doit résoudre lorsqu'il veut rendre à un dialecte ce que le temps lui a en- 
levé. Les caractères dialectaux portent sur la prononciation, sur les dési- 
nences, sur les flexions, et presque jamais sur le radical, qui doit seulement 
satisfaire à cette condition : être d'origine romane. En dehors de ce pro- 
cédé parfaitement légitime, l'auteur n'a à choisir qu'entre deux partis, 
lorsque le vocabulaire en usage ne lui fournit pas de mot propre à rendre 
son idée : se servir de mots français à désinence patoise, ce qui est l'ha- 
bitude actuelle du peuple, ou renoncer à exprimer sa pensée. 

* Un fragment de la pièce qui suit avait été envoyé par M. Bringuier 
aux jeux floraux d'Apt, en 1862. Bien que le concours fût clos au moment 
où le manuscrit parvint aux membres du jury, ceux-ci crurent devoir 



SOUS-DIALECTE DE MONTPELLIER 121 

II 

Le languedocien * est un des grands dialectes de la langue d'oc, 
qui règne le long des côtes de la Méditerranée, à Touest du 
provençal. A Montpellier et dans les environs, on parle un 
sous-dialecte particulier, dont nous allons essayer d'indiquer 
les principaux caractères. Nous prendrons pour terme de com- 
paraison le provençal, et surtout le sous-dialecte du Rhône. 

§ 1®'. Phonétique. — Les voyelles latines y sont conservées 
plus purement que dans aucun des dialectes congénères. 

L'a est non-seulement la finale caractéristique du féminin, 
mais il y termine aussi, comme en latin, certains substantifs 
masculins. Rosa, porta, terra, gloria, hona, s'écrivent comme 
en latin et se prononcent à peu près de même. Pôeta, collega, 
sont devenus pouèia, coulèga *. 

récompenser cette œuvre par une mention spéciale, qui fut ajoutée aux 
récompenses dont le nombre avait été fixé par le règlement. Les juges du 
concours étaient MM. Th. Aubanel, A. Grousillat, J.-B. Gaut, Ludovic 
Legré, Anselme Mathieu, Fréd. Mistral et J. Roumanille. A la cérémonie 
de la distribution solennelle des prix, M. Mistral, ayant à faire un rapport 
sur le mérite des divers ouvrages présentés, s'exprima en ces termes au 
sujet du travail de M. Bringuier : « Nous es vengu de Mountpelié, malurou- 
samen après lou quicho-clau, uno pèço emé l'epigrafo : 

O Prouvènço, ma maire, 

Tant de chato e de flour, ' 

Tant de joio e d'amour, 

Soun que dins toun terraire ! 

(Th. Aubanel ) 

L'autour n'a pas agu lou tèms de Facaba. Mai pau enchau : fau pas que 

se maucore ! car, coume dison di jacènt, a lou bon mau ; e soun obro, finido, 

sarié 'n resplendènt tablèu de nosto istôri. Li tardiè, coume se dis, n'an pas 

li joio ; e pamens, sarian pas juste se noun i'acourdavian, à tout lou mens, 

uno mencioun souhrenco .-o (Voy. Armana prouvençau de 1863, p. 22.) 

' Toutes les règles d'orthographe et de prononciation qui suivent ont 
été discutées et approuvées par une Commission de la Société pour l'étude 
des langues romanes. 

^ Dans quelques localités des environs de Montpellier à Test de cette ville, 



122 DIALECTES MODERNES 

L'e est fermé dans bien des cas où le provençal le pro- 
nonce ouvert, et particulièrement dans les terminaisons en ença, 
{ènço en prov.; tncia et encia en lat.) : Prouvença , jouvença, 
prensa (en prov. : Prouvenço, jouvènço, etc.). Au contraire, Ve 
fermé des Provençaux devient ouvert : 1° dans les substantifs 
terminés en iè correspondant à la terminaison française ter : 
ouvriè, mestiè, Mountpeliè; 2° dans quelques personnes des ver- 
bes, par exemple savie, vente (3® pers. sing. imparf. de Tind.), 
siès (2* pers. sing. prés, de Tind.). L> remplace souvent Ta pro- 
vençal : péis, sien, sera (en prov. : pais, sian, sara). 

L'î final est beaucoup plus rare qu'en Provence. Je ne con- 
nais ni substantifs féminins, ni adjectifs du même genre ter- 
minés en t. 

J'ai déjà dit que Yo est remplacé par Va comme finale fémi- 
nine. Il ne s'affaiblit jamais en uo ni en ue, mais quelquefois 
il se change en io : fioc, Hoc, nioch, ioch *. Il se transforme en 
ou à peu près dans les mêmes cas qu'en provençal. Seulement, 
ce dernier dialecte termine en on sourd les troisièmes person- 
nes du pluriel des verbes {èron, anavon\ tandis qu'à Montpellier 
le son ou est très-net et l'n final ne se fait presque pas sentir : 
èroun, anavoun, manjavoun, se prononcent généralement èrou, 
anavou, manjavou. 

Le son iue n'existe pas à Montpellier. 

A Montpellier, le ch{chi, couchant), le g devant l'e et Vi {gê- 
nerai, gimblà), le / (Jour, jalous) se prononcent à peu près 
comme tch adouci. Dans quelques villages des environs, le y 
se prononcent plus doux que le ch. Il en est de même du'^ de- 
vant Ve et l'i. 

Le sous-dialecte de Montpellier, et généralement le dialecte 

et notamment à Lunel, l'a final se prononce très-fermé et prend à peu 
près le son de Ve. Voy., à ce sujet, l'article publié plus haut (pag. 100, lOl) 
par M. l'abbé L. Vinas. 

* Voy. Paul Meyer, Phonétique provençale, 0. Mémoires de la Société 
de linguistique. Le son ue se trouve dans l'ancienne langue. M. l'abbé Vinas 
signale, dans l'intéressant document qu'il publie ci-dessus (pag. 102), la 
double forme nuech et nioch. 



SOUS-DIALBCTB DE MONTPELLIER 123 

languedocien, emploient volontiers la lettre / à la fin des mots 
où le provençal met la voyelle u, faisant diphthongne avec la 
voyelle qui précède : sourel pour soulèu, aiçaval pour eiçavau, 
fol pour fou. (Voy. l'article de M. Mistral sur les dialectes de 
la langue d'oc, dans r Armana prouvençau de 1856, p. 27.) 

Le son /mouillé se représente par li devant un e* et par Ih 
devant les autres voyelles ; mais, à la prononciation, le son de 
17 disparaît presque tout à fait. Les mots /î/Aa, fiolha, escaliè, 
se prononcent, à peu de chose près, comme s'ils étaient écrits 
fi-ia, fiot-ia, escai-iè. 

Comme en provençal, Ym à la fin d'un mot a le son de Vn, 

L'w final de certains mots ne se fait pas sentir à Montpellier '. 

L'r final disparaît aussi le plus souvent, même dans l'or- 
thographe : ounou, pudou, au lieu de ounour, pudour. 

Bans certaines localités, et particulièrement dans la ville de 
Montpellier, l'r entre deux voyelles a presque le son du d. 
Quelques poètes contemporains écrivent même paduda, mi- 
sèda, tidà, ^ouv parura, misera, tira. 

Généralement l'r ne se prononce pas au conditionnel : on 
dit auièi, seiè, aimaièn, pour aurièi, série, aimarièn. 

Le V a la même valeur qu'en français dans la partie orientale 
des pays où se parle le sous-dialecte de Montpellier. Dans 
cette dernière ville, le v participe du son du b, et ces deux con- 
sonnes se confondent assez souvent dans la prononciation. A 
mesure qu'on s'avance vers l'ouest, le son du b domine de plus 
en plus. 

Lorsqu'un mot se termine par deux consonnes, on n'en pro- 
nonce le plus souvent qu'une seule. La tendance du sous-dia- 
lecte de Montpellier est, dans ce cas, de préférer la liquide et la 
sifflante à la nasale et à la labiale, la nasale et la labiale à la gut- 
turale et à la dentale. La consonne qui ne se prononce pas ne se 
fait même pas sentir lorsqu'elle précède immédiatement un mot 

* Excepté dans les verbes. Vlh de Tinfinitif persiste dans les temps qui 
ont la voyelles pour caractéristique. Ex. : hadcdhàt bâiller; hadalhe, je 
b&ille : hadalhen, bâillons. 

3 Voyez le travail déjà cité de M. l'abbé L. Vinas. 



124 DIALECTES MODERNES 

commençant par une voyelle. Exemples : tantost se prononce 
tantos, et, lorsque le mot suivant commence par une voyelle , 
la liaison se fait avec Ys : vent, sang, lasèrt, se prononcent ven, 
san, laser, et la liaison se fait avec Vn et IV. Agantats, vestits, 
se prononce agantàs, vestis^. Lorsqu'un mot se termine par 
une liquide et une sifflante, ou par une nasale et une sifflante, 
on les fait sentir toutes les deux {agnèls, ers, mans). 

§ 2. Flexions, — L'article est, pour le masculin : lou, dau, 
an, au singulier ; lous, dos, as, au pluriel ; pour le féminin : la, 
pe la, à la, au singulier ; las, de las, à las, au pluriel. 

Dans tous les sous-dialectes du languedocien, et particu- 
lièrement dans celui de Montpellier, Ton écrit et Ton pro- 
nonce Vs du pluriel. 

Les deux premières personnes du pluriel de l'imparfait de 
l'indicatif de la première conjugaison se terminent en àven et 
àves, et non en avian, avias, comme en provençal ; les mêmes 
personnes de l'imparfait du subjonctif, pour toutes les conju- 
gaisons, se terminent en essen, èsses, au lieu de essian, essias. 

Le parfait des deux premières conjugaisons se forme par l'ad- 
dition de la désinence ère au radical, tandis qu'en provençal 
le même temps de la deuxième conjugaison se forme par l'ad- 
dition de la désinence eguère (Montp. rendère, Prov. rendeguère). 

Pour les verbes de la troisième conjugaison, le sous-dialecte 
de Montpellier emploie presque exclusivement la forme mixte 
{partisses, partissoun\ tandis que le provençal préfère la forme 
pure {partes, partoun). 

La première personne du singulier de certains temps, et 
notamment du conditionnel présent, se termine en ièi, tandis 
qu'elle est en iéu en provençal : avièi, farièi, diriez, au lieu de 
aviéu, fariéu, diriéu. 



' Dans quelques sous- dialectes et môme, croyons-nous, dans une va- 
riété du sous-dialecte de Montpellier, la dentale et la sifflante, réunies à la 
fin d'un mot, se prononcent à peu près tch» On dit, par exemple, agantakihi 
vestUch. 



SOUS-DIALECTE DE MONTPELLIER 125 

§ m. Accent tonique. — De ce qui précède il résulte que 
les règles de Faccent tonique particulières aux sous-dialectes 
provençaux du Rhône et de Marseille (voj. 1'® livraison, p. 49) 
doivent se modifier ainsi pour le sous-dialecte de Montpellier : 

1° Dans les mots terminés en o, Faccent tonique est sur la 
dernière {aiço, bataco) ; il porte sur la pénultième dans ceux 
qui se terminent en a {aima, aime), à moins qu'il ne soit mar- 
qué sur la dernière {aima, aimer). 

2* Les mots terminés en as ont Faccent tonique sur la 
pénultième (rosas, portas)^ à moins qu'il ne soit marqué sur 
la dernière {pagaràs). Grénéralement, les mots qui forment 
leur pluriel par Faddition d'un s conservent Faccent tonique 
sur la même syllabe qu'au singulier (rosa, rosas; porta, portai). 

Je crois devoir faire remarquer, en terminant, que Fobjet de 
cette note, et detoutes celles du même genre que nous publie- 
rons, est seulement de donner quelques indications générales 
sur les sous-dialectes dont on trouvera des échantillons dans 
la Revue des langues romanes. Notre tâche consiste, pour le 
moment, à recueillir des matériaux qui seront mis en œuvre 
lorsque Fétude comparative des sous-dialectes de la langue 
d'oc sera plus avancée qu'elle ne Fest aujourd'hui. Jusque-là, 
on peut seulement exiger que nous soyons exacts ; on ne peut 
nous demander d'être complets. 

C. DE TOURTOULON. 



PROUVENÇA' 



A.V PAJRB DB LA. RBNAISSBNÇA. PROUVBNÇALA. 

A JOUSÈ ROUMANILHA 



A la Prouvença — Agnèt Bonn parla, sa ponë- 
sia, sa oonstnma, sa nacioimalitat, sa gloria. La 
Pronvença tonmbët à la França conma un pré- 
sent de Dien. Ela qa'èra demonrada pèr Ions an- 
ciens rOaccident de la bèntat, pèr nantres deven- 
gnèt Ion prumiè port ounté trova noetra idëia 
ritalia, la Grèça, l'Asta, toutes lous endrechs 
qn'enclausisBOun la souvenença e tontes Ions 
oonzns qu'embraigoun lou cor. 

(Lacordaihb, Santa Maria- AfadeUna.) 



LOUS DEVANCIES 

Au sonet dau tantost, la jouve d'un segaire 

S'espandis lassa au coustat d'el; 
Antaufaila Prouvença embésoun calignaire, 

Soun calignaire lou sourel. 
Venès çai, Francimands, ie pourtàs pas vergougna. . . 

La bella diva dau Miejour 
Pausa sous penous d'or en plena Catalougna, 

Soun front de nèu sus lou Ventour. 
Sa vida? un bel renoum cent copsFa troumpetada; 

Pèr de ben, segu, vous n'a fach. . . 
Sérias mai aganits se Favias pas tetada; 

Tout vostre sang es que soun lach. 
Sans res pèr vous aussà, res de ce que brounzina, 

Lous pus mendres de T univers, 

* Batejan antau d'escasseta un traval que passa de resquiladas sus las 
nautoas de nostra istôria. Prenèa pèr Prouvença aquela espandida de ler- 
raire francés e catalan ount nostra vielha len^çua a trelusit e demora à 
nostre ouaou. 



PROVENCE ' 



AU PERE DE LA RENAISSANCE PROVENÇALE 

A JOSEPH RODMANILLE 



A la Provence. — Elle eut sa langue, sa poésie, 
ses mœurs, sa nationalité, sa gloire. La Pro- 
vence échut à la France comme un présent de 
Dieu« et, après avoir été pour les anciens l'occi- 
dent de la beauté, elle devint pour ncus le pre- 
mier port où notre Imagination rencontre l'Italie, 
la Grèce, l'Asie, tous les lieux qui enchantent la 
mémoire et tous les noms qui émeuvent le cœur. 
(Lacordairb, Sainte Marie-Madeleine.) 



I 



LES DEVANCIERS 

Pendant le petit somme de l'après-midi, la jeune femme du 
moissonneur — s'étend, lasse , auprès de lui ; — ainsi fait la 
Provence avec son amoureux, — son amoureux le soleil. — 
Approchez-vous, Français, vous ne la rendez pas craintive... 

— La belle déesse du Midi — pose ses petits pieds d'or en 
pleine Catalogne, — son front de neige sur le (mont) Venteux. 

— Sa vie? une belle renommée Ta cent fois publiée. — Pour 
du bien, certes, elle vous en a fait. — Vous seriez plus chétifs 
si vous n'aviez sucé ses mamelles; — tout votre sang n'est que 
son lait. — N'ayant rien pour vous rehausser, rien de ce qui 
retentit, — les plus humbles de l'univers, — vous étiez dans 
la misère et dans l'obscurité, — sans souffle, élan ni direction, 

— que de tout la Provence était grasse et repue ; — et, lors- 

* Nous donnons ce titre vague à un travail qui ne fait qu'efQeurer les 
points culminants de notre histoire. Par Provence, nous entendons cette 
vaste étendue de territoire de France et de Catalogne où notre vieille lan- 
gue a resplendi et demeure en honneur. 



128 DIALECTES MODERNES 

Eres dins la paurieira e dins Toscuresina, 

Ges d'alé, ni ban, ni gouvèr, 
Que de tout la Prouvença èra grassa, sadoula ; 

E , quand vous devistèt pèr sôu, 
Ëla que rousigàs de Tos à la mesoula, 

S'esclamèt : Anen, quau ne vôu ? 
E lou mèu de soun saupre aribèt vostra bouca, 

E sa grandou vous a vestits, 
E , couma de rasins agantats à la souca, 

Brandoulaves à sous titis. 



maire ! dins toun brès quinta estranja natura!... 

Tant bella de simplicitat ! 
De Venus Arlatenca aviès que la centura : 
Pas mai . . . lou Rose à toun constat. 
Adounc de-tras la mar, d'ornes couma de pivous, 

Tant èroun fiers, tant èroun bèls ; 
Pioi d'encara pus nauts, la testa dins lous nivous 

Çai davalèroun pèr troupèls. 
Pourtavoun toutes els de -long de toun rivage 

Soun paraulis, sous arts, sas lèis ; 
E toun sang grumejôt, e toun ventre sauvage 

Se couflèt d'un pople de rèis. 
Pople-rèi ! se toun noum me brounzina à Taurelha , 

Crese d'ausilou magistrau 
Quand enravala tout ; dins moun cor derevelha 

Lou vièl orgul dau Prouvençau ! 
Aquel pople famous, que César coumandava , 

Glorious e tant triounfant 
Qu'au sebroun de soun pas la terra demandava 

S'èra soun mèstre ou soun enfant ; 
Eh bé ! pèr tus, Prouvença, el, qu'aviè ciel ni maire, 

En-lai traguèt soun bassarèl, 
Pioi, couma un agnelet sus tus se venguèt jaire, 
Laiat, amourous, coucarèl. 



PROVENCE 129 

qu'elle vous découvrit sur le sol, — elle, que vous rongez de 
l'os jusqu'à la moelle, — elle s'écria: allons! qui en veut? — 
Et le miel de son savoir emplit votre bouche, — et sa munifi- 
cence vous a revêtus ; — et, semblables à des raisins attachés 
à la souche, — vous étiez brandillants à son sein. 



— mère 1 à ton berceau quelle étrange nature !... — (Tu 
étais) si belle de simplicité ! — De la Vénus d'Arles tu n'avais 
que la ceinture... — pas plus... le Rhône à tes côtés. — Alors 
d'au delà des mers, des hommes pareils à des peupliers, — tant 
ils étaient fiers, tant ils étaient élevés ; — puis, de plus hauts 
encore, la tête dans les nues , — descendirent ici par trou- 
peaux. — Ils portaient tous, le long de ton rivage, — leur lan- 
gage, leurs arts, leurs lois ; — et ton sang écuma, et ton ventre 
sauvage — se gonfia d'un peuple de rois. — Peuple-roi! lorsque 
ton nom retentit à mon oreille, — il me semble entendre le mis- 
tral — lorsqu'il entraîne tout ; dans mon cœur il réveille — le 
vieil orgueil du Provençal. — Ce peuple fameux que César com- 
mandait, glorieux €ft si triomphant — qu'au retentissement de 
son pas la terre demandait — s'il était son maître ou son fils; 

— eh bien ! pour toi, Provence, lui qui n'avait ni ciel ni mère, 

— au loin jeta sa massue ; — puis, comme un agnelet, sur toi 
il vint se coucher, — inquiet, amoureux, caressant. 



130 DIALECTES MODERNES 

Joui toun ciel embrandat, maire, que nous sourelha 

Ganta, se nous vos enclausi, 
Ce tant bel que se dis d'Arles, Beziès, Marselha; 

Cugarai pèr milhou t'ausi. 
Tè ! las deviste alai : pas pus greva que Tesca, 

Vese la rèina de las mars ; 
Nada en cacalassent ; Taiga que la refresca 

Sesselega sas bellas cars. 
Escala à sa trlrèma ^ en mie de sous ramaires, 

Sus un pont tout trelusent d'or. 
Tout-ara amagarà couma un moulou de fraires 

Toutes lous poples dins soun port*; 
Tout-ara la veirés : sembla'na Pytounissa 

Dins sous grands bosses', e, se vôu, 
Agatba, Citharista, Antipolis e Niça* 

Van tout-ara espeli dau sôu. 
Arles dins tout soun bon aviè Tesclat de Rouma . . . 

S'en èroun tant acoucaris, 
Counstantin, Teodôsi ! Ela enmecava couma 

Nostra manjouina Paris. 
Beziès la rabinada a tant d'ounous qu'Arlata ' 

En i'agandiguent lous Roumans 
S'avisèroun d'aquela en mantou d'escarlata. 

Un grand coutelas dins las mans. 



* Papon parla d'un Marselhés que s'ôra tirât d'esclau, fach majourau 
pèr Livia d'un bastimen qu'aNriè très rengas de rainas. 

^ D'entre las causas qu'ajudèroun Marselha à prousperà, lous escrivans 
ne disoun ce prumiè l'avenença dau mounde de l'endrecb. 

^ Lous Roumans se fasièn d'idèias crentousas dau bos founzut qu'atapava 
tout lou pioch de Nostra-Dama de la Garda. 

* La coulounla grèca de Marselha bastiguèt Nicia (Niça), Ântipolis 
(Ântiba), Citharista (la Giotat), Agatha (Ate) et tant d'autras vilas 
qu'existoun pas pus (Papon, Istôria de Prouvença.) 

' Beziès, pèr soun ounou. l'an tant de cops brulada qu'es pèr ie faire 
oumage que ne parlan antau. 



PROVENCE 131 

— Sous ton ciel embrasé, mère, qui nous inonde de soleil, 

— chante, si tu veux nous raivir, — ces choses si belles qui se 
disent d'Arles, de Béziers, de Marseille ; — je clignerai les jeux 
pour mieux ^entendre. — Tiens ! je les aperçois là-bas : pas 
plus lourde que Técorce du hêtre, — je vois la reine des mers; 

— elle nage en riant aux éclats ; Teau qui la rafraîchit — cha- 
touille ses belles chairs. — Elle monte à sa trirème^, au milieu 
de ses rameurs, — sur un pont tout reluisant d*or. — Tout à 
Theure, elle accueillera comme une multitude de frères — tous 
les peuples dans son port • ; — tout à l'heure, vous la verrez : 
elle ressemble à une Pythonisse — dans ses grands bois ', et, si 
elle le veut, — Agathe, Cithariste, Antipolis et Nice — vont 
tout à l'heure éclore du sol *. — Arles, dans son beau temps, 
avait l'éclat de Rome.... — Ils s'en étaient si fort épris, 

— Constantin, Théodose ! Elle dépensait comme — notre dé- 
vorant Paris. — Béziers la brûlée * obtient autant d'honneurs 
qu'Arles. — En j arrivant, les Romains — aperçurent celle- 
là en manteau d'écarlate, — un grand coutelas dans les 
mains. 



* Papon parle d'uû affranchi marseillais qui fut élevé par Livie au com- 
mandement d'une galère à trois rangs de rames. 

* Parmi les causes qui contribuèrent à la prospérité de Marseille, les 
écrivains mettent en première ligne l'urbanité de ses habitants. 

3 Une épaisse forêt, objet de terreur pour les soldats romains, s'éten- 
dait sur la montagne de Notre-Dame do la Garde. 

* La colonie grecque de Marseille fonda Nicia (Nice , Antipolis (Antibes), 
Cithariste ( la Ciotat), Agatha (Agde), et tant d'autres villes qui n'existent 
plus. (Papon, Histoire de Provence.) 

s Béziers a été si souvent et si honorablement brûlée, que nous croyons 
lui rendre hommage en la qualifiant ainsi. 



132 DIALECTES MODERNES 

Savè^ que lous Césars nistavoun pas d^avausses, 

Avalissièn pas sas legiouns. 
Lous Grecs ravièn countat qu'à las tourras de Causses^ 

L'Orb abéurava de liouns. 
De-fèt tastèroun pas, sas èglas, d'aquela aiga 

Ounte un cadèl lipa en passant. 
Qu'en paguent as enfants de nostra terra embraiga 

Pèr degout un pichet de sang... — 

yilas dau Miejour ! friandas e coussudas, 

Beluguejaves pèr moulons, 
Tant que sus lou mati, de Taigage embegudas, 

Mirgaiejoun lasbellas flous... 
Mes lou vielhun desoundra e noun passa pèr malha 

Tabé dau Verdoun à TAdour, 
De Yau-clusa au Lignoun, sèga una granda dalha, 

La dalha que dalha toujour... 
Pamens, lou taise bèrca e lou Tèmsrepoutega.. 

Las Arenas, lou pont dau Gard 
Soun d'aco tant goustous que n'a mai petelega 

Qu'un courpatas d'un floc de car. 
Es tout bèfi, grumeja au pourtalàs d'Aurenja; 

A la Tour-Magna, aquel sourel 
Qu'à rencontra dau Tèms soulet a sa revenja. 

Es pus vielha e vieura * mai qu'eL 



^ Poudèn ne parla d'aisida , pioi-que degus noun sap quau bastiguèt 
aquelas tourras. 

^ Nous avoDS adopté, pour représenter le son tou, la forme ieUj qui a 
été consacrée par les écrivains du moyen &ge, et s'est mamtenuc jusqu'au 
moment où Ton a essayé de donner aux caractères alphabétiques de la langue 
d*cc la valeur des caractères français (Voyez Proclamations faites à Assas^ 
publiées par M. Tabbé Vinas, ci-dessus). Cette forme est encore en usage 
pour les noms propres: Anterisu, Rabieu, se prononcent AnterioUf Rabiou, 



PROVENCE 133 

— Vous savez que les Césars ne furetaient pas en terres 
arides; — ils n'égaraient pas leurs légions. — Les Grecs leur 
avaient raconté qu'aux tours de Causses* — TOrb abreuvait 
des lions. — En eflfet, elles ne goûtèrent, leurs aigles, de 
cette eau, — où lape, en passant, un jeune chien, — qu'en 
payant aux enfants de cette terre enivrée — chaque goutte 
un pichet de sang. . . — villes du Midi ! resplendissantes et 
riches, — vous étinceliez en foule, — comme, vers le matin, 
pénétrées par la rosée, — se diaprent les belles fleurs. . . — Mais 
la vieillesse déflgure,et ne passe pas (sur nous sans laisser de 
traces, comme) par les mailles (d'un filet*). — Aussi, duVerdon 
à l'Adour, — de Vaucluse au Lignon, moissonne une grande 
faux, — la faux qui fauche toujours... — Pourtant, le tran- 
chant s'ébrèche et le Temps gronde.... — Les Arènes, le pont 
du Gard — sont de ces choses d'un si haut goût qu'il les 
convoite plus — qu'un corbeau un morceau de chair. — Il est 
blême, écumant, devant la grande porte d'Orange , — à la 
Tour-Magne, ce soleil — qui seul prend sa revanche sur le 
Temps. — Elle est plus vieille et vivra plus que lui. 



* Toute hypothèse nous est permise en présence du mystère qui enve- 
loppe l'origine de ces tours. 

' Cette locution passa pèr malha peut se traduire aussi par < passer pour 
une maille • (ancienne monnaie) . 



134 DIALECTES MODERNES 



II 



SANTA 

Faviè'n orne coussut, un cop, que semenava, 

Pèr n'acampà mena, à pougnats, 
De cruvelats d'escuts, qu'en grand bruch remenava, 

D'escuts ni lises ni raugnats. 
N'en traguèt que d'argent la terra èra emblancada, 

Boutas, de mandrèns * n'i'aguèt lèu. 
Tant, que l'orne, veguent sa mouneda acipada, 

En d'eles s'agantèt au peu. 
Pioi, sarcit e raubat, soulet tenguèt l'espéra. 

D'entre-mièja èra davalat 
D'un oustalet minable e coustiè de sa terra 

Tout-escasseta un pau de blat, 
Qu'un foulet entrauquèt en miè de las penadas . . . 

Aquel pessuguet dau bon Dieu 
Traguèt de palhas d'or, d'espiguetas granadas. 

Confias à n'espetà l'estieu ; 
E tourna s'espoussèt la tant bona semença 

Que s'entarèt couma un trésor. 
Despioi, lou vent escampa e lou sôu recoumenca 

A granà sas espigas d'or. 

Aquel orne malhat es César. El semena 

De rouiaumes e se crei Dieu. 
Lous pilhards soun lous ans, es la mort, qu'enremena 

L'obra e l'ouvriè per un fieu. 
L'oustalet qu'a bailat lou pessuguet de grana 

Es lou d'un fustiè Oalilèn ; 

< Au pus court mandre, au pus long mandrenaiay tirât dau mot 
mandra (reinard}, que se dis pas pus. 



PR0VE14CE 135 



II 



SAINTE 

n y avait, une fois, un homme riche qui semait — à poi- 
gnées, afin d'en récolter, — de pleins cribles d'écus, qu'à 
grand bruit il remuait; — des écus ni usés, ni rognés. — 
H en répandit tant que l'argent avait blanchi la terre ; <— 
bientôt, allez, il y en eut des larrons, — tant, que l'homme, 
voyant sa monnaie enlevée, — se prit aux cheveux avec eux... 
— Puis, maltraité, volé, il demeura seul dans l'attente. — Sur 
ces entrefaites, il était descendu, — d'une misérable petite 
maison avoisinant sa propriété, — un tout petit peu de blé, — 
qu'un souffle du vent enfouit dans l'empreinte des pas. . . — 
Cette petite pincée du bon Dieu — jeta dçs pailles d'or, de 
petits épis pleins, — gonflés à en crever, l'été venu. — Puis 
encor fut répandue l'excellente semence, -»- qui s'enfouit 
comme un trésor. . . — Depuis, le vent répand et le sol recom- 
mence — à donner* ses épis d'or. 



— Cet homme riche, c'est César. Il sème — des royaumes 
et se croit Dieu. — Les pillards sont les ans, c'est la mort, qui 
traîne — l'œuvre et l'ouvrier par un fil. — La maisonnette qui 
a fourni la petite pincée de grains, — c'est celle d'un char- 
pentier galiléen ; — les grains sont tombés de la sainte gre- 



* Littéralement : « à grainer ses épis d'or. » 



136 DIALECTES MODERNES 

Lous granous soun toumbats de la santa mieugrana 
Entre-douverta à Betelèn. 



Seguèren avan ges, nautres gènts de Prouvença, 

Couvidats, en grandas ounous, 
A frarià'n d'aquel pan d* amour, d'independença 

Pastat sus un levât sannous. 
Tastèren ce pus bon, la flou de la tousella, 

En man prumièira, bona part, 
Car dau grand Mestieirau venguèt la lèi nouvella 

Embé las Santas de la Mar. 
Filha de Magdala', sublima pecadouna, 

Tus, que mesclères as perfums 
Qu'as boujat sus aquel que t'aima e te perdouna 

Tout lou regret de tous baujuns ; 

Gimblada jout la crous, devariada, lassa, 

Tus que cridères as bourrèls : 
— « Moussigas-me lou cor ! . . . périrai à sa plaça ! 

Aqui mas mans e de clavèls ! . . . )> 
Tus, ta sorre e las dos de la doulenta Maire, 

Embé Marcella, embé Sarà, 
Embé Cleoun, Lazare e lous autres, pecaire ! 

Quinte dol vous deviè sarrà 
Sus lou barcot crevât *, amigas benurousas ! 

La mort as pèds, lous iols au ciel, 
Aduguères aici de reliquas sannousas, 



^ Maria, la disiôn Madelèna pôr amor de la vilota de Magdala, ribei- 
renca' dau lac de Galilée, sîègue que n'en seguèsse ou que de longa 
i'aguèsse demeurât. (Lacordaire.) 

^ Es adoun que la santa doumaisella pecadouna, Marta, sa sorre, e Maxi- 

min, embé Tavagle-na Cleoun, venguèroun ateri à Marselba, espausas 

per lous Ebrouses dins un michant e triste bastimen tout vièl amai coupât 

à la voulountat de la mar e das vents. 

(C. <ie NostradamfÂS, p. 27 ) 



PROVENCE 137 

nade — entr'ouverte à Bethléem 

Nous fûmes, avant tous autres, nous, gens de Provence, — 
conviés avec les plus grands honneurs, — à fraterniser en ce 
pain d'amour, d'indépendance, — pétri d'un levain sanglant. 
— Nous goûtâmes le meilleur, la fleur du froment, — de 
première main, large part ; — car la loi nouvelle du grand 
Artisan nous arriva — avec les Saintes de la Mer. — Fille de 
Magdala*, sublime pécheresse, — toi qui mêlas aux parfums — 
que tu répandis sur celui qui t'aime et te pardonne — tout 
le regret de tes folies ; 



— Pliée sous la croix, lasse , éperdue, — en pleurs, toi qui 
disais aux bourreaux : — « De vos dents déchirez-moi le cœur !.. 
je veux mourir à sa place ; — voilà mes mains et des clous !... » 
— toi, ta sœur et les deux sœurs de la dolente Mère, — avec 
Marcelle, avec Sarah, — avec Cléon, Lazare et les autres, 
hélas ! — Quelle douleur devait vous étreindre — sur le ba- 
teau crevé *, bienheureuses amies ! — La mort sous les pieds, 
les jeux au ciel, — vous amenâtes ici des reliques sanglantes : 



1 Marie s'appelait Madeleine, du bourg de Magdala, sur les bords du lac 
de Galilée, soit qu'elle en fut originaire, soit qu'elle y eût résidé long- 
temps (Lacordaire.) 

* C'est adonc que la saincte damoiselle pécheresse, Marthe, sa sœur, el 
Maximin, avec l'aveugle-né Ghelidonius, vinrent aborder à Marseille. 
abandonnez par Hébreux dans un meschant e triste vaisseau tout vie! et 
cassé, a la merci de la mer et des vents. (C. de Nostradamus^ p. 27.) 



138 DXALECtES M0DBIU9BS 

Lou cor d'Anna, de pan d'agnèL ., .* 
L'avesque • counsacrat pèr Simoun lou pescaire 

En vous devistent dau la mar, 
Aubourèt una crous : aquilou grand araire 

Qu'a laurat lous dieus de César. . . 
En Arles lou prouconse èra dins las Arenas • ; 

Trounflava, quand veguèt intrà 
Très fennas qu'as esclaus levèroun las cadenas 

Pèr las traire au col de Mitra ♦. 



III 



RÈIS E TROUBADOURS 

Navigàs, Francimands, la Prouvenç' a lou timoun ; 

Sous enfants, ni muts ni garèls, 
Trovoun lou biais de tout, à ben faire s'escrimoun ; 

Vautres, tenès de sucarèls. 
Nous sèn pas ravalats pariés la cagaraula ; 

Tenian pas court dins un poucieu : 
Avian Tounestetat e pas qu'una paraula, 

L'avisamen, lou crèire à Dieu, 



' * Galineta, monta au ciel 

Acampà lou pan d'agnèl (Refrin poptUàri) 

* L'apotre S. Pau passèt pèr la Prouvença, ounte visitent S. Tni- 

fèmi, quei'èra déjà mandat avesque pèr S. Pèire despioi Tan 48 etc... 

(Boucha, Ist, de Prouvença^ tom. I*', p. 480) . 

^ En retraguent dins quatre cops la legenda de las Santas,avèn cresegut 
poure ie jougne ce demie. Kou'd serian ben gardats à l'endrech d'un 
moucèl tirât de l'istôria. 

* D'aqnelas antiquitats de touta mena, brisun dau cirque rouman (d'Ar- 
les), la pus counsequenta es segu la cara de Mitra, dount la testa, à flocs 
pèr lous crestians, noun s'es jamai pouguda retrouva. 

(Estrangin, E8tudi(is arqueologiquas d'Arles, p 111). 



PROVENCE 139 

— le cœur d'Anne, du pain d'agneau*... . — L'évêque* con- 
saxîré par Simon le pêcheur, — en vous apercevant du côté 
de la mer, — arbora une croix : c'est là cette grande charrue 

— qui a labouré les dieux de César. — A Arles, le proconsul 
se trouvait aux arènes ' ; — il était triomphant, lorsqu'il vit 
entrer — trois femmes, qui enlevèrent les chaînes aux esclaves 

— pour les jeter au cou de Mithra *. 



III 



ROIS ET TROUBADOURS 

Naviguez, Français, la Provence tient le gouvernail. — 
Ses fils, ni muets ni boiteux, — trouvent le biais de tout; à, 
bien faire ils s'escriment; — vous autres, tenez des hochets ► 
— Nous ne nous sommes pas traînés semblables au limaçon ; 
— nous ne tenions pas cour dans une étable à pourceaux : — 
nous avions la probité et une seule parole, — la prudence et 
la croyance eu Dieu, — Nous n'étions pas cette chose ru- 



* Coccinelle, monte au ciel 

^ Recueillir le pain d'agneau {Refrain poptdaire) 

* « L'apôtre saint Paul passa par la Provence, où, visitant saint Tro- 

phime à Arles, déjà y envoyé évoque par saint Pierre depuis l'an 48 » 

(Bouche, HisL de Prouenoe, t. I,p. 480). 

3 En esquissant rapidement la légende des Saintes de la Mer, nous 
avons cru pouvoir y ajouter ce dernier trait. Nous aurions agi avec plus de 
circonspection à l'égard d'un fait historique incontesté. 

* De ces diverses antiquités, débris du cirque romain (d'Arles), la plus 
importante est certainement le torse de Mithra, dont la tête, brisée par les 
chrétiens, n'a pu jamais ôtrQ retrouvée. (Estrangin, Eludes archéologicf'tQ^ 
d'Arles, p. lit). 



140 DIALECTBS MODERNES 

Ëren pa'iço ruscous qu*es besoun que se lime, 

D'aco qu'a vomi de ligi, 
Tout arpas e tout iols, que, fauta d'unpau d'ime, 

S'acoussa e clava couma un chi. 
Eren lous sagatous de la vièlha Prouvença, 

Filha das Grecs e das Roumans, 
Ounte Tobra de tout passa quand acoumença 

Pèr s'acabà dins nostras mans. 
Tabé coumtan de rèis à quau tout s'afilla. 

Tout ce pus grand, tout ce pus fort ; 
Tènoun tout TOuccident, Alemagna, Italla, 

Soun sacrats, an la boula d'or. 
Lou glàsi dins las mans, cargoun mantou, couronna ; 

Quand se dis : van tène la lèi, 
S'assètoun au cagnard, lou pople s'amoulouna, 
. E conta sous plagnuns au rèi, 

Rothbola, Bouzoun, Guilhaume e sas gènts d'assistança. 

Aqueste, en grand rabaladis, 
Aâanca à Roubert la poulida Coustanca 

Que sera rèina de Paris. 
Douceta de Gibert, la grand de Margarida, 

S'embaura pas, pren un Ramoun : 
Serenen paradis, pioi-que lou Ciel marida 

La Prouvença embé TAragoun. 
Bella flou de crestian, nostre amour t'acoumpagne ; 

Siès de l'aubre tant avengut 
Que mesclava sa rama à la de Cbarlemagne , 

Savèn lafrucha qu'a tengut. . . . 
Es aqueles qu'an vist l'estella matinieira, 

L'aubeta e tout lou bon dau jour 
Ounte couma un sourel se levèt la banieira 

De la pouesla e de l'amour. 
An vist, lous qu'emb' orgul disèn nostres bons paires, 

Lous grands mèstres dau gai savé 



PROVENCE 141 

gueuse qu'il est besoin de limer, — cette chose qui a mal au 
cœur en lisant, — qui, tout griffes et tout yeux, faute d'unpeu 
de jugement, — s'excite et mord* comme un chien. — Nous 
étions la suite bruyante de la vieille Provence, — ûlle des Grecs 
et des Romains, — chez qui toute œuvre commencée doit 
passer — pour s'achever dans nos mains. — Aussi comptons- 
nous des rois auxquels tout s'affilie, — tout ce qu'il y a de 
plus grand, tout ce qu'ily a de plus fort. — Ils possèdent tout 
l'Occident, l'Allemagne, l'Italie ; — ils sont sacrés, ils ont la 
boule d'or. — Le glaive dans les mains, ils revêtent manteau, 
couronne. — Lorsque l'on dit : ils vont interpréter • la loi, — 
ils s'asseoient au soleil, le peuple se rassemble — et raconte 
ses peines au roi, 



Rothbold, Bozon, Guillaume ' et les gens de leur suite. — 
Celui-ci, avec grand fracas, — fiance à Robert la jolie Con- 
stance*, — qui sera reine de Paris. — Douce fille de Gil- 
bert, grand'-mère de Marguerite, — ne perd pas la tête ; elle 
épouse un Raymond : — nous serons en paradis, puisque le 
Ciel marie la Provence avec TAragon. — Belle fleur de chré- 
tien, que notre amour t'accompagne ;— tu appartiens à l'arbre 
si robuste — qui mêlait ses rameaux à ceux (de la lignée) de 
Charlemagne: — nous connaissons les fruits qu'ils ont donnés. 
— Ce sont eux qui ont vu l'étoile matinale, — l'aube et le 
meilleur du jour, — où, semblable à un soleil, se leva la ban- 
nière — de la poésie et de l'amour. — Ils ont vu, ceux qu'avec 
orgueil nous appelons nos bons pères, — les grands maîtres 

^ Littéralement: cloue (de ses dents). 

* Litt. : Ils vont tenir la loi. 

3 Rothbold ou Rothbald !•', Bozon P', Bozon II, Guillaume I*', etc., 
comtes et rois de Provence. 

* Ck)nstance d'Arles, surnommée Blanche, mariée, dit-on, en premières 
noces à Louis V le Fainéant, et, en secondes noces, à Robert, roi de 
France. 



itô dialëciIss modernes 

Mena dins soun draiau poples, rèis, counquistaires 

E dire à toutes soun devé. 
Ardits, la pluma en Ter, quilhats sus sas cavalas, 

Vestits de seda, de velous, 
En miech d^un fres bouquet de bellas Prouvençalas 

S'envenièn cantà sas causons. 



Savièn tout ce que sap una testa nistousa 

Qu'a passât la terra, las mars, 
Ë ce milhou disièn dins sa lenga amistousa 

Que fasiè galinà la cars. 
Au vèspre, dau castèl la cansou davalava, 

Lou paure mounde aviè soun tour ; 
Aco n'èra un régal I Tabé noun ie parlava 

Qu'ounestetat, patria, amour. 
E dins lous mieugraniès, qu'au sou beluguejavoun, 

Jout la nèu das acacias, 
De tout ce qu'ausissièn entre eles lenguejavoun 

Lous aucelets devariats. < 
Couma quand dins la nioch un roussignôu sauvage 

Regreia un pastre que Tausis, 
Cantèt nostre peïs, e soun poulit ramage 

Tenguèt lous autres enclausits. 
Mages de l'univers, tabé vous anèt quère, 

Qu'entre dents fasiàs: «Dieu, jalons 
Das ramèus de Virgile e das lauriès d'Homère , 

Tira un subre-parlà das dons. » 
E lous caps-de-jouvent de la banda galoia, 

Aco's Pèire, rèi d'Aragoun , 
Es Anfos, Frédéric, Beatrix de Savoia, 

Soun orne Berenguiè-Ramoun; 

Richard Cor-de-Lioun, amourous de sa dama, 

Retracha pèr lou Ventadour, 
E tout Tescaob emprés que trasiè ûoc e âama 



PROVENCE 143 

du gai savoir, — guider dans leur sentier peuples, rois, con- 
quérants — et dire à tous leur devoir. — Hardis, la plume au 
vent, perchés sur leurs cavales, — vêtus de soie et de velours, 
— au milieu d'un frais bouquet de belles Provençales , — 
ils venaient chanter leurs chansons. 



Ils savaient tout ce que sait une tête curieuse, ~ qui a tra- 
versé la terre et les mers, — et les meilleures choses, ils les 
disaient dans leur langue affectueuse, — qui faisait frissonner 
de plaisir*. — Ala vesprée, la chanson descendait du château ; 

— les pauvres gens avaient leur tour; -— c'en était un régal! 
Aussi ne leur parlait-elle que probité, patrie, amour. — Et 
dans les grenadiers qui sur le sol étincelaient, — sous la neige 
des acacias, — de tout ce qu'ils entendaient, entre eux devi- 
saient — les petits oiseaux émerveillés. — Ainsi que dans la 
nuit, un rossignol sauvage — réjouit le pâtre qui l'écoute, 

— chanta notre pays, et son joli ramage — tint les peuples 
charmés. — Vous aussi. Mages de l'univers, elle alla vous 
chercher, — tandis qu'entre vos dents vous murmuriez : 
« Dieu, jaloux — des rameaux de Virgile et des lauriers 
d'Homère, — a fait de deux langues une langue plus belle. » 

— Et les chefs ' de la troupe joyeuse, — c'est Pierre, roi 
d'Aragon, — c'est Alphonse, Frédéric ', Béatrix de Savoie, 

— son mari Berenguier-Raymond*; 

Richard Cœur-de -Lion, amoureux de sa dame, — décrite par 
le Ventadour ®, — et tous les autres embrasés qui lançaient feu 

' Faire galinà las cars signifie littéralement donner chair de poule. 
' Le cap-de-jouvent est, dans les fôtes populaires du Midi, le chef de 
la jeunesse. 
' On connaît les vers attribués à Tempereur Frédéric II : 

Platz mi cavalier frances, etc. 

♦ Raymond-Berenguier III, comte de Catalogne, devenu comte de Pro- 
vence par son mariage avec Doulce, fille de Gilbert de Millau et de 
Gerberge de Provence. 

^c Bernard de Ventadour...., sachant fort proprement rithmer et chan- 



144 DÎALECTES MODBRNBS 

Au grand lum de las courts d'amour. 
Vai, brave paraulis, que la terra te cante, 

Tus que parlava Arnaud Daniel *, 
Aquel pouèta famous qu'embalausissiè Dante, 

Un Dante qu'aviè vist lou Ciel; 
Tus qu'a musiquejat la bouqueta d'Isaura^ 

En traguent de vers e de flous, 
Qu'aviès pèr aprendis lou fringaire de Laura, 

Un dieu d'una estella amourous ; 
Tus qu'a fach brounzinà d'un galoi saupre-faire. 

Entre tant que soun pas bastards, 
Nostre bon rèi Reiniè, Reiniè lou galejaire, 

Prince de la lira e das arts. 
Vai dire as estrangès, qu'aici, sus tant d'estellas, 

De flous, de filhas que noun sai, 
Belèu quaucun un jour nous dira las pus bellas, . 

Mes de tous caps-d'obra jamai. 
A lous que voudran saupre ounte n'es la patria, 

Entorna naut dins ta flertat : 
« Alai, serva en respèt l'amour de la pouesia, 

Dau devé, de la libertat ! » 

0. Bringuier 
{Sera counttnuat,) 



' Aici la traducioun das vers que, dins lou Purgatôri, Dante fai dire à 
Arnaud Daniel, dins lou vièl parla das troubadours : 

« M'agrada tant vostra demanda ounôsta 

Que noun me pode ni me vole rescondre de vous. 

léu soui Arnaud que ploure e vau eantan, 

Vése laiat mas fouliès passadas, 

E esple en gaietat de cor la joia avehi qù*espère. 

Ara vous pregue, pèr aquela valou 

Que vous mena au pus naut, sans frech et sans calôu, 

Que vous souvengués d'ateuni ma doulbu. » 



PROVENCE 145 

et flammes — à la grande lumière des cœurs d'amour. — Va, 
gentil parler, que la terre te chante, — toi que parla Arnaud 
Daniel, — ce poëte fameux qui troublait Dante, — Dante qui 
avait vu le Ciel*; — toi qu'a chanté harmonieusement la 
petite bouche d'Isaure, — en lançant des vers et des fleurs ; 
— qui avais pour apprenti l'amant de Laure, — un dieu amou- 
reux d'une étoile ; — toi qu'a fait vibrer avec une joyeuse habi- 
leté, — parmi tant d'autres qui ne sont pas (tes fils) bâtards — 
notre bon roi René, René le galant, — prince de la lyre et des 
arts. — ^Va dire aux étrangers qu'ici, parmi tant d'étoiles, — de 
fleurs, de filles, dont je ne sais le nombre, — peut-être quel- 
qu'un, un jour, nous dira quelles sont les plus belles, — mais 
jamais quels sont les plus beaux de tes chefs-d'œuvre. — A 
ceux qui voudront savoir où en est la patrie, — réponds haut 
dans ta fierté : — « Là-bas se conserve avec respect l'amour de 

la poésie, — du devoir, de la liberté. » 

. Octavien Bringuier. 
{A continuer,) 

ter , se retira vers la duchesse de Normandie, dame de haut prix 

et de rare savoir, qui, recevant fort humainement ce poëte, luy fit donner 
un estât honnorable à sa maison. Là, guères n'eut séjourné Bernard que 
la duchesse, esprise de son bel entendement, réputa à grande gloire d'estre 
honnorée et immortalisée par ses beaux vers. Aussi porta une si louable 
ambition son nom et son bruit si loin, que Richard, roy d Angleterre, 
aimant cette excellente dame, au seul pourtrait des rilbmes de Bernard, 

l'espousa, Tosla de Normandie et la mena en Angleterre »(C. de 

Nostradamu^, page 175.) — On sait que Richard Cœur-de-Lion a composé 
des vers provençaux. 

* Voici les vers que, dans le Purgatoire, Dante fait prononcer à Arnaud 
Daniel, dans la vieille langue des troubadours : 

« Tan m*abelis vostre certes deman. 

Que ieu no m puesc ni m vueil a vos cobrire. 

leu sui Arnaut, que plor e vau cantan : 

Gonsiros vei la passada folor, 

Ë vei jauzen lo joi, quesper, denan. 

Ara vos prec per aquella valor, 

Que us guida al som sens freich e sens câlina, 

Sovegna vos atemprar ma dolor. » 



10 



LA BAGA D'OR 

ROMANCE POPULAIRE 



I 

La romance que nous publions aujourd'hui est évidemment 
fort ancienne quant au fond et quant au procédé de composi- 
tion poétique ; mais la forme a suivi les transformations suc- 
cessives du langage. 

Nous croyons que ce chant est répandu dans tout le midi 
de la France, avec les modifications que comportent les diflTé- 
rences de dialecte. Nous désirerions en publier toutes les ver- 
sions connues, de manière à les faire servir de moyen de com- 
paraison entre les dialectes et les sous- dialectes de la langue 
d'oc moderne. On sait que, dans une pensée analogue, la para- 
bole de TEnfant prodigue fut traduite, au commencement de 
ce siècle, en un grand nombre de patois de la France. Mais ce 
travail a été fait avec trop peu d'unité et de critique pour qu'il 
ait pu donner autre chose que des indications approximatives ; 
nous espérons davantage de la publication de la Baga d'or, si 
les personnes qui en connaissent de nouvelles versions veulent 
bien nous les communiquer, sous leur responsabilité, avec les 
renseignements les plus détaillés relativement au lieu d'origine. 

Les diflPérences que nous pourrons avoir à signaler entre les 
divers textes seront de trois sortes : 

1° Diiférences dans la forme des mots, provenant de la di- 
versité des dialectes ; 

2° Modifications dans le sens littéral imposées par le dia- 
lecte, afin de conserver le rhythme ; 

3° Changements de sens tout à fait arbitraires et au milieu 
desquels il est impossible de reconstituer le sens primitif. 

Toutes ces distinctions doivent être faites avec soin. Celles 
de la première catégorie ressortent du seul rapprochement des 
textes ; les autres seront relevées en note, de manière à per- 
mettre la comparaison la plus exacte des différentes versions. 



LA BAGA d'or 147 

Pour être aussi précis que possible, nous devons ajouter 
que ce n'est pas à Montpellier même qu'a été recueilli le texte 
qui suit ; il a été écrit sous la dictée de deux habitants de 
Lunel-Viel *, bourg de 1000 âmes environ, situé dans le dé- 
partement de l'Hérault, à 20 kilomètres E. de Montpellier et 
à 4 kilomètres 0. de Lunel. Le dialecte de Lunel-Viel est à 
peu près identique à celui de Montpellier. Dans toute cette 
romance, nous n'aurons à signaler que deux nuances de pro- 
nonciation. Le dialecte de Lunel, au contraire, diffère sensi- 
blement de celui de Montpellier quant à la phonétique : Va 
final féminin, par exemple , y est fermé au point de prendre 
le son de Ve, 

II 

Chaque fois que nous aurons à publier une version de la 
Baga d'or dans un nouveau dialecte, nous l'accompagnerons 
de quelques explications sur la prononciation et l'ortho- 
graphe de ce dialecte. Nous devons d'abord présenter quelques 
observations applicables à l'ensemble des dialectes qui pour- 
ront nous fournir de nouvelles versions de notre romance. 
Nous ne faisons d'ailleurs ici, comme dans la note sur le 
provençal publiée dans la dernière livraison de la Revue, que 
déduire les conséquences pratiques des principes posés par 
notre collaborateur et ami M. Achille Montel, dans son article 
sur V Orthographe de la langue doc moderne. 

Les différences dialectales de village à village, qui four- 
nissent aux adversaires de la langue d'oc un de leurs plus 
sérieux arguments, sont très-souvent de simples nuances de 
prononciation, dont le français lui-même nous offre de nom- 
breux exemples. La même phrase dite par un Parisien, un 
Picard , un Normand , un Tourangeau , un Saintongeais , un 
Lyonnais , révèle autant de prononciations différentes , qui ne 

' Ces deux personnes sont deux jeunes hommes d'une vingtaine d'an- 
nées, ce qui prouve que, à Lunel-Viel tout au moins, la romance de la 
Baga d'or n'est pas tombée, comme la plupart de nos chants populaires, 
au nombre des vieilleries dédaignées par la jeunesse. 



148 DIALECTES MODERNES 

sont pas circonscrites dans des limites géographiques bien net- 
tement déterminées, et qui subissent par conséquent de pro- 
che en proche d'innombrables modifications. Ce qui rend ces 
différences moins sensibles, c'est que le français a, outre une 
orthographe arrêtée, une prononciation en quelque sorte offi- 
cielle, que les illettrés seuls ignorent et que les autres ont 
toujours présente à Tesprit, alors même qu'ils s'en écartent 
dans la pratique. Mais, si les écrivains de chaque province 
s'étaient ingéniés à figurer la prononciation indigène au 
moyen d'une orthographe prétendue phonétique, on aurait 
aujourd'hui pour la langue du Nord une confusion analogue à- 
celle qui règne pour la langue du Midi. Cette dernière aussi a 
eu son orthographe officielle, indépendante des divers dia- 
lectes. Il est impossible que les difierences de prononciation 
que l'on remarque entre nos provinces soient nées depuis la 
décadence de la littérature méridionale. Quelques-unes même 
semblent résulter de la conformation des organes de la voix 
chez les habitants de certaines contrées ; aussi peut-on affirmer 
que, lorsque les lettrés du xiii® siècle écrivaient, dans tout le 
Midi, arma et jorUy on prononçait, suivant les pays : armay 
arme, aî^mo, ormo;dzour, dzoum, tsour, djour, tchour, etc.*. 

L'orthographe classique étant tombée dans l'oubli, les écri- 
vains de langue méridionale crurent se faire lire plus aisé- 
ment des hommes du Nord en figurant la prononciation au 
moyen des lettres de l'alphabet français. 

Cette orthographe, dite phonétique, présente les inconvé- 
nients suivants : 

1° Elle laisse supposer que les caractères alphabétiques 
ont une valeur absolue, indépendante de la langue dans la- 
quelle on les emploie ; tandis qu'au contraire un grand nom- 
bre de lettres ou groupes de lettres de l'aphabet latin ont une 
valeur difiérente dans chacune des langues néo-latines et dans 
chacun des dialectes de ces langues. I/u, Vo, le j, le c, le ch, 

' L'o de jorn était évidemment lermé (estreit) et se prononçait à. peu- 
près ou. ( Voy. Paul Meyer, Phonétique provençale, 0, Mém» de la Société 
de linguistique.) 



LA BAGA d'or 149 

Vx, etc., ne représentent pas le même son en France qu'en 
Italie, en Italie qu'en Espagne, et diffèrent même de province 
à province. La langue d'oc avait donné, elle aussi, aux carac- 
tères de l'alphabet latin une valeur particulière, qui s'accom- 
modait à son génie, et rien n'est plus absurde que d'appliquer 
à cette langue l'alphabet du français, c'est-à-dire de la langue 
néo-latine dont la phonétique s'éloigne le plus de celle de la 
langue d'oc. 

2** C'est une erreur que de croire pouvoir figurer exacte- 
ment la prononciation par des combinaisons de lettres. A peine 
arrive-t-on à des indications approximatives, qu'il faut com- 
pléter par des explications. Que devient, dès lors, le seul avan- 
tage que les partisans de l'orthographe phonétique recon- 
naissent à leur système ? 

3° En supposant que l'on parvînt à figurer la prononciation 
réelle de chaque mot, serait-il bon de sacrifier la clarté du 
texte à l'exactitude de la prononciation ? L'œil, dérouté par 
des accouplements bizarres de consonnes et de voyelles, met 
à chaque instant l'intelligence en défaut. Comment reconnaître 
le mot jour, identique pour le sens au mot français qui s'écrit 
de la même façon , sous les formes dzour, tsour et tchoum, qui 
diffèrent beaucoup plus à la vue qu'à l'oreille? Une simple 
nuance de prononciation entre deux dialectes transforme par- 
fois l'orthographe d'un mot au point de le rendre méconnais- 
sable, si bien que le lecteur peu familiarisé avec la langue 
d'oc est obligé de recommencer pour chaque dialecte l'étude 
du vocabulaire. 

Le système que nous condamnons a été suivi, plus ou moins 
rigoureusement, par à peu près tous les écrivains méridionaux 
des derniers siècles *. Les auteurs qui ont voulu de nos jours 
restituer à la langue d'oc son orthographe rationnelle n'ont 
pu, sous peine de dérouter entièrement le lecteur, revenir à 
la tradition du moyen âge, et ont dû tenir compte , ainsi que 

^ La science philologique tire parti de ce défaut même , car elle retrouve 
dans les ouvrages publiés avec cette orthographe d'utiles indications sur 
la phonétique des divers dialectes. 



150 DIALECTES MODERNES 

Fa dit M. Montel dans Tarticle déjà cité, des changements qui 
se sont opérés dans la prononciation. Les philologues doivent, 
il est vrai, mettre le plus grand soin à relever, même dans le 
plus imperceptible détail, tout ce qui a rapport à la phonétique ; 
mais il est inutile pour cela de porter la confusion dans l'or- 
thographe. Voici donc comment on peut formuler les règles 
pratiques que nous aurons constamment devant les yeux en 
publiant nos différentes versions de la Baga d'or* : 

1° Les consonnes du radical, et généralement celles qui don- 
nent au mot écrit sa physionomie et en constituent en quel- 
que sorte le squelette, doivent être conservées intactes ; il suffit 
d'indiquer leur prononciation pour chaque dialecte ou sous- 
dialecte. 

2° Les consonnes des terminaisons, lorsqu'elles ne se pro- 
noncent pas ou n'ont pas une fonction grammaticale déter- 
minée, peuvent être quelquefois supprimées. 

3° Les voyelles, ayant chacune un son type bien caractérisé, 
sont employées pour leur valeur habituelle ; mais les nuances 
de prononciation qui les affectent, et qui varient dans des li- 
mites très-larges, sont indiquées par des accents ou font l'ob- 
jet d'explications particulières pour chaque dialecte. On sait 
que chaque voyelle, suivant qu'elle est prononcée très-ouverte 
ou très-fermée, peut se confondre avec deux autres voyelles ; 
ainsi, Ya^ outre le son caractéristique qui lui est propre, a le son 
de Vo s'il est prononcé très-ouvert, et celui de Ve s'il est pro- 
noncé très-fermé. Dans quel cas faut-il substituer une voyelle 
à une autre ? Ce n'est évidemment que lorsqu'il ne peut y 
avoir le moindre doute sur la nature du son, et que la pronon- 
ciation est constante pour tout un sous-dialecte. Hors de là, 
on doit toujours préférer la voyelle étymologique, en ayant 
soin d'expliquer avec quelques détails sa prononciation exacte. 

Enfin, comme dans toute orthographe il faut faire la part de 
l'usage, nous devrons — bien que très-exceptionnellement — 
accepter certaines formes qui ne se justifieraient peut-être pas 

* A partir de ce point, tout ce qui suit, jusqu'à la fin du § II, a été sou- 
mis à une commission de la Société pour Vétitde des langues romanes, et 
approuvé après discussion. 



LA BÂGA D OR 151 

tout-à-fait par les règles qui précèdent, mais qui ont pour elles 
une tradition constante et l'autorité des auteurs considérés 
comme les plus corrects. 

Nous croyons qu'en suivant les règles que nous venons d'ex- 
poser, on pourra assurer à la langue d'oc un système ortho- 
graphique des plus logiques et des mieux faits pour concilier, 
dans une juste mesure, les exigences de l'étymologie avec 
celles de la phonétique. Il ne faut pas oublier, d'ailleurs, que 
l'écriture est un moyen trop imparfait de figurer les sons pour 
que l'on puisse se dispenser d'explications détaillées sur la 
prononciation de chaque sous-dialecte. 

in 

Voici l'air sur lequel nous avons entendu chanter la romance 
de la Baga d'or : 

Simplic . 




Ai una a - mi - ga qu'es ma - lau - ta , Sa - ve pas se se - rà p6r 

mf rinforz. ri tard. 




^ ^ ^ - 



Ai una a- mi-ga qu'esma-Iau-ta, Sa-ve pas se se -ri 




d o 1 c e 



et 



pp. 



M. Edmond Servel, professeur et compositeur de musique, 
qui a bien voulu noter cet air pour nous , ne croit pas que , 
sous cette forme du moins, il soit antérieur au xvm® siècle ; 
mais le thème pourrait être beaucoup plus ancien et avoir 
subi avec le temps des modifications successives. Ainsi, de nos 
jours, quelques personnes ont commencé à le moderniser en 
faisant finir la première partie sur une demi- cadence. 

Nous accepterons avec reconnaisance et nous publierons les 
différents airs ou les variantes d'air sur lesquelles se chantent 
les paroles de la Baga d'or, pourvu que ce ne soient pas des 
corruptions modernes évidentes d'un thème que nous aurions 
déjà donné. Tn. 



LA BAGA D'OR 

(dULECTE languedocien ; sous-dialecte de MONTPELLIER) 



Ai una amiga qu'es malauta, 
Save * pas se sera pèr iéu. 
Ai una amiga qu'es malauta , 
Save pas se sera pèr iéu. 

Iéu ie demandère à soun paire ', 
le demandère couma vai. 
Iéu ie demandère à soun paire , 
le demandère couma vai. 

Soun paire me respond : « Ma filha 
Es garida de tout soun mau. » 
Soun paire me respond : « Ma filha 
Es garida de tout soun mau. 

» Es entarrada à la grand glèisa , 
Aval dejouta Tesealiè '. 
Es entarrada à la grand glèisa , 
Aval dejouta Tescaliè. 

)) Métras un pèd dessus sa toumba 
E l'autre dessus l'escaliè. 
Métras un pèd dessus sa toumba 
E l'autre dessus l'escaliè. » 

^ A Lunel-Viel et dans les villages environnants, le son du t; est bien 
net et absolument pareil à celui du x> français ; à Montpellier, le t) par- 
ticipe du son du h. 

^ Au lieu de 'pairt, qui est le vrai mot roman , on dit plus fréquem- 
ment depuis quelques années , surtout dans les villes , 'pèra , mot patois 
formé du français père . Il en est de même des autres noms de parenté : 
maire, fraire, sorre, qui sont devenus wèra, frèra, sur, 

^ L7 ne se fait presque pas sentir. On prononce à peu près, à Mont- 
pellier du moins, et à l'est de cette ville jusqu'en Provence inclnsivement, 
escaiiè. 



LA BAGUE D'OR 



J'ai une amie qui est malade, 

Je ne sais pas si ce serait^ pour moi. 

J'ai une amie qui est malade, 

Je ne sais pas si ce serait pour moi. 

Je demandai à son père *, 

Je demandai comment elle va. 

Je demandai à son père, 

Je demandai comment elle va. 

Son père me répond : — « Ma fille 
Est guérie de tout son mal. » 
Son père me répond : — « Ma fille 
Est guérie de tout son mal. 

)) Elle est enterrée à la grande église, 
Là-bas sous Tescalier. 
Elle est enterrée à la grande église, 
Là-bas sous Fescalier. 

» Tu mettras un pied sur sa tombe 
Et l'autre sur l'escalier. 
Tu mettras un pied sur sa tombe 
Et l'autre sur l'escalier. » 



* Le futur sera est employé pour le conditionnel série (dans certaines 
localités, on ne fait presque pas sentir Vr ; dans d'autres, on le prononce 
presque comme un d). On pourrait encore traduire ainsi ce vers : « Je ne 
sais pas si elle sera pour moi. » Nous n'hésitons pas à préférer le premier 
sens. 

^ Littéralement : c Moi, je lui demandai, à son père. » Cette tpumurQ 
est assez fréquente dans la langue d'oc moderne^ 



154 DIALECTES MODERNES 

— « Quau es aco dessus ma toumba , 
Que pren tant de pena pèr iéu ? 
Quau es aco dessus ma toumba , 
Que pren tant de pena pèr iéu ? » 

— « Aco's toun bon ami , la bella , 
Que desirava te parla. 

Aco's toun bon ami , la bella , 
Que desirava te parla. » 

— « Couma voulès que iéu vous parle ? 
Ai sèt pans de terra sus iéu ! 

Couma voulès que iéu vous parle ? 
Ai sèt pans de terra sus iéu ! » 

— « La baga d'or que m'as dounada , 
Iéu l'ai encara au pichot det. 

La baga d'or que m'as dounada , 
Iéu l'ai encara au pichot det. » 

— « La dounaràs à moun ainada , 
Que l'aimaràs tant couma iéu. 
La dounaràs à moun ainada , 
Que l'aimaràs tant couma iéu. » 

— « Pèr ie la dounà , ie la done ; 
Mes pèr l'aimà, l'aimarai pas. 
Pèr ie la dounà , ie la done ; 
Mes pèr l'aimà, l'aimarai pas. 

)) Farai basti un ermitage \ 
Aqui ie finirai mous jours ; 
Farai basti un ermitage , 
Aqui ie finirai mous jours ; 



' On dit aussi armitage dans les villages des environs de Montpellier. 
C'est évidemment un barbarisme, mais il est utile de le noter comme 
exemple des transformations que le peuple (ait subir à sa langue. 



LA BAGA d'or 155 

— « Qui est-ce sur ma tombe , 
Qui a * tant de peine pour moi ? 
Qui est-ce sur ma tombe, 

Qui a tant de peine pour moi? » 

— « C'est ton bon ami, la belle, 
Qui désirait te parler. 

C'est ton bon ami, la belle , 
Qui désirait te parler. » 

— « Comment voulez -vous que je vous parle ? 
J'ai sept pans de terre sur moi ! 

Comment voulez-vous que je vous parle ? 
J'ai sept pans de terre sur moi ! » 

— « La bague d'or que tu m'as donnée, 
Moi, je l'ai encore au petit doigt. 

La bague d'or que tu m'as donnée , 
Moi, je l'ai encore au petit doigt. » 

— « Tu la donneras à mon aînée, 
Et tu l'aimeras autant que moi -. 
Tu la donneras à mon aînée, 

Et tu l'aimeras autant que moi. » 

— « Pour la lui donner, je la lui donne ; 
Mais pour l'aimer, je ne l'aimerai pas. 
Pour la lui donner, je la lui donne; 
Mais pour l'aimer, je ne l'aimerai pas. )> 

)) Je ferai bâtir un ermitage, , 

Là, je finirai mes jours ^ 
Je ferai bâtir un ermitage, 
» Là, je finirai mes jours; 

' Littéralement : « Qui prend. » 

* Littéralement : « Que tu l'aimeras autant comme moi. » 

■^ Litt. : « Là, j'y finirai mes jours. » 



156 DIALECTES MODERNES 

» le farai faire dos fenèstras , 

Una au levant, Tautra au couchant*; 

le farai faire dos fenèstras , 

Una au levant , Tautra au couchant ; 

» Una pèr regarda ma miga , 
Kautra pèr veire lou sourel ; 
Una pèr regarda ma miga, 
L'autra pèr veire lou sourel. 

)) E moun manjà sera d'erbage , 
E moun béure sera mous plours. 
E moun manjà sera d'erbage , 
Ë moun béure sera mous plours. » 



* A Lunel-Viel et dans les environs, le ch a un son bien différent de 
celui du j. Tandis que cette dernière consonne et le g devant Ve et l't ont 
le son dj assez doux, semblable au g italien devant Ve et Vi, le ch se pro- 
nonce à peu près comme le c italien devant les mêmes voyelles. 



^♦^■^ 



LA BAGA d'or 157 



J'y ferai faire deux fenêtres, 

Une au levant, l'autre au couchant ; 

J'y ferai faire deux fenêtres, 

Une au levant, l'autre au couchant; 

» Une pour regarder ma mie. 
L'autre, pour voir le soleil; 
Une pour regarder ma mie. 
L'autre, pour voir le soleil. 

» Et mon manger sera de l'herbe. 
Et mon boire sera mes pleurs. 
Et mon manger sera de l'herbe. 
Et mon boire sera mes pleurs. » 



DIALECTES MODERNES 



L. ROUMIEUX 



I. La Rampelado (Avignon, Roumanille, 1S68.) — II. Quau vôu prendre 
dos lèbre à la fes^ n'en pren ges. (Id., 1862.) 

Si Louis Roumieux, F un des derniers venus dans le chœur 
des poëtes provençaux, nous est sympathique, il le doit à son 
heureux caractère tout aussi bien qu'à son beau talent. Sa 
bonne humeur, ses saillies , son entrain gaulois , égayent Tes- 
prit et donnent au rire deux ailes sonores. C'est une nature 
éminemment attractive, qui ne sait qu'aimer et se dévouer, 
et dont la muse rieuse a toujours à la bouche quelque folle 
chanson. Lui aussi est un enfant du peuple ; il a participé à 
ses tristesses et à ses joies. Il lui appartient non-seulement 
par sa naissance, le sang qui coule dans ses veines, le langage 
qui enchante ses lèvres , mais encore par cette amabilité ex- 
quise dont la libre allure a tant de patience, d'affection et de 
gaîté, ces trois vertus plébéiennes par excellence. Il y a dans 
ses vers , soit qu'ils s'exaltent, soit qu'ils se plaignent, ce ton 
de franchise persuasive qu'on aime à retrouver en lui, comme 
l'odeur du thym et de la lavande sur la montagne. 

Né à Nîmes, la cité romaine, dans cette médiocrité dorée si 
favorable à la poésie, mais qu'Horace n'eût pas chantée s'il 
eût été femme ; il a grandi sous les ombrages de la Fontaine, 
non loin du temple de Diane et des Arènes, empruntant à ces 
ruines quelque chose de leur sérénité. Aussi sa pensée ne va- 
t-elle pas plus loin que leur ombre et s'inspire-t-elle volontiers 
de ces mille incidents de la vie domestique qui sont des fêtes 
pour le cœur, et qui ravissent l'imagination de ceux qui en 
pénètrent le sens. Le Rhône, le pont du Gard, le Vistre, la 
f mer, forment les quatre points cardinaux de son horizon ; mais 
que de choses enfermées dans cet étroit espace ! que de sou- 
venirs ! que de rêves ! que de pensées ! 
* Semblable au rouge-gorge, ce chanteur de l' arrière-saison, 



L. ROUMIEUX 159 

que n'effrayent ni la froidure, ni Tinfortune, ilestTami du toit 
hospitalier ; il fait entendre sa voix joyeuse quand les autres 
se taisent ; il demeure fidèle au pays natal, alors que tous se 
hâtent de fuir : de là son surnom, lou felibre de la Tour Magno, 
et sa devise Chasque aucèu trovo soun nis bèu. 

Dans le mouvement auquel il a prit part, Roumieux a mêlé 
sa verve juvénile, pleine d'entraînements et de précipitations, 
aux mâles et sévères œuvres des maîtres. Au début, sa fan- 
taisie, quelque peu imprévoyante, dispersa ses rimes çà et là, 
au gré de ses caprices ; il a fallu , selon une expression cu- 
rieuse qui explique le titre du volume, battre le rappel {la 
rampelado ) pour rassembler ces vagabondes aux yeux éveil- 
lés et aux lèvres souriantes. En véritable père d'enfants pro- 
digues, il les a tous acceptés, bossus, droits, déguenillés, bien 
mis, grands, petits, de braise ou de glace. On y trouve donc un 
peu de tout, ainsi qu'il le dit lui-même : des contes, des élégies, 
des fables, des sonnets, de vieilles chansons et des chansons 
du jeune temps. Il y a, comme l'a fort bien dit Roumanille, 
dans cette prose élégante dont il a le secret, de toutes les her- 
bes de la Saint- Jean, mais pas une seule qui soit vénéneuse. 
Je citerai tout un frais bouquet de xénies et d'épigrammes, 
sous le titre original de Poutoun et grafignado, Caresses et 
Coups de griffe ; puis toute une guirlande de romances : Me 
pougnes pas, Aimas-vous ben^ la Baga d'or, dont le fond est 
une légende. Je citerai, en outre, les noëls, dont l'un, lou 
LHssate (le Samedi), repose sur une pieuse tradition, la légende 
du Soleil, connue de tous les Méridionaux ; enfin sa corres- 
pondance avec Antoinette de Beaucaire , cette jeune fille, fée 
par la grâce et muse par l'esprit, dont la perte a été un deuil 
pour le Midi. 

Ce qui domine dans Roumieux, c'est la gaité, non pas cette 
gaîté de l'homme du Nord, moqueuse et quelquefois maligne, qui 
pose son doigt sur la plaie de façon à faire crier ; mais cette 
gaîté bénévole du Méridional, qui trouve le soleil beau, les 
femmes adorables, la nature splendide, la vie charmante, et 
qui l'exprime de son mieux. C'est assez dire qu'il a un rare 



160 DIALECTES MODERNES 

talent de conteur et que sa gaîté est communicative. L' Angles 
de Nîmes, Jarjaio en paradis , etc., sont de véritables éclats de 
lire. Il a écrit également force galejado (farces), scènes dialo- 
guées, dont quelques-unes ont été représentées au théâtre de 
Nîmes. Mais ce n'était pas assez pour son ambition. En effet, 
tandis que Tun des premiers félibres préparait des drames, si 
Ton en croit une précieuse indiscrétion , Roumieux composait 
des comédies. Une seule a paru : Quau vàu prendre dos lebre a 
la fes n'en pren ges, proverbe en trois actes et en vers , qui ob- 
tint le prix (joio) aux Jeux floraux d'Apt, le 14 septembre 1862, 
et qui serait certainement mieux nommée lou Retra d'Agueto, 
ainsi que Fauteur me paraît en avoir le désir. Un dialogue 
animé, une intrigue simple et rapide, des situations amusantes, 
telles sont les qualités qui la distinguent. En ce moment il en 
termine quatre autres: le Passerai, Entre cousin et cousino, 
Très Testo dins un bounet, et Rissoulet, d'un genre analogue. 

Louis Roumieux est surtout le poète de la famille, de ses 
sentiments et de ses tendresses intimes, de ses peines et de 
ses joies ; il en a le calme et la douceur. Il faut peu de chose 
à son âme pour le satisfaire, et ce peu, elle a su se le donner. 
Pour les âmes pures, qui n'ont pas cédé aux préjugés ridicules 
de ce monde et qui ne s'épouvantent pas de ce que les liens 
du cœur ont de trop exigeant , la poésie est au foyer domes- 
tique. Il est la source de la vie sociale ; or, plus l'on approche 
de la source d'un fleuve, plus l'onde est limpide et fraîche. 

Achille MoNTEL. 



ÉCRIVAINS CONTEMPORAINS EN LANGUE D'OC 



REMY MARCELIN 



Long dou camin. - Avignon, Roumanille, éditeur ; 1866. 

La publication la plus récente qui se rattache à TEcole des 
félibres, Long dôu camin, de M. Remy Marcelin, est écrite 
dans le dialecte provençal de Carpentras, qui est le même que 
celui d'Avignon, celui qu'ont employé Roumanille et Au- 
banel. 

M. Remy Marcelin possède à fond toutes les ressources de 
la langue dont il se sert. Pour la pureté, pour l'élégance, il a le 
droit d'être mis aux premiers rangs, et ces qualités sont d'au- 
tant plus remarquables chez lui que, s'il s'est adonné à la litté- 
rature romane, ce n'a pas été sans quelque hésitation. Après 
avoir, comme tous les enfants du peuple, reçu la première 
instruction à l'école des Frères, Marcelin fut envoyé par ses 
parents chez le curé d'un petit village suspendu aux flancs du 
Ventour. C'est là, sur les crêtes escarpées de Gigondas, em- 
baumées par les senteurs du thym, que l'enfant grandit, qu'il 
étudia sous la direction de son vénérable précepteur les lit- 
tératures de l'antiquité, et qu'à la vue des nobles exemples 
d'indépendance, de liberté, d'élévation morale, dont cet ensei- 
gnement était rempli, il sentit s'allumer en lui l'enthousiasme 
que suscite le spectacle des grandes choses. Mais son âme 
jeune et inexpérimentée ne savait pas où elle devait cher- 
cher un aliment pour cette flamme intérieure. Lorsqu'il dut 
quitter Gigondas pour entrer à Carpentras dans une maison 
de commerce, Marcelin se demandait encore quel but il don- 
nerait à ses généreuses aspirations. Les lettres l'attiraient, 
mais à quelle littérature devait-il confier l'impression des pen- 

11 



162 DIALECTES MODERNES 

sées qui T agitaient ? Le goût de la langue de ses premiers ans 
faiblissait en lui : 

Liuen di presto-man, 

Ai estudia loDg-tems lou bèu parla rouman. 
Que de gènt senso goust boutèron en douguiho, 
E, coume n'aviéu pas lou biais d'un Roumaniho, 
Un jour, désespéra, virave au franchiman *. 

Mais ses premiers essais en langue provençale trouvèrent 
de justes appréciateurs dans Técole des félibres, et Mistral, 
en lui envoyant de sincères félicitations, fixa définitivement 
ses aspirations et décida de sa vocation littéraire : 

Quand m'aguères dich en de ligne amistouso : 

« Vosli vers soun poulit, vosto lengo es courouso, 
Vosto pensado a près lou gàubi ] rouvençau », 
Ah l senliguère alor, pèr bound e pèr ressaut, 
La joio gansouia diotre moun jouiiie pitre, 
E iéu, qu'enveje pas ni fourtuno ni titre, 
Siguère urous, ami, d'aquéu pessu de sau . 

A partir de ce jour, sa voie lui apparut toute tracée, et il 
embrassa avec ardeur la cause que défendaient les félibres et 
qu'ils cherchaient vaillamment à faire triompher avec toutes 
ses justes conséquences. Ni les préoccupations du commerce, 
ni les distractions et les obstacles que sa profession de commis- 
vojageur apportait à ses études, ne purent lui faire oublier 
un seul moment le langage que sa jeunesse avait appris à bal- 
butier, et qui était devenu pour son âge mûr l'objet d'un véri- 
table culte littéraire. D'ailleurs , si les voyages le jetèrent 
souvent dans un milieu peu favorable au développement de 
ses idées, ils offraient en échange à sa pensée dominante un 
aliment toujours renouvelé. Marcelin eut à parcourir plusieurs 
fois la Provence, le bas Languedoc, et jusqu'à la Catalogne : 
il put visiter ainsi tous les lieux célèbres dans l'histoire de la 
Provence, tous les centres où s'était manifesté le mouvement 
de la Renaissance littéraire. De plus en plus attaché à ce 



P. 146, 



REMY MARCELIN 183 

mouvement qui venait d'enfanter des chef-d'œuvres tels que 
Miréto ou la Miôugrano, il traduisait, en parcourant le Midi, 
toutes ses émotions; toutes ses aspirations, tous ses regrets , 
comme tous ses souvenirs, dans la langue d'oc renouvelée et 
rajeunie ; et, lorsqu'un jour ses amis voulurent connaître ce 
que le voyageur avait ainsi cueilli d'étape en étape dans ses 
pérégrinations, ils furent surpris et charmés de voir qu'il avait 
amassé, non pas une simple gerbe, mais toute une moisson. Ils 
insistèrent pour que cette œuvre, enfermée jusque-là dans le 
cercle étroit de l'intimité, fût enfin livrée au public; et, après 
quelques hésitations, l'auteur se décida, enfin, à faire paraître 
son recueil, sous ce titre, qui en dit si bien l'origine : Long 
dou camin. 

Long dou camin comprend trois livres : A Veigagno, Au 
souléu, A Vaurige, A teigagno (Dans la rosée), ce sont les pen- 
sées tendres, les notes voilées, l'aube des doux espoirs. La 
pensée est plus pleine, plus mûre, mieux éclairée dans la 
seconde partie. Au souléu (Aji soleil). Enfin, dans le troisième 
livre, A Vaurige (Pendant l'orage), les chants vibrent plus tris-' 
tement ; là sont rangés les espoirs déçus, les plaintes et les 
anathèmes. 

Dans chacun de ces trois livres, dans les genres si divers 
qu'il aborde, Marcelin déploie, avec une langue colorée, une 
inspiration abondante et facile. On sent qu'il est poète par 
nature, et qu'il se laisse aller au charme d'entendre couler de 
son propre fonds cette musique sonore et harmonieuse. Lui- 
même l'a fort bien dit : 

Quand sian nascu pouèto, e qu'uno voues amigo. 
Risènto e piéutejant, de longo nous coutigo, 
Avèn bel à vira, bel à countourneja, 
Gontro tout pensamen ansin nous eigreja, 
Arribo un jour, pecaire l ounle la jouino flho 
Dintre noste cervèu en foulejan s'esquiho. . . 
Alor, alor sian près, e fau cansouneja. 
Se voulèn au papié counûsa nôsti peno , 
Lou vers desboundo alor de nosto amo trop pleno : 



164 DIALECTES MODERKES 

Pensado, souveni, darun et nivoulas 1 
Âfouga mai-que-mai, oublidan que sian las ; 
£, quand avèn escri de 16ngui plagniludo, 
Enfeta d*ai et d'oui Tecô di soulitudo, 
Disèn desalena : Bôu bon Dieu, quet soûlas 1 

Tan fa, tan va: zou mai ! fau i'escranca la plumo ! 

Tè| dou fio que i'anan nosto alenado fumo ; 

Pôr atrouva'n sujet tafaran de pertout ; 

Sus un vers mal-eisa susan à gros degout ; 

Piôi, quand Tavèn ajoun, quand la pèço es ooumplido, 

Qu'en la relegissènt nous parèis proun poulido, 

Nous escoundèn renous. . . avèn fa rèn de tout ! 

Ren de tout! Personne ne le dira avec Fauteur ; mais peut- 
être a-t-il senti, quand il a poussé ce cri exagéré, qu'il 
manquait, au fond, quelque chose à son œuvre, et que sa 
pensée , pour si mélodieusement et si élégamment qu'elle 
soit exprimée, n'a pas atteint la plénitude de l'expression. 
Marcelin, en effet, a les défauts de ses qualités. Sa facilité 
même l'empêche de chercher, par un effort plus laborieux, le 
fond intime de ces sujets à la surface desquels il se joue, en j 
répandant à profusion la lumière et la couleur. Aussi, bien que 
possédant pleinement l'instrument du langage, il est loin d'at- 
teindre à ce degré d'originalité où sont parvenus les maîtres 
de la Renaissance provençale. 

Il ne suflSt pas, en effet, d'employer une langue originale 
pour faire une œuvre poétique originale ; cette faculté, si peu 
connue et si considérable dans le jeu de la pensée humaine, 
qu'on appelle l'association des idées, a des puissances mysté- 
rieuses sur lesquelles l'écrivain ne saurait trop réfléchir : elle 
unit par un lien secret, non-seulement la pensée à la pensée, 
mais encore la pensée au signe qui l'a exprimée naguère ou 
qui va l'exprimer tout à l'heure ; elle produit ce phénomène 
visible pour tous ceux qui scrutent la nature même du langage, 
que la langue qu'on parle détermine souvent la pensée qu'on 
pense, sans doute parce que la manière d'être particulière de 
la pensée a fait beaucoup pour la constitution particulière de 



REMY MARCELIN 165 

la langue. Et, en poussant plus loin dans cet ordre d'idées, il 
est juste de dire qu'il est telles choses qu'on ne pense instinc- 
tivement, naïvement, naturellement, que dans telle langue, et 
qu'à chaque langue correspond une originalité spéciale dans 
la pensée. C'est cette originalité qui nous semble faire parfois 
défaut chez Marcelin. Il aborde les sujets par des points de 
vue trop généraux, par des surfaces trop larges, pour qu'il 
puisse faire ressortir les nuances, les perspectives, les détails, 
où l'originalité de la pensée languedocienne se manifeste. 
Son inspiration, qui trouve trop facilement une expression 
abondante, faute d'être resserrée, condensée, maîtrisée, laisse 
souvent à désirer sous le rapport de la composition et de la 
gradation dans les développements. Qu'on lise par exemple 
la pièce intitulée Aro e passa-tèms : la première partie est 
charmante ; il s'agit des doux souvenirs qu'a gardés l'auteur 
de ses jeux d'autrefois avec une jeune ôll^, compagne de son 
enfance : 

Quand, passa-tèms, fautoulejave 

' Mé ta titèi. 
E que, souvent, la niue sounjave « 

Detibebèi 



E quand, pièi, pèr manca l'escolo 

Erian malaut, 
Patouiavian dins la rigolo 

A péd descaus ; 
Sèmpre gaiard, l'amo fouieto, 

De-pescoundoun, 
N'en fasian de cambareleto 

Suslou pradoun 1.... 

0, m'ensouvèn qu'ères bèn messo 

Ivèr-estiéu, 
E pèr te vèire à la grand-messo, 

Goume courriéu ! 
Me partejaves lis estreno 

Dou jour de l'an ; 
Te li rendiéu pièi en agreno 
Bl bouquet blanc. 



1^ DIALBCTES M0DBRNB8 

Yèngue Bèu-caire émé sa fiero : 

L'iue beluguet, 
Te veirai plus urouso el fiero 

Detijouguet 

Sian plus l'enfant que mangigouto 

De brassadèu ; 
Dins moun got se quicon degouto, 

N*es plus de mèu. 
Aro per iéu la lu no es palo, 

Rën me fai gau ; 
Aro ai aqui sus moun espalo 
Goume un quintau. 

Cela est plein d'une simplicité, d'une naïveté touchante. 
Mais ces souvenirs pleins de détails si naturels, si vrais, où 
rien ne sent la recherche et Tafifectation, sont interrompus, 
chaque huit vers, par une plainte, destinée à leur opposer le 
contraste de l'amertume des temps présents : 

E vuei, pecaire l ma vidasso 
Amarejo dins lou mourbin ; 
B trop souvent moun pèd s'estrasso 
I vièi roumese dou camin. 

Certes, voilà qui est dit en termes choisis ; on ne peut pas 
dire d'une façon plus élégante: « Aujourd'hui, je suis malheu- 
reux. » Mais on le dit ou trop ou pas assez longuement : trop 
longuement pour que le cœur éprouve un de ces coups subits 
qui le pénètrent sans qu'il ait le temps de réagir ; pas assez 
longuement pour que l'émotion naisse de l'analyse de la dou- 
leur qu'on veut peindre pour la faire ressentir. La pensée se 
perd dans une généralité trop vague, et avec elle se perd le 
mérite d'une expression heureuse qui, appliquée à la peinture 
de telles ou telles particularités de la souffrance, eût pu 
employer d'une manière vraiment originale sa richesse et ses 
couleurs. 

Or, que les écrivains contemporains en langue d'oc ne 
l'oublient pas : si leur langue peut reconquérir la place à 
laquelle elle a droit, c'est à la condition de sauvegarder avant 



REMY MARCELIN 167 

tout cette originalité intime qui vient plus encore du fonds de 
la pensée que de la variété du vocabulaire. Avant de cher- 
cher à traiter les sujets les plus généraux par les côtés ac- 
cessibles à tous, avant de considérer le monde par les points 
de vue qui appartiennent à tous les peuples et à toutes les 
races, la langue d'oc doit, longtemps encore, pour faire recon- 
naître ses titres de noblesse, s'attacher à découvrir dans nos 
campagnes magnifiques, dans le cœur ardent et généreux des 
fils du Midi, des mines encore inexploitées, qu'elle seule peut 
ouvrir au soleil et à la lumière. C'est ainsi qu'elle prou- 
vera qu'elle n'est pas seulement une superfluité agréable, mais 
bien un membre légitime de la grande famille des langues 
modernes. 

Est-ce à dire qu'elle devrait s'interdire d'aborder les sujets 
plus spécialement contemporains, les questions d'une actualité 
brûlante qui naissent d'elles-mêmes ou que l'esprit de notre 
siècle se plaît à susciter ? — Ce serait bien mal comprendre 
notre pensée que la pousser à cet excès : autant vaudrait con- 
damner les efforts que fait la langue d'oc pour reconquérir son 
rang parmi les langues vivantes : ce qui vit doit vivre avec ce 
qui l'entoure et respirer dans la même atmosphère. Mais que 
les écrivains qui parleront en langue d'oc de ces questions, 
écloses dans un milieu où cette langue est comme une nou- 
velle venue , n'oublient jamais son caractère et sa nature : 
qu'ils évitent soigneusement ces mots abstraits, ces générali- 
sations chères aux langages modernes; qu'ils se rappellent 
qu'ils parlent une langue concrète, faite pour montrer les 
hommes et les choses en mouvement, et non pour jouer avec 
les formules extraites du milieu social par une savante et lon- 
gue réflexion. Dans cet ordre d'idées, le recueil de M. Marce- 
lin nous offre quelques heureux exemples. Un certain nombre 
de pièces, / Catau, lou Mes de mai de 1867, lis Despatria, Après 
la bataio, D'aut! d'auti sont inspirées par un souffle où respire 
l'âme troublée, mais généreuse de nos temps incertains ; et si 
l'auteur est quelquefois, à notre avis, sorti de la voie que nous 
indiquions plus haut aux poètes méridionaux, il l'a générale- 



i 



168 DIALECTES MODERNES 

ment suivie, guidé par un sentiment profond des véritables 
beautés et des conditions naturelles du langage qu'il manie si 
bien. 

En résumé, Long dou camin est une œuvre qu'on lira avec 
plaisir et où Ton trouvera une langue toujours élégante et 
riche, beaucoup de grâce, une pensée parfois originale, et 
partout un amour profond de Fart et de la Provence. Faire un 
choix parmi les pièces du recueil serait s'exposer à présumer 
du goût de tout le monde d'après les préférences dues à telles 
ou telles dispositions personnelles. Toutefois nous croyons 
pouvoir recommander au lecteur, outre les pièces dont nous 
avons parlé, celles qui sont intitulées : Se poudiéu, hu Flas- 
quet de mèste Miqueu, Vivo la fiolo, Moun ai, Font-Segugno, 
A Mistral, A travès camp; Dorme, moun enfantoun; la Vido, 
la Mort, etc., etc. 

A. Glaize. 



VARIÉTÉS PHILOLOGIQUES ET LITTÉRAIRES 



LA LITTERATURE DU MOYEN AGE 

ET LE ROMANTISME 



Xieçon d'ouverture du cours de littérature française à la Faculté des 

lettres de Montpellier ( année 1869-70 ) 

Messieurs, 

En terminant, Tannée dernière, nos études sur le xviii' siè- 
cle, nous avons vu paraître pour la première fois, en France, 
l'expression de littérature romantique. M°® de Staël, qui natu- 
ralisait parmi nous cette façon nouvelle d'entendre un mot 
d'origine française, appelait ainsi, d'après les Allemands*,, la 
littérature née du christianisme et de la chevalerie, du moyen 
âge et du développement naturel des sociétés modernes. L'épi- 
thète fit fortune, et les écrivains qui voulurent, pendant la 
Restauration, renouveler l'art nationalet l'émanciper de la 
mythologie et des conventions classiques, adoptèrent hardi- 
ment ce nom de guerre. 

D eût été fort intéressant. Messieurs, d'examiner avec vous 
les théories de l'école nouvelle, de vous raconter les violents 
déhats qu'elles ont soulevés dans le monde des lettres, et d'ar- 
river, en constatant leurs changements et leurs atténuations, 
à la littérature même de notre temps. Mais les exigences du 

' (1) Le mot roman désignait, chez tous les peuples de souche latine, 
la langue* vulgaire, la langue moderne. L'adjectif romantique exprime 
donc asssez bien, au moins pour les nations néo-latines, la différence 
entre les littératures classiques, imitées de l'antiquité, et celles qui pré- 
tendent puiser uniquement leurs inspirations dans les traditions et les 
mœurs des sociétés modernes. 



170 VARIBTBS PHILOLOGIQUESS ET LITTERAIRES 

règlement nous ramènent ed arrière et me forcent de choisir, 
cette année, mon sujet dans Thistoire littéraire du moyen âge 
et de la Renaissance. 

Nous étudierons^ en conséquence, le commencement des let- 
tres françaises, depuis les chansons de geste jusqu'à Villon, en 
donnantprincipalement notre attention au xii^et au xiii® siècles, 
c'est-à-dire à la période la plus florissante et la plus origi- 
nale du moyen âge. Mais cette nécessité même de revenir 
sur nos pas nous permet de ne point perdre complètement de 
vue nos études de Tannée dernière : puisque le romantisme 
croit sortir du moyen âge et de la chevalerie, nous aurons 
souvent l'occasion de vérifier par des comparaisons fécondes 
l'exactitude de cette assertion, et le rapprochement des deux 
époques nous permettra de les mieux comprendre l'une et 
l'autre. 

Ces comparaisons ne nous feront toutefois pas oublier l'ob- 
jet principal, et nous étudierons, avant tout, le moyen âge 
pour lui-même. Il en vaut la peine, je vous assure, et tient 
dignement sa place, une place trop longtemps méconnue par 
les délicats des âges classiques, dans la gloire littéraire de 
notre pays. 

Seulement, Messieurs, avant de l'aborder, gardons-nous 
bien d'un écueil où viennent souvent échouer, sans s'en aper- 
cevoir, ceux qui veulent s'occuper de cette époque: ne la fai- 
sons pas d'avance trop belle et trop poétique. Quand on la 
regarde de loin, des images enchanteresses présentent un 
séduisant mirage aux yeux éblouis. Les harnais des paladins 
brillent au soleil, les palefrois hennissent, les blanches haque- 
nées piaffent dans les cours, en attendant les belles châte- 
laines ; le son retentissant des cors se mêle aux aboiements des 
limiers ; les herses des ponts-levis s'abattent ou se soulèvent 
avec fracas ; la lumière rayonne sur les heaumes d'or et les 
bonnes lames de Tolède: tout remue, tout brille, tout chatoie. 

Faut-il vous dire, Messieurs, que tout ce mouvement, toute 
cette couleur, toute cette lumière, l'imagination seule en fait 
les frais, et que rien de semblable ne se rencontre ordinaire- 



LA LITTERATCRB DU MOYBN AGE 171 

ment dans la littérature du moyen âge ? Vous y trouverez, je 
n'en saurais disconvenir, des hommes d'arme et des dames, 
des chiens et des chevaux, des châteaux et des tours, du fer 
et même de l'or; mais les couleurs poétiques qui pourraient 
animer tout cet ensemble y manquent presque toujours. Tout 
est gris, terne, monotone, on pourrait même dire trivial, et, 
sauf de rares exceptions qu'on signale et qu'on peut compter, 
cet âge ^i pittoresque n'a laissé de lui-même qu'une image où 
les nuances les plus éclatantes s'effacent et se décolorent*. 

C'est pourtant dans cette image qu'il faut la considérer, car 
toutes les autres sont infidèles et mensongères; et qui les con- 
sulte peut admirer la riche et poétique imagination d'un mo- 
derne , il ne connaît pas certainement la vraie littérature du 
moyen âge. 

Le réalisme est donc ici nécessaire, non-seulement parce 
qu'il est la science et que, seule, elle a le droit de se faire en- 
tendre, mais aussi parce que ces ornements d'emprunt, ainsi 
jetés par notre goût contemporain sur la rouiUe de ces vieux 
âges, en cachent aux yeux la naïve et véritable beauté. 

Et le réalisme est aujourd'hui facile, car la mode et la 
science ont travaillé de concert à mettre au jour les monu- 
ments de cette littérature, enfoncés trop longtemps dans un 
dédaigneux oubli. La France a commencé, comme presque 
toujours; puis elle s'est arrêtée. Après du Gange, notre du 
Gange, que ne devrait point faire oublier, ainsi qu'il arrive 
souvent au delà du Rhin, le nom de son dernier et savant 
éditeur, Henschell; après l'abbé Lebœuf, La Gurne de Sainte- 
Palaye, Raynouard et Fauriel, les Allemands se sont mis à 
l'œuvre, l'illustre et vénérable Diez à leur tête, et se sont 



(1) Voir M. Alfred Michiels, Histoire des idées littéraires en France^ 
tom. l"yip. 59. Nous avons fait plusieurs emprunts à ce livre, comme aussi à 
VHistoire littéraire de France ( tom. XXII, XXIII et XXIV principale- 
ment) et aux Épopées françaises de M. Léon Gautier. Pour ne pas char- 
ger cette leçon de notes et de citations, nous indiquons en uae seule foi^ 
les auteurs qui nous ont particulièrement aidé. 



172 VARIETES PHILOLOGIQUES ET LITTERAIRES 

comme emparés de ce riche placer. Et, maintenant, tous y 
accourent : les œuvres de nos troubadours et de nos trouvères 
sont avidement recherchées jusqu'en Finlande, et Ton com- 
mence à s'en occuper, même en France, en dehors de l'Ecole 
des chartes. 

Et dans notre ville de Montpellier, que le moyen âge avait 
faite si célèbre, si libre et si riche aussi, vojez-en la preuve 
dans les livres de l'infatigable historien que vous a donné 
notre Faculté des lettres; dans notre ville de Montpellier, 
voici que d'intrépides chercheurs unissent leurs efforts pour 
populariser parmi nous l'étude des langues romanes. Je suis 
heureux de saluer leurs espérances de cette même place où 
professait, il j a vingt ans, M. Jubinal, à qui notre vieux fran- 
çais doit de si nombreuses et si précieuses publications ; où 
s'asseyait naguères le cher collègue dont la fondation de cette 
Société des langues romanes fut le dernier effort et le dernier 
succès. 

Travaillez, Messieurs, travaillez sans relâche, car la mine 
est inépuisable, et tous les filons n'en sont pas encore décou- 
verts. Mais, dès à présent, les fouilles sont trop avancées poup 
que l'on ait encore besoin de demander à l'imagination et à 
l'enthousiasme la véritable physionomie du moyen âge litté- 
raire. Déjà, du moins en ce qui concerne le nord de la 
France, les monuments sont, en grand nombre, revenus au 
jour, et, comme ils ont tous un air de famille, ils laissent de- 
viner le caractère de ceux qui sont encore ensevelis dans les 
bibliothèques et dans les archives. 

Eh bien! quand on examine ces vieux monuments du génie 
de nos pères, ce qui frappe encore, au premier coup d'oeil, c'est 
leur incontestable originalité. Qu'on l'admire ou qu'on la dé- 
nigre, cette littérature appartient bien au moyen âge. Ignorant 
et grossier, son ignorance même le préserve d'une imitation 
servile. Comment imiter ce qu'on ne connaît pas? Les trouvères 
qui, dans leurs chansons de geste, chantaient d'Olivier, de 
Roland ou de Guillaume, en s'accompagnant de la rote ou de 
la viole, ne savaient pas assurément qu'ils faisaient quelque 



La LITTERATURE DU MOYEN AGlS 17d 

chose d'analogue à Tlliade, et qu'un jour leur œuvre, religieu- 
sement étudiée par toute l'Europe savante, s'appellerait l'épo- 
pée française. Avaient-ils même entendu parler d'Homère ou 
de Virgile, eux qui ne connaissaient la guerre de Troie que 
par les récits mensongers du faux Dictjs de Crète ou du non 
moins faux Darès le Phrygien? Aussi voyez à l'œuvre Hugues 
de Rotelande ou Benoît de Sainte-More : comme ils arrangent 
et comme ils affublent les héros grecs ou troyens ! 

Ce sont tout simplement, de nom et de costume, des barons 
féodaux, moult preux et moult courtois, qui ne manquent pas 
dans leurs voyages, d'aller rendre visite au roi Arthur, savent 
les anciens lais et montrent, en courant le monde, de tendres 
faiblesses pour de faciles châtelaines. On dirait des paladins 
de Charlemagne ou des chevaliers de la Table ronde. Et telle 
est. Messieurs, la puissance de l'imagination et de la poésie : 
cette métamorphose qu'Ovide avait oublié de chanter fut ac- 
ceptée dans la patrie d'Homère, et l'on traduisit dans la langue 
défigurée du vieil aède les souvenirs non moins altérés de 
riUade. 

L'originalité, cette qualité si rare, même aujourd'hui que 
tout le monde se vante d'en avoir, n'est pas le seul mérite de 
ces nouveaux rapsodes. 

Trouvères et troubadours, se partageant en quelque sorte 
le domaine de l'art, ont à Tinfini multiplié les formes de la 
poésie. La chanson de geste, avec ses deux branches principales, 
celle de France et celle de Bretagne, les poëmes d'aventure, 
le romande Renart,les lais, les sottes chansons, les Bibles, les 
doctrinaux, les fabliaux, les allégories, les mystères et tant 
d'autres genres encore qu'il serait fastidieux d'énumérer ici, 
mais sur lesquels nous reviendrons en détail, prouvent assez 
Tinépuisable fécondité des trouvères. Et si, dans le Midi, les œu- 
vres épiques paraissent assez rares et jusqu'ici faciles à comp- 
ter - Girard de Roussillon, Fierabras, Lancelot du Lac, Jaufre 
et Brunisende — en compensation la poésie lyrique et la poé- 
sie satirique s'épanouissaient à l'aise, et sous des formes aussi 
variées qu'originales, à votre ardent soleil. Les aubades et les 



174 VARIETES PHILOLOGIQUES ET LITTERAIRES 

sérénades avec leurs joyeux refrains, les ballades aux symétries 
si compliquées, témoignent encore de la gaieté folle et de l'es- 
prit ingénieux de vos pères. Que dire de ces discorts qui per- 
mettaient tant de variété dans les couplets, la mesure et les ri- 
mes, de ces tensons animés par la vivacité méridionale, de ces 
sirventes énergiques et si souvent cruels, de ces pastourelles 
naïves et gracieuses où vos bergers et vos bergères soupiraient 
dans un langage que ne leur avaient point appris Théocrite et 
Virgile ? Et la fécondité de nos anciens rimeurs ne se bornait 
point à trouver des genres poétiques ! Leur vigueur d'invention 
se manifestait encore plus dans la variété merveilleuse des idées 
ou des récits dont ils remplissaient ces cadres nouveaux. Que 
de héros, longtemps populaires, sont sortis, on ne sait com- 
ment, de quelque obscure chronique, vivifiée par Timagination 
d'un trouvère ou d'un troubadour ! Amadis, le beau Ténébreux; 
le charmant Galaor; Tristan, si fatalement déloyal envers son 
oncle le roi Marc; la belle et fragile Yseult, la reine Gene- 
viève et tant d'autres personnages dont les exploits, les amours 
et les enchantements, ont si longtemps amusé nos pères. Et les 
héros de l'histoire, quelle existence nouvelle et merveilleuse 
n'ont-ils pas reçue de ces ignorants continuateurs d'Homère ! 
Quatre mots d'Eginhart, voilà tout ce que disent les annales 
des temps carlovingiens sur le fameux Roland, u préfet des 
marches de Bretagne, qui périt avec beaucoup d'autres » à 
Roncevaux. Que les trouvères se taisent, et Roland sera, 
comme tant de guerriers égaux en vaillance, enseveli dans 
une nuit profonde, sans éveiller ni regrets ni souvenirs. 

. ..Omnes iUacrymabiles 
UrgerUur, ignotique longa 

( HoBAT, Od. IV, 9. ) 

Laissez chanter Théroulde, ou le poète ignoré dont les rimes 
héroïques ont inspiré M. Mermet, le nom du comte d'Anjou 
remplira le monde, s'attachera aux rochers des Alpes, aux 
pics des Pyrénées, et restera dans la mémoire des peuples 
avec des traits plus vivants que celui de Charlemagne. Et 



LA LITTERATURE DU MOYEN AGE 175 

votre samt Guilhem, qu'a-t-il donc fait de plus que ses compa- 
gnons d'armes pour tant de renommée ? Il a combattu les Sar- 
rasins et fondé Tabbaje de Gellone au désert. Un guerrier qui 
se fait ermite et devient un saint dans sa solitude , c'était au 
IX® siècle une aventure ordinaire, qui donnait droit à une 
ligne dans un nécrologe, parmi le commun des martyrs. Mais 
la poésie s'empare du héros au court nez, embellit à plaisir 
ses propres aventures, lui prête celles d'une foule d'autres Guil- 
laume inconnus, allie son lignage à celui des plus vaillants pa- 
ladins, et, ne le laissant pas même achever en paix sa turbulente 
existence dans la solitude qu'il s'est choisie, le rend encore, par 
son appétit dévorant, sa voix tonnante et ses furieuses colères, 
aussi formidable aux reclus, ses compagnons, qu'il.l'était au- 
trefois aux Sarrasins. Et les bons moines de Gellone, prenant 
pour de l'histoire ces inventions des trouvères, en consignent 
une partie dans la véridique légende de leur saint fondateur. 
Néanmoins, cette poésie héroïque, tout abondante qu'elle 
est d'abord, toute prolixe qu'elle devient dans la suite, ne suf- 
fit point à épuiser le génie inventif de nos aïeux. Ils aiment 
les prouesses et les vaillances, mais ils aiment aussi les 
gaberies, les bons tours, les malices de tout genre. Ils chan- 
tent la fable du Renard avec autant de complaisance et de fa- 
cilité que les exploits de Guillaume et de Roland , et, quand 
ils ont à conter quelque joyeuse aventure, leur verve est inta- 
rissable, leur licence effrontée ne respecte rien. Toutes les 
conditions y passent: prélats et simples clercs, moines et reli- 
gieuses, chevaliers et nobles ds^mes, bourgeois et manants: 
tout est matière à leurs devis audacieux, depuis le paradis 
jusqu'à l'enfer. Ils ne craignent pas de faire descendre du Ciel 
la Mère de Dieu pour prendre dans un couvent la place de quel- 
que nonne fugitive ou pour représenter dans un tournoi le pieux 
chevalier qui s'attarde à entendre des messes ; ils suivent dans 
l'autre monde l'âme du pauvre vilain, et, après Tavoir bafoué 
sur la terre, le font exclure du paradis pour ses vices, de 
Tenfer pour ses habitudes sales et infectes, et ne lui laissent 
enfin de refuge que dans l'étrange royaume de Turgibus. 



176 VARIÉTÉS PHILOLOOIQOBS BT LITTÉRAIRES 

Que le conte d'ailleurs vienne de leur propre fond ou qu'ils 
rempruntent à Tlnde ou à l'Arabie, ils lui donnent toujours une 
physionomie originale, et, comme l'ont dit si bien les auteurs 
de V Histoire littéraire de France, ils rimeraient tous les contes 
de l'Orient, qu'ils seraient encore des conteurs français. 

Cependant cette poésie si nationale rayonne au dehors : elle 
éclaire et réchauffe toute l'Europe . A la fin du dernier siècle, 
Rivarol, dans un discours célèbre, vantait l'universalité de la 
langue française ; et c'était justice, puisque les écrits de nos 
philosophes remuaient le monde. Mais, quelle qu'ait été la po- 
pularité de Voltaire et de Rousseau dans l'Europe civilisée, 
elle n'a certainement pas dépassé la popularité anonyme de 
nos trouvères et de nos troubadours dans l'Europe du moyen 
âge. Leurs récits, colportés par les jongleurs, ont fait le tour de 
rOccident, et dans toutes les nations réveillé l'imagination poé- 
tique. En Angleterre, Chaucer, Gower etLygdate les traduisent 
et les imitent : ils deviennent les pères de la poésie anglaise ; 
Shakespeare lui-même recueille encore les traditions fran- 
çaises et les féconde par son génie . Les minnesingers de Ger- 
manie les mettent en rimes allemandes et ne craignent pas 
de prendre aux Welches maints récits de guerre et d'amour. 
La Suède, la Norwége, le Danemark, l'Islande elle-même, ré- 
pètent au fond du Nord les vieux récits de nos trouvères, et les 
Grecs du Bas-Empire, si dédaigneux pour les Francs, veulent 
bien descendre jusqu'à s'approprier les fictions populaires de 
ces Barbares ignorants, qui n'ont jamais ouvert un livre grec. 
Enfin, si l'Espagne et l'Italie se refusent, par vanité nationale, 
à convenir de leurs emprunts, elles se voient contraintes par 
la critique étrangère à restituer les heureux larcins que les 
fondateurs de leur langue ont faits à la vieille France. 

Une popularité si durable et si universelle n'a rien. Mes- 
sieurs, qui doive vous étonner, car cette littérature était la 
naïve expression de la société chrétienne. D'un bout de l'Eu- 
rope à l'autre, toutes les conditions se reconnaissaient dans 
les chants des jongleurs et des ménestrels. Les grands coups 
d'épée des paladins, leurs violentes colères, le sans-gêne brutal 



LA LITTERATURE DU MOYEN AGE 177 

et rindépendance avec lesquels ils servaient les rois, rappe* 
laient parfaitement leur propre histoire aux barons altiers et 
farouches. Puis, quand la poésie s'adoucit avec les mœurs, la 
galanterie chevaleresque des romans bretons et les débats des 
Cours d'amour allèrent chatouiller, dans ces cœurs féodaux, 
des passions plus douces et des sentiments plus délicats. Nos 
rimeurs eurent même des chants pour les rêveurs, si tant est 
qu'il s'en trouvât beaucoup parmi ces hommes que le besoin 
d'action tourmentait sans cesse ; et ceux que la vie positive 
ennuie, que le monde idéal seul peut satisfaire, trouvèrent un 
aliment dans les féeries et les poëmes d'aventure. 

Et qu'on n'aille pas croire que, dans ces temps trop légère- 
ment traités de grossiers et de barbares, la poésie demeurât 
sans action et sans influence sur les esprits et sur les mœurs, 
n y a dans le roman d'Asp remont une scène domestique pleine 
de simplicité et de grandeur. Girard de Fraite ou de Roussillon, 
l'ennemi personnel de Charlemagne, ne veut rien tenir de ce 
prince ; il s'estime homme de plus haut lignage que le roi de 
Fr^ince, et vient de refuser de le suivre à la guerre contre les 
Sarrasins. Emmeline, sa femme, arrive ; elle rappelle le fier 
et implacable baron au sentiment de ses devoirs envers Dieu, 
Damedeu, comme on disait au xui^ siècle : 

A mon pooir Damedeu vengeroie, 
El par saint Pierre de Rome revenroie, 
De mes pechiés Irès-tot confesserole 
Car tu es viels, et la char t'afebioie. 

Et le farouche pécheur s'incline humblement devant cft con- 
seil d'Emmeline : 

Girars rentend, li cuers liatenroie 
Moit docement li afie et otroie. 
Qu'après Karloa s*en ira droite voie. 

Pensez-vous, Messieurs, qu'en entendant le jongleur réciter 
cette belle scène, l'épouse féodale ne sentît pas mieux sa 
dignité de femme et sa puissance sur ces fiers courages ? Et, 
dans un autre ordre idées, quelle indomptable énergie les 

12 



178 VARIETES PHILOLOGIQUES £)T LITTERAIRES 

prouesses de ces vaillants guerriers ne devaient-elles pas en- 
tretenir dans les âmes ? Combien la mort héroïque de Roland 
n'a-t-elle pas fait de braves ? Mais combien aussi les exemples 
d' Yseult ou de Galaor n'ont-ils pas perdu de faibles cœurs ? 

C'est en entendant Taillefer <( qui molt bien cantoit, s'en 
aller devant eux cantant de Callemaine et de Rolland » , que 
les compagnons de Guillaume le Bâtard marchèrent au combat 
d'Hastings contre les Anglo-Saxons. 

C'est en lisant Lancelot du Lac que Francesca et Paolo 
oublièrent la foi conjugale. « Ce livre et celui qui l'écrivit 
urent pour nous un autre Galléhaut, et ce jour-là nous ne 
lûmes pas davantage. » Et Dante lui-même, après avoir mis 
ces paroles dans la bouche de la faible épouse de Lan- 
ciotto, s'évanouit de compassion et tombe comme mort à cet 
émouvant souvenir. 

lo veni meno corne s'io morisse 
Et caddi corne corpo morto cade. 

Ces romans qui racontaient les aventures des seigneurs ne 
charmaient pas seulement les barons et les clercs mondains ; 
ils faisaient également battre les cœurs des bourgeois, des 
vilains et des serfs ; car en tout temps l'homme du peuple et le 
paysan, pour qui la guerre est cependant si cruelle, ont subi 
le prestige de la grandeur et de la force, et les vers du poète. 

On parlera de sa gloire 

Sous le chaume bien longtemps, 

s'appliquent à toutes les époques et conviennent aussi bien 
aux héros du roman qu'à ceux de l'histoire. 

Les trouvères avaient d'ailleurs des rimes pour tout le 
monde et chantaient les roturiers comme les nobles. A vrai 
dire pourtant, ces poëtes mercenaires, qui vivaient aux gages 
des seigneurs, se faisaient trop souvent les injurieux inter- 
prètes des mépris et des haines féodales pour les bourgeois et 
pour les vilains. Le bourgeois, disaient- ils, est avare ; il est 
crédule, il trompe et vole sans cesse; il est digne de tous les 
bons tours. Le vilain est rusé, menteur, brutal, sale et infect. 



LA LITTÉRATURE DU MOYEN AGE 179 

Et vous savez, Messieurs, l'aventure de cet ânier de Mont- 
pellier, qui chaque matin recueillait avec ses deux ânes les 
immondices de la ville : il passe par hasard dans la rue des 
Epiciers ; Todeur des herbes aromatiques le suffoque, et, pour 
lui faire reprendre connaissance, il faut le frotter de fumier ; 

Quand cil sent du fiens la flairor 
Et perdi des herbes l'odor, 
Les oels ouvre, s'est suz saillis 
Et dist que il est toz garis. 

Mais, malgré ces injures, le trouvère est de la race des 
vilains; il s'en souvient dans Toccasion, et les venge alors 
de leur longue et cruelle oppression par la malice effrontée de 
ses fabliaux et la vigueur de ses satires. 

Voilà pourquoi les récits et les chansons des jongleurs 
avaient partout tant de vogue ; ils s'adressaient à toutes les 
classes et pour toutes avaient des amusements ou des émotions. 
Ne serait-ce pas folie à nous autres Français, sortis du même 
sang que ces poètes qui remuaient si bien les cœurs et savaient 
si bien se faire écouter dans toute l'Europe, de mépriser ou 
même de négliger leur héritage ? Néanmoins, il ne faut pas le 
dissimuler, tant de vogue et tant de gloire n'ont point garanti 
leurs œuvres de l'oubli. Pourquoi donc? On pourrait en donner 
bien des causes; mais il en est une que je ne dois pas omettre 
ici et qu'a parfaitement exposée M. Leclerc, dans son Discours 
sur VÉtat des lettres au XI V^ siècle. 

Comme ces poètes si populaires ne joignaient pas à leur 
génie d'invention les soins et l'art délicats qui peuvent seuls 
assurer aux œuvres de l'esprit une immortelle durée, leurs 
conceptions les plus neuves vieillissaient rapidement par le 
style et passaient en d'autres mains. Voyez, au contraire, leur 
disciple et leur heureux imitateur Pétrarque. Il travaille avec 
soin ses vers, les remanie sans cesse, et, se faisant comme un 
devoir de conscience de les rendre meilleurs, consacre princi- 
palement le vendredi, son jour de jeûne et de pénitence, à la 
fatigue des corrections. Et que gagne-t-il à ces religieux efforts ? 



180 VARIÂTES PfilLOLoaiQUËS ET LlTT^lRAlRËâ 

n devient un des créateurs de la langue italienne, tandis que 
nos anciens rimeurs, qui ne corrigeaient guère — même le 
vendredi — n'ont pas mérité que leur langue ne mourût pas 
et fît durer avec elle leurs contes et leurs épopées. 

Aussi, Messieurs, rien n'est-il plus vulgaire et plus terne 
que le stjle de ces improvisateurs faciles. Ils ont des idées et 
des intentions ; ils rencontrent quelquefois des mots heureux, 
même des expressions sublimes ; ils offrent çà et là des détails 
charmants de grâce et de naïveté ; mais ce ne sont pas des 
écrivains, et dans les meilleurs, dans la Chanson de Roland 
par exemple, T énergie des sentiments, la grandeur dramati- 
que des scènes, l'héroïsme sauvage des caractères, ne sufïïsent 
pas pour faire oublier l'absence presque complète du style et 
la vulgaire monotonie de l'expression. Tels sont, Messieurs, 
les caractères principaux de la poésie du moyen âge : une 
évidente originalité dans les genres ; une grande vigueur d'in- 
vention dans les sujets; la peinture naïve et fidèle des idées, 
des sentiments et des mœurs ; beaucoup de facilité, de naturel, 
d'enjouement, de vivacité d'esprit, de clarté même — car en 
France la clarté est une qualité de race, elle y précède sou- 
vent même le travail ; — mais en même temps une prolixité 
sans mesure, une excessive négligence et, par suite, un style 
trop plat, trop vulgaire et trop monotone, pour ne point périr. 

Et maintenant il nous est facile de répondre à la question 
que nous nous sommes posée au commencement de cette leçon 
et de comparer cette littérature avec l'école qui prétend en 
être issue. 

Assurément, si nous nous arrêtons à la forme, rien ne se 
ressemble moins que le romantisme et la littérature du moyen 
âge. Le romantisme, loin de négliger le style, l'aime au con- 
traire avec excès : il fouille, il ciselle l'expression ; il voudrait 
lui donner la trempe de l'acier, la solidité du marbre, le feu du 
diamant. Et si parfois un mot trivial, un terme populaire, tran- 
che au milieu de cette richesse éblouissante, la trivialité n'est 
qu'un artifice et la négligence une recherche de plus. Si donc 
on entend par naturel la naïve simplicité des vieux âges, rien 



LA LITTERATURE DU MOYEN AGE 181 

de moins naturel que le romantisme, rien qui soit moins 
conforme à la facile improvisation des trouvères. 

Mais, nous Tavons vu, les vers de cesrimeurs prolixes étaient 
la fidèle image des mœurs de la vieille France, et jamais poé- 
sie ne fut plus nationale. Serait-ce donc par ce côté que le 
romantisme ressemblerait au moyen âge? Certainement, 
Messieurs, à ne consulter que son origine, on pourrait le con- 
tester. Le romantisme est entré chez nous, comme d'excel- 
lentes choses du reste, à la suite des étrangers : sa naissance 
est contemporaine de nos désastres. 

Au bruit de lugubres fanfares 
Hélas i vos yeux se sont ouverts. 
C'était le clairon des Barbares 
Qui vous annonçait nos revers. 

C'était, en effet, TEurope qui se vengeait par ses écrivains de 
la longue domination de notre littérature, en même temps que 
ses soldats secouaient le joug de nos armes; et Schlegel, en 
essayant d'ébranler Molière, obéissait au même sentiment de 
gallophagie qui poussait Bliicher contre la colonne Vendôme 
et le pont d'Iéna. Et pourtant, malgré Béranger, qui chantait 
devant un aide de camp de l'empereur Alexandre : ^ 

Si Ton est Prussien en Prusse, 
En France, soyons Français, 

l'on allait chercher des règles de goût en Germanie, et le 
mot célèbre, « nos bons amis les ennemis», était également à 
l'ordre du jour en littérature. 

Par conséquent. Messieurs, si l'on voulait appliquer rigou- 
reusement au romantisme l'arrêt prononcé par sa marraine, 
M"' de Staël : « L'imitation des étrangers, sous quelque rap- 
port que ce soit, est un défaut de patriotisme » , on pourrait 
l'accuser de n'être pas national. 

Mais ne soyons pas si sévères, car nous sortirions de la jus- 
tice et de la vérité. Non, les jeunes écrivains qui fondèrent la 
nouvelle école ne manquaient pas de patriotisme; ils aimaient 
au contraire ardemment leur pays, et le témoignaient même 



182 VARIÉTÉS PHILOLOGIQUES ET LITTERAIRES 

d'une manière toute française : d'autant plus fidèles à Tesprit 
national qu'ils s'érertuaient davantage à dénigrer notre litté- 
rature. (( C'est là, disait Huet, notre génie français, de négli- 
ger ce que nous possédons pour courir après ce qui vient de 

loin. » 

Heureux défaut. Messieurs, et peut-être une des causes les 
plus certaines de notre grandeur et de notre influence dans le 
monde ; car on peut appliquer à notre pays ce que Saint-Simon 
disait de Louis XIV : « Il est capable d'emprunter d' autrui, 
sans imitation et sans gêne .» J'aurais donc mauvaise grâce à 
blâmer les romantiques d'avoir demandé des modèles aux 
étrangers. Puisque l'art de Corneille et de Racine était vieilli, 
qu'il se mourait de langueur et d'ennui, c'était bien d'essayer 
de le rajeunir et de le transformer à l'aide de Schiller, de 
Calderon et de Shakespeare. Puisque les règles classiques 
étaient trop étroites pour les temps nouveaux, qu'elles étouf- 
faient le talent déjà même sous l'ancien régime, c'était bien 
de s'en affranchir et d'opposer à notre servitude la franchise 
et l'indépendance de la poésie étrangère. 

Emprunter des exemples et des inspirations à l'Europe tout 
entière, c'était d'ailleurs, en quelque sorte,' reprendre notre 
bien, ramener en France les côtés perdus de l'art national et 
les traditions françaises, émigrées depuis la Renaissance. C'est 
en ce sens qu'on peut dire que nos romantiques, en se tour- 
nant vers les étrangers, se rapprochaient de la France et 
revenaient au moyen âge. 

Mais, cette ressemblance à part, ne sont- ils pas tombés dans 
une étrange illusion lorsque, à leur début, ils se sont présentés 
pour ses héritiers et ses continuateurs ? 

Le moyen âge et le romantisme, ou, pour appeler d'un 
nom plus juste notre littérature affranchie, l'art du xix® siècle; 
mais ce sont les pôles opposés du monde intellectuel. 

Sans doute, le moyen âge a produit d'admirables choses. 
Bien mieux que nos époques de nivellement et d'égalité, dans 
lesquelles les caractères s'effacent et l'individu perd une 
partie de sa force au profit du nombre, il permettait à l'homme 



LA LITTERATURE DU MOYEN AGE 183 

de déployer toute sa valeur ; il a prouvé, dans des siècles 
d'anarchie politique et de violence matérielle, ce que pouvaient 
pour le bien le sentiment religieux et Taccord des volontés et 
des cœurs. Sous le rapport de Fart, il a créé tant de merveilles 
que la civilisation moderne est obligée de confesser, par la 
bouche d'un de ses défenseurs les plus convaincus, son irré- 
parable infériorité*. Enfin, malgré tous nos progrès et ces 
constitutions savamment équilibrées, dont nous faisons depuis 
quatre-vingts ans une si prodigieuse consommation, il pourrait 
encore nous donner des leçons de liberté avec les barons d'An- 
gleterre ouïes communiers de Flandre, si ardents à conquérir 
et si énergiques à défendre leurs privilèges et leurs fran- 
chises. 

Cependant, le monde a marché depuis le xive siècle, et ce 
qui suffisait alors à l'esprit humain ne saurait aujourd'hui le 
satisfaire. L'architecture gothique est vraiment une manifes- 
tation grandiose du génie de l'homme, mais l'imprimerie vaut 
mieux encore. La foi du moyen âge enfantait des prodiges de 
dévouement et de charité : elle nous a donné saint Louis, « cis 
sainz hom» qui, suivant les naïves expressions de Joinville, 
« ama Dieu de tout son cuer et ensuivi ses œuvres ; et j appa- 
rut. » Mais cette foi dans la pratique était trop souvent pué- 
rile, superstitieuse et intolérante ; elle étouifait l'esprit sous la 
lettre, ne se défendait pas de parole, « ne mais de l'espée w, 
et, dans sa frayeur du changement, traitait de méchants et 
de fils des hommes les inventeurs de nouveautés. Cette foi 
naïve et crédule, si violemment exclusive, est -elle encore 
la foi du XIX® siècle, et peut- on dire qu'elle ait inspiré ses 
poètes ? 

Et les libertés mêmes des barons ou des bourgeois, devons- 
nous les désirer pour nous-mêmes et pour nos enfants ? Ces li- 
bertés-là, c'était trop souvent, avec l'indépendance des indivi- 
dus ou des corporations, le pouvoir d'opprimer les faibles, les 

' M. Renan, Disc, sur l'état des beaux-arts en France au XIV' siècle. 
{Hist. lut, de France, tome XXIV, p. 757.) 



184 VARIETES PHILOLOGIQUES ET LITTERAIRES 

voisins; c'était Texclusion, le droit toujours armé, Tétat de 
guerre en permanence , c'est-à-dire ces luttes horribles de 
tous les jours, dont un chroniqueur contemporain disait: 
(( On y commet, de part et d'autre, tant de violences et tant 
d'incendies, que ces atrocités rendent muets ceux qui vou- 
draient les raconter*.» Est-ce donc là l'esprit moderne? Il veut 
au contraire la concorde et la paix, la justice et la liberté 
pour les nations comme pour les individus, et l'unité du 
monde par le progrès et par l'amour. 

Vous voyez bien, Messieurs, que la littérature du moyen 
âge et la littérature moderne ne sauraient suivre la même voie, 
et qu'une illusion poétique a pu seule faire croire aux roman- 
tiques qu'ils devaient renouveler un âge à jamais disparu. 

Quand leur illustre chef, M. Victor Hugo, ce grand poète 
dont l'âme de cristal a reflété, en les colorant, tous les senti- 
ments et toutes les idées de notre siècle mobile, écrivait ces 
beaux vers : 

Aujourd'hui, parmi les cascades, 
Sous les dômes des bois touffus, 
Les piliers, les sveltes arcades 
Hélas! penchent leurs fronts confus; 
Les forteresses ôcroulôes, 
Par la chèvre errante foulées. 
Courbent leur tête de granit : 
Restes qu'on aime et qu'on vénère! 
L'aigle à leurs tours suspend son aire. 
L'hirondelle y cache son nid ^. 

n venait de lire la Gauk poétique de Marchangy, et se croyait 
le chantre du passé , tandis que l'émotion et la poésie lui ve- 
naient du présent, de l'effet des révolutions; les tours féodales, 
que le serf du xn® siècle ne regardait qu'avec horreur et me- 
nace, étaient devenues vénérables, depuis qu'elles étaient par 

• Guibert de Nogent, dans les Historiens de France, tome Xn, 
p. 242. 

^ Odes et Ballades, II , 3, 2a Bande noire. 



LA LITTéRATURB DU MOYEN AGK 185 

terre. La poésie des ruines, cette sympathie instinctive qui 
s'attache à ce qui n'est plus et veut lui rendre la vie, voilà, 
Messieurs, le grand secret de la vogue extraordinaire du moyen 
âge dans la première partie de notre siècle. 

Mais, au rebours de l'Allemagne, dont le peuple rêveur, 
tendre et poétique, ne peut se détacher des traditions et se 
perd amoureusement dans ses légendes et dans ses souvenirs, 
la France ne saurait longtemps se plaire à l'évocation du passé 
et revenir en arrière autrement que par un caprice de la 
mode et par un engouement passager. Et U littérature qui 
voudrait, malgré cette impérieuse tendance de l'esprit natio- 
nal, l'arrêter longtemps dans sa marche en avant, ne serait 
plus l'expression de la société française. 

Le moyen âge est une civilisation morte, morte comme celle 
de l'Egypte ou de la Grèce ; mais c'est la civilisation de nos 
pères, le berceau vénérable des sociétés modernes, ^^tudions- 
le donc avec un religieux respect, avec une affectueuse sym- 
pathie. Mais nous aurons l'occasion de voir, dans le cours de 
cette étude, si les écrivains romantiques avaient droit, comme 
ils l'ont fait d'abord, de s'en proclamer les continuateurs, .et 
si la littérature contemporaine n'est pas, comme toutes celles 
qui la précèdent, une manifestation originale, une évolution 
toute nouvelle de cet esprit français, qui n'a jamais su ni s'en- 
dormir longtemps dans les mêmes idées, ni se fixer dans les 
mêmes formes littéraires. 

Ch. Revillout. 



ANECDOTE PHILOLOGIQUE 

SUR LE CARDINAL MEZZOFANTI 



Dans une des dernières séances de la Société, M. le docteur 
Espagne, membre résident, a fait la communication suivante : 

« J'ai dans mon cabinet une petite gravure de' piété repré- 
sentant une Vierge au Sacré-Cœur. Cette gravure n'a pas de 
valeur artistique ni archéologique, mais elle emprunte un 
prix réel à deux vers français, écrits et signés par leur auteur, 
qui en décorent la marge inférieure. L'auteur de ce distique 
est le cardinal Mezzofanti, mort il y a vingt-un ans à peine, 
et dont la singulière aptitude à parler un si grand nombre de 
langues et de dialectes semble approcher du prodige. Le cé- 
lèbre linguiste parlait aussi notre langue d'oc et la tenait en 
haute considération. Il la parla dans une conversation avec 
la personne dont je tiens l'image. Je suis donc autorisé à vous 
dire par suite de quelles circonstances cette image est arrivée 
entre mes mains. 

)) M. l'abbé G.., prêtre de Montpellier, qui depuis m'a fait 
l'honneur de me confier le soin de sa santé, se trouvant à 
Rome en 1847, fut admis le 10 juillet à l'audience de ce célèbre 
personnage. Une dame de la Russie Blanche, déjà introduite, 
tenait conversation en six langues différentes avec le cardinal, 
qui lui répondait sans le moindre embarras. Notre concitoyen 
étonné attendait que l'Émhience lui adressât la parole. A la 
fin le cardinal, se tournant vers lui : « Et vous, monsieur l'abbé, 
lui dit-il, d'où êtes-vous? — Du Languedoc, Eminence. *- 
CouNOUissÈs GrouDOULi ? )) lui demanda Mezzofanti. Le prêtre, 
stupéfait, ne put trouver que ces mots : a Quoi ! Eminence, le 
patois aussi! — C'est une langue très - énergique et très- 
expressive » , répondit le cardinal. 

)) Ainsi Mezzofanti ne connaissait pas seulement les diverses 
langues qu'il parlait par suite d'une prédisposition aussi heu- 
reuse que rare ; il connaissait aussi les auteurs qui font auto- 
rité dans ces langues et qui en ont fixé les formes. Goudouli, 
poète languedocien, contemporain de Malherbe, a illustré le 



ANECDOTE PHILOLOGIQUE 187 

patois toulousain, dont il a fait un dialecte particulier, on 
pourrait presque dire une langue, à laquelle il a mérité de 
laisser son nom. C'est dans ce dialecte qu'a été écrite la tra- 
duction romane d'Albucasis, que M. Ch. de Tourtoulon fait 
paraître dans notre Revue, 

» Au moment où Tabbé languedocien se retirait, Mezzofanti 
lui dit : « Il ne faut pas se quitter comme ça, je veux que vous 
ayez un souvenir de moi » ; et il lui donna Timage dont j'ai 
déjà parlé, après y avoir écrit lui-même les deux vers suivants : 

« mère de bonté! je vous donne mon cœur, 
a ConserveZ'k fidèle à son Divin Sauveur 

« J. Mezzofanti » 

» Ces deux vers, auxquels la prosodie n'a rien à reprocher, 
se font remarquer par une connaissanc.e complète des usages 
français de l'accentuation et delà ponctuation. L'orthographe, 
cela va sans dire, y est parfaite. Le qualificatif divin, avant- 
dernier mot du second vers, est écrit, il est vrai, avec une 
majuscule ; mais la nature particulière de ce qualificatif, qui 
spécialise et qui précède le nom suprême de Sauveur, permet, 
dans la bouche d'un chrétien fervent, cette dérogation à la 
grammaire, à moins que Mezzofanti n'ait considéré Divin Sau- 
veur comme un mot composé, tel que Altesse Sérénissime, 
Altesse Royale, Altesse Impériale, dont les composants s'écri- 
vent avec une majuscule, quoique l'usage n'ait pas adopté le 
trait d'union. Le prénom italien de Mezzofanti était Giuseppe 
(Joseph). N'oubliant pas qu'il écrivait en français, notre auteur 
a mis l'initiale J. et non l'initiale G. Enfin Vi, très-nettement 
pointé, qui termine son nom, montre que c'est bien Mezzo- 
fant^ qu'il s'appelait, et non Mezzofan^e, ainsi qu'il est im- 
primé dans un dictionnaire biographique très-répandu. 

)) Le bon prêtre dont je suis le médecin a voulu honorer 
mes soins par le don de cette image. N'a-t-elle pas plus de va- 
leur pour moi qu'une rémunération pécuniaire ? » 

Tous les membres présents ont examiné avec une vive curio- 
sité le précieux autographe dont M. Espagne est possesseur, 
et qu'il avait apporté à la séance. 



BffiLIOGRAPHIE 



MAGUELONE SOUS SES EYEQUES ET SES CHANOINES 

Ëtude historique d'après les documents originaux^ avec pièces justifica- 
tives inédites ; par A. Germain, professeur d'histoire et doyen de la 
Faculté des lettres de Montpellier, correspondant de l'Institut. — 
Montpellier, 1869, in-4^ (Extrait des publications de la Société archéO" 
logique de Montpellier.) 

Il y a trente-sept ans que M. Germain est dans le Midi ; 
depuis le moment où il débutait à Nîmes au sortir de l'École 
normale, jusqu'à ce jour, on peut dire qu'il ne s'est pas reposé 
un seul instant et qu'il a consacré à l'histoire méridionale 
absolument tous les loisirs que lui laissaient son enseigne- 
ment et ses fonctions universitaires. Son dernier livre complète 
les travaux qu'il a entrepris sur Montpellier et sur les villes 
aujourd'hui disparues dont Montpellier tire son origine, Ma- 
guelone et Substantion. Rien de curieux comme cette étude 
sur une communauté riche et turbulente, isolée, même de son 
évêque, dans une île de la Méditerranée. Ces luttes intestines 
au milieu desquelles les Papes ont été souvent obligés d'inter- 
venir comme arbitres souverains, ces alternatives dé relâche- 
ment et de réforme attestées par de nombreux règlements, 
sont clairement et méthodiquement racontées, avec une sû- 
reté d'information qui défie toute critique. M. Germain ne 
s'avance qu'armé de pièces justificatives complètes, inédites 
pour la plupart. Ces pièces étaient dispersées partout; c'est 
dire qu'elles ont été longtemps cherchées et n'ont été rassem- 
blées qu'au prix de laborieux efforts. 

Une de ces pièces, la plus étendue et, sans contredit, la 
plus importante, est le règlement fait au mois de novembre 
1331, pari' évêque Jean de Vissée. Ceux qui veulent avoir une 
idée exacte d'une grande communauté religieuse doivent étu- 
dier ce texte. A la lumière du savant et ingénieux commen- 
taire dont M. Germain l'a fait précéder, ils y verront un tableau 
vivant de Maguelone au xiv"*® siècle. Il n'y manque aucun de 



BlBLlOGRAPâlE m 

ces détails qu*aiment les archéologues et les historiens. Mais le 
philologue y trouve aussi sa part, et cette part n'est pas sans 
importance. Le statut de Jean de Vissée a recours, pour régler 
le régime intérieur des chanoines, à toute une série de noms, 
grossièrement latinisés, que n'ont pas connus Ducange et ses 
continuateurs. Et par exemple, comme le fait remarquer 
M. Germain, le Glossarium mediœ et infimes faft'mVaft's aurait 
notablement profité des mots de cuisine languedocienne et 
cléricale qui fourmillent dans ce document. Comment la phi- 
lologie romane, dont les progrès sont liés d'une manière si 
intime à la connaissance de la basse latinité, négligerait-elle 
cette source de renseignements étymologiques ? 



Choix d'anciennes coutumes inédites ou rarissimes, par Eugène ds 
RoziÈRE, inspecteur général des Archives. — Ancienne coutume de 
Thegra. — Paris, Ernest Thorin, 1870. 14 pages in-8«. 

Thegra, petite localité de l'ancien pays de Quercy, forme 
aujourd'hui une commune du département du Lot ( canton 
de Gramat, arrondissement de Gourdon). Les seigneurs de 
cette bourgade lui donnèrent, en 1266, une charte dont l'ori- 
ginal existe encore en la possession de M. de Gasc de Mialet, 
descendant de ces anciens seigneurs. M. de Rozière a publié 
cette coutume du xiii°»® siècle d'après un fac-similé que M. de 
Gasc a permis de lithographier pour l'usage de l'Ecole des 
chartes. 

La coutume de Thegra, dit le savant éditeur, « est faite pour 
» une population à peine sortie du servage, qui est parvenue 
)) à s'assurer la jouissance des droits civils, mais qui n'aspire 
» encore ni à la liberté politique, ni même à l'indépendance 
» administrative. » C'est dire que ce document est avant tout 
publié pour les historiens et les jurisconsultes. Mais il n'est 
pas sans utilité pour les littérateurs et les philologues ; car il 
est écrit dans un dialecte roman du Midi, et intéresse à ce 
titre la Société pour l'étude des langues romanes, A l'intérêt 
général qui s'attache à tout texte ancien vient ici s'en joindre 



190 CHRONIQUE 

un autre : la petite ville à laquelle cette charte fut octroyée 
au xin* siècle ayant, à la fin du xn*, donné naissance au 
troubadour Hugues de Saint-Cyr *, ne serait-il pas curieux de 
rapprocher la langue du poëte de celle de la charte, et la com- 
paraison de leurs formes ne fournirait-elle pas une donnée de 
plus pour la solution de la grande question qui divise les ro- 
manistes : Existait-il une langue générale, différente des dia- 
lectes populaires, à l'usage des troubadours ? Nous n'avons pas 
la prétention d'essayer un pareil rapprochement, qui pourra 
tenter de plus habiles; mais nous voulons remercier M. de 
Rozière de cette publication, faite avec le soin que l'éditeur 
consciencieux du Recueil général des Formules mitées dans 
V Empire des Francs et du Liber diumus apporte à tous ses 
travaux. 

M. de Rozière a fait précéder le texte roman d'une analyse 
en français, à la fois brève et claire, « dans l'intérêt des juris- 
consultes, peu familiers, pour la plupart, avec la langue ro- 
mane et ses nombreux dialectes. » Cette analyse substantielle 
ne sera pas moins utile aux philologues, qui, de leur côté, 
sont, pour la plupart aussi, peu familiers avec la langue et 

l'histoire du droit. 

Ch. Rt. 

CHRONIQUE 



Il est nécessaire de rappeler, parmi Jes événements de l'année 
dernière, ceux qui intéressent notre cause, les Jeux Floraux d'Aix, 
de Béziers et d'Anduze. 

La fête d'Aix a eu lieu le 23 avril, à l'occasion du Concours ré- 
gional d'agriculture; elle était présidée par le maire de la ville, 
M . de Philip, assisté de Roumanille et de iVlistral, et avait pour 
juges MM. de Seranon , J.-B. Gant, N. Bonafous , le chanoine 
Emery, F. Hermitte, Carbonnel et André Constant. 

De ses trois prix, le premier, dont le sujet était la Poésie pro- 
vençale sous Raymond Dérenger I V et Béatrw, fut remporté par Jean 
Monné, de Marseille, avec des mentions d'honneur pour MM. Félix 
Gras, de Malemort: Daproty, d'Eyguières, et dom J.-B. Garnier, 
bénédictin de l'abbaye de Solesmes. — Le second, ayant pour sujet 
l^Oliviery échut à Fortuné Martelly, de Vertus, avec deux deuxième» 



Hist. lut. de France, XIX, 470 et suiv. 



CHRONIQUE 191 

prix pour MM. Al. Michel, de Mourmoiron, et Francis, d'Apt, et des 
mentions honorables pour Autheman, de l'Isle, et Georges Saint- 
René Taillandier, de Paris. — Enfin le dernier, destiné à une 
gale^ado, bouffonnerie, fut donné exxquok Autheman, de l'Isle, et 
Peire, de Toulon, avec une mention àDaproty. — Le rapport du 
Concours avait été fait par M. Norbert Bonafous, doyen de la 
Faculté des lettres, avec cette bonne grâce et cette amabilité spiri- 
tuelle que tout le monde connaît. 

La fête se termina par une soirée toute provençale, donnée par 
M. André Constant, et une cavalcade historique représentant 
l'entrée du roi René à Aix, en 1443. 

* 

Les Jeux Floraux de Béziers ont tenu leur séance, comme d'ha- 
bitude, le 6 mai, jour de l'Ascension. Voilà déjà près d'un demi- 
siècle que la vaillante Sodélé archéologique de cette ville, l'une 
des plus laboriehses de la province, défend notre vieille littérature 
contre les préjugés du vulgaire, soit par des concours annuels, soit 
par des pubUcations considérables, le Breviari d^amor et les Trou- 
badours de Béziers, par exemple, et poursuit son œuvre, secondée 
par le zèle de son savant président, M. Carou, et de son secrétaire, 
M. Gabriel Azaïs, Tun des meilleurs romanisants actuels. 

Cette année, la fête avait réuni une assistance nombreuse et 
choisie, dans laquelle Ton remarquait le maire de Béziers, M. Mau- 
rice Lagarrigue, et plusieurs notabilités. Après un éloquent discours 
du président, sur la vie et les œuvres de Yiennet, le rapport fut 
présenté par M. Devés. Nous n'en signalerons que la partie qui 
nous concerne. 

Le rameau traditionnel a été accordé au féUbre Alphonse Michel, 
pour sa belle méditation sur V Immortalité de Vâme, avec des men- 
tions à MM. Ch. Gleizes, d'Arles; Y. Bourrely, de Rousset; Jean 
Laurès, de Villeneuve ; Leyris, d'Alais ; Fargues, de Montréal; Paul 
Félix, d'Alais; Hippol y te Ollivier, d'Anduze; Etienne, de Nice, 
Prache et Gadrat, de Carcassonne. 



♦ ¥ 



Ceux d'Anduze, de création récente, ont été organisés et présidés 
par le maire, M. Albin de Montvaillant , membre de notre Société 
le i3 septembre. 

Deux discours remarquables y furent prononcés : l'un par le fon- 
dateur, sur l'utilité et le charme des lettres ; l'autre par M. Léonce 
Destremx, de Saint-Christol, président de la Société scientifique et 
lilléraire d'Alais; puis vinrent le rapport du concours par M. Gau- 
joux, professeur de littérature française au collège, et une ode A 
Anduze, en languedocien , par M. Albert Arnavielle. — Bien que 
les poètes français seuls eussent été conviés , la ville se proposant 
une autre année de faire appel aux poètes romans, la Commission 
d'examen exprima le désir qu'un prix fût accordé à M. Victor 
Bourrely, pour son Éloge de Florian. 



♦ ♦ 



Nous sommes heureux d'annoncer à nos lecteurs que le gou- 
vernement espagnol vient d'accorder la croix de chevalier de l'ordre . 
d'Isabelle-la-Catholique à M. Achille Montel, secrétaire de la 



193 GHKONIQUEl 

Société pour Vétude des langues romanes. Cette distinction est la 
juste récompense des travaux de notre collaborateur sur les litté- 
racures méridionales, et en particulier sur la littérature catalane. 






M. Frédéric Mistral vient d'être nommé commandeur de l'ordre 
d*l sabelle-la-Gatholique. 



♦ * 



Nous avons fait connaître, dans notre dernier numéro, quelques- 
uns des lauréats du concours académique de i8b9. Nous complé- 
tons la liste des prix pour les ressorts académiques dans lesquels 
sont compris des départements de langue méridionale: Chambéry, 
Hislaire àe la chartreuse de Saint- Huger de Savoie^ par M. Eugène 
Burnier ; Glermont, Chroniques d^ Etienne de Médids, bourgeois du 
Brig, par M. Aug. Ghassaing ; Grenoble, série de documents histo- 
riques, mémoires, etc., publiés par M. l'abbé Ghevalier, de Romans 
(Drôme); Lyon, Histoire de V abbaye de Ctunyj depuis sa fondation 
jusqu^à la mort de Pierre le Vénérable j par M. Henri Pignot ; Poitiers, 
Histoire de Chenonceaux , par M. l'abbé Ghevalier; Toulouse, la 
Chambre souveraine de Languedoc, par M. Gambon de la Valette. 
Le Gomité des travaux historiques a décerné le grand prix de 
3,000 fr. à V Histoire de l'abbaye de Cluny, par M. Pignot. Il résulte 
du rapport ( Journal officiel dix 24 août) que V Histoire de Jacme /<"", 
par M. de Tourtoulon, est rouvraî];e qui a le plus approché du tra- 
vail couronné. M. de Tourtoulon a été nommé officier d'académie. 

* 

Au concours des Jeux Floraux de Toulouse, M. Henri Delpech, 
membre de la. Société pour l'étude des langues ramanes, vient d'ob- 
tenir une violette pour son discours : de l'Influence de la presse sur 
la littérature contemporaine. G' est la troisième fleur décernée à 
notre compatriote, qui devient ainsi, en vertu des usages, maître 
es Jeux floraux . 

La première édition des Poésies d'Alph. Tavan va enfin paraître. 
Nous la recommandons particulièrement à nos amis. On souscrit 
chez J. Houmanille, à Avignon. 

* 

Nous leur recommandons de même le Recueil de Chansons pro^ 
dençales, d'Alphonse Michel ; les Fables de la Fontaine, traduites 
par Marius Bourrely ( Avignon, chez Roumanille ; à Marseille, 
chez Alex. Gueidon, libraire), et l'excellent /Visionnaire /an^we- 
docien de M. M. d'Hombres (à Alais, chez Veyrun). 

M. J. Azaïs vient de publier la deuxième édition des Troubadours 
de Béziers. Nous en rendrons compte prochainement. 



Le gérant, ëhnest HâMELIN. 



MontpeUier, impiimerie G-fas. 



DIALECTES ANCIENS 



CRIDES DE LA COURT DE MONSIEUR DE LAUZIÈRE 

AU DIOCÈSE DE LODÈVE, EN 1610 



On peut se livrer à Tétude d'une langue dans deux buts dif- 
férents: le premier aurait pour objet de comprendre cette 
langue et de la parler correctement; le second tendrait à en 
connaître Thistoire, les origines, le génie et le mécanisme, 
ainsi que ses variations dans le cours des temps et les divers 
dialectes des contrées où elle est ou a été en vigueur. Ce 
second but est, à notre avis, celui que doit principalement se 
proposer la Société pour V étude des langues romanes, et selon 
nous la meilleure manière de l'atteindre est de publier et 
d'étudier des pièces et des documents authentiques écrits en 
cette langue. 

Dans le dernier numéro de cette Revue nous avons publié 
un document de la fin du xv® siècle, comme spécimen du 
langage parlé à cette époque aux environs de Montpellier ; 
nous allons publier aujourd'hui un autre document du même 
genre, qui nous fera connaître le langage parlé aux environs 
de Lodève [à la fin du|xvi® siècle. Aux Publications d'Assas 
vont, faire suite les Criées faites à Lauzières, chef-lieu d'une 
juridiction seigneuriale importante, qui s'étendait sur toute 
la commune actuelle d'Octon {Aloutou, Aroutou^) et sur ses 
annexes ; commençons par quelques notes préliminaires. 

■ On l'appelle ainsi dans le pays, comme on appelle Olmet, village voism, 
Araumet ou AtaumeL Dans ces noms, les liquides ( et r s'emploient Tune 
pour l'autre indifféremment. 

13 



194 DIALECTES ANCIENS 

I. Lauzières, Lozières, Léozières — cette dernière forme est 
la meilleure quoique la moins commune, parce que to se pro- 
nonce ou — Lauzières, pour parler selon la forme qui a pré- 
valu, est situé au milieu d'un triangle à peu près équilatéral, 
formé par trois lignes qu'on tirerait de Lodève à Clermont, 
de Clermont à Bédarieux et de Bédarieux à Lodève. Cette 
contrée, aujourd'hui peu habitée, peu connue et relativement 
peu fertile dans notre riche département, aurait eu néanmoins 
son illustration et sa gloire dans les temps anciens ; témoin les 
redoutables forteresses de Dio, de Maie vielle, de Mourèze, de 
Cabrières et de Lauzières, dont il reste encore d'imposantes 
et de pittoresques ruines, uniquement visitées par l'aigle et le 
milan et habitées par les seuls hiboux. Appeler ces vieux don- 
jons, perchés sur des crêtes presque inaccessibles, des nids 
d'aigle et de vautour, n'est pas une idée moderne; nous con- 
naissons dans le voisinage un de ces asiles que les chartes 
du moyen âge désignent sous le nom de roca vulturarta, la 
roche des vautours. 

UHistoire du Languedoc nous représente la contrée que 
nous cherchons à faire connaître comme le théâtre des 
exploits de Théodebert, fils du mérovingien Thierry, roi de 
Metz ou d'Autrasie. En 533, après avoir enlevé Lodève aux 
Wisigoths, le vainqueur alla, passant probablement aux envi- 
rons de Lauzières, attaquer la forteresse de Dio, et, après 
cette nouvelle conquête, il dut encore traverser la même contrée 
pour aller faire le siège du château de Cabrières, que lui remit, 
en l'absence de son mari réfugié à Béziers, la Gallo-Romaine 
Deutérie, héroïne tristement fameuse qu'on a prétendu avoir 
été la femme de Tonance Ferréol, fils du préfet des Gaules du 
même nom, mais sans aucune vraisemblance, ajoute Y Histoire 
du Languedoc. 

Nous connaissons au village de Mourèze, incrusté sur la 
porte d'une écurie et provenant des ruines de l'ancien châ- 
teau, un remarquable fragment de marbre blanc qui nous 
parait remonter à ces époques reculées. Au milieu , dans une 
couronne de laurier, se trouve le monogramme du Christ, 



GRIDBS DE LA COURT DE M. DE LÂUZIERES 195 

formé par le X et le P (à^u), accompagnés des deux sigles 
A et &>, alpha et oméga, traduction manifeste de ces paroles de 
rApocaljpse : Ego mm alpha et oméga, prineipium et finis; 
Je suis l'alpha et l'oméga. Du côté gauche du spectateur, cinq 
colombes, séparées par autant de palmiers, se dirigent l'une 
derrière l'autre vers le symbole du Sauveur; du côté opposé, 
il ne demeure que deux colombes également tournées vers le 
chrisme. On voit que le marbre a été cassé, mais il n'est point 
du tout fruste ; il devait j en avoir six de chaque côté, figurant 
les douze apôtres. C'est un sujet connu dans les anciennes 
églises de Rome, mais très-curieux à signaler dans notre 
contrée déserte et isolée. Comment se trouve-t-il là? Est ce un 
débris d'un antique sarcophage ou d'un autel primitif ? 

Les traditions locales sont unanimes à proclamer l'impor- 
tance de Lauzières dans les temps reculés ; les habitants du 
pays affirment que tout près se trouve le berceau de saint 
Fulcran ; ils racontent que Lauzières a été autrefois une ville 
et soutiennent que là se tenait le marché le plus considérable 
de la contrée, lequel a été plus tard, à leur préjudice, trans- 
féré à Clermont-de-Lodève. Ne les troublons pas dans ces 
croyances inoffensives, et disons quelques mots de la famille 
de Lauzières et des seigneurs au nom de qui se faisaient les 
proclamations que nous allons éditer. 

IL Après la famille des de Guilhem de Clermont, qui prétend 
remonter à saint Guilhem de Gellone, la plus ancienne famille 
connue du Lodévois est sans contredit celle des de Lau- 
zières, qui, comme celle de Clermont, revendique pour un de 
ses membres saint Fulcran, l'illustre thaumaturge de Lodève, 
dont le nom de famille est demeuré inconnu, quoiqu'on sache 
que son père appartenait à une des premières familles du 
pays. L'histoire chronologique des comtes de Clermont-Lodève 
nomme un Othon de Lauzières à qui Guillaume de Gruilhem 
de Clermont donna à hommage la troisième partie du château 
de Mourèze, en 890 *. Nous possédons une généalogie impri- 

' Archives du château de Jonquières. 



196 DIALBCTB» ANGIBM8 

mée qui remonte sans interruption à Frotard de Lauzières, en 
1170. 

Plantavit de la Pause, qui se glorifie de sa parenté avec 
cette famille, écrit constamment en latin de fflzeria. On dit 
aussi en latin de Euserta^. Dans le langage local ou en roman, 
on dit leuzteiras *; ce nom vient évidemment à'ieuse, chêne vert 
ou jeuse, tlex en latin : una ieusieira, un lieu planté de chênes 
verts. Cet arbre indigène est de ceux qui, avec des variantes, 
entre le plus souvent dans la composition des noms propres 
d^homme ; on trouve partout des Deleuze, Delieuze, Delzeuze, 
Delzieuses, Desieuses. Les armes parlantes des de Lauzières 
conârment cette étjmologie. Cette noble famille portait : 
d'argent à un chêne vert de sinople, agité par le vent, avec cette 
devise italienne : 

Per eroUar le fronde, non e mosso U piedej 

Quoique les feuilles tremblent, le tronc est immobile. U ne sera 
pas oiseux de remarquer, dan» une publication sur les langues 
romanes, que le mot crotle signifie tremblement de terre dans 
la Chronique romane du Petit Thalamus de Montpellier, page 
332. 

La piété et la munificence de la famille de Lauzières se sont 
manifestées à Clermont par deux précieuses fondations qui s'j 
sont perpétuées jusqu'à la Révolution. 

La première de ces fondations est celle du couvent et de 
Téglise des Dominicains en 1321. Plantavit de la Pause observe 
que les clefs de la voûte de F église de ces religieux portaient 
les armes du seigneur de Lauzières, qui avait ainsi signé son 
œuvre. 

' I^ous avons un testament en latin de 1504. Il commence ainsi : !n 
nomine dm... anno... nob. vir Deodatus de Euseria scutifer dmis locorum 
de Ceyracio et de Euseria dioc. Lodov. Baro baroniœ S. Petro de 
Lineyraco, etc. 

^ Pour la prononciation de la premièoe syllabe de ce mot, voir notre ob- 
servation sur le mot dieu, — aux Public. d'Assas, dans le n* précédent, ~ 
le pronom je, ieu. 



GRIDES DB LA COURT DB M. DB LAUZIERE 197 

La seconde est la fondation de la célèbre abbaje des Béné* 
dictînes dites de Gorjan, faite dans Téglise rurale de Saint- 
étienne de Gorjan, hors et près les murs de la ville, en 1250, 
par Anglesian de Lauzières, frère de Pons, chanoine de Lodève, 
mort en odeur de sainteté. Le couvent et Téglise ajant été 
ruinés lors des troubles religieux de 1561, les bénédictines 
bâtirent dans la ville un nouveau couvent, avec une église qui 
existe encore. En 1611, Tancien couvent ruiné et son église à 
moitié découverte furent cédés aux récollets par Tabbesse de 
Gorjan, Françoise de Lauzières-Thémines. Déjà, en 1288, Bé- 
renger, évéque de Lodève, j avait établi une collégiale. C'est 
aujourd'hui l'église de l'hôpital construit sur la maison des 
récollets. 

Anglesian de Lauzières employa pour la fondation six mille 
florins d'or, et établit une dotation suffisante pour l'entretien 
de huit religieuses et de deux converses, se réservant à per- 
pétuité, pour lui et ses héritiers, le droit de nomination de 
Tabbesse. Quand le couvent fut bâti, il présenta à l'évêque 
Elizabeth de Mourèze, qui reçut des mains du prélat la bénédic- 
tion abbatiale, en présence d'Arnaud de Guilhem de Clermont, 
alors abbé de Saint-André du Puj-d'Andaon, près Villeneuve- 
lez-Avignon, et d'un de ses moines, Bérenger de Mourèze, 
prieur de Notre-Dame-de-Rochefort, près Villeneuve, et pa- 
rent de l'abbesse élue; l'année suivante, cet Arnaud de Guilhem 
devint évêque d'Albi. 

La famille de Lauzières ajoutait à son nom celui de Thé- 
mines en Quercj, qui lui venait de Raymond de Penne, frère 
de Catherine de Penne, dame de Cardailhac et de Ceyras, fille 
de Ratier de Penne et d'Hélène de Cardailhac-Thémines. Cette 
Catherine avait épousé, enl398, Rostang de Lauzières, seigneur 
de Lauzières et en partie de Gignac et de Montagnac ^. Le 
frère de cette Catherine, Raymond de Penne^ n'ayant pas de 
postérité, par son testament de 1451 institua son héritier uni- 
versel Déodat de Lauzières, petit-fils de sa sœur, à la condition 

* Doc, hist. ei généal» sur le RouergtAe. De Barrau, tom. III. 



198 DIALECTES ANCIBMS 

quMl prendrait le nom et les armes de Thémines. On voit 
encore par là comment Cejras était entré dans cette famille *, 
Outre ces seigneuries, les de Lauzières possédaient encore 
celles de Saint-Guiraud, de Saint-Jean de la Coste, de Saint- 
Pierre de Léneyrac, au diocèse de Lodève , et de Saint-Bau- 
lize de THirondel, du Bosc et de Bernas en Rouergue. Us 
comptaient dans leurs alliances les noms les plus illustres : les 
Clermont de Lodève, les Lodève- Montbrun, les Roquefeuil, 
les Rosset de Fleurj, les Gorguiileraj, les d'Arpajon, les 
Castellane, les de Pluviès, etc. Louise de Pluviès, sœur de 
Françoise et du chevalier qui arrêta Ravaillac, avait épousé 
en 1604 Charles de Lauzières, seigneur de Saint-Guiraud, qui 
fut tué dans une attaque contre les religionnaires en 1621. 
Cette même année un autre Lauzières, âls de Jean, seigneur 
de Ceyras et de Lauzières, gouverneur de Béziers, et d'Anne 
de Puimisson, Pons, maréchal de France depuis 1616, com- 
mandait Farmée au siège de Montauhaiu Nous ne pouvons 
énumérer les longs et glorieux services qu'il rendit aux rois 
de France Henri III et Henri IV. Il mourut gouverneur de la 
Bretagne, en 1627, âgé de soixante -quatorze ans. Ses deux 
fils, Antoine-Charles et Antoine, furent tués au siège de Mon- 
tauban ; un de ses petits-fils périt au siège de Mardick en 
1646, et deux de ses petites-filles furent mariées. Tune au duc 
de Ventadour et F autre au duc d'Estrées. C'est au nom de 
Pons, maréchal de Lauzières-Thémines, que furent faites nos 
publications. 

Quand la Révolution éclata, à la fin du siècle dernier, la 
branche aînée des Lauzières-Thémines était représentée par 
Henri-Hippolyte, évêque de Blois, sur la tête de qui fut vendu 

^ Geyras, que saint Guilhem donne à son monastère de Gellone dans 
la charte de sa fondation, appartenait au roi saint Louis au milieu du 
XIII* siècle. Le Bréviaire de Lodève nous apprend que le saint roi, avant 
de partir pour la Croisade, força Berenger de Clermont à rendre hommage 
à l'évoque de Lodève, et que, pour donner l'exemple, il lui rendit lui- 
même humblement cet hommage pour le bourg de Ceyras, appartenant 
au roi . 



CRIDES DE LA COURT DE M. DE LAUZIERBS 199 

révolutionnairement le château de Thémines *, et par son frère, 
le marquis de Thémines, colonel du régiment de Navarre ; la 
branche cadette, par deux chevaliers qui passèrent à Tarmée 
des princes sur le bord du Rhin : au retour de T émigration ils 
se retirèrent à Soulagets, arrondissement de Lodève, où ils cul* 
tivèrent de leurs mains un modeste domaine de leurs ancêtres 
et où ils se sont éteints entourés de vénération et de respect. 

Qu'on nous, pardonne ces détails ; nous nous hâtons de reve- 
nir à nos criées, que nous allions oublier. 

III. On sait que les seigneurs locaux avaient coutume 
d'affirmer leur autorité en faisant publier des règlements de 
police sous la forme de prohibition, avec pénalité pour les 
délinquants. Ces criées, comme on les appelait, étaient faites 
aux jours de grande réunion, comme les fêtes patronales ou 
autres solennités *. Lauzières, le chef-lieu de la juridiction, 
n'étant habité que par une petite fraction des vassaux qui 
relevaient de son seigneur, et tous ces vassaux s'y réunis- 
sant le jour de Saint-Martin pour la création de leurs con- 
suls, ce jour avait été choisi pour aflSrmer, en la présence de 
tous, les droits de la justice seigneuriale. 

Le manuscrit qui servait à cette publication a été recueilli 
dans un hameau voisin, parmi de vieux papiers, par notre 
ami M. Lugagne, de Lodève, qui a bien voulu nous le commu- 
niquer. Il est écrit avec beaucoup de soin, en caractères qu'on 
a tâché de rendre très-lisibles, sur trois feuillets de papier 
oblong, qui n'a que 9 centimètres de large sur 26 de long. 
Chaque ligne commence par une lettre majuscule, comme 
nous le faisons encore pour les pièces de poésie. Nous le 
crojons de la fin du xvi® siècle ; toujours est-il certain qu'il 
est antérieur à 1610, puisqu'il porte une note du 11 novem- 
bre de cette année, attestant que, a les cries ont été publiées 

^ De Barrau, ubi supra, 

2 Nous avons le texte des proclamations faites le jour de N.-D. d'août, 
à la Garrigue, près Montpeyroux, au nom de dame Claude de Pellet, 
seigneuresse de la Vérune, Montpeyroux, Partages, les Deux- Vierges, etc., 
en 1608. Elles sont en français. 



200 DULBGTBS ANCIENS 

suivant les coustumes, le procureur juridictionnel en a fait 
les réquisitions en tel quas requises. » Cette note est suivie du 
rôle des consuls nouveaux et d'autres officiers de la commune 
élus ce jour-là. On lit ensuite, toujours de la même main, qui 
est loin d'être celle qui a écrit les publications : « A été arrête 
de commun accord, atendu que la feste Saint Martin a esté 
retranchée et n'est chaumable, que lesd. consuls et cries se 
feront la feste des Armes qu'est le lendemain de la feste de 
Tousantz. » Au-dessous une autre main a écrit: «Mémoire que 
le second novembre 1620 ne sommes allez a Lauzieres fère les 
consuls à cause de la pluye. » 

Voilà l'état matériel de notre manuscrit. Quant aux règle- 
ments qu'il renferme, ils sont du même genre que ceux des 
Publications d'Assas, quoique moins complets. On y remar- 
quera le denier d'abondance qui se joint toujours aux soixante 
sous d'amende, comme nous avons aujourd'hui le décime joint 
au principal de l'amende. 

Signalons encore la formule initiale Aujas, Écoutez, Enten- 
dez, qui est fort ancienne : nous la trouvons en tête du serment 
d'Assalit de Brissac à l'abbé de Saint-Gruilhem, en 1121 *, et 
dans diverses publications du xv* siècle, conservées aux archi- 
ves de Gignac. 

Le dialecte se rapproche beaucoup de celui qu'on parle 
aujourd'hui à Montpellier et dans les environs, mais qu'on ne 
parle plus à Lodève et dans sa contrée. 

Les mots en on s'écrivent comme en français : jurtsdiction, 
condtction, confiscation. Certainement o se prononçait ow; /wris- 
dictioun, coundictioun, counfiscatioun; donc ces mots se pro- 
nonçaient à Lodève et à Lauzieres comme ils se prononcent 
aujourd'hui à Montpellier, tandis qu'on dit aujourd'hui à 
Lodève et à Lauzieres counditiou, counfiscatiou. 

Notons encore /ay et apartendra comme à Montpellier, 
tandis qu'on dit à Lodève et à Octon fo et apartendro. 

Les anales des mots féminins sont constamment en e au 

* Gartulairede GeUoDe. 



CRIDES DE LA COURT DE M. DE LAUZIERE 201 

lieu d'être en a ou en o. Nous ne doutons pas que cet e n'eût le 
son d'un a qu'on adoucirait, comme nous l'avons observé dans 
les Publications d'Assas : persane, peyne, carrieires, legictime, 
excuse, armes, cartes, terre, inmondecies. Pas un seul exemple 
d'une terminaison féminine en a; c'est cependant l'a qui règne 
dans la contrée, et même plus accusé qu'à Montpellier, où il 
se rapproche de Ve. 

L'article, soit masculin soit féminin, au singulier comme au 
pluriel, est le même qu'aujourd'hui : lou, la, lotis, las. Quand il 
est composé, on dit del, delz, ah, et non dai, dais, ais, qui j 
régnent aujourd'hui. 

Remarquons ai dans domaige, aige, que non y aige : nous 
serions porté à penser qu'on prononçait a, doumage, comme 
on prononce Michel Montagne, quoiqu'on écrive Montaigne. 
Nous trouvons deux fois le mot écrit âge, que non y âge, indice 
que l'on prononçait par a comme aujourd'hui. 

La manière d'écrire vinhes et lenhes, où l'on évite le gn du 
français vignes et du latin lignum, constate la parenté de 
notre dialecte avec le catalan, l'espagnol, qui a la n pour 
produire ce son, et même le portugais ; témoin le nom du vieux 
maréchal qui vient de faire une révolution dans ce royaume, 
Saldanha. Cette valeur qu'a chez nous Vh de mouiller forte- 
ment la lettre / ou n qui le précède peut bien faire rire le 
comédien Molière citant Gignac et Montagnac, mais les rieurs 
ne sont pas de son côté quand, arrivés à la station qui relie 
la ligne de Montpellier à celle de Lodève, les employés du 
chemin de fer saluent cette localité en criant de leur plus 
belle voix : « Polan ! Paulan 1 » comme s'ils voulaient rappeler 
à tout le monde cette première leçon du maître de lecture qui 
enseigne, touchant Vh, que cette lettre n'a point de nom ou 
ne se prononce pas. 

Comme pour les Publications d'Assas, nous nous contente- 
rons de quelques notes au bas des pages, et elles sufSront. 

L'abbé L. Vinas, 

curé de Jonqoières, Inspecteur de la Société française d'archéologie 
pour le département de l'Hérault. 



202 DIALECTES ANCIENS 



CRIDES DE LA CO VRT * — De Monsieur de Lauziere que 

— Ce font audict lieu a la — Place publicque chescun 
AN — Et au moys de noubmbre — Et le unziesme iour et 

— Feste Sainct Martin. 

I. Auias* Que Tom faj assaber — Depar la court de Mosieur 

— De Lauziere que non y aige — Degune personne, de quai 
— Estât ny condiction que sie, — Que auze iurar nj blasfamar 

— Le nom de Dieu, ny de la — Vierges Marie, nj delz — 
Sainctz et Sainctes de paradis, — Sus la peyne de soixante — 
Soulz vng denier et de — Estar à la mercy deldict — Seignur. 

ij. Item Que non j aige — Degune personne que — Auze 
iniuriar la vng — L'autre de fach ny de — Dich, sus la peyne 
de — Soixante soulz vng denier — Et toute autre peyne de — 
Drech. 

lij. Item Que non y aige — Degune personne que auze — 
Apportar degun fuoc, de — Nioch ny de iour, per las — 
Carrieires, per non portar — Domaige a personne, sus — La 
peyne de soixante — Soulz vng denier et de — Toute autre 
peyne de — Drech. 

liij. Item Que non y aige — Degune personne que — Aige 
à gitar la vng — L'autre de for la présent — Court ordinaire, 
sans — Aver legictime excuze, — Sus la peyne de soixante — 
Soulz vng denier — Et de toute autre peyne de drech. 

V. Item que non y aige — Degune personne que — Auze 
mètre bestial gros — Ny menut en las vinhes — De la vng 



* Nous avons indiqué par un trait le commenceifient de chaque ligne 
du manuscrit. 

9 Aujcis, écoute?, entendez. 



_ , ÇRIDBS DB LA COURT DE M. DE LAUZIBRE 203 

de Tautre en — Degun temps de Tan, juste* — Lou edict de 
Monsieur — Le Seneschal de Carca"^®*, — Sus la peyne de 
cinq soulz ; — Et en las vinhes del dict — Seignur de soixante 
soulz — Vng denier. 

vj. Item Que non j aige degune — Personne que auze 
mètre — Degun bestial gros nj — Menut en degun temps — 
De l'an en lous pratz, sus — La peyne de soixante — Soulz 
vng denier. 

vij. Item Que non j aige — Degune personne de mètre 
(sic) — Degun bestial gros nj — Menut en lous bosses — De 
la ung de l'autre en — Temps prohibit et fruictz — Pendentz 
sans liscence — De aquelz que apartiendra — Sus la peyne de 
cinq soulz. 

viij. Rem Que non y aige — Degune personne que auze — 
Mètre deguns portz en — Lous bosses tascarens * que — Se 
tenon del seignur, sans — Lissence de aquelz que ny — 
Auran mezes, et que ou — Venguon rebalar et paguar, — 
Sus la peyne de confiscation — Desdictz portz. 

IX. Item Que non y aige — Degune personne que — Auze 
mètre degun bestial — Gros ny menut en lous — Devezes del 
dict seignur, — Coume en lou bosc de la — Coste *, sus la 
peyne de — Soixante soulz vng denier. 

X. Item Que non y aige — Degune personne que — Auze 
ompre degunes — Leinhes verdes ny seiches — En lous 



' Juste, du latin juœta, selon. 

s Garcassonne. 

3 Bosses tascarens, bois soumis à une redevance agraire appelée la tasca- 
Il y a dans la commune d'Octon un terroir appelé encore la Tasca. 

'• La Coste est un bois d'yeuses voisin d'Octon, situé entre le mas de 
Lhebrard et Ricazouls. 



1^4 DIALECTES ANCIENS 

deuezes deldict — Seignur, sus la peyne de — Soixante soulz 
vng denier. 

xj . Item Que non y aige — Degune personne que — Auze 
mètre nj far — Depaisse degun bestial — Gros ny menut, 
en degun — Temps de Tan, en la prade — Et deues des mo- 
lins del — Dict seignur, ce confronte — En lou camy anan à 
— Bouriairent,* en laMarete* — Enlou en lou (sîc)bezal* des- 
sus — Molis, en lou dict vallat — De Valuedeze * et autres — 
Confronts, et ce sur la peyne —7 De cinq soulz. 

xij. Item Que non y aige — Degune personne que — Auze 
guardar degun — Bestial gros ny menut au — Près lou bezal 
delz moulins — Deldict seignur, per portar — Domaige ni 
far tumbar — Peires dins lou dict bezal, — Ny aion à labo- 
rar de cinq — Passes de ioust ny dessus, — Sus la peyne de 
soixante — Soulx et vng denier. 

xiij. Item Que non y âge degune — Personne que auze 
portar — Degunes cartz mortes de — Fores la terre et juris- 
diction — Deldict seignur, affin de las — Vendre en la dicte 
terre et — Juridiction de Lauziere, — Sus la peyne de soi- 
xante — Et vng denier et confiscation — De la dicte car. 

xiiij. Item Que non y aige — Degune personne que — Auze 
anar en locz en — Pedemiatz • affin de non — Pourtar do- 



■ Bourjairen^ terroir voisin de Lauziôres, mais situé de Vautre côté de la 
rivière. 

^ La Marete, petite rivière affluent du Salagou. On appelle la rivière qui 
descend de Saint-Gervais à Yillemagne la Mare. 

s Bezal ; on dit heal dans le pays: c'est, en français, le biez d'un moulin. 

* Valvedeze, ruisseau qui vient du hameau de Basses et que la carte du 
département, par MM. les agents voyers, désigne par R. de Leverre. Dans 
cette carte, le moulin du seigneur de Lauzières, sur la Marette, est désigné 
par moulin de GoiAbin. — Ce que notre m s. appelle Valvedeze se dit au- 
jourd'hui VaUat Nevede. 

^ Lire enpêdemiatz en un seul mot, lieux atteints de l'épidémie. 



CRIDBS DE LA COURT DE M. DE LAUÇCBRE 205 

mai^e sJz — Habitans, ne aussi ne aion — A reculir degune 
personne — Que vengue del loc — Infaict, en toute la terre — 
Et juridiction de Lauziere, — Sus la dicte peine et d'estre — 
Gitat de tout lou loc et — Juridiction de Lauziere — Per ung 
mes. 

XV. Item Que non j aige — Degune personne que — Auze 
mètre degunes — Inmondecies nj lavar — Draps en las fons 
de — Ladite iuridiction, sus — La peyne de soixante — Soulx 
vng denier. 

xvj. Item Que non y aige — Degune personne que — Auze 
à jouguar à cartes, — Datz nj aultres jocz — Prohibitz, tant 
que lou — Divinal offici se dira, sus — La peyne de soixante 
soulz — Vng denier. 

xvij . Item Que non j âge — Degune personne que — Auze 
mètre degun — Bestial gros ny menut — Per far depaisse dins 
— La terre et juridiction — De Lauziere , sans lissance — 
Deldict seignur et \j — Paguar so que ly appartiendra, — 
Sus la peine de soixante {sic) — Et ung denier. 

xviij . Item Que non y aige — Degune personne que — Auze 
à desturbarlasdences* — Ny portar armes, fors* — Pagelle ', 



^ Def^ces pour danses, source fréquente de rixes dans les villages. 

^ ForSf excepté. 

* Pagéllet c'est, dans le pays, une mesure pour le vin ; d'après Ducange, 
à Toulouse, pajeUare signifie mesurer du bois. Dans notre texte, c'est une 
arme. Nous avons une traduction française de nos Criées, qui remonte à 
la môme époque ; elle traduit fors pagelle par excepté le flos. D'après 
M. Revillout, floSf en vieux français, désigne une arme en forme de fléau 
à battre le grain ; par erreur de copiste, pagelle serait ici pour flagellef de 
flagellum, fouet, fléau à battre le grain, flagel aujourd'hui. Nous sommes 
de l'avis du savant professeur. Peut-être môme, chez nos pères, plagelle 
et pagelle, pour flageUef était le mot admis par l'usage, etc. 

Quem pênes arbitrium est jus et norma loqtiendû 



205 DIALKCTEI8 ANCIENS 

SUS la peyne de — Soixante soulz vng denier — Et confleca- 
tion des armes. 

xix. Item Que non j aige — Degune personne que — Aige 
à tenir vne famme — Publicque de vne nioch — En là, sus la 
peyne de — Soixante ung denier — Et confiscation de liech. 



Les susdictes cries — Ce font avant fere la — Création no- 
velle de — Consulz que ce faict — Annuellement le vnziesme 
— De novembre feste Sainct — Martin au lieu de — Lauziere 
et place publicque. 



(D'une autre écriture plus courante.) 

Le X novembre 1610 ont été publiées suivant les coutumes ; 
le procureur juridict. en a fait les réquisitions en tel quas re- 
quises. 

Consuls esleus la présente année 1610, esleus par Blaze de 
Sallasc, Nadal Tournai et JeanRouaud fils d'autre, consuls de 
la précédente. 

Consul premier: Guilhen Rouaud dit Lausart. 

Segond : Jehan Baumes. 

Tiers : Grégoire Aussatiere en a preste le serment. 

Actories : Raymond Reynes, Pierre Asimeyres. 

Estymaires : Pierre Rouaud d'Octon, Guilhen Guiraudon de 
Tocou. 

Carrieyries: AnthoyneLherauddelaplace, Guiraud Delpon. 

A été arête de commun accord, atendu que la feste Saint 
Martin a esté retranchée et n'est chaumable, que lesd. con- 



CRIDES DE LA COURT DE M. DE LAUZIERE 207 

suis et cries se feront la feste des Armes qu'est le lendemain 
de la feste de Tousantz. 

(Tout est de la même main, mais n'est pas signé.) 



(D'une autre main.) 

Mémoire que le second novembre 1620 ne sommes aies à 
Lauzieres fere les consuls à cause de la pluye. 



— ». 



i 



LA PASSION DU CHRIST 

EN. DIALECTE FRANCO- VENITIEN DU XIV« SIÈCLE 

{Fin.) 



— Erodes fu. sor la sable voultie. 
Par le degreç. li Juyf sunt montie. 
Jésus présente, devant sa* signorie. 
De part Pillât, che lui el mande et envie. 
Che a son voloir. cum a lui tallent et agrie. 
Jésus il cucast. e dit * celle ambaxarie. 
Erodes quert. li Jujf celle ûe. 
Qutd fecit iste, por qoi oit il mort servie. 
Distrent Juyf. ja point nen ert mentie. 
Char se bien note, e si met in oie. 
Cestui ert profete. plains de félonie. 
Par notre terre, a feit sa predicharie. 
Feisant entendre, atot gran glotonie. 
Che il estoit roi. sor Juyf a baillie 
Set nullum règne, n'i a mester nos te Tdie. 
Quod habemus nos, afors la gran baronie. 
Doul grant Cessaire. che cist a desmetie '. 
Por ce volons, che tu le crucifie. 
Erodes * enquier Jhesu. en celle fie. 
Ert donc ce voir, ne moi mentir tu mie. 
Jesu se taist. che tien boce série. 
Tant non demande, ch'il responde ne die. 
Ja rens doul monde, a ce ch'il Ta enquérie. 
Li fous Horodes. nen puit fere non rie. 
Dit a Juyf cestui ert plains de stultie. 

* Ms. ian. 

^ Je lis distrent, sujet < Juifs, t 

' Je lis desmentie. 



LA PASSION DU CHRIST 

EN DIALECTE FRANCO-VÉNITIEN DU XIV* SIÈCLE 

(Fin.) 



— Hérode fat sur la maison voûtée •, 
Par les degrés les Juifs sont montés, 
Jésus présentent devant sa seigneurie, 
De la part de Pilate, qui le lui mande et envoie, 
Pour qu'à son vouloir, comme il lui plaît et agrée, 
Jésus il jugeât : et c'est ainsi qu'ils s'acquittèrent de leur am- 
Hérode demanda aux Juifs cette fois : [bassade.] 

« Quid fecit iste pour avoir la mort méritée ? » 
Dirent Juifs : « Jà point ne sera mensonge, 
Car note bien ceci, et ainsi le mets en ton ouïe ; 
Celui-ci est prophète plein de félonie, 
Par notre terre a fait ses prédications. 
Faisant entendre, non sans grande infamie, 
Qu'il était roi sur Juifs en toute souveraineté. 
Sednullum regnum est (?), pas n'est besoin nous te le dire, 
Quod haheamus (?) nos, excepté la grande seigneurie 
Du grand César, que celui-ci a rejetée. 
Pour ce voulons que tu le crucifies. » 
Hérode interroge Jésus à cette fois : 
a Est-ce donc vrai? ne me dis pas de mensonge. » 
Jésus se tait, et tient sa bouche fermée. 
Tellement il est éloigné de demander qu'on lui permette de ré- 

[pondre ou de dire 
Quoi que ce soit qui ait rapport aux questions qu'il lui a faites. 
Hérode l'insensé ne peut s'empêcher de rire. 
Et dit aux Juifs : a Cet homme est plein de folie. » 

* Ms. Croces. 

^ G'est-à--dire < sur sa terrasse, t 

14 



210 DIALECTES ANCIENS 

Une çamise. corne nois sorgellie. 
Tout aussi blançe. li oit au dos vestie. 
A ce ch'il fust. la profecie conplie. 
Doul sanct prof e te. ch'il avoit profetie. 
Ftvestemcandidam el vestirunt* cel fie. 
Puis a PiUat. Ten oit ensi envogie. 
Quand lor Herodes. en fist sa comandie. 

— For le cornant Herodes. cilli en mena. 

Devant Pillât. Jésus e excria. 

Crucifige, crucifie, et non tardar tu ça. 

Cestui ert lairon. char nostre fois gasta. 

Pillât le prence. a Jhesustost s'en va. 

Aseç Finquer. a lui et a demanda. 

Por nulle rens. ja chaison ne i trova. 

Et a cil tens. Juyf se slonia. 

Le jorn de Passe*, che un usançe observa. 

Tôt li lairons. et anchoi si se fa. 

Che se lairons. doit morir il mora. 

En cel jor meesme. e scamper non pora. 

Mes se le pople. exlir un en voldra. 

Cil chi ert signor. tantost lor le donra. 

Etout les autres, en crois si li apendra. 

En celui point, uns malefactor li y a. 

Che anc en sa vie. nul bien fere usa. 

Fors che rober. et homes ch'il tua. 

Pillât ensi Juyf. e si parla '. 

La usançe ert cil che a vos plaira. 

Schamper de mort, et laisser s'estovra. 

Jésus fu iluec. caschuns Tesgarda. 

Aul pople. dit Pillât et sermona. 

Quem vultis vos Johanem * vel Baraba. 

» La finale unt est mueite, comme dans porrunt (potuerunt) de VÉpitre 
farcie pour le jour de la Saint-Étienne, str. 5, v. 1, éditée par M. 6. 
Paris. 

^ Nous avons déjà vu la finale de Pasque disparaître devant qu. 



LA PASSION DÎT CHRIST 211 

Une chemise, comme neige surgelée 

Tout aussi blanche lui fait endosser, 

Afin qu'elle fût accomplie la prophétie 

Du saint prophète, qu'il avait prophétisée : 

Et vestem candidam le vêtirent cette fois. 

Puis à Pilate l'en eut ainsi renvoyé. 

Quant à eux, Hérode en fit son commandement. 

— Par l'ordre d'Hérode ceux-ci emmenèrent 

Devant Pilate Jésus, et s'écrièrent : 

(( Crucifige, crucifie, et ne tarde pas à faire cela. 

Celui-ci est larron, car à notre foi fit tort. » 

Pilate le prince à Jésus tôt s'en va. 

Beaucoup le questionne, et l'interrogea. 

Pour aucune chose en faute ne le trouva ; 

Et en ce moment Juifs s'éloignèrent. 

Car le jour de Pâque un usage observèrent. 

Tous les larrons — et encore ainsi se fait — 

Que si larron doit mourir, il mourra 

En ce jour même, et échapper ne pourra. 

Mais si le peuple en choisir un voudra ', 

Celui qui est seigneur aussitôt le leur donnera, 

Et tous les autres en croix ainsi lors appendra. 

En cette circonstance un malefactor il y a [bitude,] 

Qui jusque-là dans le cours de sa vie de bien faire n'eut l'ha- 

Si ce n'est dérober, et des hommes qu'il tua. 

Pilate s'en alla vers les Juifs, et ainsi parla : 

« L'usage est, celui qu'il vous plaira 

Sauver de mort et laisser, ainsi sera. » 

Jésus fut là, chacun le regarda. 

Au peuple dit Pilate, et l'entretint : 

« QiLem vultis vos, Johannem vel Barraham, 

^ Je lis Pillai; ensi (p. issit) a Juyf e si parla. 
* 11 faudrait Jesum. 

^ LatÎDisme que j'ai conservé. On trouve des exemples analogues, mais 
en petit nombre, dans nos vieux textes. 



2Vt DIALECTES A14CIENS 

Vobis dimittam, e Juyf si cria. 
Barabam Barabam e Pillât se merveilla. 
Et si Johannem dimittis li Juyf dit li a 
Non es amicus Cesaris. ne james non sera. 



— Pillât s'en torne. quand il oi la clamor. 
Dist a Jhesu. che a feit a cestor. 
Quan si désire, ta mors et ta dolor. 
Jésus se taist. e non respondi aller. 
Pillât lui dist. tu tu tien * pur afoUor. 
Quan toi demand. de cest si feit labor. 
Or parle a moi. non sais che sui pastor*. 
De le romans Cesaire emperaor. 
Del condempner. e del laser sui signer. 
Jésus respond. sur moi nen auris valor. 
Se la puisançe non recoilis desor. 
Pillât Toi. adonch insi defor. 
E dit a Jujf. tôt estes peccaor. 
Quand a cestui. desireç tel langer. 
Che ja nen est. de la mors persenior '. 
Char mielc amec. scamper un robeor. 
Che tôt sa vie. ne fist bien un sol jor. 
Ainç vos place, a estre redemptor. 
De cest chi mal. a grand ni a mener. 
Non fist james. ainç ert plain de dolçor. 
Puis che volec mètre son cors a desenor. 

a 

A mort cucer. nen sui contraditor. 

a o 

Mes bien vos di. soiec de voir certeor. 
Nel voil cucer. por nul terrain temor * . 
De le sang juste, non serai exparsor. 



4 



Je suppose qu'il faut lire tu m'tien. 

2 Pastor n'a pas de sens ici. 

3 Italianisme pour parsonnier, qui a part à. 

* Pour le genre des noms en or, l'auteur suit tantôt la tradition française, 



• LA PASSION DU CHRIST 213 

Vobis dimittam? » Et Juifs s'écrièrent : 

« Barabam I Baraham I )) Et Pilate s'émerveilla. 

— (( Et si Johannem dimihis, les Juifs dit lui ont, 
Non es amicus Cesaris, et jamais ne le seras. » 

— Pilate s'en retourne, quand il ouït la clameur. 
Dit à Jésus : « Qu'as fait à ces geiis, 

Quand ainsi désirent ta mort et ta douleur ? )> 

Jésus se tait, et ne répondit alors. 

Pilate lui dit : « Me prends-tu pour un ennemi, 

Quand je t'interroge sur ce grand malheur ? 

Or parle-moi. Ne sais-tu pas que je suis préteur 

De César le romain empereur ? 

Du condamner et du relâcher je suis maître. » 

Jésus répond : « Sur moi tu ne l'emporterais, 

Si ta puissance tu ne tenais d'en haut. » 

Pilate l'ouït : adonc alla dehors, 

Et dit aux Juifs : « Tous êtes pécheurs. 

Quand à celui-ci désirez tel chagrin. 

Qu'il n'est pas déjà mis à mort. 

Car mieux aimez faire échapper un voleur 

Qui dans toute sa vie ne fit pas bien un seul jour. 

Mais vous plaît cela, plutôt que d'être rédempteurs 

De celui qui mal à grand ni à plus petit 

Ne fit jamais, et qui au contraire est plein de douceur. 

Puisque voulez son corps mettre à déshonneur, 

A mort condamner, je ne m'y oppose pas. 

Mais bien vous dis, soyez-en tout à fait certains, 

Ne le veux juger. Pour nulle crainte terrestre 

Du sang juste ne serai exspersor, 

qui exigeait le féminin (ta damor..., ta dolor), tantôt la tradition italienne, 
qui a conservé le masculin ( por nul terrain temor. ..,che d'un sanglent 
suor). Cf. une observation analogue faite par M. Littré sur H Livres dou 
Trésor, ouvrage français composé par un Italien, Brunetto Latini {Journal 
des sav.,iBnv. 1865, p. 7.) 



214 DIALECTES ANCIENS 

Ne de son cors, nen voil estre occùor, 
Tolite eum tantost e senç demor. 
Secundum legem de tans ancienor. 
Qiuim vos omnes sis. judicate son cor. 
Jugifdistrent. nos nen avons pavor. 
Corne tu ais. bien le poons veoir. 
De cestui juger, chi ert félon traiter. 
Dimitte sanguinis ejus super nos et nostre uxor. 
Et super filios nostros, chi viguirent ancor. 

— An tiel manière, et ensi faite guise. 
En ot Jhesus Pillât, en man tramisse. 
De li Jujf. chi li font gran mesprise. 
Ch'a son voloir. en facent la justixe. ^ 
Keve demande, dos servians senc faitise *. 
La ont portée, e Pillât sur mans Ta prixe. 
Veant le pople. che Jhesu Crist desprixe. 
Lava ses mans. disant cum foi e certise. 
Sicut manus meas. mundo de la sordixe. 
Ausi innocens sui. de cest jugixe. 
Char rens avoir, nen voil de ces malifixe. 
Che a cestui font, ne non cum droitixe. 
Une crois ont. ces plains de crualtixe. 
Devant Pillât, aportee chi la scrixe. 
Sor une table, chi en son fu asixe. 
La letre dit. entendec la divixe. 
Jesits naçarenus, dont Jugif funt mesprixe *. 
Rex Judeorum. pues sur la spalla mixe. 
Fu a Jhesus. ch'a poine sur pes remixe. 
Tan parfu foible. la vie li feit manchixe. 
Del endurer, paine e gabarixe. 
Che il farent Jujf. avant sa oncise. 



* Je lis faMise, 



LA PASSION DU CHRIST 215 

Et de son corps ne veux être occisor. 
Tollite eum bien vite, et sans délai. 
Secundum legem du temps des anciens, 
Quam vos omnes scitis, judicate son corps. » 
Juifs dirent : « Nous n'avons pas peur. 
Comme tu as — bien le pouvons voir — 
De condamner celui-ci, qui est traître félon. 
Dimitte sanguinem ejus super nos et nos femmes. 
Et super filios nostros qui vécurent jusqu'ici. » 

— En telle manière, et ayant agi de la sorte. 

En eut Pilate remis Jésus aux mains 

Des Juifs, qui lui font grande vilenie. 

Pour qu'à leur vouloir en fassent le jugement. 

L'eau demande : deux serviteurs sans retard 

L'ont apportée, et Pilate sur ses mains l'a prise ; 

A la vue du peuple, qui Jésus-Christ insulte. 

Lava ses mains, disant avec sincérité et certitude : 

« Sicut manus meas mundo de la souillure. 

Aussi innocent suis de ce jugement. 

Car rien avoir ne veux de cette mauvaise action, 

Dont celui-ci est victime, et non cum droiture. » 

Une croix ont ces hommes pleins de cruauté 

Devant Pilate apportée, pour qu'il écrive, 

Sur une tablette qui au bout [de la croix] fut fixée. 

La lettre dit, écoutez la devise : 

Jésus Nazarenus (dont Juifs font mépris) 

Rex Judœorum. Puis sur l'épaule mise 

Fut à Jésus, qu'à peine en pieds se tient. 

Tant il fut faible. La vie l'abandonne, 

Par suite des mauvais traitements et des insultes 

Que lui firent subir les Juifs avant sa mort. 



^ Ms. 8um esprixe. 



216 DIALBOTES ANCIENS 

— Juif ont irre. sol por la scriptura. 
Che fist Pillât, desur la table dure. 
Distrent a lui. criant a desmesure. 

Le scrit biaul sir. non est en sa droiture. 

Non regem Judeorum. distrent la gent tan fure *. 

Set qui se fecit. doit estre la faiture. 

Pillât respont. cum une cere schure. 

Quod scripsi scripsi. Char ja por criature. 

Non remorai*. des letres la figure. 

Alleç v'en tost. jent de maie nature. 

Lasec moi ester, fait m' avec mult laidure. 

Cellor s*en vont, plus tost che Tambleure. 

Meurent Jhesu. la sancte persone pure. 

Bâtant e ferant. cum coreges e centure. 

Si r font aller, a plus vilaine portaure. 

Che d'un lairon. chi es toit pris quand il fure. 

E de la crois, tiel fu la chargeure. 

Ch'il porte a dos. ce nos dist la lecture. 

Che a moût gran poine. reman en sa stateure. 

Jusche en Chai varie, o belle ert la planure. 

L'en ont mené, ad englotir mort dure. 

— Desur le mont, chi ert saint e beneic. 

9 

Furent monté, maint des félon Juyç. 
Pristrent la crois, e le fust unt confie. 
Chi nen fu pais, de ligne * bien poliç. 
Sur li ministrent. li noble crucifie. 

9 

Encorone estoit. de spins marie. 
A trois clavais. chi nen sunt mie pontiç. ' 
Por ce che Jhesus. plus dolor en sentie. 
L'ont clavelle. li fêlions antecric. 

a 

* Tan fure est peut-être une mauvaise transcription du mot tafur, si 
usité dans les poëmes postérieurs aux croisades. 

2 Remorai pour remuerai, de re-mutare, 

' Latinisme, de ligne p. de ligno. 



LA PASSION DU CHRIST 217 

— Juifs sont irrités, seulement pour Tinscription 

Que fit Pilate sur la tablette dure ; 

Dirent à lui, criant outre mesure : 

« L*écrit, beau sire, n'est pas en sa droiture. 

Non regem Judœorum^ a dit cette race si criminelle, 

Sed qui se fecit, doit être le texte. » 

Pilate répond avec un visage sombre : 

« Quod scripsi, scripsi» Car jà pour créature 

Ne changerai des lettres la figure. 

Allez-vous-en vite, hommes de mauvaise nature. 

Laissez-moi, fait m'avez mainte offense. » 

Ceux-ci s'en vont plus vite qu'au pas ordinaire. 

Assassinent Jésus, la sainte personne pure, 

[Le] battant et frappant cum courroies et ceinture. 

Ainsi le font aller, en le traitant plus ignominieusement 

Pu'un larron qu'on aurait pris sur le fait. 

Et de la croix telle fut la pesanteur 

Qu'il porte sur son dos, ce nous dit la Bible, 

Qu'à bien grand'jpeine reste debout. 

Jusqu'au Calvaire, où s'étend un large plateau, 

L'ont emmené pour engloutir mort dure. 

— Sur le mont, qui est saint et béni. 

Furent montés plusieurs parmi les Juifs félons. 

Prirent la croix, et le bois façonnèrent 

Qui n'était pas bien poli. 

Sur lui le mirent, le noble crucifié ! 

Encouronné* était d'épines marines. 

Avec trois clous, qui ne sont pas pointus. 

Pour que Jésus plus de douleur en ressentît. 

L'ont cloué, les félons antechrists ! 



' Remarquez encore la confusion des nombres. Ce sont de vraies fautes, 
très-probablement imputables aux copistes, et que je me crois obligé de 
signaler, mais non de reproduire. 



218 DIALECTES ANCIENS 

Por ce ch'U fast. son cors plus en despiç. 

Apres lui. dos leres li ont miç. 

Le vestiment. chi nen furent * pas coisiç. 

Che li fist sa mère, la vergine genetriç. 

Le unt toUu. le Juyf et rauviç. 

Ad un coltel trencant. d'acer forbic. 

a a 

Le vestiment. voilent avoir partie. 
Quand s'acordent. l'un l'autre a enviç. 
Avant metons le sort, sur le vestic. 

a 

A cil chi r juent. Des a lui le beneiç. 
E tout isi farent. adonc fu acompliç. 
Le sant sermons, chi profitiça Daviç. 
Et super vestem meam, ce dit les escriç 
Pomerunt sortent, ce est voir sanc boisic. 

a a a 

Sa virgine mère, lui vit si despoilliç. 
E çel estoit. si gabe et escherniç 
Arder nel poit. fors sol del ploreiç. 
Che la feit grand, cum les oilç de son vie. 
Par pue ne li part, le cors da le spiriç ; 
Et avec lui. sanct Johanes son amie. 

a 

La vergine mère oit dit parle, a moi douce file 
Che sui vos mère, e vos m'estes si grepiç. 
Jésus la garde, suspiros e pensiç. 
Mes ja por ce. ne li oit mie respondiç. 
La vergen mère, de sa teste oit saxiç *. 
Le vels ch'avoit. et non feit plus respiç. 
Vien a son file, le baudrer li oit covriç. 

— Or estoit Jhesus. sur la crois levé. 
Les braç les pieç li unt si estenduç e tire. 
Che da le bu. furent ausi cum desevre. 
Tant l'ont batuç. e tant l'ont flagelle. 

* J'ai cru devoir reproduire littéralement le texte. En bon latin, tnco- 
roncUus avait le sens négatif, non couronné. 
? ^aapiç pour saquéf jeté. 



LA PASSION DU CHRIST 219 

Pour qu'il fût, son corps, plus en mépris, 

Auprès de lui deux larrons y ont mis. 

Les vêtements, qui ne furent pas cousus. 

Que lui fit sa mère, la vierge genitrix, 

Les ont enlevés les Juifs et ravis. 

Avec un couteau tranchant, d'acier fourbi. 

Les vêtements veulent avoir partagés. 

Quand ils sont d'accord l'un avec l'autre, non sans peine : 

(( Auparavant mettons le sort sur le vêtement. 

A ceux qui le jouent. Dieu le leur bénisse ! » 

Et tout ainsi firent. Adonc fut accomplie 

La sainte parole que prophétisa David : 

Et super vestem meam, ce dit l'Ecriture, 

Posuerunt sortent . C'est vrai, sans tromperie. 

Sa vierge mère le vit ainsi dépouillé. 

Et il était si raillé et insulté 

Que regarder ne le put, excepté seulement des larmes* 

Qu'elle versa en abondance cum les yeux de son visage. 

A peu ne se sépare son corps de son esprit ; 

Et avec elle saint Johannes son ami. 

La vierge mère eut dit : « Parle-moi, doux fils. 

Que je suis votre mère, et vous m'êtes ainsi ravi. » 

Jésus la regarde, soupirant et pensif. 

Mais jà pour ce ne lui eut pas répondu. 

La vierge mère de sa tête eut jeté 

Le voile qu'elle avait, et n'hésite plus. 

Vient à son fils, entre ses bras l'eut serré. 

— Or était Jésus sur la croix levé. 

Les bras, les pieds lui ont tellement étendus et tirés, 

Que du buste furent aussi comme séparés. 

Tant l'ont battu, et tant l'ont fiagellé. 



* J'ai conservé la tournure singulièrement elliptique, inais très-intelli- 
gible, de l'original. 



aO DIALECTES ANCIENS 

Che tôt le os. des braç e des coste. 

Li poust hom. bien avoir tout numere. 

Por ce si'n fu. la proficie avère. 

Che le profete Davit. avoit parle. 

Et ossa mea. tant moi ont illi destire. 

Numeraverunt, ces pleins de crualte. 

L'uns des leirons. chi fu aul dextre le. 

Si lui dist Domine, de moi vos remente. 

Quand vos sereç. a la glorie de De. 

Aureç merci de moi. che soie * ne. 

Mes da senestre. li 1ère clavelle. 

Respond a l'autre, che merci oit clame. 

Cum tu is fols, e plains de foUite. 

Quan tu is creables ch'il toi ait aide. 

Che a soi n'en poit. avoir secors done. 

Char se tu crois, che en lui soit tant de bonté. 

De toi sauver, come tu ais conte. 

Di che primer, il ait lui sauve. 

E de la crois, il soit jos devalle. 

Respondi l'autre, cum grand humilité. 

Teis toi dist il. tu di tort e peçe. 

Char nos sûmes dignes, de estre si travaille. 

Lui non est digne, ne li oit mérite. 

Mes sol par nos. oit la il la poine porte. 

Par nos ester, de la chativité. 

Che se il non fust. son cors si atempre *. 

De ce endurer, tout serons periolle. 

Dedanç l'enfern. sevellis e sere. 

Jésus respond. che envers lui/ ert volte. 

Amen. amie, dico en vérité. 

Hodie mecum. en paradis sere. 

* Ms. Suie 

* J*ai reproduit fidèlement la forme pléonastique il... son cors^ parce 
que cette incorrection apparente est une incorrection voulue,usitée encore 
aujourd'hui dans la conversation familière : Ils sont venus, vos amis. J'en 



LA PASSION DU CHRIST 221 

Que tous les os des bras et des côtés 

Lui pourrait-on bien avoir tous comptés. 

Par cela ainsi fut la prophétie réalisée, 

Que le prophète David avait faite ; 

Et ossa mea — tant m'ont-ils détiré I — 

Numeraverunt ces hommes pleins de cruauté. 

L'un des larrons qui fut au côté droit 

Ainsi lui dit : « Domine , de moi vous souvenez. 

Quand vous serez avec la gloire de Dieu, 

Aurez merci de moi, que je sois net [de mes, péchés]. » 

Mais du côté gauche le larron cloué 

Répond à l'autre, qui merci eut crié : 

« Comme tu es fou et plein de foUe, 

Quand tu peux croire qu'il t'aiderait. 

Lui qui ne put à soi-même avoir donné secours ! 

Car si tu crois qu'en lui soit tant de bonté 

Qu'il te puisse sauver, comme tu viens de le conter, 

Dis-lui que tout d'abord il se soit sauvé lui-même, 

Et de la croix il soit en bas descendu. » 

Répond l'autre avec grande humilité : 

a Tais- toi, dit-il, tu dis tort et péché. 

Car nous sommes dignes d'être ainsi tourmentés ; 

Lui n'en est pas digne, et ne l'eut pas mérité. 

Mais seulement pour nous eut-il la peine subie, 

Pour nous ôter de la captivité. 

Que s'il ne fût, son corps, ainsi soumis 

A cela endurer, tous serons en péril (?), 

Dedans l'enfer ensevelis et enfermés. » 

Jésus répond, qui envers lui's'est tourné : 

« Amen, ami, dico, en vérité, 

Hodie mecum en paradis serez. » 

ai remarqué bon nombre d'exemples dans nos anciens auteurs, notamment 
dans les sermons très- corrects du ms. 124 de la biblioth. de Poitiers 
(xm* siècle). C'est donc avecraison que M. de Wailly maintient la leçon de 
son ms. « Il revindrent li dui frère », et qu'il rejette la correction proposée 
par M. P. Meyer : c Si revindrent. »'.V. Revue critique, p. 10, 3 juillet 1869. 



tZi DIALECTES ÂNCIE^S 

— Moût fu Jhesu. sur la orois travaillos. 

Mes li Jujf. schernie et gabos. 

Char surdistrent. et crient tuit a vos. 

tu chi es rois, de Juyf mis en crois. 

Si filius Dei es. or descendeç jos. 

Jésus teisi. chi aller nen fist respos. 

Sa mère el garde, chi oit cors doloros. 

Mulier dist il ecce filius tuus. 

Et a Johans. si li dist en sermons. 

Ecce mater tua. partir m'estuet da vos. 

File dist la mère, cum cist change ert angoisos. 

Quan ge vos pert. chi m' * estes filç espos. 

La plaint * la plore. ses braç al col a pos. 

Aul ber Johans. che ses oilc oit larmes. 

3 

Biauls file Johans '. coment. ferons nos. 
Quand nos perdons, le conseil glorios. 
Veeç cum il oit. le cors senglent e ros. 
Ne non le pois taçer *. mon filç joios. 
Alors sepasme. son cors cheist rétros. 
Quand la sustient Johans. chi ert sufiraitos. 
De celle mort, dond il fu pensiros. 
Tiel fu el dolors. che illi démenèrent amb dos, 
Che ja nen fu cors, tan dur ne despietos. 
Ch'el non plurast. bien plus de trenta dos. 

— Meut fula vergen. plaine d'agu suspir. 
Quand elle voit, son filç ensi morir. 
Mes Jhesus començe. une parole a dir. 
Che li Juyf. porent très bien oir. 
Sicio feit il. Juyf li font venir. 
Asil e fel. par son cors plus afflir. 



♦ Ms chin. 

^ Ms. plait. On trouve exactement la même tournure dans la touchante 
Complainte du jeune galérien (fin duxvn* siècle), citée en partie dans 



LA PASSION BU CHRIST »3 

— Souffrit beaucoup Jésus sur la croix ; 
Mais les Juifs Tinsultent et le raîlleiit, 

Car ils dirent encore, et crient tous à haute voix : 

« toi, qui es roi des Juifs, mis en croix. 

Si filius Dei es, or descendez en bas. » 

Jésus se tut, qui alors ne fit réponse. 

Sa mère il regarde, qui eut cœur douloureux. 

« Mulier, dit-il, ecce filim tum, » 

Et à Jean ainsi lui dit en entretien : 

(( Ecce mater tua : il me faut vous quitter. » 

— « Fils, dit la mère, comme ce départ est plein d'angoisses. 
Quand je vous perds, vous qui me tenez lieu de fils et d'époux!» 
Là se plaint, là pleure : ses bras autour du col a posés 

Au ber Jean, qui ses yeux eut pleins de larmes. 

« Beau fils Jean, comment ferons-nous. 

Quand nous perdons notre glorieux conseil ? 

Voyez comme il eut le corps sanglant et rouge I 

Et je ne puis le défendre, mon fils, toute ma joie ! » 

Alors s'évanouit : son corps tomba en arrière. 

Quand la soutient Jean, qui souffre 

De cette mort dont il fut attristé. 

Telle fut la douleur qu'ils éprouvèrent tous deux, 

Que jà ne fut cœur tant dur et impitoyable 

Qu'il ne pleurât : [il y en eut] (?) bien plus de trente-deux. 

— Bien fut la vierge pleine d'aigus soupirs. 
Quand elle voit son fils ainsi mourir. 
Mais Jésus commence une parole à dire, 
Que les Juifs purent très-bien ouïr : 

« Sitio, fit-il. » Juifs lui font venir 

Vinaigre et fiel. Pour son corps plus tourmenter, 

le volume de la Bibliothèque des merveilles intitulé VArt navale p. 38 . 

La vermine à tonte henre 

Bonge mon corps : 
Hélas I je plains^ je pleure 

Sans nul confort. 

^Ms. Johas. 

^ Je lis tancer. V. français, tensety tencer^ défendre, protéger. 



224 DULEGTËS ÀNCISlNS 

Cum une sponge. boire li font baillir. 
Boire non digne. Jhesus nian ren saisir. 
Afors un pitet. sol por acomplir. 
La proficie. che atrovons en sautir. 
Potaverunt me. quan moi veerunt * transir. 
Felleetaceto. per fer moi plus langir. 
Anche il nen avoit sei de boir vins li sir. 
Omnipotentem mes pur sol oit dessir. 
De boir la mort, por trer nos del martir. 
Ou condance. estions a sevelir. 
Ce ertrenfern. onuls n'en puet ensir. 
Nen fust la mort, ch'il digna englotir. 
Par nostre amor. e tormant sustenir. 
Le segond mot. che dit li sant espir. 
Or escoutec. che vos le sai bien dir. 
Ce fu Eli Eli, cum nos conte li eschir. 
Lamaçabatani. Jugif pristrent a rir. 
E por ce distrent. çestui si foit qerir. 
EUye profete. ch'il vegne a secorir. 

— Delui se grabent. çili plain de mescreance '. 

Quand entendent, la divine sustançe. 

Che Ellye clamoit. par si très fere herance ". 

Dou mont Chalvarie. treble arbre e brance. 

Mes li Jujf. auront certe créance. 

Che il clamast EUye. por certançe. 

Non Tentendent. nen ont tant de siance. 

Char Jhesus ne feit. ja tiel domandançe. 

Aine sej lamente, de divine puisançe. 

Che il leise on cors *. et da lui il feit sevrance. 

a 

' Il fallait Virent; a veerunt » est un mot hybride, à radical français et 
à terminaison latine, qui exprime le temps passé sous la forme du futur. 
V. plus haut vestirunt p. vestirent . 

^ Ms. mescreaçe. 

3 Môme racine que héraut, liai, araldo, poitev- et saintong. arauder : 
crier contre quelqu'un. 



LA PASSION DU CHRIST 225 

Çum une éponge boire lui font donner ; 
Boire indigne I Jésus refusant d'en rien prendre, 
Sauf très-peu seulement pour accomplir 
La prophétie que trouvons en psautier; 

— Potaverunt me, quand moi virent transir, 
Felle et aceto, pour faire moi plus languir. — 
Et pourtant il n'avait soif de boire vin, le sire 
Omnipotentem, mais pour ceci seulement eut désir 
De boire la mort, pour retirer nous du martyre. 
Où condamnés (?) étions à être ensevelis ; 

C'est l'enfer, d'où nul ne peut sortir. 

N'eût été la mort qu'il daigna * engloutir, 

Par amour pour nous, et pour soutenir tourment. 

Le second mot que dit le Saint>-Esprit, 

Or écoutez, car je sais bien vous le dire. 

Ce fut « Fit! Eli/ — comme nous conte l'Ecriture — 

Lamma sabacthanil » Juifs se prirent à rire. 

Et pour ce dirent : « Cet homme ainsi fait quérir 

Elle prophète ; qu'il vienne le secourir. » 

— De lui se moquent ces gens pleins d'incrédulité. 
Quand entendent la divine substance, 

Qui appelait Elie par si forte exclamation. 

Du mont Calvaire tremblent arbres et branches. 

Mais les Juifs eurent ferme croyance 

Qu'il appelât Elie bien réellement. 

Ne le comprennent pas, n'ont pas assez de science; 

Car Jésus ne fit j à telle demande. 

Mais se lamente de divine puissance 

Qu'il laisse son corps, et de lui fait séparation. 



* Ms. ou cors. Je lis : 1** ou lei seon cors ( seon p. son. Voy , Burguy^ I, 
146) ; 2* ou leise (s) on cors, en rétablissant ïs qui aurait di^aru par eu- 
phonie, comme que dans Passe, quand; p. Pasque, quand. 

^ J'ai reproduit l'inversion de l'original. La bonne construction serait : 
N*eût été qu'il daigna engloutir la mort. 

15 



81» DIALECTES ANCIENS 

Char le crier, che EUye en comançe. 

Che fist Jhesu. si fu en sta sentançe. 

Sa vergen mère, chi ert plus jaune d'une rançe *. 

Plaint e suspire. e de lui feit lamentançe. 

Biaul flic dist ele. de durer tant penitançe. 

Ni avec mené, da vieulç ne in jovançe. 

Ai mors orible. par qoi fais tan de triançe *. 

Che non sorprent. celle qui oit tan pesançe. 

Aconpagne moi', a la moi douce sperançe. 

Chi oit ravie. Juyf por ignorance. 

Aul cors je sui. férue d'une lance. 

Che d'outre en outre, mi oit passe cors e pançe. 

— Quant oit ce dit. la mère Jhesu Crit. 
Pasmee * cheit. puis demora petit. 
Quand Jhesu Cris, un autre mot oit dit. 
Che bien Foi. cellor chi lui oit aflit. 

Ë sant Johans. che puis le mis en scrit 

Consumatum est, ce dit Jhesus senç respit. 

Li çev encline, alor se part li espirit. 

Ce fu a dire, ensi l'avons nos lit. 

Che trestuit. che disoient li profit» 

[En icest jorn. del tôt fu acomplit'.]. 

Desur la crois, la ou son cors morit. 

Endroit la seste. le jorn se obscurit. 

Che près l'un l'autre, fu hom e non se vit. 

Li teremot. furent si grand e fit. 

Ch'il versèrent, pâlies e mant abit. 

Ne li oit tam segur ch'a cil point non fuss confit. ^ 

— A celui tens. dond avec entendu. 

' i 

Une usançe. Juyf avoit tenu. 

* Gela rappelle la fameuse comparaison d'Alfred de Musset : « Elle est 
jaune comme une orange, p 
^ Je lis triçançe. ' 



LA PASSION DU CHRIST 227 

Car le crier, qui par Eli commence, 

Que fit Jésus, ainsi fut en cette signification. 

Sa vierge mère, qui est plus jaune qu'une orange, 

Se plaint et soupire, et sur lui se lamente. 

« Beau fils, dit-elle, d'endurer telle pénitence 

N'y avez mérité, soit plus vieux, soit plus jeune. 

Ah ! mort horrible ! Pourquoi fais telle tricherie (?) 

Que tu ne t'empares de celle qui eut tel désespoir. 

Associe-moi à ma douce espérance. 

Qu'y eurent ravie Juifs par ignorance. 

Au cœur je suis frappée d'une lance 

Qui d'outre en outre m'eut traversé cœur et poitrine. » 

— Quand eut ce dit, la mère de Jésus-Christ 
Pâmée tombe. Puis ne tarda guère 
Que Jésus-Christ un autre mot n'eut dit, 
Que bien l'ouïrent ceux qui l'eurent supplicié. 
Et saint Jean, qui plus tard le mit en écrit : 
« Consummatum est/ ce dit Jésus sans répit. 
[Jésus] le chef incline : alors l'abandonne la vie. 
C'était pour dire (?) — ainsi l' avons-nous lu — 
Que tout ce que disaient les prophètes 
[En ce jour-là de point en point fut accompli]. 
Sur la croix, là où son corps mourut, 
Juste à la sixième heure, le jour s'obscurcit. 
Tellement que près l'un de l'autre fut-on sans se voir. 
Les tremblements de terre furent si grands et si complets. 
Qu'ils renversèrent palais et mainte habitation. 
Et qu'il n'y eut personne de si assuré qui dans ce moment ne fût 

[accablé]. 

— En ce temps-là, dont vous avez entendu. 
Une coutume Juifs avaient tenue. 



* Ms. moU a la moi. 

* Ms. pâme. 

^ Vers sauté, que j*ai restitué d'après le sens. 



Î28 DIàLBGTES âNCIBNS 

Cum hom estoit. desur crois apendu. 

Ainç che la mort, aust enûn beu. 

Par plus dolor. avoir lur exmou. 

A gros basions, les genoils li unt rompu. 

A celus chi erent. en crois si estendu. 

Cellor fellon Juyf. et malastru. 

A les dos leirons. chi sont après Jhesu. 

Os e genoil. a bastons li ont crosu. 

Briser volent, les os Nacarenum Jhesu. 

a 

Mes quand furent, après de lui venu. 
Il esgardent. et mort il unt veu. 
E por ce il sunt. del briser retenu. 
Adonc fu avère, le sermons e complu. 
De ou bon profete Davit. q'avoit disu. 
Et non frangèrent crura. ne os de lu. 
Un chrestian. chi apeleç en fu. 
Centurions, se bien sui amentau. 
Che en tôt le tems. dapuis q'il fu neu. 
Avoile estoit. e mes nen avoit veu. 
Tient une lance, aul fer trençant ensu. 
E Jesu Cris, al coste il oit féru. 
Si che a lui en ôst un merveilos pertu. 
Et eve e sang, continua sunt inxu. 
Trosqe al pugn. le sang, fu debatu. 
E cil avogle. quand oit le sang sentu. 
Aul front et a ses oil. dol sang il s'oit metu. 
Plus tost nel fist. cum le veoir oit receu. 



— Quand le veoir. fu rendue a Longins. 
Envers Jhesus. oit feit un biel enclins. 
£ puis oit dit. cest hom nen fu terrins. 
Vere filius Dei erat. Jheçus doul roi divins. 
Che avons si mort, por ire e por ustins. 
Puis se engenoille. si soi clame tapins. 



LA PASSION DU CHRIST 229 

Quand homme était sur la croix appendu, 

Avant que la mort [il] eut enfin bue, 

Pour plus de souflfjpances leur * avoir fait éprouver, 

Avec gros bâtons les genoux alors ont rompus 

A ceux qui étaient en croix ainsi étendus. 

Ces félons Juifs et misérables 

Aux deux larrons, qui sont auprès de Jésus, 

Os et genoux avec bâtons lors ont cassés. 

Briser veulent les os de Jésus de Nazareth. 

Mais, quand furent auprès de lui venus, 

Ils regardent, et mort ils l'ont vu, 

Et pour cela ils se sont de briser abstenus. 

Adonc fut réalisée la parole et accomplie 

Du bon prophète David, qui avait dit : 

Et non fregerunt crura ni les os de lui. 

Un chrétien qui appelé en fut 

Centurion, si je me suis bien souvenu. 

Qui, en tout temps depuis qu'il fut né. 

Aveugle était, et jamais n'avait vu. 

Tient une lance au fer tranchant par le bout. 

Et Jésus-Christ au côté il eut frappé. 

Tellement qu'à lui en fit un merveilleux pertuis : 

Et eau et sang continua ^oni sortis. 

Jusqu'au poing le sang découla. 

Et cet aveugle, quand eut le sang senti, 

Au fpont et à ses yeux du sang il s'est mis. 

[Pas] plus tôt ne l'eut fait que le voir eut reçu. 

— Quand le voir fut rendu à Longin, 
Envers Jésus eut fait une belle inclination. 
Et puis eut dit : « Cet homme ne fut pas mortel ; 
Vere filius Dei erat; Jésus, doux roi divin. 
Qu'avons ainsi tué par colère et par emportement. » 
Puis s'agenouille, ainsi se dit misérable, 

* Confusion des nombres: je l'ai reproduite parce que j*ai trouvé, dans 
des textes vraiment français, des exemples analogues. 



230 DIALECTES ANCIENS 

Débat son piç. e soi apelle frains. 
Pardon demande. Jhesu 11 rend mercis. 
Che a nos le rend, quand nos verons a uns. 
Et si nos condue. aul règne celestins. 
Celui de glorie. chi confundi Chains. 

Deo gratias amen. 



LA PASSION DU CHRIST 231 

Frappe sa poitrine, et se traite d'infâme. 

Pardon demande. Jésus lui pardonne. 

Qu'il nous pardonne aussi quand nous viendrons au terme^ 

Et ainsi nous conduise au royaume du Ciel, 

Au séjour de la gloire, lui qui confondit Caïn. 

Deo grattas amen. 



LES PRÉTÉRITS EN ^G^CT/ 

DANS LA LANGUE D'OC 



RÉPONSE A M. PAUL METESH 



La RevtAC critique * consacre à la Revue des langues romanes 
un article du reste bienveillant, dans lequel M. Paul Meyer 
relève, avec un soin dont nous ne saurions trop le remercier, 
tout ce qui lui paraît défectueux dans la première livraison 
de notre recueil : C'est avec des comptes rendus de ce genre, 
sérieusement étudiés et franchement écrits, que la critique 
rend de véritables services aux auteurs et à la science. 

Nous croyons cependant que M. Meyer ne nous en voudra 
pas si nous faisons nos réserves à propos de quelques-unes de 
ses observations. Il est, par exemple, une question qui ne 
manque pas d'importance : c'est celle des prétérits en egui 
(et non en gui, comme me le fait dire M. P. Meyer), que je 
rapproche des prétérits en eri de certains dialectes. 

Il ne faut pas confondre, ai-je dit *, la terminaison egui 
de la première conjugaison, qui a l'accent tonique sure, avec 
la terminaison gui de la deuxième : conogui, je connus ; pogui, 
je pus, où l'accent porte sur la syllabe ^mî. » 

Il y a donc, selon moi, des prétérits en egui et des prétérits 
en gui. Ce sont les premiers seuls que je compare aux prétérits 
en en, et j'ai pour moi une autorité supérieure à celle des plus 
savants philologues : c'est celle des paysans de l'arrondisse- 
ment de Pamiers, qui disent aimégui, j'aimai ; venguégui, je 
vins, en accentuant Ve, Sur les limites du département de la 
Haute-Garonne, le son du g est à peine perceptible ; enfin, 
aux portes de Toulouse, on dit aujourd'hui aiméri, venguéri, 

* 21 mai 1870. 

^ Revm des langues romanes, 1" livraison, p. 10. 



LES PRÉTÉRITS EN EGUI 233 

Le g fort s'est transformé en r, mais Taccent n'a pas changé 
de place. 

S'il faut maintenant une preuve écrite, je citerai ces deux 
vers de Goudouli, qui seraient faux si on les prononçait avec 
l'accent sur la dernière syllabe : 

Tant pey courrégui, tant sautégui, 
Que qualques coumpaignous troubégui. 

(Obrosdê Pierre Goudouli. ToulonBe, J. Fech, 1693, p. 135.) 

M. Mejer a parfaitement raison de trouver incomplètes les 
quelques notes qu'il veut bien décorer du nom d'introduction 
linguistique à VAlbucasis, Si, avant d'aborder la publication 
des textes écrits dans un sous-dialecte quelconque de la 
langue d'oc, la Revue des langues romanes devait attendre de 
pouvoir offrir à ses lecteurs un travail complet et méthodique 
sur les caractères de ce sous-dialecte , son premier numéro 
ne serait certainement pas encore près de paraître. On aurait 
beaucoup de peine à trouver, je ne dis pas en France, mai» 
en Europe, trois ou quatre philologues qui aient suffisamment 
étudié les caractères distinctifs de nos sous-dialectes méridio-. 
naux. La Société pour l'étude des langues romanes n'est qu'une 
association de chercheurs, particulièrement bien placés pour 
mettre au jour des documents inédits et des observations 
la plupart recueillies sur nature. Ces matériaux sont emma- 
gasinés dans la Bévue; s'ils sont de bonne qualité, nous aurons 
rendu un assez grand service à la science philologique en les 
mettant à sa disposition. Ce serait trop exiger de nous que de 
nous demander dès aujourd'hui de les mettre en œuvre et 
de les présenter sous leur forme définitive*. 

C. DE TOURTOULON. 

^ Je tiens à me justifier incidemment du reproche que me fait 
M. P. Meyer d'avoir injustement blâmé Raynouard de ses emprunts à. 
VAlbucasis. Le Lexique romane qui a pour sous-titre Dictionnaire de la 
langue des Troubadours^ comportait le dépouillement des textes en vers 
et en prose écrits dans cette langue, mais non de tous les textes de 
langue d'oc, puisque beaucoup — et, à mon avis VAibucasis est de cq 
nombre — ne sont pas écrits dans la langue des troubadours. 



ETUDES SUR LA LANGUE DES TROUBADOURS 



I 



LA LIBRE FORMATION DES MOTS 

Avant de pénétrer dans le radieux empire de la poésie du 
mojen âge, il est indispensable, ce me semble, de connaître les 
idées générales et surtout l'admirable langue dont elle se 
servait. 

La langue romane, la plus riche et la plus spirituelle peut- 
être que Ton puisse citer, à cause même de son style hardi, 
mobile, animé de figures étranges et de purs rayonnements, 
étoile de métaphores, plein de sous-entendus et de fines sail- 
lies, offre de grandes et sérieuses difficultés d'interprétation. 
Pour la traduire, il faut tenir compte d'abord des trois sens 
que revêt quelquefois sa pensée , le sens littéral , le sens d'al- 
lusion et le sens d'allégorie ; puis de cette facilité d'expres- 
sion dont la variété est telle qu'elle peut reproduire l'idée, 
non-seulement dans son assertion simple, évidente , positive, 
mais encore dans ses moindres nuances. La langue des trou- 
badours est, en effet, tant par l'influence de l'esprit méridio- 
nal que par sa nature souple et fine, la langue des nuances; 
elle reproduit tous les aspects de la conception, que Ton 
veuille l'étendre où l'atténuer, procéder sérieusement ou hy- 
perboliquement, rire ou se plaindre. C'est ce qui explique sa 
longue domination sur une société élégante et chevaleresque. 
De là une richesse et une mobilité incessante, dont le spec- 
tacle éblouit et fascine. Ce sont ces nuances, comprises sous 
le nom général de nuances d'expression, et dont je dis- 
tingue plusieurs sortes — nuances d'origine, de contexture, de 
sens, d'acception, d'extension, de rapport et d'idiome — que je 



LA LANGUE DES TROUBADOURS 235 

me propose d'étudier successivement, après avoir dit ce qu'il 
importe de savoir des principes qui les régissent. 

Cette richesse, ainsi qu'on le verra par la suite, consiste 
plutôt dans une multiple variation de formes que dans la 
multitude même des mots. Comme plusieurs autres langues 
illustres, entre autres la latine et la grecque dans l'antiquité, 
l'allemande et l'italienne à notre époque, la langue romane 
possède l'immense avantage de pouvoir créer spontanément 
et librement un mot nouveau pour toute idée nouvelle et 
aussi pour toute variante d'idée. C'est, si l'on peut s'expri- 
mer ainsi, une langue en perpétuelle croissance. Ce privi- 
lège précieux du mouvement, qui se retrouve dans d'autres 
idiomes sans doute, mais dans aucun avec le même degré de 
pureté, de persistance et de délicatesse, est ce que je nomme 
la libre formation des mots. 

Quoiqu'il semble qu'une pareille allure ne puisse avoir d'au- 
tre résultat que l'arbitraire, il n'en est rien pourtant. C'est que,, 
quoiqu'elle soit tout à fait indépendante dans ses formes suc- 
cessives, elle n'en agit pas moins en vertu de convenances 
réelles, conformes à sa nature, perpétuées par l'usage, et qui, 
pour l'observateur, ne sont pas autre chose que les principes 
mêmes de la science du langage. De ce que la formation des 
mots est libre, il ne s'ensuit pas, comme on pourrait le penser, 
qu'elle soit irrégulière. Il suffit de l'affirmation précise de la 
liberté pour exclure et bannir la licence. Toute chose libre 
l'est d'après une loi intime, résultant de la nature des choses,, 
agissant dans la plénitude de son activité, et repoussant, par 
sa seule initiative, les petites règles étroites et mesquines de 
l'arbitraire. 

n est donc utile, avant d'examiner séparément chaque sorte 
de nuance, de démontrer : d'abord, que la libre formation des 
mots, leur source commune, est régulière ; ensuite, qu'on est 
en droit de l'appliquer. 

I 
La philologie^ ou science du langage, se compose d^ plu-> 



S36 mALBGTBS ANCIBN8 

sieurs études distinctes. Ce n'est que de Tune d'elles, la ter^ 
minohgie, c'est-àrdire l'étude de la formation des termes, que 
jç veux m'occuper présentement. 

Ainsi que je l'ai dit, cette formation n'a pas été arbitraire. 
Elle s'est appuyée sur des convenances positives, librement 
admises par la raison et librement transmises par l'usage. 
Comme la musique, avec laquelle la parole a une ressemblance 
si parfaite , tant par. sa gamme alphabétaire que par ses 
gradations mélodiques, le langage est né de convenances 
diverses, reconnues entre la nature du son et celle de nos 
organes, leur accord et la pensée. En lui, comme en eux, 
domine cette exigence du nombre, qui est à la fois si impé- 
rieuse dans son action et si féconde par ses résultats. C'est 
assez dire que la loi qui préside à sa nature est la même que 
celle qui préside à la nature entière, la loi de la diversité dans 
l'unité, l'harmonie. Qui dit harmonie dit en effet, selon le sens 
originaire, principe d'unité. C'est pourquoi je la définis : la 
régularité dans le nombre. Cette régularité, nous la retrouve- 
rons d'un bout à l'autre de la nomenclature onomastique. 

Comparée au cri des animaux, la parole est donc une véri- 
table création, puisqu'elle suppose un acte de l'esprit humain, 
soumettant à sa volonté les principes essentiels de l'acous- 
tique. Cela seul suffit pour repousser toute supposition de fa- 
talité. Pour l'invention du langage, comme pour celle de la 
musique, qui n'est du reste qu'un langage simplement modulé, 
l'homme a d'abord constaté l'existence du son, puis ses rap- 
ports avec l'ouïe, et s'est servi des convenances qu'il y avait 
entre eux, de leur accord, pour se mettre en communication 
avec ses semblables. 

Ces principes, quoique souverains et permanents dans la 
nature, n'ont pu être, et n'ont été en effet pour l'homme, que 
de pures conventions, et il est positif que son intelligence a 
donné aux différentes parties du vocalisme et de l'organisme, 
de la dérivation et de la corrélation, le sens qu'il a voulu. La 
nécessité de la parole ayant été reconnue, l'accord du son et 
du sens fut le principe qui présida à sa manifestation régu- 



LA LANGUE DES TROUBADOURS 237 

lière, le langage. Est-ce à dire que rhomme se soit beaucoup 
écarté du vrai, où plutôt de ses constatations, par esprit d'in- 
dépendance ? Je ne le crois pas. Placé au milieu des incessan- 
tes transformations de l'être, des continuelles variations de la 
fantaisie, et las de cette diversité qui est à la fois pour lui une 
satisfaction et une fatigue, il ne tarde pas à reconnaître qu'on 
ne peut la maîtriser qu'en s' élevant au-dessus d'elle et se 
réfugiant dans l'impassible et sereine unité de la loi. Il est évi- 
dent que nous ne pouvons vaincre aucune tyrannie, pas plus 
celle des choses, la nécessité, que celle des hommes, la servi- 
tude, qu'en faisant de sa force la puissance de notre volonté, 
de son affirmation la certitude de notre esprit. S'il était pos- 
sible de supposer que chacun pût faire à sa guise, en fait de 
langage, qu'en résulterait-il? D'abord l'impossibilité de se com- 
prendre les uns les autres, puis l'impossibilité de se comprendre 
soi-même. On ne peut échapper à cette confusion, qui irait 
contre le but même de l'invention du langage, que par un 
assentiment libre et résolu à ce qui est sûr, évident, incontes- 
table, la vérité. 

Voilà comment cet assentiment libre aux lois naturelles a 
pu être nécessaire sans être cependant fatal. S'il est devenu 
obligatoire par la suite, c'est qu'il en est ainsi de tout ce que 
le temps soumet à sa prescription. Mais cette obligation ne 
blesse pas plus notre libre arbitre que la nécessité ne blesse la 
raison, puisque toutes deux ont la même cause, le sentiment 
de l'harmonie. Sans doute, il est aussi nécessaire d'établir des 
rapports intellectuels entre les hommes que d'assurer le main- 
tien de ceux que l'on a établis ; mais s'il est certain que, malgré 
la nécessité, la création du langage a reposé sur un acquies- 
cement volontaire à cette harmonie universelle, il est certain 
aussi que, malgré l'obligation, l'usage repose sur un autre 
acquiescement à la convention déjà existante. C'est que sans 
le respect de la tradition, non plus que sans la mesure, il ne 
peut 7 avoir d'indépendance assurée. La liberté ne détruit pas 
ce que la liberté a fondé. Quoique harmonieux dans ses par- 
ties, à la fois nécessaire et obligatoire. Tordre n'est cependant 



238 DIALECTES ANCIENS 

pas autre chose que la persistance de la liberté, la liberté per- 
pétuée. Dans r éternelle nature, il s'affirme, non pas seule- 
ment par une déclaration de droits actuels, mais encore par 
le respect de tous les droits, qu'ils appartiennent au passé ou 
à l'avenir. Prenons un exemple : on convint, pour nos langues 
occidentales, que la lettre a brève serait féminine, sans doute 
parce qu'on crut reconnaître dans la douceur et la beauté de 
cette voyelle des rapports avec les qualités analogues de la 
femme ; une fois cette convention établie, acceptée par le plus 
grand nombre et propagée par l'habitude, eUe devenait par 
cela même une règle nécessaire, qu'on ne pouvait enfreindre. 
Plus tard, la science en fit une loi, parce qu'elle reconnut à 
son tour que cette convention avait été naturelle et sa tradi- 
tion régulière. Ainsi, de cette convention, d'abord purement 
facultative, qu'on pouvait recevoir ou rejeter, l'usage a fait 
une convention admise, c'est-à-dire une règle, et la science, 
une convention stricte, c'est-à-dire une loi. 

Et cependant la preuve que l'on aurait pu faire autrement, 
que le libre arbitre a agi dans sa plénitude, c'est qu'il y a des 
dialectes où cette voyelle n'est pas la féminine. 

II 

Si l'on examine avec attention la contexture des vocables, 
on reconnaît bien vite qu'il en est de deux sortes. Les uns 
ont été faits évidemment d'une seule pièce, comme cant, talhy 
dur; les autres ne l'ont été que par la modification de vocables 
déjà existants, comme cant-ar, re-talh, en-dur-ar. C'est en vertu 
de cette observation, je pense, que les anciens nommaient 
termen, terme, le vocable fixe, et motus, mot, le vocable mû, 
le vocable modifié. 

De là la distinction à établir entre les mots de première for- 
mation et les mots de formation secondaire, ou si l'on veut, 
pour employer des expressions reçues, en mots simples et en 
mots composés. Delà aussi, dans la terminologie, deux parties 
naturellement distinctes : V archéologie, qui traite de l'origine 



LA LANGUE DBS TROUBADOURS 239 

du langage, et par conséquent des mots simples, lesquels sont 
presque toujours des archaïsmes, et la néologie, qui s'occupe 
de la modification et par suite des mots composés, que nous 
comprendrons généralement sous la dénomination de néolo- 
gismes. 

Il est à remarquer que, si toutes deux reconnaissent pour 
points de départ Tharmonie imitative, F accord du son et du 
sens, qui est fondamental en fait de langage, elles diffèrent 
beaucoup dans Tapplication, puisque chez Tune cette harmo- 
nie est créatrice et chez T autre simplement modificatrice. 
Pour Farchéologie, en effet, la formation des mots repose sur 
deux convenances de constitution, le vocalisme et Y organisme; 
pour la néologie, sur deux convenances de génération, la 
dérivation et la corrélation. Il en est ainsi, il est facile de le 
comprendre, par suite des nécessités dont j'ai parlé ci-dessus. 

Constitutivement, F accord du son et du sens peut être con- 
sidéré à F état simple ou à F état complexe, selon que le son 
est pur, a, o, ia, io, ai, oi, iai, ioi, ou articulé, no, on, non, cri, 
ins, crit, vint, critz. Dans le premier cas, il constitue le voca- 
lisme, dans le second F organisme. C'est pourquoi Farchéologie 
linguistique se subdivise en deux études secondaires: la, phono- 
logie, qui analyse les divers éléments du terme, et la logologie, 
qui Fobserve dans son ensemble. Toutes deux naissent de con- 
venances particulières, que je vais indiquer brièvement. 

Pour le vocalisme, il faut que le son soit employé conformé- 
ment à sa nature, au sens qui lui est propre ; pourForganisme, 
il faut que chaque idée particulière ait un terme particulier 
qui en soit pour ainsi dire la représentation physique. — Ainsi 
tous deux ont pour principe Funité. Et ce qui prouve que ces 
convenances sont, non pas seulement harmoniques, mais encore 
raisonnables, c'est que, s'il est vrai que le son réponde au sens 
et que le terme soit la vivante image deFidée, il ne saurait y 
avoir plusieurs ^termes pour une seule idée ou plusieurs idées 
pour un seul terme ; cela seul suffit pour condamner et re- 
pousser le système des acceptions équivoques et celui des sy- 
nonymes absolus, qui tendent à se glisser dans nos mœurs. 



240 DtALECTBS ANCIENS 

J'étudierai plus tard, à leur rang, les diverses nuances 
d'expression qui naissent du vocalisme et de Torganisme ; 
pour l'heure, il doit me suffire de remarquer qu'avec eux se 
montrent les premiers mots, les mots simples, ceux que Pascal 
appelait si bien primitifs, parce qu'ils sont l'origine de tous 
les autres. Il est vrai que la phonologie ne possède guère que 
des exclamations, de simples interjections ; mais avec la logo- 
logie apparaissent des mots complets, ayant déjà une certaine 
consistance. Il en est de deux espèces. Si, en vertu de l'har- 
monie imitative, le son vocal reproduit servilement le son na- 
turel, le son produit par les mille voix de la nature, c'est 
l'onomatopée, crit, tron^ freg, etc.; si, au contraire, le son 
vocal reproduit l'idée dans ses caractères, par suite de l'ac- 
cord dont j'ai parlé, c'est le mimologisme, lonk, flum, reide, 
etc. Les langues doivent incontestablement à ces deux sources 
inépuisables ce qu'elles ont de meilleur et de plus expressif. 

III 

L'objet, dont le terme est la représentation physique, une 
fois son existence affirmée par une assertion simple, positive, 
subit toutes les modifications du mouvement. De là, dans sa 
manière d'être, des changements qu'il faut reproduire par des 
changements de langage, si Ton veut être exact. De là aussi 
le principe fondamental de la néologie, qui est de représenter 
chaque variation de l'être par une variation de l'expression. 

Vouloir qu'un seul mot, celui de la forme fixe, pût tenir lieu 
de toutes les variantes nécessaires, ce serait absurde. Quand 
je dis parlar, l'action est simple, et par conséquent au-dessus 
de toutes les modifications qui peuvent se produire. Dans re- 
parlar, l'action est la même, et cependant sa manière d'être a 
été modifiée par une circonstance particulière, tout acciden- 
telle, celle de répétition. La forme parlar n'étant plus suffi- 
sante pour représenter l'idée dans sa nouvelle phase, l'idée 
modifiée, il a fallu nécessairement lui faire subir une modifica- 
tion correspondante. Et celle-ci est d'autant meilleure qu'elle 



La langue des TROUBADOUÏIS 241 

représente avec raison une idée complexe par un mot com- 
plexe, modifié dans le même sens, et qu'elle évite Femploi de 
certaines périphrases douteuses et languides, telles que par- 
lar encara, parlar de novel, etc. 

De même qu'il j a deux sortes de génération des mots, 
Tune directe, la dérivation, et l'autre indirecte, la corrélation, 
il j a aussi, en conséquence, dans la néologie, deux subdivi- 
sions nouvelles : Vétymologie, qui va du simple au composé par 
éléments connus, et Vanalogie, qui procède par ressemblance 
et d'une façon empirique. Toutes deux, du reste, obéissent 
aux convenances particulières que je vais dire ; 

La convenance étymologique provient de cette observation 
importante que chaque aspect de l'idée, n'en étant qu'une 
variante relative , doit être représentée par une variation de 
terme plutôt que par un terme nouveau. Il est convenable, 
évidemment, que l'expression vocale agisse de la même ma- 
nière que l'expression intellectuelle, et soumette le terme à 
une modification de forme qui réponde exactement à cette 
modification d'idée. Il faut donc qu'il y ait, pour chaque 
circonstance à laquelle l'idée peut se trouver soumise, une 
modification déterminée, qui Se lie au terme lorsque cela est 

* 

convenable. 

De là, à part la formation ordinaire des mots composés, 
l'adoption usuelle de plusieurs vocables modificateurs, dits 
initiatifs ou terminatifs, selon qu'ils occupent le commence- 
ment ou la fin du néologisme. Si j'insiste sur cette expres- 
sion, variation de terme, c'est qu'en définitive les dérivés sos- 
tener, retener, contener, atener, sobretener, etc., ne sont pas des 
termes réellement nouveaux, mais bien un terme déjà connu, 
tener, placé dans des circonstances diverses. A mon avis, 
quoique nouvellement fait, un mot n'est pas plus un terme nou- 
veau, si les parties qui le composent ne le sont pas, que l'idée 
modifiée n'est une idée nouvelle. Entre étant en usage, j^renrfre 
aussi, leur accord en composition^ qu'il soit en deux mots, 
entre-prendre, ou en un seul, entreprendre, n'est en fait qu'une 
variation de terme. La langue a le droit de se servir syntaxi- 

16 



242 DIALËGTISS ANCIENS 

qnement de toutes les combinaisons possibles des éléments 
qu'elle possède. 

D résulte de cette première convenance qu'autour de cha- 
que expression simple se rangent les expressions circonstan- 
cielles, qui en dérivent comme d'une racine. C'est ce qu'on 
nomme famille. Elle n'a pas toujours pour attache l'initiatif, 
ainsi qu'on serait tenté de le croire ; elle peut être suffixielle 
aussi bien que préfixielle. Dans le premier cas, de mètre on 
fait remetî^e, sobremetre, demetrey trametre, permetre, sosmetre, 
etc.; dans le second, de sobre on fait sobremetre, sobrevaler, 
sobreprendre, sobrelauzar, sobrevestir, sobramar, etc. 

A son tour, la convenance analogique provient de cette 
autre observation non moins importante, que les circonstances 
auxquelles sont soumises les idées étant les mêmes pour 
toutes, il ne doit y avoir pour chacune d'elles qu'un seul 
terme modificateur, qu'un seul affixe. Exemple : si j'adopte 
pour particule réduplicative re, et que je m'en serve pour dé- 
river re-metre de mètre, il est évident qu'il faudra que j'agisse 
de même dans tous les cas analogues, c'est-à-dire toutes les 
fois que la circonstance réduplicative se reproduira. Ce qui 
fait que les affixes, quoique tous différents pour une seule 
famille, sont cependant les mêmes de famille à famille, lors- 
qu'il s'agit de déterminer la même circonstance. Aux formes 
a-venir, re-venir, sobre-venir, con-venir, etc., de la famille 
venir, répondent les formes analogues a-traire, re-traire, 
sobre-traire, con-traire, etc., de la famille traire ; a-tendre^ 
re-tendre, sobre-tendre, con-tendre, etc., de la famille tendre, etc. 

Par conséquent, de même que nous avons vu les dérivés se 
ranger autour du terme générateur comme étant de son 
espèce, les analogues se rangent autour de celui d'entre eux 
dont r affixe est le mieux caractérisé, comme étant aussi 
d'une espèce semblable. C'est ce que je nomme groupe. Il peut 
être désinenciel ou radical, selon qu'il se sert pour attache, 
pour trait de rapprochement, du terminatif ou de l'initiatif. 
Dans le premier cas, à sobremetre on compare remetre, ira- 
mètre, permetre, sosmetre, cometre, demetre, mètre, etc.; dans 



LA LANGUE DES TROUBADOURS 243 

le second, au même mot, on compare sobrevenir, sobretendre, 
sobretraire, sobrevaler, sobrelauzar, sobrevestir, etc. 

Il n'est pas besoin de dire que cette comparaison peut avoir 
lieu lors même que le sens de T attache ne serait pas parfaite- 
ment défini et que les groupes cantaire, amaire, gabaire, 
donaire, bramaire, etc., retener, revestir, recantaVj retraire , 
rescondre, etc., sont parfaitement réguliers. C'est même pour 
Fanalogie un avantage immense sur Tétjmologie, puisque 
cette dernière ne peut jamais s'exercer qu'en connaissance de 
cause. 

Il est facile de voir que la corrélation ne diffère de la déri- 
vation que par l'allure ; leur différence est^surtout en ceci que 
l'étjmologie tire tout du terme, et que l'analogie y ramène 
tout. Etant donné, je suppose, la famille suffixielle suivante, 
dont le terme est tener: 

SoS'tener, re-tener, con-tener, a-tener, etc., 
l'analogie prendra chacun de ces mots, par sa modification 
particulière, son préfixe, et le rapprochera de mots semblables, 
pour en déterminer le groupe : 

SoS'tener : sos-metre, sos-traire, sos-prendre, etc.; 
Re-tener: re-metre, re- traire , re -prendre, etc.; 
Con-tener : co-metre, con-traire, com-prendre, etc.; 
A'tener : ad-metre, a-traire, a-prendre, etc. 
Il en sera de même de la famille préfixielle, en rapprochant 
chacun de ses suffixes de son groupe naturel. Ainsi, pour 
l'étjmologie, l'attache est le point de départ; pour l'analogie, 
le point de tendance. C'est assez dire que le classement par 
analogie est inverse de celui par étymologie, et qu'il en régu- 
larise l'expansion par un retour à l'unité. Malgré sa mobilité 
en apparence excessive, la libre formation des mots, qu'elle 
soit déritavive ou corrélative, est donc exacte, puisqu'elle a 
l'harmonie, la régularité dans le nombre, pour principe et pour 
fin. Par des procédés divers, disposant le mot d'après quatre 
arrangements réguliers, tenant compte de toutes ses parties, 
elle en précise rigoureusement et la composition et la valeur. 
On ne peut mieux comparer son action qu'à celle de deux cou- 



244 DIALECTES ANCIENS 

rants opposés qui se confondent et s'apaisent l'un rautre,dans 
l'immensité des flots. 

On peut en tirer cette conclusion rassurante pour ceux qui 
s'effrayeraient de sa hardiesse, qu'en linguistique, comme dans 
toutes les autres sciences, tout se réduit à un système de 
classement, et que la terminologie n'est au fond que la plus 
parfaite des nomenclatures. Comme celle des savants, dont 
elle est le prototype, elle classe les mots, et partant les idées, 
selon leur valeur respective ; elle a de plus l'avantage d'être 
complète, •puisque sa classification est double, fixant le genre 
par son action directe et l'espèce par l'inverse, ramenant la 
diversité à l'unité après l'en avoir fait surgir, et aussi parce 
que ses dénominations sont naturelles et non barbares. 

IV 

Tandis que l'étymologie a pour guide, pour âme, la science, 
l'analogie n'a pour s'appuyer que l'usage. Ce que la néologie 
nomme initiatif et terminattf, à cause de la position, et l'éty- 
mologie préfixe et suffixe, parce qu'elle en connaît le sens, 
l'analogie le nomme radical et désinence, parce qu'elle l'ignore. 
Mais, quoique nos langues actuelles soient de formation secon- 
daire , et par conséquent dépendantes de l'usage et très-diffi- 
ciles à analyser, on peut déduire de ce que j'ai dit, cette con- 
séquence, qu'à l'origine toute particule modificatrice, prise 
isolément, fut significative; et cette autre, que nos langues 
désinencielles ont été d'abord agglutinantes, ainsi que nous le 
verrons plus au long à propos du latin rustique, prédécesseur 
du roman. 

De ce que l'analogie n'est pas scientifique, sa sûreté n'en 
est pas moins réelle ; l'usage, qui n'est, à vrai dire, que la cou* 
tume agissante, la loi en activité, est constant dans ses 
habitudes. Quoique essentiellement mobile et variable, comme 
l'avait déjà remarqué Varron, à l'époque latine, omnis con- 
suetudo loquendi in motu est, pour si empirique qu'il soit, il ne 
Test jamais à ce point de devenir communément arbitraire; la 
loi est en lui, et, s'il n'est pas toujours en accord avec elle, 



LA LANGUE DES TROUBADOURS 245 

on ne peut nier qu'il ne le soit le plus souvent. Pour le peuple, 
r usage est la science même du langage ; science instinctive, 
sans doute, mais dont il ne se fait pas faute de tirer hardiment 
et librement tout ce qui lui est nécessaire. Qu* envielhir se fasse 
par étjmologie d'en modifiant vielhir, ou par l'analogie du 
groupe enardir, enférir, endevenir, enriquir, etc., peu lui 
importe, puisque le résultat est le même. La persistance de 
l'usage n'est pas moins curieuse ; nous en avons une preuve 
dans cette habitude de nos compatriotes de ramener tous les 
verbes à la même désinence, (ex. : rogeiar pour rubescere, 
amoussar pour amosir)^ tous les féminins à la même finale 
(ex.: nora pour nurus, grua pour grus)^ etc. Au lieu de créer 
des exceptions, comme on se l'imaginerait volontiers, il étoufiB 
au contraire celles qui existent et les soumet aux exigences 
de la règle. Il est certain, du reste, que, pour la plupart des 
cas, le patois en remontrerait au langage académique, pour 
la fixité et la pureté des traditions. 

Dans l'état actuel de nos connaissances, l'analogie est 
encore la seule voie que puisse prendre la libre formation des 
mots. Bien qu'instinctif, l'usage existe, et il est facile d'en 
constater la brillante floraison et le magnifique épanouissement, 
tandis que la science, vu le peu d'ancienneté de ses études, 
n'est encore que dans le devenir. Si je demande ce qu'est en- 
treprendre, l'étymologie répondra que c'est un verbe récipro- 
que, formé du simple prendre et du préfixe entre, lequel a 
cette valeur de circonstance ; l'analogie, à son tour, répondra 
que ce mot appartient au groupe entremetre, entrecelar, en- 
trecausar, entreparlar, etc., lequel a le sens de réciprocité 
d'action. Jusque-là les deux procédés se valent ; car, si l'un 
précise la valeur du vocable par l'examen de ses paii;ies, 
l'autre la détermine par une comparaison ingénieuse. 

Mais ce que l'étymologie fait pour entreprendre, dont les élé- 
ments sont connus et distincts dans le discours, entre prendre, 
prendre entre, elle ne le pourra pas pour ceux dont l'origine 
est à enquérir. S'il s'agit de cantaire, par exemple, l'ana- 
logie répondra, oomme à l'ordinaire, que ce mot appartient 



t46 DIALECTES ANCIENS 

au groupe atre précité, lequel indique un individu faisant Tâc- 
tion exprimée par le verbe; mais que diral'étymologie? Rien, 
puisqu'elle ignore la raison scientifique du fait. Or ce qui est 
exact pour Texplication des termes Test aussi pour leur for- 
mation , l'analogie n'étant jamais arrêtée là où l'étjmologie 
avoue son impuissance. 

Du reste, il est bon de remarquer que les néologismes ana- 
logiques sont formés par corrélation d'idées tout autant que 
par corrélation de termes : cantaire n'est pas régulier seule- 
ment parce qu'il appartient au groupe aire, mais aussi parce 
que l'action, cantary suppose un individu agissant, cantaire, 
absolument comme bramar suppose bramaire, donar donaire, 
etc. Les Leys d'amors, après avoir constaté le fait de la déri- 
vation, ainsi que le Donatz proensals, quoique d'une manière 
fautive, parlent de la corrélation d'idées sous le nom de règles 
des noms respectifs. Ainsi, pour Gr. Molinier, fils suppose père : 

Quar tu no podes dire filh, que no entendes payre*. 

Et jour suppose aujourd'hui : 

La tersa {derivatio) en significat solamen, coma huey se desshen 
de jorn, et enpero huey et jorn han diversas votz, pero en signi- 
ficat s'accorda *. 

De même, mais par des corrélations moins violentes, dont 
les attaches sont faciles à saisir, parce qu'on ne sort pas de la 
même famille ou du même groupe, du dérivé amoros se déduit 
la racine amor; du négatif desamar, l'affîrmatif amar; de l'actif 
amant, le passif ama^; du masculin amaire ou pastor, le féminin 
amairits oupastora; de celui qui fait l'action, amador^ celui qui 
peut en être l'objet, amadis; du diminutif cantaret, le positif 
cantar; du réduplicatif revezer, le simple vezer; du comparatif 
genser, le qualificatif gens, etc. C'est qu'après tout, comme 
l'indique son nom, la logique n'est qu'une partie de la science 
des mots; bien penser, c'est le plus sûr moyen de bien parler 
et de bien écrire. 



• Leys d'amors, II, 41 
' Jd, II, 25. 



LA LANGUE DBS TROUBADOURS 247 



Si Ton ne peut douter, après ce que j'ai dit, que le vocalisme 
et rorganisme, la dérivation et la corrélation, ces quatre con- 
venances essentielles du langage, ne soient appuyés sur des 
principes réels, il me semble qu'on ne peut douter non plus 
qu'il n'en résulte le droit de fprmer des mots nouveaux. 
Pourquoi admettrait-on amaire et rejeterait-on les analogues 
abaissaire, ahandonaire , abeuraire, abrazaire, acabaire, acam- 
patre, acorripanhaire, acordaire, acusaire^ adobaire, afamaire, 
etc., qui sont tout aussi réguliers et tout aussi nécessaires? A 
quoi bon déterminer et formuler les lois du langage, s'il était 
défendu de les appliquer régulièrement ? 

Dans la langue romane, la libre formation des mots a toujours 
existé et existera toujours. — C'est une tradition de la vieille 
Gaule, qu'elle conserve fièrement et grandement ; elle n'a pas 
répudié, comme le français, l'héritage de cet esprit gaulois, dont 
le franc parler était si amusant et la fantaisie si étincelante. 
Comme lui, si elle désire que le bon sens soit d'accord avec les 
actes, elle veut aussi que l'essor de la pensée soit libre. Nos 
idiomes occidentaux, d'ailleurs, ne se sont pas formés par des 
emprunts continuels au latin, arrachés lambeau à lambeau, 
ainsi qu'on nous l'enseigne ; ils sont sortis d'un fonds vernacu- 
laire, qui s'est accru progressivement, dans une juste mesure 
et par le propre jeu de son mécanisme. 

Est-ce à dire que la libre formation des mots soit livrée au 
caprice ? Non, car au-dessus des principes énoncés plane une 
exigence étroite, la même qui fit inventer la parole et qui 
veille encore à son accroissement, la nécessité. Rien n'est 
accepté par la langue qui ne soit frappé à son coin. Tout mot 
nécessaire, s'il est selon l'usage, est convenable et par suite 
admissible. D'où quatre remarques évidentes. Nos langues mo- 
dernes étant de formation secondaire, on ne peut admettre 
de mots simples, primitifs, qu'avec une extrême circonspection. 
Le fonds roman étant très-riche, on ne doit emprunter à d'au- 
tres langues que si ses divers éléments combinés ne suffisent 
pas. Tout mot composé, fait de parti pris, pour le plaisir, est 



248 DIALECTES ANCIENS 

par cela seul vicieux et condamnable ; c'est un corps dont 
rame est absente. Enfin tous les éléments de la langue ne sont 
pas également nécessaires en composition : il en est d'une 
nécessité absolue, par exemple ceux qui appartiennent à son 
génie propre ; d'autres d'une nécessité relative ou même con- 
testable, selon qu'ils viennent du latin, du grec, ou d'ailleurs. 
De ces derniers ne peuvent naître que de ces mots savants, 
vrais solécismes, que l'usage populaire bannit et que la langue 
rejette à chaque révolution. 

La libre formation est exigée et par la grandeur de l'esprit 
humain, jaloux de disposer de moyens d'expression multiples 
comme les objets qu'il conçoit ; et parla rectitude du discours, 
qui ne peut exister si l'on n'a pas le mot propre et la locution 
convenable ; et par le dénûment de la langue, qui donnerait 
par abus plusieurs acceptions équivoques au même mot, en 
dépit du bon sens ; et par la traduction, qui lutterait vainement 
avec la hardiesse et la mobilité des langues libres; et parla 
fantaisie, qui aime ce qui change et ce qui se renouvelle sans 
cesse ; et enfin par la versification, que le petit nombre de rimes 
réduirait de force à la monotonie et à l'uniformité. Ajoutons 
que, si la langue est une transmission de règles précises, ainsi 
que je le crois, il serait aussi absurde de vouloir contrarier ou 
condamner la libre formation des mots qu'il serait absurde de 
vouloir arrêter l'expansion de la sève, le développement de la 
feuille, l'éclosion de la fleur, la maturité du fruit. C'est avec 
raison qu'Horace a comparé ses progrès à ceux de la végéta- 
tion. L'arbre ne peut cesser de produire qu'à la condition de 
se rabougrir, de s'atrophier, de périr; de même la langue. 

En résumé, je considère la libre formation des mots comme 
le plus beau privilège de la langue romane ; elle lui doit son 
énergie, sa splendeur et en partie sa réputation. C'est qu'il 
n'est rien de plus indispensable à l'homme, au penseur surtout, 
que la liberté de la parole, cette vivante et retentissante ma- 
nifestation de la liberté de la pensée. Mutiler l'une, c'est 
mutiler l'autre ; lui donner des ailes, c'est faire planer l'esprit 
dans de vastes et mystérieux infinis. 

Achille MoNTEL. 



DIALECTES MODERNES 



ŒUVRES CHOISIES DE ROUDIL 



Les poésies de Roudil sont écrites dans le sous- dialecte de 
Montpellier, tel qu'on le parlait au milieu du xvii® siècle. Le 
recueil qu'il en a laissé sous le titre à^Obras mescladissas d'un 
baroun dé Caravétas* commence en 1642, Tannée même où 
Sage s'éteint misérablement, et finit en 1677, au moment où 
l'auteur de V Opéra dé Frountignan va prendre la plume à son 
tour pour ne la quitter qu'en 1716. Ces trois poètes réunis 
fournissent une succession précieuse de textes qui permet de 
suivre sans interruption, et pendant plus d'un siècle, les varia- 
tions de notre langue vulgaire, d'étudier le degré croissant d'in- 

^ Son nom véritable est Rodil, c'est ainsi qu'il est écrit dans les actes de 
rétat civil; mais la fonne patoise de Roudil a prévalu. 

^ Lc^ Obras mescladissas d'un baroun dé Caravétas, imprimadas à 
Canlagril per Janas Buscaliensis, 1677. Ce titre fantasque demande quel- 
ques explications : la ville de Montpellier était autrefois seigneur et jouis- 
sait noblement du domaine de Garavètes, Combes, Puechconil et Yalène» 
situé dans la commune actuelle de Mûries. Les consuls étaient, dans cer- 
taines circonstances, tenus d'en rendre hommage au roi, et les gens de la 
ville avaient pris l'habitude de se traiter plaisamment de barons de Cara- 
vètes. Habitant de Montpellier, enfant du Clapas, baron de Caravètes, 
c'était synonyme.— Gantagril est un ténement désert et aride situé près de 
Substantion.— Quant au Janas Buscaliensis, ce fut apparemment un de ces 
types populaires et bouffons comme Tony Bouy, Jean Lamprés et autres, 
qu'on a toujours rencontrés dans les grandes comme les petites villes. Les 
registres protestants mentionnent, en 1567, la naissance d'un Jean Busca- 
liensis, fils deFulcrand B. et de Jehanne Rousselet, tenu en baptême par 
le procureur général Philjppi. 



250 DIÀLBGTBS MODERNES 

fluence qu'exerce sur elle la langue française, et de constater 
l'altération des termes et des formes grammaticales qui en de- 
vient la conséquence forcée. Les Folies ont été souvent impri- 
mées, rCjpera Ta été également, et peut-être aurons-nous plus 
tard r occasion d'en parler avec détail ; mais les œuvres du 
baron de Caravètes sont restées jusqu'à ce jour manuscrites, 
malgré l'estime dont elles ont joui dès leur apparition. Nous 
Avons pensé que le choix qui va suivre permettrait d'en appré- 
cier, enfin, le mérite et la supériorité. 

Roudil, en effet, mieux que les autres, sait résister et se 
Soustraire à cet envahissement du français qui va toujours en 
augmentant pendant le xvui® siècle, pour atteindre de nos 
jours les dernières limites. Tandis que Sage, quoique plus an- 
cien, a le défaut d'employer trop souvent et sans nécessité 
des mots français altérés, auxquels il se contente d'appliquer 
une désinence languedocienne, notre auteur, au contraire, 
plus scrupuleux, pénètre dans la contexture intime d'un idiome 
qu'il a profondément étudié* et vers lequel l'attire un charme 
particulier. Son patois, d'une pureté remarquable, est aussi 
loin du vocabulaire trivial et grossier que Sage va ramasser 
dans les mauvais lieux, que du langage quelquefois empha- 
tique et exagéré de Goudelin, surtout dans ses productions de 
jeunesse. C'est le patois naturel et fluide, élégant et familier 
à la fois, qui était alors d'un usage général dans les meilleures 
sociétés de Montpellier, à une époque où bien peu de privilé- 
giés encore se trouvaient initiés à la langue française. Roudil, 
•qui le manie à merveille, excelle à lui emprunter ses locu- 
tions les plus caractéristiques, ses tournures rapides et pitto- 
resques, à mettre en œuvre ces allures vives, flexibles et ca- 
dencées, qui en constituent le génie et que l'esprit local a 
créées presque toujours pour le besoin du moment, obéissant, 
à son insu, à des lois d'euphonie qu'il pratique sans les con- 
naître et sans s'en rendre compte. 

* Il avait composé un DiGtionnaire du patois de Montpellier, que sa 
famille négligea malheureusement de faire imprimer. ( O'AigrefôuiUe.) 



ŒUVRES CHOISIES DR ROUDIL 251 

Sage, d'ailleurs (qu'on peut encore prendre pouf compa- 
raison, parce que Roudil a toutes les qualités de ses défauts). 
Sage est trop franchement du peuple : la fréquentation des 
grands seigneurs a bien pu développer en lui cette prestance 
et cette distinction que les contemporains signalent en sa per- 
sonne, mais son vers garde la marque indélébile de son ori-- 
gine. S'il a du naturel et de la rondeur, il manque de grâce et 
de délicatesse ; et quand par hasard un grain de sel attique s'y 
fait sentir, il produit tout l'effet d'une dissonance. Sa muse 
débraillée se complaît trop, au reste, dans des écarts qui sont 
impardonnables quand, au lieu d'accuser une simple débauche 
d'esprit passagère, ils deviennent en quelque sorte le cachet 
d'un auteur. Aussi la critique serait-elle en droit de demander 
un compte sévère à ses œuvres, à cause de l'engouement dont 
elles furent jadis l'objet, si elle n'avait à se souvenir, comme 
circonstance atténuante, que ses Folies ont ouvert la carrière 
aux autres poètes de notre contrée, et qu'en réalité ce*tte 
vogue procédait moins de son mérite que de l'amour-propre 
surexcité des Montpelliérains, flattés et jaloux d'avoir leur 
poète patois, comme Toulouse et Béziers avaient le leur. 

Il en est différemment chez Roudil : on retrouve toujours 
l'homme d'éducation et de bonne compagnie. Toutes les li- 
cences que la langue vulgaire peut se permettre, il les con- 
naît, mais il n'en use guère, et le bon goût modère constam- 
ment sa verve, tout en laissant à son badinage de quoi défrayer 
grassement la gaîté du lecteur. Ses qualités distinctives sont 
une véritable facilité de versification, une valeur poétique 
soutenue, un style plein de coloris, d' animation et de sou- 
plesse. Roudil est un esprit calme, modeste et mesuré; ne vi- 
sant pas au lyrisme, ne recherchant pas les grands effets,, 
exempt mêîne de l'enflure qui était dans le goût de son époque ; 
rimant à ses moments perdus, en latin, en français, en patois, 
au gré de sa fantaisie ; faisant passe-temps de son érudition 
et de son talent, et ne leur demandant rien de plus que sa dis- 
traction et celle des amis avec lesquels il se trouve, soit à la 
ville, soit à la campagne. 



252 DIALECTES MODERNES 

Ce n'est pas un caractère morose : sa philosophie est em- 
preinte d'une douce et fine bonhomie qui T empêche de creu- 
ser ses souffrances et d'exagérer ses chagrins, lui fait prendre 
les choses pour ce qu'elles sont, et le ramène toujours à la 
gaîté en lui faisant regarder le monde comme une tragi- 
comédie à travestissements. Ce n'est pas davantage un vi- 
veur: s'il chante le vin, c'est sans se griser; s'il chante l'amour, 
c'est toujours le même objet qu'il encense, c'est Rosinde; et 
Roside est tout simplement sa femme, envers laquelle il ne 
commet pas, dans le cours de son livre , la moindre infidélité 
poétique. 

Tous les genres de poésie légère, au surplus, lui sont bons. 
Demandez-lui des sonnets, des satires, des odes, des chansons, 
des airs de ballet, des coq-à-l'âne, etc., il s'en tirera avec 
la même aisance et le même bonheur, et toujours en restant 
dans le même diapason quant à la manière. Aussi, quand on a 
lu <5es vers coulants et naturels où les idiotismes abondent, où 
la pureté de la langue s'allie si bien avec une verve constante 
et de bon aloi, on est bien vite pris de sympathie pour le ta- 
lent original, pour l'esprit fin et enjoué de notre poëte, et l'on 
regrette qu'au lieu de se faire l'éditeur de Sage, il n'ait pas 
plutôt songé à imprimer ses propres poésies. 

Le choix que nous donnons avait été fait par Martin, l'au- 
teur des Loisirs d'un Languedocien, -^ouv entrer dans les pièces 
justificatives de son Essai historique sur le langage vulgaire de 
Montpellier, dont il préparait une seconde édition qui n'a pas 
vu le jour. Tout est inédit, moins le sonnet de la Belle mati- 
neuse, rapporté par d'AigrefeuiUe, et le Testament du Sage, que 
Roudil inséra, avec l'acrostiche qui l'accompagne, à la suite 
de l'édition des Folies de 1650. Martin avait eu deux copies de 
Roudil à sa disposition. Nous ignorons ce que l'une est deve- 
nue ; l'autre, que nous avons vue il y a quelque temps entre 

les mains de M. S , semble être le manuscrit autographe 

de l'auteur, ou tout au moins une mise au net, faite en vue de 
l'impression. Quelques pages de la fin, écrites d'une autre 



dEUVRES CHOISIES DE ROÛDIL 253 

main, sont postérieures à la date du recueil et paraissent in- 
diquer que Roudil vivait encore en juin 1683 *. 

Nous avons, du reste, scrupuleusement respecté l'orthogra- 
phe du manuscrit, et le seul changement que nous nous soyons 
permis a porté sur les désinences. On sait que Tidiome tou- 
lousain était, en quelque sorte, devenu un type pour les poètes 
du Midi qui s'essayaient dans la langue vulgaire. De là cette 
habitude prise jusqu'à Favre de remplacer Va final euphonique 
par Vo, qui donne aux dialectes voisins cette grossièreté et 
cette rudesse qu'on leur reproche. Nous avons rétabli la voyelle 
qui fut toujours la seule admise par la prosodie de notre 
idiome. 

On a peu de renseignements biographiques sur Roudil. Son 
existence fut de celles où se dessinent toutes les qualités du 
cœur et de l'esprit qui font la douceur de la société humaine , 
mais qui, moins admirées que les actions brillantes, ne laissent 
guère de trace après elles. Jacques Roudil naquit à Montpel- 
lier le 31 janvier 1612*. Tout le monde était avocat dans sa 



' C'est un petit in-S® de 377 pages, couvert en parchemin, et dans lequel 
les pièces françaises, latines et paloises, sont mêlées les unes avec les au- 
tres. Les dernières sont les plus nombreuses. Voici quelques titres fran- 
çais ou patois relevés en passant : Ode à Mgr de Schomherg. — Prologue 
d'un bcdlet à Castres, \6il .—Boutade des Tapemois, dansée à Montpellier 
le 6 mars 1650 : Récit des cabaretiers. — Carescausses. Idylle. — Sur la 
beauté de la belle Grefeuille de Nimes. — Prologuo per una œq-^a-Vana 
réprésentada à Pignan. — La Débaoucha dé las fennas daou Pas-Destrech 
é dé San-GuUhen — Les Vendanges de Pignan, 1654. Cette dernière pièce, 
assez longue, ne serait-elle pas Tidée première du petit poëme patois de 
Higaud ? 

2 « Du 8 février 1612. Jacques Rodil, né le dernier jour de janvier, fils de 
M. Daniel Rodil, docteur et advocat, et de damoiselle Henriette de David. 
Présenté a baptesme par maistre Jacques de Rey et damoiselle Mar- 
guerite de Fizes ; baptisé par M. Rudavel. » (Registres protestants, année 
1612.)— Jean Rodil, grand-père de notre auteur, était notaire et procureur 
aux Aydes. Il mourut en 1612, après s'être marié deux fois: l'avec Marthe 
Rey, dont il eut, en 1577, Daniel Roudil, père du poôte; 2» avec Catherine 
Dalard, dont il eut Jean Roudil, trésorier de l'Extraordinaire des guerres en 



954 blALBOTHlS MODERNES 

famille; il suivit une carrière ainsi toute tracée, dans la- 
quelle il apportait ce qu'il faut pour se faire remarquer : beau- 
coup d'instruction, un esprit droit et judicieux, une élocution 
à la fois élégante et facile. C'était Tépoque où la Cour des aydes 
de Montpellier jetait son plus vif éclat. Roudil sut rapidement 
conquérir une des premières places à sa barre, et sa réputa- 
tion égala bientôt celle des Gauteron, des Marcha et autres 
célèbres avocats du temps, dont le nom est aujourd'hui com- 
plètement oublié. 

Mais Roudil était d'une religion qui n'avait pas les sympa- 
thies de l'État. Au lieu d'imiter les abjurations intéressées 
dont presque toutes les familles notables de Montpellier don- 
naient alors le spectacle , il persévéra résolument dans la foi 
protestante ; et cette fermeté presque étrange au milieu de tant 
de gens qui pactisaient, transigeaient, cédaient et se pliaient 
aux changements du temps, lui valut une foule de tracasseries 
qui vinrent troubler sa vie, déjà attristée par la perte succes- 
sive de plusieurs enfants. Sur la fin de sa carrière, il se vit 
même refuser par ses confrères catholiques le titre de doyen, 
qui lui revenait de droit. Il se retira alors à Pignan, et la 
mort vint à propos l'j trouver, au moment où la révocation de 
redit de Nantes l'aurait forcé de répudier une croyance qui 
lui coûtait si cher, ou d'aller traîner sa vieillesse sur une terre 
étrangère *. De son mariage avec Marie de Fargues il ne lui 
restait qu'une fille, mariée avec Hercule Dupleix, s' de la Tour, 
/ et un fils, Jean Roudil, qui se fit avocat comme son père, mais 

qui n'égala pas sa réputation. 

L. G. 

Languedoc. Daniel Roudil, docteur et avocat, épousa en 1609 Henriette ùe 
David, fille de Jacques David, aussi avocat, et seigneur de Montferrier. Hen- 
riette était née en 1581, elle mourut en 1664 ; son mari était mort avant 
elle, en 1656. Jacques Roudil avait un frère (Louis) et plusieurs sœurs, dont 
Tune épousa Jean Geoffret, seigneur du domaine de Garescausses, sur le- 
quel il a composé une pièce de vers. 

' 11 nous a été impossible de découvrir, soit à Pignan, soit à Montpellier, 
la date exacte de sa mort. Tout porte à croire qu'elle arriva sur la fin de 
1684. Houdil avait alors soixante- douze ans. 



ŒUVRBS CHOISIES DE ROUDlL 256 

I 

LOU BAROUN DÉ CARAVÉTAS 



AOU LECTOU * 

Bén que souvéntas fés iéou n'aje crous ni pila, 

léou souj fil d'un oustaou lou milhou dé la vila : 

Moun payre a fort longtéms qu'a plégat soun courdiP; 

Mes ma majre despèys a F esprit tant sutil, 

Que cinq ou sièj cens ans émb'un brassât dé mézes 

Li'an pas pougut ravi la bèoutat que li vézes. 

Aou contrari pus bêla, é jouva dé quinze ans, 

Ela fay cada jour quaouque parél d'éfans ; 

E tant mai dins Toustaou li'a dé jouva maynada. 

Tant maj ma majre vèn pus richa é pus prézada. 

Sans qu'éla intre jamaj dins aquél péssamén, 

D'oun lous poudé nourri toutes hounestamén ; 

Bén qu'ara que parlan éla aje una séquèla 

Dé bestiaou déscouhat, dé filhas qu'on apèla, 

Prestas à maridà ; è d'aoutras au tétin, 

Couvertas propramén dé sarjà é dé satin. 

Ma mayré, aou prémiè cop qu'éla se trouvèt fera ', 
S'accouchèt dé ma sore Alis dé la Bèoufèra, 
Filha de grand esprit, é qu'en soun téms aguèt 
Cent cos maj de galans qu'éla noun né vouguèt. 
Tant éla aviè dé que se fayre trouva bêla. 
Pioy né vénguêt Aounês dé la fon Putanèla, 
Filha escarabilhada, é dé tant bon humou 

' Cette pièce est une espèce d'allégorie pour faire savoir que Roudil est 
originaire de Montpellier ; aussi voit-on qu'il appelle sa sœur aînée Alix 
de la Valfère, ce quartier passant pour être un des plus anciens de la ville. 

^ Plègà soun courdil : plier bagage, mourir. 

3 Fera : enceinte. 



256 DIALSCTBS MODERNES 

Qa'aco li faguèt bén soupçouna soun hounou ; 
Car duran tout un téms éla ténguet escola 
Per dressa dins Famour nostra jouynéssa fola ; 
Ë d'aqui n'arrivèt que caouques galans sious 
L'apélèroun après la fon de Boumbaquious. 

D'aoutras sores iéou n'ay tout'una boulégada : 
Antogna daou Courraou, Jana de TEsplanada, 
Gracia daou plan de FOum, Francéza daou Cannoou, 
Marioun dé la Babota , Anna dé Castèlnoou, 
Lucia daou Pas-Déstrèch, Bétris daou Fous dé Fèrre, 
Que per un gulétoun se fay pas manda quèrre ; 
Mes layssén-las aqui per noumma quaouqués uns 
Das pus braves goujàs, nostres frajres coumuns. 

Froucan dé Pioch-Counil, couma m'a dich ma mayre, 
Gran dé cor é d'esprit, fouguèt moun prémiè frayre. 
Ela s'accouchèt pioj dé Jan daou Merdansou 
E daou célèbre éfan Toni dé Pièch-Pinsou, 
Que vénguèt amourous dé Grazinda dé Latas, 
Que n'es fola d'amour dé Jan dé Salicatas ; 
Mes lou sort fantastic, sans qu'on sapia couci, 
Défén à toutes dous dé se poudé gaouzi. 

Bèrtoumiou dé San-Ruf, grand damoussur dé quilhas, 
Que fouguèt aoutras fés pajre dé mila filhas, 
Es un dé mous gèrmans ; mes cèrtèns accidéns, 
Quaouquas annadas a, li'abatèroun las déns ; 
Si bén que tout un téms esfialat d'un catari, 
El visquèt couma un mort preste à métré aou suzari. 

Per d'aoutres fratilhous, iéou n'aj tout un milhè ; 
Se lous vézias énsén, sembloun un abélhiè : 
Hector doau Cros-daou-Bioou, Jan de la Palissada, 
Guilhaoume daou Cam- Ver, Guiraou de la Pouïada, 
Toni dé San-Guilhèn, La Toure d'én-Canét, 
Jacoumar daou Palaj, San-Marti-de-Prunét, 
San-Jan, San-Bertoumieu, lou Pés de l'Archinbèla * 

^ Le poids du Roi. 



ŒUVRES CHOISIES DE ROUDIL 257 

Lou Roc-de-Pézénas, lou Valat-de-la-Bèla, 
San-Roc, lou Coulombiè, Boutounet é Mounmaou, 
Montaoubérou, Maoubos é lou Pon-Jouvénaou, 
E tan d'aoutres éfans doun lou noumbre m'accabla. 
Daqui vézès s'ïéou souy d'una raça hounourabla ; 
E s'iéou n'ay pas sujet émbe tant dé paréns, 
A quaou noun m'ajma pas, dé régagna las déns. 
Douncos que me voudra légi que mé legigua, 
E, couma émb'un encan, que voudra dire, digua. 



II 

PINTOULET 



La mitât daou mounde sap pas 
Couci Taoutra çay se baréja, 
E se cadun à soun répàs 
A de poutage ou d'ayga fréja. 
Lou ricbe vilèn es tout soûl 
Que manja é chica soun sadoul, 
Entrémén que lou paoure diable 
S'éniquilis dé malafan, 
Ajassat davan soun éstable 
Faouta d'un micban tros dé pan. 

Un présidén gras couma un bioou, 

Qu'a dé milhouns maj que d'annadas, 

Bén que siè caoudet couma un ioou, 

S'acata dé quinze ûassadas. 

Lou fréch lou toca pas jamaj, 

Siè quand se leva ou quand se jay. 

Né ris tout soûl quand s'éstouroulha 

Assetat davan un brazàs. 

Quand un coucarou s'éspézoulha 

Aou sourél jout quaouqué bartas. 

17 



258 DIALECTES MODERNES 

Un richard, d'un aoutre constat, 
Prén, la nioch, una jouyna filha, 
E, daou fioc d'amour tréspourtat, 
A gogo cabis sa védilha. 
El resta tout émbalaouzit 
Daou plazé d'avédré gaouzit 
D'aquéla béoutat angéliqua, 
Daou téms que lou paoure Vidaou, 
Per récata sa fréja biqua. 
Pot pas trouva lou méndre traou. 

Toujour lou mounde vaj ansin ; 
Ayci richéssa, alay paourièjra. 
L'un d'un calhaou fay soun coujcin, 
Laoutre a couycin é couycinièjra. 
L'un a vingt plats à soun soupà, 
Un aoutre pot pas atrapà 
La mitât d'unasalabida*. 
L'un a d'éscus à plén paniès 
E de blat per touta sa vida ; 
L'aoutre na ni blat ni diniès. 

Visquén doun couma avèn visent, 
Sans s'esglaïa dé la paourieyra : 
Efan nascut Dieou la pascut ; 
Quaou n'a d'oustaous, a la carïeyra, 
Dégus noun mouris pas dé fan. 
Lou blat a mermat aquést'an, 
E lou vin bayssa d'houra en houra. 
Que qu'arrive, iéou souy countén; 
Quand cugaray, save pas quoura, 
Mé réstara que trop d'argén. 



La melette, poisson. 



ŒUVRES CHOISIES DE ROUDIL 259 

Que lou riche, que Tusuriè, 
Crèbou dé rire en sas mouninas ; 
leou é Pièrrou lou courdouniè 
Créban milhou dins las cousinas. 
Lous tacans* gaouzoun pas manjà, 
E noun pensoun rés qu'à loujà 
Kargén que raouboun sus lur mayssa ; 
Naoutres n'avèn pas dé quibus 
Per croumpa ni coffre ni cayssa : 
Lou fican tout dins gorgibus. 

Qu'oun n'aoura prou, que lou bon Dieou 

N'in done bé tant que s'éspéte ; 

Sa richéssa n'es pas per iéou, 

Paoure que souy, souy gras que péte. 

Pot estré que s'iéou n'aviè maj, 

leou série pas sadoul jamay ; 

D' estré riche n'aj cap d'évéja. 

La mitât daou mounde sap pas 

Couci Fautra çay se baréja. 

Viva toujour mous de Vinas ! 



III 



SATIRA 



CONTRA LA RAZOU DÉ l'hOME 



Que lous homes soun baous! que la razou n'es flaca ! 
L'un à gagna d'argén tout soun esprit estaca , 
L'aoutré à l'escampilhà s'estudia nioch é jour ; 
L'un se désséca aou joc, l'aoutré à fayre l'amour; 

' Tacan, maraud. 



260 DIALECTES MODERNES 

L'un rénja soun oustaou quand Faoutre lou ruïna; 
L'un resta aou cabinet, ^l'aoutre dins la couzina ; 
L'un travèssa la mar pèr énflà soun cabaou, 
E per aquél sujet noun crén ni fréch ni caou ; 
L'aoutre, la brèta en l'èr, né noun brama que guerra : 
Pér un moucèl dé pan vén ou dona la terra. 
Dégus n'a cap dé sén. Taou a cent mila frans, 
Que pèr jamaj mouri noun déspéndriè sièis blans : 
E taou dins soun boussot noun a diniè ni malha, 
Que noun sap pas dinna sans bon vin é poulalha. 
L'un ni l'aoutre n'a pas ni rima ni razou, 
E lous dous an bézoun d'una bona licou. 
Mes lou mouïèn aqui dé poudé métré l'ordre ? 

S'anave à^bon talén mes noun gaouze pas mordre. 

Lou grouman es à séc é voou toujour manjà ; 
Dégus jusqu'as ayci n'a pougut lou rénjà. 

La razoù noun es pas tout ce que l'on estima ; 
E rimé asségurat que las bestias anima 
Voou cent mila fés may que noun pas la razoù ; 
Una bestia fa tout é d'houra et dé sézoù. 
La fourniga toujours dins l'éstiéou né méyssouna, 
E manja soun sadoul l'hiver amay l'aoutouna ; 
Tandis qu'un couquinàs que n'a rés fach l'éstiéou, 
Creva dé fan l'hiver é nut mostra lou quïeou. 
L'aoucèl dé quaou l'amour es pèr tout rénoumada, 
Que nourris dé soun san sa nouvèla cloucada, 
Aprén à l'home riche à bayla d'éscus blans 
Per amor dé nourri couma caou sous éfans. 
L'éducatieou per tout ^s una caouza bêla 
Qu'un payre déou toujour avé dins sa cervèla; 
Mes que n'i'â, lous tacans, que rizou daou sabé 
E layssoun lous éfans sans saoupre a ni bé, 
Puleou que dé bayla quaouquajsouma, l'annada, 
Per véyre hounestamén sa familha éducada. 
Qu'arriva ? qu'él mouris ; é soun éfan butor, 
Dins quaouques paréls d'ans ataris lou trézor. 



I 



I 



ŒUVRES CHOISIES DE ROUDIL 261 

Razoù, que fazès doun dins aquéla cabocha? 

N'iâ paouc, a dire vray, qu'oun méritoun talocha. 

L'home n'es rés qu'un fat, é créj avé dé sén ; 

É taou se créy savan que n'es qu'un inoucén. 

Taou pèr fa d'armanàs agaja las éstèlas, 

Que jamay n'en saoupra tan que las giroundèlas, 

Que manquoun pas chaca an, quand se sara l'hiver, 

Dé se véni cabi déjout quaouque couver. 

Taou fa soun bon varlét que la méndra cigougna, 

Per fèt de piètat, li fa toujour vergougna. 

Aquél aoucèl sacrât émplèga tout soun téms 

A cerca çaj é laj récate à sous paréns ; 

E noun souffris jamay que lur paoura vièlhéssa 

Noun aje dins lou liech déqué paysse à largéssa. 

L'homé, lou pus souvén, l'iol séc, sans coumpassioun, 

Véy que dé mala fan soun payré se mourfoun, 

Daou téms qu'él, couquinàs, coufit dins lous délices, 

Dins lou milhou lougis se trata à très services. 

Aqui lou magistrat cuga l'iol é fa chut ; 

Lou payre es endacos é sans pan é tout nut. 

Ounté sias-vous, razoù ? que nous dizés-vous ara ? 

L'imé tout naturel d'aquéla bèstia rara 

Que rend à sous paréns soun dévé cada jour, 

Vaou-ti pas may que vous, vantada à pèou rébour ? 

Despioy que lou pécat a gastat la natura, 
La razou noun es rés"qu'una carélha éscura, 
Qu'aou lioc dé nous counduire aou cami que n'es dréch, 
Nous enfourna souvén dins quaouque pas déstréch, 
Ounte adoun la paourota es talamén en péna 
Que layssa ana davan l'azar qu' adoun nous mena. 
D'aqui vèn que l'on vey à tout'houra dé gens 
Que tomboun à moulons dins dé taous acidens, 
Que s'avièn couma caou dé razou dins la testa, 
Se métrièn aou suploch lou jour dé la témpèsta ; 
Mes couma la razoù lur fay pas grand impach. 
Se négoun, couma on dis, dins lou pus méndre éscrach. 



262 DIALECTES MODEREES 

Un jouve miroundèou *, que pèr tout nista é conta, 
Sans agaja pus lion subre una jouva monta ; 
E, quand dins quaouque téms se trova émpachégat, 
Accuzà la razoù, pioj se counfessa un fat. 
Una véouza, à soun tour, sans espéra Tannada, 
Espouza soun varlét de quaou s'èra couyffada ; 
Mes perd daou mèma cop soun hounou, soun cabaou, 
E dé soun home mort caou que quitté Toustaou. 
Razoù, que dizès-vous d'una caouza tant bêla? 
Aco n'arriva pas à cap de tourtourèla. 
Quand soun mascle n'es mort, souléta fay soun hays ; 
En pus d'aoutres, la paoura, oh ! noun, dourmis jamays ! 
Ela noun reçap pas dé pus d'aoutrés Taoubada, 
Jamay charivari noun n'a cap révélhada ; 
Ela servis d'exemple en fèt de fézaoutat * 
Que gardara toujour à sa cara mitât. 

Razoun, ime, véjan quint'és pus rézounable : 
Véouza que se gaouzis en soun varlét d'éstable, 
Ou l'aoucèl que se plan adéré nioch é jour, 
En cercan, en sounan, en sounjan soun amour? 
Dins lous plazés la fénna es malamén négada ; 
La paoura tourtourèla es das plous déssécada. 
Ime fa ce que déou ; é la borgna razou 
Sap pas servi la véouza en soun pus grand bézou. 

Razou, se faou cala, pioy que l'ime doumina; 
E qu'aqu'él bestialét que s'appela l'hermina, 
Per noun mascara pas sa pèl dé vélous blan. 
Abandonna toujour sa vida éndé soun san ; 
Daou téms que foça gens appelas rézounables, 
Fazén d'osca a l'hounou soun pas fort escuzablés : 
Lous bouriqués, ma fouè, toutes azés que sien, 
Per l'hounou de l'éspèça à grand péna ou farièn. 

A bén counclure donne, chaqua home, se pot dire. 
Es un grant animaou que dona bén à rire. 

' Miroundèou, freluquet, — ^ Fézaoutat, fidélité. 



ŒUVRES CHOISIES DE ROUDIL 263 



IV 



SOUNES 



1 

Jamay noun ay dourmit amoun sus lou Parnassa, 
Ni bégut dé la fon dé Témploumat rouci ; 
S'iéou rime quaouque paou, démandés pas couci 
La natura é lou vin m' an fach aquéla graça. 

Jamaj Tayga d'un riou, per tant dé bé que fassa , 
Pot pas d'un tapachot fayre un gay sans-souci. 
A lou qu'es fat quand nay, caou pas dé médéci ; 
Lou sén es pas dé fruch que se crompa à la plaça. 

La natura, en nasquén, met dins naoutres quicon 

Que vaou may qu'Hélicoun é Tayga dé sa fon ; 

Pioy Thome en grandissén d'un bon piôt s'embrayga. 

Ansin se fa lou pouèta, é quaou voou bén rima 
Aou pus mati levât daou milhou déou chimà : 
Jamay n'i'agut bon vers d'un home que béou d'ayga. 

2 
SUS LA PLOJA d'aNIOCH , JOUR DE SAN JORDI 

Jourjét, aquésta fés, se rend la terra amiga, 
Pioy qu'aquél vén foulas qu'aviè fach tout lou jour 
Se chanjà subrenioch en lagrémas d'amour, 
E que lou ciel douvris dé sa grand mar la diga. 

Noun vézian rés dé vèr ; lou razin et la figa 
Eroun toutes braouzis couma la rama aou four ; 
Lou blat aou milhou foun restava jaoune é cour : 
Tout préniè soun éndéc jusqu'à la méndra ourtiga. 



264 DIALECTES MODERNES 

Mes aquéste ploujàs que tout anioch a fach 
Fara lou mèma effet que fay un nouvel lach 
As pichos éfantous qu'una nourriça éngana. 

Déjà tout prén vigou : la vigna crejs d'un pan, 
Lou blat a vista d'iol s'aoussa, flouris é grana ; 
E nMâ que Tuzuriè que se séque aquesf an. 



LA BELA MATINOUZA* 

loj SUS lou gran mati iéou souy sourtit défora 
Per réfréscà moun cor que brulla couma un four, 
Quan aj vis paouc à paouc appareyssé Taourora 
Que, lassa dé dourmi, révéliava lou jour. 

Rousinda en mèma téms, doun l'amour mé dévora, 
Paréys en tant d'atrès qu'éla porta toujour, 
Que cadun que la véy tout esbaït démora 
É créy qu'aco's aqui la mayre de TAmour. 

Cépéndan lou sourél sourtis lou cap, mouréja 
E vézén que pertout la terra é Tair flaméja, 
É qu'aquéla béoutat tréluzissiè may qu'él. 

Dé poou d'avé Taffroun près d'aquéla poulida. 
Sans li'ou dire dous cos s'en es fujit d'aouzida. 
Et Rousinda déspioy nous servis dé sourél. 



* 



L'home lou pus hérous es toujour en fatiga ; 
Aou mounde n'ià jamay cap dé ferme répaou ; 
Tout dona dé martels, lou bén amay lou maou ; 
La roza a sous pounchous tabé couma l'ourtiga. 

' On sait que ce sujet fut traité par tous les beaux esprits de l'époque. 
C'est Maleville, dit-on, qui remporta le prix. Le sonnet de Roudil est rap- 
porté par d'Aigrefeuille. 



ŒUVRES CHOISIES DE ROTJDIL 265 

Taou se roump pès é cap per buta soun éntriga, 
Per estre quaouque jour un éscalou pus naou, 
Qu'entre que li'és mountat, pèr n'en pas fa lou saou, 
Caou que dé laguis cent soun paoure cap faciga. 

Péna ajci, péna ayçaj, péna de tout constat ; 
Péna per s'agandi dins aquél grant estât ; 
Péna pèr s'y téni tout lou téms dé sa vida. 

Douncos pèr fayre bén, sage, faj couma iéou, 
Que n'énvéje pas rés, é, countén d'aco mieou, 
Dinne sans péssamén en moun ajgaboulîda. 



Jamay noun torne pus déjout la canicula 
Brazuquéjà lou fèt dé cap dé fémélan ; 
Aco's una sazoù la pus caouda dé Tan : 
Un home qu'a dé sén adounc déou fa recula. 

Dé se piqua d'hounou caou pas fayra aparénsa ; 
Aco's un poun rasclat qu'entre jun é julhét 
Lon déou pas agaja ni fénna ni caoulét, 
Améns dé fayré pioy tout l'aoutoum pénitença. 

Que s'iéou n'ay pas séduit una tala liçou 
E qu'iéou n'aje cédât à la fina douçou 
D'aquéla que mé tèn estacat per la quèca, 

S'en caou pas éstounà, la car ayma la car ; 
On se véy, on se sara, on se bayza à l'éscar, 
E ]a car à la fin sus l'esprit se rébèca. 

{La fin au prochain numéro,) 



NOTICE 

3UR LE POÈTE-POTIER J.-A. PeYROTTES 



Je crois répondre à Fesprit qui a présidé à la formation de 
la Société pour r étude des langues romanes, en vous adressant 
une courte notice sur Peyrottes, le poète patois que Clermont- 
THérault s'honore de compter parmi ses enfants ; j'espère en 
même temps payer une dettes de reconnaissance envers celui 
qui a chanté notre pays natal dans ces vers si gracieux : 

Clarmoiin-rHépaoull l douça patria l 
A tus raoun amour éternel ! 
Oy, toutd moun idoulatria 
Es pèr lou tioûlat paternel • \ 

J.-A. Peyrottes naquit le 18 mars 1813. Fils d'un potier, 
comme il le dit dans une préface, il mania Targile depuis son 
enfance ; et il aurait vécu toujours heureux en exerçant son 
humble métier, si le démon de la poésie n'avait pénétré dans 
sa modeste demeure. Au reste, il nous a fait connaître les tri- 
bulations de son esprit dans son ode : Adious à la pouésia : 

Incara âiaridat, aymé la pouésia, 

Bouy l coumma ay paou dé sén 1 
Grand Dioû l délivrà-mé d'aquéla frénésia 

Que mé rend languissen ! etc 

Le 24 mai 1838, la Société archéologique de Béziers accorda 
à Peyrottes une mention honorable pour sa pièce Apouthéosa 
dé Pierré-Paul Riquét, Encouragé par ce succès, notre poète 
fit imprimer en 1840 ses premières œuvres ;, nous remarquons 
dans ce recueil : lou Tioûlat paternel, lou Printéns, lou Cant 
del paoumounisté, la Filla dé la mountagna, lou Tombéou dé 
moun pçra, etc., etc. 

' L'auteur (Je cette notice a cru devoir respecter l'orthographe adoptée 
par Peyrottes 



NOTICE SUR PEYROTTBS 267 

En lisant ces pièces de vers naïves et touchantes, on est 
surpris de trouver tant de délicatesse dans un esprit qui avait 
été à peine cultivé. 

Malheureusement, Peyrottes ne suivit pas toujours les inspi- 
rations de son cœur : il abandonna parfois la route qui s'ou- 
vrait naturellement devant lui ; il chercha trop souvent à 
imiter les écrivains en vogue de Tépoque, Lamennais, Béran- 
ger, Lamartine ; quelques-unes de ses œuvres ne sont qu'un 
p astiche de la littérature de 1840 à 1848 ; or notre idiome 
languedocien, plein d'originalité, de sève et de vigueur, ne se 
prête pas facilement à ces imitations serviles. 

La muse de Peyrottes, lorsqu'elle sacrifie au goût du jour, 
ressemble à nos jeunes ouvrières qui croient s'embellir en 
remplaçant le vieux costume populaire par les vêtements à la 
mode ; mais les bonnets à rubans, le rigide corset et les robes 
à grands falbalas, ne donneront jamais à nos jeunes filles 
l'originalité piquante qui caractérisait leur beauté, lorsqu'elles 
portaient encore lou tida-cœur, cette coiffure si séduisante et 
si bien nommée ; la matelota, qui allait si bien à leurs tailles 
souples et robustes, et le jupon court aux couleurs éclatantes, 
qui avait bien quelque charme, s'il faut en croire le poëte, car, 

Lorsque le pied se voit, 
La jambe se devine l 

Ceux qui ne connaissent Peyrottes que d'après les pièces 
auxquelles nous venons de faire allusion ne peuvent avoir 
une juste idée de son œuvre; pour l'apprécier convenable- 
ment, il faut avoir lu ses compositions satiriques, qui, pour 
divers motifs, n'ont pas été livrées à la publicité. 

Le succès de notre poëte dans ce genre est facile à expli- 
quer ; en effet, la satire convient parfaitement au génie par- 
ticulier de notre langue patoise, qui est simple, énergique et 
imagée, pleine de rudesse et de rondeur; elle mérite qu'on lui 
applique le vers célèbre de Boileau en le parodiant : 

Le patois dans ses mois brave l'honnêteté ! 

Peyrottes tira un excellent parti des qualités qui distinguent 



268 DIALECTES MODERNES 

notre idiome. C'est surtout dans ses satires qu'il donna un 
libre cours à sa vivacité naturelle ; souvent le vers est si 
vigoureusement frappé, qu'on croit entendre le sifflement du 
fouet pénétrant dans les chairs. Que ne pouvons-nous citer en 
entier lous Orcholèts ? Des raisons de convenance nous empê- 
chent de le faire, et nous devons nous contenter de signaler 
cette pièce, qui, abstraction faite des personnalités, est un 
petit chef-d'œuvre de verve et d'esprit satirique. 

Nous serons plus à notre aise en mettant sous les yeux du 
lecteur un fragment de la Riposté, pour défendre les membres 
du Grenier poétique : 

... As dich partout que quan voulian Pégase, 

Nous calio toutes sept éscala sus un asé, 

Que l*aaé dé Ghaouchar éra ce que nous cal. — 

As tor, — tus né sios un ; - car as laija croupiéyra ; 

Réguinnas, bramas fermée as poulida criniéyra : 

Té manqua soulamén la barda — é lou moural ! 

Perqué doun t'énrajà ? ~ la caousa es pla certèna. 
Dé que risquas, anfin ? dins lou rec d'Hypoucréna 
T'anarén abioûrà, manjaras fossa brèn, 
Car nostré amie Didiô dé té nourri se piqua. ~ 
Ë n'es pas quicon d'èstré un asé pouétiqua t 
Vay, vay, cada mati toutes t'estréyarén. 

Comme nous l'avons laissé pressentir en commençant, Pey- 
rottes ne fut pas toujours heureux. Condamné à vingt jours de 
prison par la Cour d'assises de Montpellier, pour sa pièce des 
Orcholèts, il eut encore à subir d'autres persécutions qui attris" 
tèrent la fin de sa vie. Abreuvé de dégoûts et d'ennuis, il vit 
venir la mort sans crainte ; et, avant de mourir, il murmurait 
ces vers, d'une mélancolique grandeur : 

mor 1 s*as mayssounnat lou péra, 
Al pu lèou mayssounna lou fil ! 
Regretté pa-rô su la terra, 
Qu'es per lou sage un Hoc d'exil. 
Moun ftma, énsi qu'una fumada, 
S'enfugis del moue d'un flambèou , 
Al Ciel mountaro ranimada, 
É moun corps n'aouro qu'un toumbèou l 



NOTICE SUR PEYROTTBS 269 

Il n'a manqué à Pejrottes, pour être un grand poëte, que 
des conseils et des encouragements. Livré à lui-même, il s'égara 
parfois; mais il nous a laissé cependant quelques pièces pleines 
de charme et d'harmonie qui ont inspiré nos mélomanes cler- 
montais, et que nos jeunes filles chantent en chœur pendant 
les longues soirées d'été. 

Léon RouQUET. 
Glermont-rHérault, mars 1870. 



PHILOLOGIE GÉNÉRALE 



LA VIGNE ET LE VIN 

CHEZ LES SÉMITES ET LES ARIENS PRIMITIFS 



ESSAI D APPLICATION DES TRAVAUX PHILOLOGIQUES CONTEMPORAINS 
A UNE QUESTION d' ŒNOLOGIE HISTORIQUE 

I 

La science positive du langage date d'hier, et ses premiers 
pas ont déjà ébranlé et transformé, à certains égards, la philo- 
sophie de rhistoire : d'une part, la philologie générale a renou- 
velé la grande et obscure question des origines de l'humanité ; 
de l'autre, elle a perfectionné, pour ainsi dire, le génie des 
nuances et la délicatesse des affirmations dans la littérature 
et dans la science contemporaine. On peut affirmer qu'il n'est 
pas aujourd'hui de branche du savoir humain qui ne puisse 
trouver dans la linguistique un secours inattendu. L'écono- 
mie politique y découvre une étonnante justification de la vraie 
théorie de la monnaie, en étudiant la fonction de la valeur du 
bétail telle que nous la fournissent les premiers vocables 
ariens et sanscrits. L'œnologie* peut, elle aussi, essayer de 
percer et d'éclairer, dans une certaine mesure et sous toutes 
les réserves que nous sommes prêt à admettre d'avance, la nuit 
profonde qui recouvre les origines de la culture de la vigne 
et de la fabrication du vin. 

On sait que la plus importante et en même temps la plus 
sûre des découvertes de la .philologie générale, c'est la consta- 
tation de deux grandes familles de langues, rapprochées par 
un trait commun capital, l'emploi des fiexions; distinguées 
d'ailleurs par une conception et une constitution des formes 



LA VIGNE ET LE VIN 271 

grammaticales très-différentes et par un lexique, une termi- 
nologie, un ensemble de racines parfaitement distincts. 

Ces deux groupes constituent ce qu'on appelle la famille 
des langues ariennes et la famille des langues sémitiques. 

Une idée fort vague encore de Leibnitz, une série d'obser- 
vations qui révèlent une ingénieuse et profonde perspicacité 
chez un jésuite espagnol trop peu connu, Hervas, étaient 
restées stériles jusqu'à la découverte de l'antique littérature 
des Hindous : c'est sous l'influence de l'étude du sanscrit et de 
ses riches monuments que commencèrent les admirables re- 
cherches qui sont un titre d'honneur pour notre siècle, et 
qui ont fait de l'analyse des langues ariennes une conquête 
aussi incontestable que féconde. 

Les résultats des grands travaux des Schlegel, desBopp,des 
Grimm, continués par MM. Kuhn, Pott, Lassen, Max Millier, 
Oppert, et tant d'autres, peuvent être résumés aussi briève- 
ment que possible de la manière suivante : les divers peuples 
qui habitent l'Europe et la Caucasie — les Hongrois , les Fin- 
landais , les Basques et les Turcs , étant toutefois exceptés — 
parlent des langues qui ont toutes une origine identique, ori- 
gine qui leur est commune avec les Hindous du brahmanisme 
et les anciens Persans. On a pu retrouver, grâce au pré- 
cieux secours qu'offrait un recueil d'hymnes sacrés contempo- 
rains de la Genèse, le Rig- Véda, le nom primitif qu'a porté le 
peuple parlant la langue mère. La race qui nous a légué, à 
travers des émigrations et des transformations quarante fois 
séculaires, sa grammaire et sa terminologie, se donnait elle- 
même le nom di Ary a, Ariens, et ce nom national laisse encore 
des traces plus ou moins effacées, mais reconnaissables, sur 
une ligne immense qui s'étend de l'Oxus à l'Irlande. 

A côté de ce groupe qui parle les langues sanscrites, ira- 
niennes, grecque, latine, néo-latines, germaines, celtiques, 
slaves, etc., on a constaté la présence d'une autre famille plus 
nettement caractérisée encore. S. Jérôme a indiqué son exis- 
tence; Eichorn a eu l'honneur de lui donner le nom de sémi- 
tique. L'hébreu, l'arabe, l'araméen, le chaldéen, le syriaque, 



272 PHILOLOaifî GENERALE 

le ghèz ou antique abjssin, Tassyrien de Babjlone et de Ni- 
nive, présentent une grammaire et un fond de racines iden- 
tiques pour ainsi dire. La langue hébraïque joue dans ce groupe 
le rôle capital que tient le sanscrit dans la famille indo-euro- 
péenne ; c'est en hébreu que sont écrits les documents sémi- 
tiques les plus anciens, et de beaucoup les plus importants et 
les plus riches. 

Il est facile de reconnaître que ces deux groupes des lan- 
gues sémitiques et ariennes représentent parfaitement, à par- 
tir de la plus haute antiquité, ce qu'on est convenu d'appe- 
ler le monde civilisé proprement dit, en laissant en dehors 
de leur action et de leur empire le monde chinois et tartare 
d'un côté, et de l'autre l'Egypte et certaines sociétés infé- 
rieures, Chamites, Couschites, etc. Les origines de notre civi- 
lisation occidentale, les phénomènes qui constituent ou ac- 
compagnent ses développements successifs, ne doivent donc 
être recherchés et étudiés, au point de vue philologique, 
que dans le sein de ces deux grandes et nobles familles, les 
Sémites et les Ariens. 

Dans la famille sémitique, la parenté est si étroite, si appa- 
rente, l'unité fondamentale des formes grammaticales et des 
racines primitives est si nette, que la plupart des rappro- 
chements légitimes à tenter entre l'arabe, l'hébreu, les lan- 
gues araméennes et, en dernier lieu, l'assyrien de Babylone, 
dès qu'il â pu être sérieusement étudié, se sont opérés avec la 
plus grande simplicité. On a pu dire, avec une très-rigoureuse 
exactitude, que les langues sémitiques ont eu dans l'histoire 
de la science philologique (( cette singulière destinée, que (Tun 
côté, à une époque fort ancienne, elles ont suggéré la méthode 
comparative aux savants qui les cultivaient, et que d'un autre 
côté, lorsque cette méthode est devenue un puissant instrument de 
découverte, elles sont entrées pour peu de chose dans le mouve- 
ment nouveau qui allait régénérer la linguistique^, » 

' Renan, Histoire générale et système comparé des langues sémitiques^ 
préf., XL 



LA VIONB BT LE VIN 273 

Le même point de vue et la même direction appliqués aux 
langues ariennes, si diverses et douées d'un génie de transfor- 
mation et de reviviscence, pour ainsi dire, autrement puissant et 
souple, ont créé la plus ingénieuse des méthodes et donné les 
plus féconds résultats. Un des représentants les plus hardis de 
la philologie comparée a caractérisé d'une façon très-juste un 
des plus fertiles aspects de cette méthode, en intitulant son 
grand ouvrage : Paléontologie linguistique *. Il s'agit, en effet, 
de retrouver un idiome perdu depuis quatre ou cinq mille ans; 
il faut refaire, sans le secours de monuments écrits , dans ses 
grandes lignes, dans ses racines et ses vocables principaux, 
cette langue mère perdue dans une prodigieuse antiquité. 
Mais aussi ces mots primitifs retrouvés, reconstitués, comme 
le fémur ou les vertèbres d'un carnassier des époques primi- 
tives, jettent-ils un jour nouveau sur l'histoire, ou pour mieux 
dire sur cette nuit des temps à l'entrée de laquelle toute in- 
vestigation et toute recherche paraissaient d'abord inutiles! 
C'est avec ces instruments puissants, mais non moins difficiles 
à manier, que la philologie comparée n'a pas craint d'aborder 
les problèmes les plus ardus et en apparence les plus insolu- 
bles. Nous savons aujourd'hui quels étaient les animaux do- 
mestiques entourant les bergers et les laboureurs qui, il j a 
cinq mille ans, sur le plateau de Hindou-Koush, parlaient déjà 
la langue qui devait nous léguer ses éléments terminologiques 
et grammaticaux ; nous connaissons les plantes, les métaux 
dont ils faisaient usage. Nous avons, par exemple, de fort pro- 
bantes raisons de penser qu'ils ne savaient pas encore compter 
jusqu'à mille; il ne nous est guère permis de douter de leur 
ferme et solide croyance en une vie future, etc., etc. 

Lorsqu'on a comparé les vocables d'une même signification 
dans les diverses langues du groupe arien, il reste à rap- 
procher ce premier résultat des racines sémitiques qui expri- 
ment la même idée et représentent un objet oir une action 

' Piolet, les Origines indo-européennes ou les Ayras primitifs, essai de 
pcUéontologie linguistique. 

18 



274 PHILOLOGIE OBNBRALB 

analogues. Généralement, nous l'avons déjà dit, les racines 
ariennes indo-européennes sont parfaitement distinctes des 
mots primitifs sémitiques; mais cette règle n'est pas tout à fait 
absolue *, et en tout cas, pour étudier les rapports et Faction 
réciproque des deux races mères et de leurs principaux repré- 
sentants, Thistoire des temps primitifs ne peut trouver de 
procédé d'investigation plus actif et plus puissant. Par la 
comparaison des éléments radicaux des deux idiomes , la phi- 
lologie comparée fait reculer, pour ainsi dire, les bornes de 
l'inconnu, et elle parvient à résoudre, par delà les monuments 
écrits et les traditions antiques, certaines questions d'origine 
et de rapports historiques qui ne peuvent être abordés que de 
ce côté et sous cet aspect. 

On a maintenant une idée suffisante des procédés que les der- 
nières études philologiques permettent d'appliquer à la con- 
naissance primitive de la vigne et à l'usage primodial du vin. 
Nous n'avons nul besoin d'insister sur les réserves qu'impli- 
que l'emploi d'une analyse et d'une méthode aussi délicates 
à manier, au milieu de chances si multipliées d'ignorance et 
d'erreur. 

II 

L'étude des langues mères de notre civilisation occidentale 
nous amenant à constater, à une époque qui remonte à cinq ou 
six mille ans, l'existence de deux foyers distincts de création 
grammaticale et terminologique, et par conséquent de deux 
centres sociaux parfaitement différents et irréductibles au 



^ Il n'est pas permis de méconnaître entre les Sémites et les Ariens 
une certaine fraternité d'origine. M. Renan l'a très-finement caractérisée 
en l'appelant antégrammaticale {loc. ciL, 1. v, eh ii, 51,); Schlegel 
Bopp, W. de Humboldt, Eugène Burnouf, MM. Ewald, Bunsen, Lassen, 
Benfcy, etc., etc., arrivent à des conclusions analogues; mais il n'est pas 
douteux qu'il y ait eu chez les Sémites et les Ariens deux centres de forma - 
lion grammaticale, syntaxique, et d'élaboration de racines et de vocables, 
esserilioUement différents, quoique probablement irès-voisins. 



LA VIGNE ET LE VIN 275 

point de vue de la linguistique générale*, nous pouvons poser, 
pour ce qui concerne la connaissance de la vigne et remploi 
du vin chez ces races originaires, deux questions capitales 
d'un haut intérêt historique : 

1** La vigne a-t-elle été connue et nommée séparément par 
les deux groupes, ou bien son usage et ses noms sont-ils passés 
d'une race à l'autre? 

2° La fabrication du vin a-t-elle été à la fois découverte et 
généralement appliquée dans les deux centres à la fois ? Et, si 
la réponse doit être négative, est-ce aux Ariens ou aux Sé- 
mites qu'il faut en attribuer l'invention? 

III 

Nous n'hésitons pas à affirmer que la vigne a été connue à la 
fois, très-distinctement, à l'origine des deux centres primitifs, 
arien et sémitique. La démonstration en est facile et la raison 
péremptoire : la terminologie arienne et celle des Sémites sont 
absolument différentes pour tout ce qui concerne les noms de 
la vigne, du cep, du raisin, etc. Une courte analyse suffit pour 
mettre en relief un fait qui ne saurait être contesté. 

Dans les langues sémitiques, le nom principal de la vigne est 
représenté par l'hébraïque pi , GePHeN *. L'origine du mot 
n'est pas douteuse : elle se trouve dans la racine primitive, 
inusitée d'ailleurs, pi, GaBaN, se plier, se courber, curvus, 
inflexus, Gesenius donne au mot gepJien le sens général de 
plante à rameaux pliants ^; c'est là un nom générique spécia- 

' Le problème d'origine proprement dite est formellement réservé par 
la plupart des grands philologues que nous avons cités. 

2 La fonction précise, arrêtée, parfaitement nette, de la voyelle telle que 
l'ont comprise nos alphabets modernes, est étrangère aux Sémites ; elle 
exercerait même, par son application rigoureuse, une vraie perturbation 
dans leur langage. L'écriture ne donne en quelque sorte que le squelcUe 
du mot : ABRaHa^M est identique à IBRaHiM, YodSodPH à JoSePH, etc. 

^ Gesenius : au mot "(S^ — Edition Drach, publiée par Migne, p. 120 
ancienne pagination indiquée 220-b. 



276 PHILOLOGIB aéNÉRALË 

lise dès une haute antiquité. Dans la Genèse déjà, gephen a 
le sens propre de vigne. Ce mot se retrouve en arabe, dans 
les langues araméennes, etc. 

Dans les langues ariennes, la vigne a des noms divers, mais 
qui ne présentent aucune sorte d'analogie avec le radical geph 
ou gab. Le plus ancien de ces noms paraît se rattacher à la 
racine VE ou VET, texere, que nous retrouvons dans T ancien 
italo-latin vieo et dans vimen, tige flexible. Vet ou vit a dû si- 
gnifier à l'origine plante souple et grimpante. C'est une idée 
parfaitement analogue à celle qui est exprimée par gephen 
dans les langues sémitiques, mais les racines sont irréductibles 
et distinctes. Il est curieux, d'ailleurs, de suivre le radical 
arien dans ses pérégrinations historiques postérieures : il a 
été, en effet, appliqué à des plantes bien différentes. Ce vet 
ou vat primitif* donne en sanscrit vitâ, branche; en gothique, 
vitân. On le reconnaît dans les langues slaves et lithuaniennes. 
— Dans l'Inde , il s'applique spécialement au bétel , vitf; en 
Grèce, au saule, irea; chez les Latins, à la vigne, vitis. Spiegel 
l'a retrouvé dans le zend bactrien, vaeti, en pelvhi vit, dans le 
même sens que dans la langue latine. 

En somme, on constate pour le nom de la vigne une forma- 
tion du mot primitif à laquelle président deux conceptions 
analogues, mais deux racines parfaitement dissemblables dans 
les deux groupes. 

En hébreu, en arabe, en ghèz (éthiopien), etc., l'idée de la 
grappe de raisin est exprimée par le mot SstiTK, ASHKoL (la 
forme éthiopienne est ashkal) *. Ashkol exprime comme ge- 
phen une idée générique, celle de baie, bacca, et son emploi a 
été spécialisé dans le sens de grappe de raisin. — Les langues 
sémitiques ont deux autres expressions qui se rapportent au 
raisin : le mot a:iV, ABaB, dont la racine essentiellement chal- 
déenne signifie accumulation, réunion, et plus spécialement 

' Pictet explique le t cérôbral par une altération de la forme primitive 
vrt avec vocalisation. 

^ Gesenius, édition Drach-Migne, 62. 



LA VIGNE ET LE VIN 877 

fruit*, — et ]3nn*, ERTSaN ou ARTSaN, au sens propre, pépin 
de raisin. La racine se retrouve en arabe avec une transpo- 
sition de lettres; elle signifie douleur, grincement de dents. ' 
Artsan se dit spécialement de raisins acides. On Toppose, dans 
un sens plus strict encore, à a^, ZaG, pellicule du raisin. 

Ces diverses racines n'oflfrent aucune ressemblance avec les 
vocables ariens qui correspondent à la même signification. 
L'idée mère qui a présidé à la formation du mot est différente. 
Presque tous les noms du raisin, dans les langues indo-euro- 
péennes, peuvent être rapportés à trois racines ariennes : RAS, 
RAG, RAK; désirer, goûter, couler, être fluide. Nous nous 
bornerons à citer le védique rasa, rasalâ, le fruit succulent ; le 
sanscrit rasitâ, vin ; le persan ras, risi, raisin ; le grec /jaf , d'où 
^'û)f, et le latin racemus '. 

On peut ajouter Tarmoricain raesin, le kymrique rhisyn^ 
mais ils sont peut être venus du français ainsi que les expres- 
sions anglaises et germaniques. 

Le cep, dans les langues sémitiques yy, AA*, ne présente 
aucun point de commun avec les expressions qui rendent la 
même idée dans les idiomes ariens. 

Tous ces résultats sont en harmonie avec les données géné- 
ralement admises de géographie botanique. D'après de Can- 
doUe (G. B. 772), la vigne est spontanée dans toute la région 
caucasique autour et au-dessous de la mer Caspienne ; d'autre 
part, au témoignage de Quinte-Curce (livre III, ch. iv), la Bac- 
triane produisait très-abondamment de superbes raisins. Or 
ce sont là justement les deux régions qui peuvent, avec une 
très-grande probabilité, être assignées comme point de dé- 



^ Le persan ahi me paraît, quoi qu'en dise M. Piolet, être un pur em- 
prunt fait à l'arabe IN, AB ; en chaldéen, frui' . 

' Gesenius. too. cit, 223. 

• Notre français raisin vient de racemus, par l'intermédiaire de racenius, 
qui est indiqué par Ducange. 

* Gesenius, loo, dt,, 481 



278 PHILOLOGIE GENERALE 

part et centres originaires au groupe sémite et à la famille 
arienne *. 

L'étude de la terminologie comparée de la vigne dans les 
deux groupes nous conduit donc, de la façon la 'plus évidente, 
à constater l'emploi de deux lexiques distincts et ne présen- 
tant aucune analogie de forme. Il n'en aurait pas été évidem- 
ment ainsi si une des deux races avait seule, à l'origine, pos- 
sédé et cultivé la vigne, et si l'autre lui en avait directement 
emprunté l'usage. Il faut donc conclure qu'à partir d'une très- 
haute antiquité la vigne et le raisin ont été connus et nommés 
séparément dans le centre arya et dans le groupe sémite. 

IV 

La question soulevée par la terminologie du vin doit rece- 
voir, pensons-nous, une solution bien diiférente. 

Il n'est pas douteux, d'abord, que les Ariens et les Sémites 
n'aient connu de très-bonne heure les boissons fermentées. 
Leur usage et leur abus a laissé, des deux côtés, des traces 
variées dans le langage. Mais il y a, pour ce qui concerne le 
vin, une grande ligne de démarcation à poser entre les deux 
familles. Les recherches que nous allons exposer tendent uni- 
quement à le démontrer. 

Nos ancêtres les Aryas primitifs du Hindou-Kouch connais- 
saient l'ivresse, et pour eux la chaleur, l'ardeur que commu- 
niquent à la vie et à la pensée les boissons alcooliques étaient 
accompagnées d'une expansive et vive gaîté. Le sanscrit vé- 
dique matta, s'enivrer, a été formé avec la racine MAD, se ré- 
jouir, être doux, lœtari. Il représente un des vieux radicaux 
chers à notre race indo-européenne ; on le retrouve à peu 
près partout, le long des dispersions et des transformations de 
la langue primitive : persan, mast; grec, ^oxto^qz = /Awpoç; 



' Voyez surtout: Renan, Histoire générale, t. 1*', ch. n,§ 1 et 3; 
livre V, ch. ii. § v; — et Pictel, toc. cit., tome 1, conclusions générales et 
passim 



LA VIGNE ET LE VIN 279 

latin, mattus; kymrique, meddw, et les mots sanscrits de for- 
mation plus récente, madâ, madua, madunâ, etc. 

La racine MAD ou MUD a fourni, dans les diverses langues 
anciennes, un grand nombre de noms aux boissons enivrantes ; 
mais il est fort remarquable qu'à Torigine, loin de s'être spé- 
cialisée à la désignation du vin, elle a été appliquée à d'autres 
liquides. Le sanscrit primitif madhù, doux, par exemple, a 
signifié à l'origine lait ou miel, puis deux liqueurs distillées 
des fleurs de certaines plantes*, et enfin le vin, mais à une 
époque plus récente. Chez les Ossètes, les Russes, les Lithua- 
niens, les Polonais, la racine est restée avec son application 
aux boissons fermentées, mais elle a désigné l'hydromel. 
Pour le rameau germanique, elle a gardé la signification de 
miel. 

Il y a là une indication assez nette d'un fait capital : la ter- 
minologie du vin dans les langues ariennes est relativement 
récente. Les plus anciens mots tirés des racines primitives se 
rattachent à l'ivresse et à l'ordre d'idées qu'entraînent avec 
elles les boissons enivrantes, mais ils ne se sont pas rapportés 
directement et primitivement au vin : il semble donc qu'il ne 
devait pas encore être connu. Le vin est, en efiet, la liqueur 
joyeuse et hilarante par excellence ; s'il avait été en usage, 
la terminologie arienne comparée nous présenterait un tout 
autre spectacle : si, par exemple, les peuples du rameau ger- 
manique avaient connu le vin avant leur séparation du centre 
commun, ils n'auraient pas appliqué au miel la racine MAD 
et les premiers vocables qu'elle avait déjà enfantés*. 

Ce qui n'est pas moins curieux et ce qui confirme d'ailleurs 
ce premier résultat, c'est que cette même racine MUD pa- 

' UAsclepias acida et le Bassia latifolia. 

' On a rapproché le grec x^mç, vin, du sanscrit hala, liquide, et de son 
dérivé hâlâhali, qui s'applique spécialement au vin ; mais hâlâhali est évi- 
demment d'une formation non primitive. L'origine commune paraît se 
rapporter h. un des caractères de l'ivresse ; ^ôîkiç signifie proprement in- 
sensé, fou. 



280 PHILOLOGIE GENERALB 

raît, SOUS une forme spéciale, s'être appliquée universellement 
aux liquides sucrés, tels que le moût : latin, mustum; vieux 
gothique, most; Scandinave et saxon, mmt; russe, mstô; 
polonais, moszez; albanais, musht; persan, mustâr. Signe fort 
caractéristique, jamais les appellations de ce genre n'ont 
passé au vin. Il semblerait que les Arjas primitifs ont usé du 
suc de raisin à l'état de moût sucré, sans être parvenus en 
même temps à la fabrication du vin proprement dit. 

Chez les Sémites, nous nous trouvons en présence de noms 
primitifs et radicaux du vin d'une signification bien tranchée. 

Ce sont surtout : 
IDH , EMeR : la racine a la signification de fermenter, bouil- 
lonner, œstus, tumultuSy fermentation^ 

et : ^11, UN, ou mieux IN*, dont Gesenius dit formellement : 
vinum fortasse ah œstuando et effervescendo dictum, nist pro 
primitivo idhabere mavis. La racine, si elle n'est pas irréductible 
et primitive, offre donc le même sens : fermenter, bouillonner 
tumultueusement '. 

Nous nous trouvons ici en présence d'un élément tout 
nouveau. Le nom du vin sort de la racine et de l'idée de la 
fermentation; il est accompagné et reste inséparable, pour 
ainsi dire, du procédé de fabrication. Les noms ariens qui se 
rapportent aux boissons fermentées primitives de la race ne 
nous présentaient rien de pareil. 

Mais ce qu'il faut surtout considérer, c'est le fait capital qui 
domine la question entière. L'hébraïque IN est devenu, dès une 
haute antiquité historique, le nom général et universel, pour 
ainsi dire, du vin. 

Il est identique avec le otvoç hellénique (prononcez in-os); 

' Gesenius, p. 209. 
' Gesenius, p. 253. 

3 II convienl de signaler dans les langues hébraïco-araméennes deux 
autres appellations pour le vin, moins générales d'ailleurs : 
KID, SaBa; la racine a la signification de boire, avaler (Gesenius, 428); 
et : ST DaM, rouge (Gesenius, 146). 



LA VIGNE ET LE VIN 281 

oivoç, lui-même, est le même mot que vinum ( v représente 
raspiration de l'esprit doux). — Pour les langues sémitiques, 
la forme éthiopienïie est ai ou cun; la forme arabe, wayn, etc. 
— L'arménien a gini; le géorgien, gwino et gwini; le kymrique, 
gtoin (probablement emprunté au latin). 

On pourrait faire la même observation sur le slave wino, le 
gothique vein, l'ancien allemand win, le lithuanien wynas, le 
vieil irlandais fine et fion. 

n est en tout cas hors de doute que les peuples de la race 
arienne placés dans les pajs où la culture de la vigne et la 
fabrication du vin ont pris une sérieuse extension, tels que les 
Grecs et les Latins, ont emprunté leur nom du vin aux Sémites. 

Ce fait, d'une importance décisive, n'a rencontré qu'un ad- 
versaire redoutable. M. Kuhn a essayé de rattacher oîvoç et 
vinum au sanscrit védique vèna^ : racine YEN, aimer, dé- 
sirer, agréable. Il est vrai que, dans les hymnes védiques, le 
mot vena s'applique à la liqueur sacrée , composée d'un mé- 
lange de lait et de suc de Yascleptas acida; mais ce nom, 
comme tous les vocables primitifs des liqueurs enivrantes que 
nous avons cités précédemment, n'a pu être donné au vin qu'à 
une époque postérieure. C'est en tout cas une tentative déses- 
pérée, malgré toutes les ingénieuses ressources dont dispose 
le savant allemand, que de tirer le in-os grec et le vinum latin 
du vèna sanscrit. Pour combattre M. Kuhn à cet égard, nous 
ne ferons appel qu'à M. Kuhn lui-même. 

La linguistique et la mythologie comparées doivent au 
savant philologue un magnifique travail sur le breuvage divin 
d'immortalité qui a été l'objet d'un culte sacré chez les Aryas 
primitifs, culte dont les traits caractéristiques se retrouvent 
non-seulement chez les Indiens brahmaniques et chez les 
Iraniens, mais aussi chez les Grecs. — Or, à l'époque où les 
Grecs, les Ioniens, les Yavanâs, ont quitté le centre originaire 
d'habitation des Ariens, la race primitive était déjà en posses- 



< Kuhn. ZeOsehr. f, verg,, spek, 1, 191, et Pictet, toc. cU,, 1. 1, p. 254. 



282 PHILOLOGIE GENERALE 

sion de la terminologie relative à la liqueur sacrée * : somâ, 
amrita et très-subsidiairement venâ, désignaient ce mélange 
de lait et de suc de Tasclépias. En sanscrit, amrita a pris les 
significations diverses de riz bouilli, de beurre liquide, etc.; 
mais on ne Ta jamais appliqué primitivement, pas plus que 
venâ, au jus de la vigne. Il est donc plus que probable que les 
Grecs ont reçu à la fois le vin et le nom qu'ils lui ont donné 
des populations sémitiques qu'ils ont pénétrées et traversées 
durant une lente émigration , avant d'arriver et de s'établir 
le long des plages de la mer Egée*. 

Il nous est donc parfaitement permis de constater : 

1° Que dans la terminologie arienne, vraiment primitive, il 
n'est pas formellement et sûrement question du vin, bien qu'il y 
ait une indication assez forte de la connaissance et de l'usage 
du moût ou, tout au moins, de liqueurs sucrées analogues. Les 
noms donnés plus tard au vin n'oni d'ailleurs aucun rapport 
avec la fermentation, le procédé de fabrication. 

2° Les noms principaux du vin, dans les langues sémitiques, 
sont au contraire dérivés du procédé de fabrication. 

3° Le nom primitif et universel, pour ainsi dire, du vin, l'IN 
hébraïco-sémitique, a passé dès l'origine aux Grecs, aux Latins, 
à tous les peuples que nous trouvons, aux époques historiques, 
en possession de la culture de la vigne et de l'usage du vin. 

4° Les anciens Aryas ont connu une liqueur sacrée, somà, 
amrita ou vena. Les Grecs n'ont quitté le centre commun 
d'habitation que postérieurement à son usage et à son culte. 
Ils n'ont pas appliqué ses noms au vin ; ces vocables n'ont 
laissé qu'une trace dans leur langage, et elle se rapporte ex- 
clusivement au mythe de l'ambroisie. 

Pour ajouter un nouvel argument à la conclusion qui res- 

< Kuhn, Die herabkunft des Feuers und des Gottertranks. ^Bevlin, 1859. 
p. 118, 175, etc. Le somâ était appelé amrita ou im-mortalilé. I, a/x^poo-ta 
hellénique correspond très-exactement à amrita. — Pictet, IL 322. 

2 A|X7rg^oç mémo serait aussi d'origine sémitique. — Oppert, Discours 
d'ouverture du 28 décembre 1865. — L'Aryanisme, p. 17, 



LA VIGNE ET LE VIN 283 

sort de ces propositions, il ne-nous reste plus qu'à consulter 
certains témoignages historiques, présentant un caractère 
essentiellement primitif. 

Tandis que, dans les Vedas, le vin joue un rôle des plus 
effacés, si toutefois il en garde un, alors que dans les hymnes 
du Rig-Veda on n'indique que la céleste liqueur sôma, hôm 
des Mazdéens, qui, nous l'avons dit, était un mélange de lait 
de vache et de suc d'herbe, les Sémites honoraient déjà le jus 
de la vigne , et lui avaient attribué une fonction et un carac- 
tèrox religieux. 

Le fait est certain, quelles que soient d'ailleurs les théories 
adoptées sur l'exégèse et l'authenticité du premier des livres 
mosaïques. 

Pour ceux qui pensent que les dix premiers chapitres de la 
Genèse représentent l'œuvre antique et primordiale par ex- 
cellence, caractérisée par une idée de Dieu purement élohiste *, 
les versets 20 et 21 du chapitre IX contiendront la plus écla- 
tante confirmation de l'invention du vin par la race sémitique : 

Après le déluge (verset 20), « Noé s'attacha à la culture, 
il commença à labourer, à remuer la terre, et il planta la 
vigne . )) 

21 « Et, ayant bu du VIN, il s'enivra et parut nu dans sa 
tente. » 

Pour ceux qui considèrent le récit de la vie du haut père 
Abraham comme bien plus sûrement historique et primitif, ils 
trouvent l'adorateur de Jéhovah en relation avec le roi de la 
Justice de Salem, Melchisédech (Melek-Sadok), qui « offre le 
pain et le VIN, comme prêtre du Dieu très-haut. » (Genèse, 
XIV, 18.) 

(l) On sait qu'au point de vue de l'exégèse scientifique, telle que l'a 
faite la critique moderne, il faut reconnaître dans la Genèse deux élé- 
ments distincts. — Dans les premiers chapitres, l'idée de Dieu est expri^ 
mée par un pluriel, ELOHIM, dont la signification assez vague pourrait. 
être rendue par les forces supérieures. A partir d'Abraham apparaît la 
notion bien différente de l'ÉTERNEL, celui qui est et sera, lÉWÉ ou 
Jehovah; c'est là une vraie et capitale révolution religieuse. 



284 PHILOLOGIE GÉNéRALB 



V. 



Les conclusions qu'il est permis de tirer de ces très-impar- 
faites recherches — sous le bénéfice des réserves imposées par 
une matière aussi difficile et aussi délicate — apparaissent 
clairement. 

La vigne a été certainement connue et nommée séparément, 
dans les deux centres de formation du langage, chez les Se- 
mites et chez les Ariens. Bien que les procédés de la forma- 
tion de ses noms à l'aide des racines primordiales présentent 
une analogie purement logique, les deux races ne se sont fait 
à cet égard, à l'origine, aucune sorte d'emprunt formel et ter- 
minologique. 

L'usage du vin ne paraît pas remonter chez les Aryas à une 
époque très-ancienne ; des boissons fermentées d'une autre 
nature et d'un emploi très-répandu l'ont sans nul doute pré- 
cédé. — Chez les Sémites, au contraire, les noms du vin 
apparaissent dès l'origine et sortent de la racine qui exprime 
le procédé de fabrication. — Le nom capital du vin dans cette 
dernière race est passé, dès une très-haute antiquité, aux 
peuples ariens, chez qui la culture de la vigne a pris une haute 
importance, tels que les Grecs, les Latins, etc. Ce mot a été 
d'ailleurs universellement adopté sous diverses formes, et 
reste encore le nom propre du vin dans notre civilisation occi- 
dentale, — Tout nous porte donc à croire que ce sont les 
Sémites qui ont communiqué la connaissance et la fabrication 
du vin à leurs voisins d'origine arienne. — L'étude comparée 
des Yédas et des premiers chapitres de la Genèse confirme 
ces données convergentes, et leur donne une probabilité très* 
voisine de la certitude. 

Paul Glaize. 



BIBLIOGRAPHIE 

LES TROUBADOURS DB BEZIERS 

Par Gabriel Âzios. — 2'* éd., gr. in-8* de lzzvi - 159 pages. 

Bëziers, Malinas, 1869. 

Parmi les sociétés savantes de province, j'ai déjà signalé 
la Société archéologique de Béziers comme étant celle qui 
a le mieux compris les exigences et les avantages de sa posi- 
tion en plein pays de langue d'Oc. Non satisfaite de célébrer 
annuellement des jeux floraux, elle a entrepris de grandes et 
importantes publications, qui font honneur à son patriotisme 
et qui méritent d'être connues de tous ceux qui s'intéressent 
aux études romanes. Sans vouloir se restreindre, elle a eu 
néanmoins le bon esprit, dès ses premières séances, de se pro- 
poser un plan qu'elle a fidèlement suivi , autant du moins que 
le permettaient ses ressources et de nombreuses difficultés. 

C'est ainsi que, grâce à la science de son secrétaire, M. G. 
Azaïs, elle a pu publier les œuvres des écrivains romans de 
Béziers, à diverses époques : en 1336, la Chronique de Mas- 
cara, qui à travers ses détails de municipalité ofire parfois 
d'utiles renseignements; en 1844, le Théâtre de Béziers, si 
curieux pour notre histoire littéraire du XVIP siècle ; en 1859, 
les Troubadours de Béziers; enfin, en 1862, le Breviari d'Amor, 
de Maffi*e Ermengaud, cet immense compendium de la science 
encyclopédique au moyen âge. 

La seconde édition des Troubadours de Béziers vient de 
paraître. Il n'est pas besoin de dire que M. G. Azaïs, toujours 
en quête du mieux, a profité du temps écoulé pour achever 
et compléter son travail. Nous applaudissons à ses efibrts et 
à sa pensée, si parfaitement d'accord avec la nôtre. 

Cette publication, accompagnée d'une remarquable préface, 
où l'auteur résume d'une façon succincte ce qu'on sait de 
plus sûr sur notre poésie, son esprit et son caractère, ses 
procédés et ses genres, comprend trente pièces, dont plusieurs 
inédites, appartenant à six poëtes de Béziers. 



286 CHRONIQUE 

Il y en a 9 de Raymond Gaucelm, 4 de Bernard d'Auriac, 
12 de Jean Estève, 2 de Guillem Augier, 2 de Maffre Er- 
mengaud et 1 de la charmante trouveresse Azalaïs de Por- 
cairagues. Il donne avec beaucoup de soin et de goût, à 
chaque poëte, des détails sur sa vie, son époque, ses relations 
avec les derniers protecteurs de Fart de trouver dans nos 
contrées ; à chaque pièce, ceux qui concernent sa rhythmique, 
son style et sa traduction . Cela forme un commentaire per- 
pétuel, qui facilite la lecture du texte et la rend attrayante. 

Il est à remarquer que ces publications, à part l'avantage 
de remettre en lumière des écrivains de valeur, ont encore 
celui de présenter, par une série régulière de documents du 
XIP siècle à nos jours, des spécimens d'un sous-dialecte. Je 
regrette de ne pouvoir en indiquer les particularités sail- 
lantes, mais le défaut d'espace ne me permet pas d'entrer 
dans des développements. 

Des entreprises semblables honorent et les sociétés qui les 
conçoivent et les érudits qui les exécutent. Il est à désirer que 
leur exemple trouve des imitateurs. Il serait temps, en effet, 
que nos grandes villes du Midi publiassent ce qui leur reste 
de poëtes, de chroniques, de chartes communales, ces titres 
de noblesse du peuple qu'il serait coupable de laisser périr ; 
il serait temps qu'à cette époque de croyances défaillantes ou 
prêtes à s'éteindre, on fît réveiller dans les âmes le respect 
de la tradition, le respect du passé dans ce qu'il avait de 
gloire et d'indépendance, ce respect sans lequel nos tentatives 
de rénovation demeureraient infructueuses. 

A. M. 

CHRONIQUE 



Le 12 mai dernier, au milieu d'un grand concours de peuple, 
Agen inaugurait la statue du plus illustre de ses enfants. Jasmin, 
due au ciseau de M. Vital Dubray. Les frais en avaient été cou- 
verts par une souscription, dont MM. Henri Noubel, maire de la 
ville et député au Corps législatif, et A. Donnodevie, avocat général 
à la Cour impériale, s'étaient faits les promoteurs. 



CHRONIQUE 287 

Cette cérémonie, au rapport de ceux qui y assistaient, présentait 
un caractère aussi grandiose que touchant. Autour du piédestal de 
granit se pressaient la famille de Jasmin, sa veuve et son 61s, puis 
les amis et les admirateurs, accourus de toutes les parties du 
Midi ; les représentants de la presse, les autorités et les notabilités 
du pays ; enfin la foule, à la fois joyeuse et émue, saluant par les 
applaudissements l'apothéose de celui qui fut un homme de bien 
autant qu'un homme de génie. 

M. Henri Noubel, qui, il y a déjà quatorze ans, avait eu la joie 
de poser sur le front du poëte la couronne d'or, acclama, par des 
paroles enthousiastes, cet enfant du peuple. 

M. l'abbé Capot, chanoine, au nom du clergé; M. A. Magen, an 
nom de la Société d'agriculture, sciences et arts; M. Donis, curé 
de Saint-Louis de Bordeaux, au nom des malheureux, indiquèrent 
à grands traits tout ce que la religion, la poésie et la charité lui 
devaient. 

Pour que la fête fût complète, Jasmin fut salué dans sa propre 
langue, en très-beaux vers. Les trois principaux dialectes du Midi , 
Paquitain, le languedocien et le provençal, y étaient représentés. 
M. Pozzi, représentant la Gascogne, remarqua que le poëte, aussi 
grand par le cœur que par l'esprit — Eres gran per l'esprit, Veres plà 
mai pcl co — avait tenu sa promesse en plaçant au front de notre 
langue dédaignée une étoile rayonnante ; M. G. Azaïs, représentant 
le Languedoc, rappela ses triomphes, alors qu'il allait de ville en 
ville, en même temps chanteur et conteur, relevant notre idiome de 
son abaissement momentané par la grandeur de la cause; enfin 
F. Mistral, représentant la Provence, affirma, dans ses strophes de 
flamme, le droit du peuple à ses traditions et à son langage, et 
montra la postérité consacrant par la gloire cette radieuse apo- 
théose . 



* 



Les poètes provençaux ont tenu leur felibrejado annuelle à Ville- 
neuve-lez-Avignon, le 25 avril, à l'occasion de la fête populaire de 
Saint-Marc, si curieuse par son mélange de cérémonies chrétiennes 
et païennes. 



* 



La Cansô del comte d^j^gell, en Jaunie h Desditxaty poëme de 
N'Albert de Quintana y Combis, qui a obtenu l'églantine d'or aux 
Jeux floraux de Barcelone de cette année, vient d'être imprimée à 
la Bisbal, chez en Joan Gêner. Nous rendrons compte de cette 
œuvre remarquable dans un de nos prochains numéros. 






Le docteur Edouard Bœhmer, professeur de langues romanes 
à rilniversitô de Halle et membre correspondant de la Société pour 
Vétude des langues romanes, vient de faire paraître une étude inti- 
tulée die Provenzalische Poésie der Gegenwart ( la Poésie provençale 
contemporaine ). Nous nous occuperons prochainement de cette 
publication. 



2d8 CâllONlQtJE! 






Nous recommandons à nos amis le poëme gascon Marcillo, de 
Higal, d'Agen. 



* * 



MM. Ernest Roussel, de Nîmes, et Félix Gras, de Villeneuve- 
lez-Avignon, félibreset membres de notre Société, ont été nommés 
chevaliers de Tordre d' Isabelle-la-Gatholique . 



* 



D. Victor Balaguer a publié dans le numéro du 13 juin de la 
revue la America, qu'il dirige à Madrid, un article sur Alphonse V 
d'Aragon et les écrivains de sa cour. Cette étude contient des dé- 
tails curieux sur les poëtes catalans Jordi de San-Jordi, Andrès 
Febrer, Léonard de Sors, Francesch Ferrer et sur quelques autres 
castillans et italiens. 






Un félibre bien connu des lecteurs de VArmanà prouvençau, 
Jan de la Tour-Magno ( M. J. Gaidan), vient de publier un volume 
de poésies françaises intitulé : Aubes d^avril et Soii^s de novembre. On 
y retrouve cette élévation de pensée, ce profond sentiment poétique 
qui caractérisait les productions de Fauteur dans la langue d'Oc. 
Le poète des Aubes d^avril conserve, quand il manie la langue 
française, toutes les qualités qui ont valu un succès si distingué 
à la pièce Niue de novembre, dans VArmanà de 1869. 

* 

Le félibre A'. Michel vient de publier le recueil de ses chansons. 
La Revue en rendra compte prochainement. 






M. Jules Delpit, de Bordeaux, a publié un travail intéressant, 
intitulé : Origines de Vimprimerie en Guyenne. — Bordeaux, Foras- 
sier, grand in-8® de 112 pages. 



* * 



Un Recueil de Canti popolari siciliani vient d*être publié à 
Palerme, par M. Giuseppe Pitre. — Tome !«', in-12 de 452 pages. 
— L. Pedone-Lauriel, 1870 ; 4 fr. 



Montpellier, imp. Gras. Le gérant, E^rnbst HAMËLIN. 



DIALECTES ANCIENS 



DOCUMENTS RELATIFS AUX GUERRES 

DU XV* SIÈCLE* 



Nous disions, dans la précédente li\Taison, que le but que 
doit principalement se proposer la Société pour l'étude des lan- 
gues romane^ est de connaître Thistoire, les origines, le génie 
et le mécanisme de. la langue d'oc, ainsi que ses variations 
dans le cours des temps, et nous avons exprimé la pensée 
que le meilleur mojeu d'atteindre ce but était de publier et 
d'étudier des pièces et des documents authentiques écrits en 
cette langue. 

Nous avons déjà présenté deux spécimens du langage local, 
pris aux deux extrémités opposées du département de THé- 
rault, Montpellier et Lodève, Assas et Octon; nous venons 
aujourd'hui offrir à nos lecteua*s, avec la môme confiance, un 
troisième spécimen en plusielirs pièces, recueilli au centre du 
même département. Nous avons réuni ces documents à cause 
de rintérêt tout particulier <r actualité qu'ils nous paraissent 
avoir. Nous les tirons des arcliives de la ville de (lignac, chef- 
lieu d'une viguerie dé la sénéchaussée de Càrcassonne, de 
laquelle ressortissait tout l'ancien diocèse de Lodève. Après 
avoir vivement remercié M. le Maire de Gignac pour l'obli- 
geance avec laquelle il nous a autorisé à faire ces recherches, 
nous sera-t-il permis d'ex[>rimer'fc regret de savoir tant de 
documents, si riches et si précreux pour l'histoire locale, placés 
à l'étroit et entassés dans un réduit obscur ? Ne pourrait-çn 
pas leur trouver dans l'hôtel de ville une place plus honorable 
et moins compromettante pour leur conservation ^ 

' Archives de la ville de Gignac, registre BB,- 13. 

19 



290 DIJLLECTBS AKCIBNS 

Les documents qui suivent sont tirés d'un registre assez 
maltraité par le temps et Flmmidité, qui a presque effacé un 
tiers des pages de la un du volume ; il est coté dans le nouvel 
inventaire BB. 13 et contient, en 331 folios, tous les actes de 
la municipalité depuis 1456 jusqu'à 1479. Il est en papier très- 
fort, du plus grand format, marqué au milieu par un massacre 
de cerf; la longueur de la feuille est de 0,41 cent, et la largeur 
de 0,31. Ce volume est précédé d'un cahier de 16 folios du même 
papier qui ne sont pas paginés, et où se trouvent divers docu- 
ments de la même époque, écrits par les mêmes notaires. 

La première des pièces que nous allons publier est du 
25 mai 1465,*sous Louis XI et pendant la guerre dite du Bien 
public. C'est une proclamation ordonnant à tous les posses- 
seurs d'armes d'avoir à les présenter aux consuls et de les 
mettre en état, avec défense de les faire disparaître sous 
aucun prétexte. On ordonne de plus de tenir en bon état le 
chemin de ronde situé au-dessus des murs de la ville et reliant 
les tours entre elles. C'est ainsi, croyons-nous, qu'il faut en- 
tendre le mot corsieyra. Le pays était alors administré par Pons, 
baron de Clermont-Lodève, lieutenant du duc du Maine, gou- 
verneur du Languedoc*. Craignait-on à Gignac quelque inva- 
sion prochaine? N'était-ce qu'une précaution pour un péril 
éloigné ? Nous n'avons rien trouvé qui pût décider la ques- 
tion. On verra toujours dans cet acte une nouvelle preuve de 
la sollicitude et du zèle de nos consuls pour les intérêts du 
roi et de la ville qu'ils étaient chargés d'administrer. 

La seconde pièce est de l'an 1470. Elle nous montre, dans 
leur précieuse naïveté, les sentiments religieux de nos pères 
dans les graves affaires de la patrie. La paix venait d'être 
signée avec l'Angleterre, cette éternelle rivale de la France. 
Les consuls de Gignac éprouvent le besoin de témoigner à 
Dieu leurs solennelles actions de grâces, car tout le monde 



* Ce Pons est le chef de la branche de Guilhem-Gastelnau. Sa femme 
Antoinette avait hérité de la bardnié de Qermont par son père Tri&tan de 
Guilhem. Iléons prit le nom, les titres et les hermines des de Glermont. 



GUfiRfiBg DU XV* SIBGLE «91 

Croyait alors que la Providaace dlviae seule dirige tous les 
évéï^emeats 4e ce monde, où rieu n'arrive sans elle. Les con- 
suls s'adressent ,au viguier rojal, qui représentait le roi dans 
la vLUe. Par son ordre, la veille du 18 novembre 1470, la pu- 
blication qu'on va lire, précédée d'un triple appel de la trom- 
pette municipale, retentit dans tous les carrefours de Gignac, 
et le lendemain tous les habitants, avec cierges et bannières, 
se rendent à Téglise Saint- Pierre et assistent à la procession 
générale indiquée pour honorer et louer Pieu ; c'est un jour 
de fête observé comme le saint jour du dimanche, et la même 
solennité se continue les deux jours suivants. La France et ses 
habitants, qui pratiquaient ces usages, aujourd'hui si loin de 
nos habitudes, ne s'en trouvaient pas plus mal, et. le bonheur 
même matériel et civil de notre pajs ne nous semblerait pas 
compromis parce que nous aurions le courage de reprendre 
ces traditions de nos aïeux. La reconnaissance est une justice, 
et, selon une vérité proclamée par la sagesse, «la justice élève 
les nations, et le péché rend les peuples misérables : Justifia 
élevât genteSj miseras autem facit populos peccatum, » (Pr. 14. 34.) 

Nous avons joint à ces deux publications la note de cer- 
taines réquisitions de vivres et de vêtements faites à la même 
époque, et qui nous ont aussi paru avoir un certain caractère 
d'actualité, capable d'intéresser nos lecteurs. On remarquera 
que la ville de Gignac partageait alors avec ses voisines, Lodève 
et Clermont, l'industrie des draps. Nous avons trouvé dans 
un autre volume de ses archives un curieux règlement en 
langue romane, pour les fabricants et les pareursde draps, qui 
pourra plus tard être publié. Outre les draps requis pour les 
vêtements de l'armée du Roussillon, le pays eut encore à 
fournir à plusieurs reprises des bêtes à laine et du vin pour 
les vivres de cette armée. La quantité, qui devait varier se- 
lon la population des villages, peut nous donner une idée de 
leur importance relative à cette époque et des variations que 
cette importance se trouve aujourd'hui avoir subies. 

Pour ne pas altérer le caractère d'authenticité de nos docu- 
ments, nous avons conservé les parties du texte latin qui les 



99f niALBCTBS ANCIENS 

précède ou qui les suit. On retrouve avec plaisir, à quatre 

cents ans de distance, les noms anciens des rues de la ville ; 

on nous a montré à Gignac, il y a quinze jours, les rues de la 

Gare, de la Roque, Maurine, le Pous Salât, la Saunerie, le 

four de Saint-Michel, le portail de TAire, etc. 

Ce serait maintenant le lieu de faire quelques observations 

philologiques qui se présentent d'elles-mêmes : l'espace nous 

manque, il faut s'en abstenir; au reste, chacun de nos lecteurs 

pourra y suppléer et trouvera un plaisir particulier à les faire 

par lui-même. 

L'abbé L. Vinas. 



Proolamationes * 

Anno Domini M® IIII*' LXV et die XXV mensis Madii, domino 
Ludov. etc.* fuerunt facte proclamationes perloca et cadrivia 
consueta de Gignaco, instantibus dominis consulibus dicti loci, 
per Raym. Malheti preconem publicum dicti loci, voce tube 
précédente, in hune qui sequitur modum : 

Aujas que vos fam assaber de part lo rey nostre sobeyran 
segnor epermandamen de Moss. lo viguier de Ginnac ' e a la 
requesta de segnors Cossols de Ginnac que tota persona, de 
qualque estât ho condicio que sia, que aja colobrinas, arbalestas, 
lansas, gebelinas ♦, coyrassas, bergantinas *, spazas, boges ®, gi- 
sarmas^,apchas, fundasho autre arneys calque sia®, vis tas las 
presens e sans delay, lo ajan ha aprestar per lo exhibir a la justi- 

' F° Lxxxxii, recto. 

^ Les etc . figurent dans le registre d'où ces documents ont été tirés. 
^ Ce nom est écrit Ginac avec le trait horizontal sur Vn, indiquant le 
redoublement de cette consonne. C'est là, Torigine du tilde espagnol. 

* Probablement jawWfWS. 

' Brigandines, espèce de corselets de fer à Tusage des fantassins. 
^ Ducange donne au mot baugif^ hoga, le sens de armillaf brassard, 
bouclier. 
' Hache à deux tranchants; envieux français, gfuwar me. 

* A propos de cette nomenclature d'armes,nous croyons devoir donner ici 
un document qui se trouve au folio ciiii du môme registre : < Anuo M** IIII. 



GUERRES DU XV* SIECLE 293 

cia e als dichz seg.Cossols ho anaquels que per elses (sic) sus ayso 
seran depputatz, per saber qu'unh arneys se trobara per s'en 
défendre e ajudar quant luoc e temps sera, e que aquel arneys 
exhibit e mostrat oascun en son hostal, cascun en drech se 
aja a garnir, forbir e suflfeciemen adobar, ho aquo far fayre per 
se mestier es, que Dieus non vuolha, de s'en ajudar, coma dit 
es ; et dengun non aja res a celar ne amagar, e ajsso sus 
la pena de confiscation delsd. arneyes e tota autra pena que 
poyrian encorre envers lo rey nostre seg. coma deshobeyssens. 

Item may fa hom enhibition e deffensa coma dessus a tota 
persona, de calque estât ho condition que sia, que non auze 
vendre, engatjar, transportar ho autramen bajular nengun 
arneys envasieu e def ensable foras la vila de Ginhac, e ayso 
8US la pena de confiscation deld. arneys et armas coma desus 
et de pagar lo doble al rey nostre segnor. 

Item may fa hom inhibition e deffensa de part lod. nostre 
segnor a tota persona, de calque stat o condicio que sya, que 



LXVI et die XI menais martii, domino Lud., etc. Noverint universi quod 
Gmus. Amado mansi de Beusenso, Nemausens. diocesis, bona fide, etc. 
cum hoc, etc. per se, etc. locavit opéras cum hon. vins consulib. et uni- 
versitate Giniaci, provido viro Steph.Rocherii conconsule et me notario pro 
dicta universitate stipulantibus, videlicet ad faciendum bene et suffîcienter 
viratonos sive astas viratonum suffîcienter per spatium unius mensis, cum 
hoc quod dieti consules et universitas dabit pro dicto mense daos florenos 
cum dimidio et non aliud, ita quod dictus Amado ministrabit expensas 
suas de dictis duob. florenis cum dimidio dicto mense durante, dictiquo 
consules ministrabunt eidem Amado omnia necessaria ad faciendum dictes 
viratonos tam in scapols, plumis quam aqua cocta. Promiserunt consules 
nomine universitatis solvere dictes duos florenos cum dimidio, et dict. G . 
Amado suffîcienter operare dictes viratonos, pro quibus. etc., dict. consul 
obligavit bona universitatis et d. Amado personam et bona viribus curie 
Giniaci et novi statuti ejusdem, sigillorum regiorum parvi Montispelii et 
magnorum Garcassone et Bitter.; renuntiantes, etc. juraverunt, etc. Ac- 
tum Giniaci in domo consulatus ; testes Guisardus Sobeyrani , Brengar . 
Sobrerii, Baym. Feutrerii Giniaci et ego Armandus etc.» Le notaire s'ap- 
pelait Armand Ambierle. — Le mot viraton ou vireton est français dans 
les dictionnaires.Ducange l'explique au mot fxeraUmus. Scapols, scapelum, 
scapdlum^ signifie UmgtAS fustis, long bâton, d'après le même Ducange. 



2N DIÀLECTBS ANGIBN6 

de hùVSB en avan non ausan a mètre, &r, gitur ne ]ierBietre 
nengunas orduras ho enmondisias enhonestas ans la eorsieyra 
de la muralha ne pertenensas de aquela, he (sie) ayso sus la 
pena se es de jom de y sols, e de nuech sus dobla pena, e de 
estre mes als seps ^ segon que lo cas ho requeriro. 

Actum et pubiicatum in platea ; testes Barth. Bochi, Gmua. 
Saunerii, Gmus. Falcrandi, Johannes Montisarnaudi Giniaci 
et ego Joh. Capellerii not. reg. qui, etc. 

Item fuerunt publicate per dict. praeconem in cantono fontis 
platée ; testes Joh. Montisarnaudi, Joh. Cantagrelli, Joh« CaTa- 
lerii, Aimericus del Faus et égo Joh. Capellerii, not.; 

Item in cantono domus heredum magistri Joh. Danis quon- 
dam; testes Hugo Valentis, Steph. Candusorgues, Jac. Scop- 
ralha ; 

Item in cantono domus magistri Aymonis Rathe ; testes Joh. 
Roque, Mathœus Fontis ; 

Item ante domum Johannis Mineti ; testes idem Mineti, Joh. 
Durbanti, Steph. Candusorgues; 

Item in cantono furni S. Michaelis ; testes Joh. Pinède, 
Jacobus Boneti, Petrus Daucha ; 

Item ante domum habitationis Gmi. Benedicti in carreria 
d'en Mauriri ; testes dominus Jacobus Fulcrandi, presbiter, 
Bernardus Bastide Giniaci ; 

Item in carreria Roque ante domum Gmi. Flori ; testes R. 
Guisardi, Joh. Triado ; 

Item ante portale aree in capite carrerie putey salati ; testes 
Petrus Andrivus, Petrus Colrati, habit. Giniaci; 

Item in saunaria Giniaci; testes P. et Jac.Textoris pater et 
ôlius ; 

Item in carreria putey salati ante domuni P. Ricardi ; testes 
magister Ben. Rossaldi not., Gmus. Oliverii, Gmus. de Ulmo 
junior ; 

Item in cantono carrerie Gare anté domum heredum Jôh. 

' Cep, êepy entrave, Uen; du latin oipfnu. Le mot oêpt ayeele même 
sensi se Irouve aussi dans le vieux français. 



GUÇRROBS DU XV* SIÈCLE 295 

Guirayi;^ testes Joh. Pa^audi^ Anth. Sobeyrani de Giniaco ; 

ltei3[^incantoinp claustri ; testée magister Joh. Pejtavini sur- 

gicus, Barth. Bochi de Giniaco et ego Joh. Capellerii not., etc. 



Proclamatio et dbnuntiatio pacis et unionis domini nostri 
regis cum illustris. princibe domino reoe englib terre 

NU?B]?fWM|: PACTE*. 

Anno Domini M** IIIP LXX** et die XVII mensis novembria, 
domino Ludovico, etc. Noverint universi quod de mandato 
domini vicarii regii Giniaci et ad instantiam dominorum Con- 
sulum de Giniaco, Joh. Durbanti, serviens regius et substitutus 
Stephani Asterii preconis publici dicti loci, voce tube précé- 
dente, trino sono dicte tube précédente, suas proclamationes 
fecit in platea de Giniaco in testium infrascriptorum presentia, 
et ex inde in aliis locis et cadriviis consuetis dicti loci utmoris 
est in talibus fieri, prout et quemadmodum continetur iû qua- 
dam cedula sequentis tenons : 

Aujas que vos fa hom assaber de part nostre sobeypan segnor 
lo rey de Fransa e de mandamen de moss. lo viguia real de 
Ginnac en fasent comandamen a tota persona, de qualque stat 
o conditio que sia, quelo jorn de dema aja a venir a la glaysa 
de sant Peire an candelas e an bandieyras per far la processio 
gênerai ad honor e lauzor de Dieu, per pregar e rendre gra- 
cias e lausor a Dieu per la pas e unio que es fâcha de novel 
entre lo presen reaime de Fransa et lo reaime de Engla terra ; 
et pregs^rem Dieu que ly plassa de la entretener e observar ; 
e que ajon a venir per très jorns e far ne festa coma sy era 
dimenge, e aquo sus la pena de x 1. 1. aplicadoyras ald. rey 
nostre sobeyran s°'. 

De qua proclamatione mag. Jacobus Gervasii in legibus 
baccal. et Jacobus Cambonis consules dicti loci petierunj; in- 
strumentum. Actum in platea majoii de Giiii§^cp ; teçt^ç paa- 

' P^cLxim. 



2M DIALBCTBS ANCIENS 

gistri Nycolaus Steph., Ciprianus Monerii, not.; Adhemarius 
Cadornhacii et plures alii de Giniaco, et ego Johan. Capellerii 
notar., etc. 



RÉQUISITIONS 



Segon se los draps preses per far caussas per Tarmada de 
Rossilho, Fan M IIIP LXXIIII a XXI febr., per Mess.Consols 
dels insfrascripts de Giniach. 

Et primo de sen. Frances Fons, i drap gran blanquet. 

Item de sen. Frances Capelia, i drap gran blanquet. 

Item de sen. Audibert Iserp, dos draps grans blanquets. 

Item de sen. G^ de Lom jove, i drap pauc * blanc baylat per 
baysar a Johan Forges, parayre '. 

Item de sen. Malin M®, i blanquet pauc baylat per ausar * a 
Mejan. 

Item de sen. Mathieu Fons, i blanquet pauc baylat per baysar 
a Borrilho. 

B» 

Die XXVII madii an. Dni. M« IIIP LXXIIir\ 

Monss' le Viguie, faites diligence de fere charger et mener 
tous les vivres et les faictes tous tirer a Serignen, reserve 
ceulx de S. Pons de Thomières que seront amenez par terre 
incontinent, et aussi tout le bestial et si toust que vous aurez 
charge tous les vivres faites les nous sçavoir aûn que nous les 
fassions venir et ainsi que adviserons, et faicntes qu'il n'y aie 
aucune faulte ni delay, car chacun a fait ses diligenses excepté 
vous et adieu. Script a Narbonne le XXV de may. 

' F» 9 du cahier non-paginé. 

« Petit. 

^ Pareur de draps. 

* Baysar et ausar, opération qui, dans les draps fabriqués à la main, 
consistait à en baisser ou à en relever le poil. 

* F« 6 du cahier non paginé. 



GUERRES DU XY"" SIÈCLE 297 

Envoyez incontinent requérir toutes les barques. . . (deux 
mots effacés) et ce faict faites charger vosd. vivres comme 
dessus. L'evesque d'Albi ijf de Dailhon. Donné pour copie. . . . 
Bovelh notaire. 

Mess" les consuls de Gignac, tout en présent ay receu lec- 
tres de Mess" d'Albi et de Lude pour tirer en toute diligense 
les vivres et entre les autres le diocèse de Besies et les fere 
amener ou lieu et port de Serignen, et pourtant que je m'en 
voys a Agde tout en présent et autres lieux près de la mer 
pour prendre les barques et que fere puys partout, et ce vous 
mande et commande que en toute diligence, sur peine de 
confiscation de corps et de biens, vous faictes charger et tirer 
tous les vivres dud. lieu de Gignac et ausd. lieux dud. Gigna- 
gues, dans le diocèse de Besiers estans et a quatre lieues près 
de vous, et tout incontinant et ainsi que par lesd. lectres de 
mesd. S" est mandé, desquelles le double est cy ataché, et 
faictes telle diligence qu'il n'y ait cause de que Ton s'en 
preigne sur vous et vos biens, et avec ce faictes la dépense 
au porteur de ces présentes. Donne a Besiers le XXVI jour 
de may mil 1111^ LXXIIII, Penigault. Par commandement de 
mond. S', Bouelh not'®*. 

Segon se las provisions que se mandon a l'armada. 

Et primo de Bnat. Maret, xi motos en lana avaluats per los 
mazelias* a xiiij dobles la pessa. 

Plus de sen. G"* Delom vielh , v motos avaluats xmj dobles 
per pessa. 

Plus de sen. G" Delom jove, v motos avaluats xmj dobles per 
pessa. 

Plus de JohannaFigareda, x motos avaluats xmj dobles per 
pessa. 

Plus de dona Agamassa, v motos avaluats x s. per pessa. 

Plus de Maret, mj motos a xmj doblas la pessa. 

' Nous croyons que les amis de la langue d'oc auront plaisir à trouver 
ici ces textes français, sur lesquels la langue locale déteint d*une manière 
si prononcée. 

' Maulf boucherie, de nuicettum; maulie, boucher. 



2M I]lÂLiB€IB8 ANGIBNSI 

Dio secuuda junii ^,nno quo aupra^ 

Les commissaires ordonnes ou (sic) diocèse de Bezies pour 
rayîtaUleme^iit de Tarmée et aussi pour ayoir et ei^voier yi- 
continent certain grand nombre de cbarrue^ * et autres clioses 
nécessaires pour le fait de ladite armée, a maistre Jehan 
Meynard» notaire royal de Bezies , salut : Comme nagueres 
ait este fait par plusieurs commandement aux manans et habi- 
tants des villes et lieux dudit diocèse quelz (sic) eussent a 
fournir et yoyalment apporter les vieures et autres vitalles 
ausquelles ont este quotises, laquelle chose fere aient este 
rejSusans ou mespres et contempt desd. commandemens , et 
encorrues les peynes a eulx indictes que sont choses de très 
mauves exemple et plus serait se par nous ny estait sur ce 
porveu de remède convenable ; pour ce est-il que nous cpnf- 
fians de vos sens, prudomie et bonne diligense, vous avons 
commis et ordonne commettons et ordonnons par ces pré- 
sentes que, appelle, ung sergent tel que bon semblara, vous 
vous tresportez par toutes les villes et lieux deld. (sic) diocèse 
nommées en ung roille signé de cel^ par le notaire de la 
mayson commune de Besiers cy attaché, et allurs despens 
et gacges raisonables contraignes realement et de fait tous 
et chascuns les habitants de celly (sic) lieux a amener et fere 
venir lesd. vivres ausquels ont este quotizes, et ce par prise 
de corps et de biens, et comme il est acostume de faire ; et 
^n oltra pareillement prenes les charrues que trouvères décla- 
rées oudit rolle cy attaché, et icelles faictes amener et con- 
duire ei^ la ville de Narbonne, ansi que par Moss. le général 
du roi notre seigneur • sera ordonné, et tous ceulx que tro- 
vares avoir este et estre reflusanhs rebelles contraiues les a 
comparoir par dava,nt npus sous la peyne de XXY mars d'ar- 

' F* 6 verso du cahier non paginé. 

'^ 4 W Autre endroU dvL m$inuscrif , l^ i|iot correspoadant en langue d'oc 
est carrela, oarri (charrette, char). 
^ Ou Sire. Le mot es( çn abrégé. 



GUBRRBE DU XV* SIBCLB 



gent appliqués audit seigneur, pour répondre al (m) procu- 
reur du roy aux fins et conclusions que contra eulx vouldra 
eslire, dire, fere en proposer, et autrement aler avant ainsi que 
sera de raison en nous certifient deuement de tôt ce que fait 
auront ; mandons et commandons a tous les justiciers, offîciers 
et subges du roy notre seigneur que a vous vos commis et 
députes en ce faisant obéissent et vous prestent et donnent 
conseil, confort, aide, sergens et prisons, se mestier est, et 
par vous requis en sont. Donne a Besies le premier jom de 
juing Fan par M IIII<^ LXXIIII le mandemen de mesdits sei- 
gneurs commissaires. 

Glaudius (sic) Fenasse. 
Paulan xv motos, i m. */$ vin, 

I charrue. 
Usclas VI motos. 
Casols près Pesena8(rien n'est 

marqué). 
Lesignen de la Ceba xv motos, 

I m. vin. 
Torves xx motos , u m. vin , 
I char". 

Valros X motos, i char*. 
Monblanc i char*, ii bove«. 

Ginnac Ginnagues mj charr'*. 



Gignac xl motos, v muocs vin, 

ni boues. 
Belarga viii motos. 
Pueglachier mj motos. 

Popian X motos. 

Lo Poget XX motos, i m. vin. 

Sant- Amans vi motos. 

Playsan x motos. 

Posols XV motos. 

Sant Pargori vx mot. i m. V2 
vin i char® (sic)*. 

Sant-Bauseli v motos, 72^1' vin. 

Tressan x motos, 72 ^' vin. 

Yendemian x motos, i m. vin 

Homelas XXV motos, im. vin, 
I boou. 

D« 

A Ginhac , vi geneteres • : 
Johan de la Garce. 
Ne Miro. 



Glaudius Fenasse, not. 



* Charrue est le moi français, tandis que 5uou, buooes, moios et muocs 
sont en langue d*oc. 

s F* 7, verso du cahier non paginé. 

* Génétaires, en espagnol giiwk ; en italien giarmêUtere ou gianneUario, 



300 DIALECTES ANCIENS 

Jehan Yecxa. 
Bycoeya. 
Jehan Amico. 
J. Page. 

Lojs de Amboise, Evesque dWlbi, luctenent. et grand prési- 
dent du roj en ces pais de Lengadoc, aux consuls de la ville 
de Ginac, nos Jehan Legron, commissaire en cette partie, par 
mond. seigneur, commandons de par le roj que encontinent e 
sen delay vos ayez locgier vi geneteres dedans vostra vila et 
lur donner provision de pan, vin, chers * et a lurs majnages 
et aussi provision nécessaire de fen, palha e avena * per lurs 
chavaus et tota autra vectualla rajsonabla, et ce, sus pena 
de estre desobeysans au roj nostre seigneur. Donc a Pesenas, 

le XXIIII de jun Tan M IIIP LXXIIII. 

Jehan Legron. 

soldat à cheval, armé d'une lance courte appelée gtnette (esp. gineta, ital. 
ffiannetta) et équipé à la turque ou à la geneUe. La genelte est une espèce 
de mors turc dont la gourmette a la forme d*ua grand anneau. On dit aussi 
aller à cheval à la genette^ c'est-à-dire avec des étriers fort courts. Il est 
curieux de rapprocher le mot génétaire du mot janissaire, qui ne vient 
point évidemment de janua, mais plutôt de genizeri, qui signifie dans la 
langue turque, d'après Vossius {de VUiis sermoniSt lib. II) et Ducange, 
soidcUs, hommes nouveauœ ; en latin, tirones. 

< Chairs, viande. 

^ Fen, foin ; avena^ avoine. 



-w- 



901 

LA CHIRURGIE D'ALBUCASIS 

Traduite en dialecte toulousain (bas pays de Foix) du XIV* siècle 

(Balte et fini) 

Db CAUTERI AM foc E AM BfBDICmA AGUDA, E REMEMORACIO 
DE LA OPPERACIO. Am AQUEL GOMENSA LE TRACTAT DE TOT 
LE UBRE. 

Gove que jeu digua la qualitat dels juvamentz de aquel 
cauteri e dels noccumentz de lu, e en quai compleccio sia pro- 
hibit cauteri. Donc die quel sermo de la qualitat del juvament 
de cauteri e del noccument de lu es sermo ^ lonc et prolixs e 
subtil per sciensa e secret amaguat ; e ja de lu a parlât gran 
multitut de savis e de lu se son desacordatz, et (sic) a mi 
abasta un petit dels sermos de lor, temen perlongacio. — E 
donc die que cauteri comfereys a tota compleccio universal- 
ment laquai es am materia ' o ses materia, exceptât dos com- 
pleccios, lasquals son compleccios caudas ses materia *. En 
la compleccio cauda e secca am materia se desecordero ; quar 
alcus djssero que cauteri es juvatiu ad aquela, e les autres 
dyssero le contrari de aquel, que cauteri no es convenient en 
malautia laquai es per qualiditat e siccitat, quar natura del 
foc es qualiditat e siccitat, e enconvenient es que malautia 
cauda e secca am aquo que es caut e sec sia sanada. E dijsec 
aquel que ditz le contrari de aquel, que per cauteri es fayt ju- 
vament en tota malautia cauda e secca que ve en les cors dels 



• Voy. 1" livraison, pag. 1. 

' Le copiste avait d'abord écrit ymo ; il a greffé ensuite la partie supé- 
rieure d'un s sur l'y. 
^ Ms: amateria. Faute de copie. 

* Il paraît y avoir ici une faute du traducteur roman ou de son copiste . 
On lit dans l'édition déjà citée de Gérard de Crémone : « Bxceptis duo- 
bus eompleasionihus quœ aurU eomplexio calida (ibsqw materia et corn- 
plexio sioca àbsqite nuUeria. » Cette phrase manque dans le manuscrit 
latin H. 89 ter. 



m DIALBCTBS ANCIENS 

homes; quotr quKa ta comptrai ie carode home e lais humiditatz 
de lu a la compleccio del foc, atrobas le cors de home freg. 
E yeu die perle sermo de aquel que esperiment aquoja a* 
a mi alscunas vetz es cubert (sic). Mays empero no cove que 
vengua sobre aquo aquel que ja* es exproat e excersitat en 
le Capitol de cauteri per derier excertici (sic), e a conogut la 
diteï^sitat de la compleccio dels homes et la disposicio de las 
inalautias en lor meteyssas, e las causas de aquelas, els acci- 
dentz de lor, e Fespasi • del temps de aquelas. Mays en las 
autras compleccios no es sobre vos temor, e maiorment en las 
maLautias fragas e humidas, car ja totz les metges se son acor- 
datz sobre aquels, e no so desecordatz en le juvament am cau- 
teri [P° 2, r°] en aquelas. — E sapiatz, filb, que del secret de 
curacio per cauteri am foc e de la bontat de lu, so sobre cau- 
teri am medicina comburent, es quar le foc es simple, la accio 
delqual no per ver (sic) * sino al membre lequal es cauterizat, 
e no nos a Tautire membre am lu ajustât, sino am petit nocu- 
ment. Mays la accio de medicina comburent per ver ad aquel 
en les membres lequal de lu '^ alunhat, e fort leu fa venir en 
le membre malautia de dificil sanacio, e fort leu ausit •. Mays 
le foc per la sua sublimitat e de la sua sustancia bontat '^^ no 
fa aquo sino que superâuisca. E ja es a nos conogut per expe- 
riment, e per longitut de servitut d'estudi ® am Tart • sobre 

' Cet a est barré sur le manuscrit, il est nécessaire pour le sens : « Et 
ego quidem dico per sermonem ejus qî*ad experimenium detexit jam 
mihi illud aliqiAoties, 9 (Gérard de Crémone, ms.) 

^ Il manque no: « Nisiqui jam probatus est et eœercitatus. » (Géi'ard 
de Crémone.) 

8 Ms. : les pasi. 

* Gérsrd de Qrém.: pervenit. 

' Il manque probablement es, 
« Gérard de Crém.: et fortctsse interfiàU. 

^ Oette tournure parait tout à fait latine vett^ubstcmtiœ mm honibatem. 
Gérard de Crémone <dit oependant : et honHaéem ^mhMaiêtiCB stiœ. 

* Grénard de Crém: servUttUs et studii. 

* il manqueici quelques mot&Génarà deiGiiém. dit : et slatiùnem -s^t^r 
veritatem rerum. 



LA (ffiftfetJrtlGrBS d'alWCASIS "m 

la veritat de las causas ; e peî» aqto yen so B^cusat àô la hAi- 
gitut del se'rmo. E si no fos que no es leglit al mUeti îîbfé, et 
aquest pausero a vos secret amaguat am le foc, e la qualitat 
de la operacio de lu en les cors e de la sieua expulcio pèr îïi- 
qual expellis las malaûtias, am sermo phesic* dennostratiti, 
lèqual siria acuit en las vostras pessas. 

E sapiatz, filh, que els se desacordan del temps en lequal es 
convenient far cauteri ; e pausan le milhor temps de ■,. e yen 
die que cauteri es convenient en tôt temps, Çer so que le no- 
cument per lo temps accident es submergit en le jtivaînent de 
aquo que am le cauteri es atirat, e maiorment si le cauteri es 
per dolors o de dolors necessaries, fortz e fistinas, lasqnals tfo 
suifertan tarditat persoque es temut de aquelas que vengtra 
malicia, que es maior que petit nocument en tant' per lo temps. 
E ajsso notatz en vostras pessas, o filh, aquo no estiman sino 
le poble vulguare les fols metges so es que ad aquela malautia 
que es sanada per cauteri no es redicio tôt temps. E pausa * 
aquel consequen, e la causa no es ges ayssi quo (sic) els cny- 
dan, per aquo quar cauteri no es sino en loc de medicina, la- 
quai altéra la compleccio e desiccalashumiditatz,lasqualsson 
causa perque veno las dolors. Mays empero cauteri super- 
flueys sobre la medicina per volicitat * de la sua valitut, e ver- 
tut de la sua operacio, e grandesa del sieu senhor ®. — E es 
possible que la sua malautia retorne en alcuna hora del temps, 
segon la compleccio del malaute, e la locacio de la sua ma- 
lautia, e la vertut de lu, e aquo que es préparât en le cors de 
lu de la agreguacio de las superfluitatz en lu, e aquo que es 
pervengut a lu en la sua acquisicio en viandas, e semblants de 
aquelas causas ; sino que la malautia en laquai sia aministmt 
cauteri sia malautia subtil, en membres de paucas superflui- 

' Il faut philosophie. L'abréviation de ce mot ou celle du mot latin 
philosophico a été mal lue par le copiste ou par le traducteur. 
^ Le copiste a laissé un mot en blanc. Gér, de Grém. : tempus vêtis. 

* Lisez entrant. Gér; de Grém.: intrans propter tempiis. 

* Il faut e pausan. Gér. de Crém.: et ponunt. 
^ Lisez velocitat ; latio, velocitatem. 

* Domina sut (Gér. de Grém.). 



904 DIALBCTBS ANGISN8 

tatz e humiditatz, ayssi cum cauteri de dent per dolor e sem- 
blantz ad aquel, possible es que en lu no retorne aquela dolor ; 
majs aquo se fa en petitz. £ majs sermo vulguar es que cau- 
teri es le derier remezi de medicina, e es sermo drejturier ; 
no ad aquo que els entende en lu ; quar els crezo que no es 
curacio que aprofiejta am medicina ni am autra causa aprop 
cauteri. Ë la causa es en contrari de aquo ; e la entencio que 
cauteri es le derier remezi de medicina no es sino quan adnai- 
nistram las maniejras de curacio en algunas malautias, e 
aquelas medicinas no conferieysso, e aprop, en la fi de la 
causa, aministra hom cauteri e aprop ûeyta (sic) ad aquela, 
e lahoras de aquitat * que cauteri es le derier remezi de medi- 
cina, no segon la entencio laquai entende les vulguas e trops 
dels fols metges. — E diyssero les antics que cauteri am aur 
es milhor que cauteri am ferr, e no diyssero aquo sino per la 
equalitat del aur e sublimitat de la sua sustancia. E diyssero 
que le loc de cauteri no fa brac, cum aquo no sia absolu - 
tament vertat; quar yeu ja he aquo proat, e he atrobat que 
aquel no fa aquo sino en alcus cors ses les autres. E cauteri * 
am aquel es bo e milhor que am ferr, ayssi quo (sic) els diys- 
sero. Mays empero quan tu fas cauteri am foc am de aur, 
no es a tu déclarât quan es egnit segon la quantitat que tu 
veys ^^ per la rugor del aur.— E quar * prépara a recebre freg, 
e si aiustas [P° 2, v°] sobre lu ignicio, se fon Taur per le foc, e 
caso en le foc alcunas luminas (sic) ^, per que le artifex catz 
per la occupatio de aquel. E per aquo es fayt cauteri am ferr 
deves nos pus leugerament e pus propdanament a rectitut de 
operacio. E yeu ja he ordenat aquest capitol en le cauteri 
segon capitols, et (sic) he ordenat aquels del cap entro les 
pes, persoque aleugo le demandant aquo que vol de lu. 

^ Il y a là une faute de copie: tune inde cadit quod cauterium, etc. 
(Gôr. deCrém.) 

- Le copiste a écrit deux fois e cauteri. 

3 Le traducteur a fait un contre-sens en rendant secundum quantUalem 
qtMm VIS par segon la quantitat que tu vêts. 

* II faut lire quan ; le latin dit quando» 

B Latin : laminas. 



LA CHIRURCHE d'aLBUCASIS 305 



De CAT^TERI de DOIiOR DE CAP PER FRIGIDITAT E HUMIDITAT. 
I,E CAPITOL PRIMIER, PRIMIER, PRIMIER * . 

Aquesta cauterizacio confereys a la humiditat e frigiditat 
sobre le servel accident, de laquai so doas causas : so es causa 
de soda *, et multitut de flux ramiratic ', apelat corissa del 
cap, a las partidas dels huelhs e de las aurelhas fluent, e mul- 
titut de dormir, e de dolor de dentz e del guolayro, e univer- 
salment de tota malautia que ve.per fregiditat, ayssi cum pa- 
raliticament, sodo (sic) e apoplexcio, e semblantz en aquelas 
malautias. La forma de aquesta cauterizacio es aquesta : que 
primieyrament comandes al malaute que sia évacuât am medi- 
cina lacsativa le cap modificant, per très o per quatre nueytz, 
segon que exhigeys la vertut del malaute, e la état de lu, e 
la sua costuma. E aprop comanda li que raza le sieu cap am 
razor ; e aprop fay aquel sezer entre las tuas mas sobre una 
banca cayrada, e que pause las suas mas sobre le pietz sieu ; 
e aprop pausa le dit de la tua palma aprop le pous sobre la 
razit del nas, entre les huels sieus ; mays empero cum le tieu 
dit del mieg * es pervengut, signa aquel loc am tenta ; e aprop 
igneys le cauteri olivardel delqual aquesta es la forma * ; e 
aprop pausa aquel sobre le loc senhat am tenta, a manieyra 
que descent, am laquai la tieua ma sia constrengida petit a 
petit, e tu revolveys aquel. E aprop leva la tua ma leugera- 
ment, e reguarda le loc, e si veses ja del os esser descubert 

' La double répétition du mot primiez' est une fantaisie du copiste, qui a 
voulu remplir la ligne. 

^ Arabe sodua^ traduit par Ghanning cephnleœ, et par Gérai'd de Crémone 
sod^. 

^ C'est probablement un mot défiguré par le copiste. Gérard de Crémone 
dit fluxus humorum. 

* Il y a ici un mot presque entièrement effacé, qui parait être loc. La 
phrase romane n'est pas complète. On lit dans la traduction de Gérard de 
Crémone : Ubicumque ergo pervmerit digitus ium médius, signa locum 
iUum cum incausto. 

'' Pour remplir la ligne, le copiste a ajouté forma forma forma ma. 
Puis vient la figure de l'instrument. 

2\) 



306 iMA^^ac^Es àmmus 

alcuna quantîtat del cap, ajssi cum la quantitat degra^ de 
errs •, lahoras éleva la tua ma. Am • aquel ferr e am autra de 
aquel si es enfrigidat, entre que sia vist del os aquo que y eu he 
dit « tu. E aprop pren un petit de sal, e disolvejs aquel sobre 
le loc, e lejssa aquel per très jorns ; e aprop pausa sobre lu 
coto enbegut en boder *, e leyssa aquel sobre lu entro que «ia 
destrusida la seara del foc. E aprop cura le loc am auguezit 
tetrafarmaton (sic) *, entro que sia sanat. Ë ja diyssero qu^ 
quant la plagua roman uberta tant mielhs, getalebrac, perque 
es milhor e mays juvatiu. Ë diyssero alcus de lor que sia eau- 
terizada la codena entro a Tos, e sia tengut le cauteri entro 
que sia adhurida alcuna partida de la specitut (?) * ; e aprop 
sia ras aquo que es adhutz de Tes, e aprop sia curât. E diyssero 
autres que am lo cauteri pervengua al derier, entro que en- 
prenia en le os fort enprecio, entro que le os caga ; e aquesta 
.es la forma de alphetati petit unimamu (?) ''. 

Ë estiman de aquest loc expiran la (sic) vapors del cap, e 



* La première syllabe de ce mot est presque entièrement effacée. 

^ Gérard de Crémone : < Quod si vides jam detegi ex osse quantitatem 
capitis cUkiel aiU quantitatem zeuherbi, tune éleva manum luam. »— 
Ghanning; a Et si videris jam esse detectum quid ossis bene est » 

^ Il manque quelques mots au commencement de cette phrase. Gérard 
de Crémone dit; « Et si non, itéra manum tuam ferro ipso, atU cum alio 
ab ipso si infrigidatur. . » 

* Butyrum. 

' Tetrapharmacon . 

* La 3* lettre de ce mot est effacée. C^rard de Crémone : « Et tensatur 
cauterium donec aduratur quiddam spissitiAdinis ossis.^ 

^ Ce mot est illisible ; il parait, d'ailleurs, ne répondre à aucun mot de 
la traduction latine. Voici ce passage d'après le manuscrit H. 89 fer : 
« Donec codât os, quod fit sicut forma kiraté aut alfectuUi parvi. » ^ On lit 
dans redit, de Strasbourg, 1532 : « Quod fit sictit forma kirate aut instru- 
mentum quod mulieres ponunt in fuso alphabeti parvû » — Channing : 
a Adeo ul os décidât figurâsUiquœ vel orbiouU fusi muliebris partii.» Et en 
note : « Alkirati vel alfelcati. — Yet. iuterpr. Edit. iii^liMphabeti parvis 

Il y a ici dans le manuscrit roman une figure qui ne se tiouve ni dans 
le manuscrit latin, ni dans auaiine des éditions ou traductions d'Âibocasis 
dont nous avons connaissance. 



LÀ CHIRURGIE d'aLBUCASÏS 307 

sia tenguda la plftgua uberta per lonc temps^ e li^rop sia eu- 
rada, entro que sia consolidada. Mays a mi no so vistas aques- 
tas dos specias de cauteri de tôt, sino en alcus homes segon 
via de temor. E layssa aquel, deves mi milhor es am salut 
quan es ; quar le cap es develicat * per solucio de continui- 
tat de lu, ayssi cum havem testificat en les autres membres, 
e maiorment quan le cap del malaute es de freul natura. E 
la specia de cauteri * primieyra es majs salva e milhor deves 
mi, e de aquela husi, e am aquela obra am salut. 



Je crois devoir arrêter ici mes extraits de TAlbucasi^ roman. 
Le fragment que j'ai donné suffit pour faire connaître le dia- 
lecte de cette traduction, et pour justifier les observations 
que j'ai faites au début. Si la Société pour l'étude des langues 
romanes entreprend la publication en un volume du manu- 
scrit entier, j'espère pouvoir accompagner cette édition d'un 
travail plus étendu sur le dialecte ancien et moderne du bas 
pays de Foix. 

C. DE TOURTOULON. 

' Latin : debUitatur enim caput. 

^ Le copiste a écrit deux fois de cauteri. 



dulëgtës modernes 



LA GUERRO 

(parla d6u KOSEj 



De la cresto di serre au founs di vau, di vabre, 

En orre mescladis s'empielon li cadabre ; 

Li corb noun an plus set, li loup noun an plus fam. 

— Femo, poudès faire d'enfant ! 

Trono lou canoun rau ; de la terro cremado 

Mounto au front dôu soulèu un nivo de fumado ; 

Tout fugis. . . Lou qu'es viéu tuerto un mort en passant. 

— Femo, poudès faire d'enfant ! 

La bataio fai pôu. Dins la fourèst que brulo, 

Sènso lou cavalié la cavalo barrulo ; 

l'a de sang dins li pous, la ribiero es de sang. 

— Femo, poudès faire d'enfant ! 

L'oustau es afoudra : lou chin cerco e gingoulo ; 
Lou brès es vueje. Amount, pendoula pèr la goulo, 
Lou cadabre dôu paire es rede e blavejant. 

— Femo, poudès faire d'enfant ! 

La fàci au sôu, li bras en crous, davans la porto, 
Uno chato, pieta ! descabelado, es morto. 
Bello coume lis ange, avié belèu quinge an. 

— Femo, poudès faire d'enfant ! 

Lou vilage es en frun ; peralin sus lou moure, 
Dôu castèu, de la glèiso isto plus que la tourre : 
Lou campanié ie vai souna lou toco-san. 

— Femo, poudès faire d'enfant ! 



309 



LA GUERRE 



(SOUS-DIALBCTE DBS BORDS DU RHÔNB) 



De la crête des monts au fond des vallées, des ravines^ — en 
horrible mélange s'entassent les cadavres; — les corbeaux 
n'ont plus soif, les loups n'ont plus faim. — O femmes, faites 
des enfants ! 

Le canon rauque gronde ; de la terre incendiée — monte 
au front du soleil un nuage de fumée, — tout fuit ;. . Le vivant 
heurte un mort en passant. — femmes, faites des enfants ! 

La bataille fait peur. Dans la forêt qui brûle, — la cavale 
erre sans cavalier ; — il y a du sang dans les puits, la rivière 
est de sang. — femmes, faites des enfants ! 



La maison est effondrée : le chien cherche et hurle ; — le 
berceau est vide. Là-haut, pendu par la gorge, — le cadavre du 
père est raide et bleui. — O femmes, faites des enfants ! 

La face contre terre, les bras en croix, devant la porte, — 
une jeune fille, pitié ! échevelée, est morte. — Belle comme 
les anges, elle avait quinze ans peut-être. — femmes, faites 
des enfants ! 

Le village est en ruines ; au loin sur la côte, — du château, 
de l'église il ne reste plus que la tour : — le sonneur y va 
sonner le tocsin. — femmes, faites des enfants ! 



310 DIALECTES MODERNES 

Mai souto li boulet lou vièi clôuchié debano ; 
E Tardit campanié toumbo emé la campano, 
Lou darrié viravôut dôu brounze Facrasant. 

— Femo, poudès faire d'enfant ! 

Crid di bèstio e di gènt, quilet sutiéu di balo, 
Rangoulun di blessa qu'uno boumbo rebalo, 
Tambour, troumpeto, ausès lou sôuvage fanfan. 

— Femo, poudès faire d'enfant ! 

Ë tèsto, e cambo, e bras, tros saunons sens susàri, 
Soun cauca di chivau, soun escracha di càrri. 
La guerro aplano tout : iro, amour, joio, afan. 

— Femo, poudès faire d'enfant ! 

Soumbrejo, nèvo. . . luei, malur ! la nèu es roujo : 
L'armado aura'n linçôu. — Nàni ! Tauro feroujo 
Desacato li mort dins la nèu s'escafant. 

— Femo, poudès faire d'enfant 1 

Dins la prado e li blad, sus Fermas, long di souco, 
Vès-lèi !.. lis un l'escumo e Firo entre li bouco, 
Lis àutri cabussa, pecaire, en s' embrassant. 

— Femo, poudès faire d'enfant ! 

S^estrassant li teté de sis ounglo, li femo, 
Li maire ourlon à Dieu : — Venjo nôsti lagremo ! 
De nosti fiéu ve'n pau, li rèi, ço que n'en fan. . . 
En que sièr de faire d'enfant ? 

Teodor Aubanel. 
Avignoun. 



Mais sous les boulets le vieux clocher 8*écroule ; — et le 
hardi sonneur tombe avec la cloôhé, — la dernière vire-volte 
du bronze l'écrasant. — femmes, faites des enfants ! 



Cris des bêtes et des hommes, sifflement aigu des balles, — 
râle des blessés qu'une bombe balaye,— tambours, clairons, en- 
tendez la sauvage symphonie. — O femmes, faites des enfants ! 

Et têtes, et jambes^ et bras, sanglants tronçons sans suaire, 

— sont foulés par les chevaux, sont écrasés par les chars. 

— La guerre aplanit tout : colère, amour, joie et peine. — 
O femmes, faites des enfants ! 

Il fait sombre, il neige. . . Aujourd'hui, malheur I la neige 
est rouge : — l'armée aura un linceul. Non ! le vent farouche 

— découvre les morts s' effaçant dans la neige. — femme», 
faites des enfants ! 

Dans les prés, dans les blés, sur la lande, le long des vignes*, 

— voyez-les. . . les uns Técume et la colère aux lèvres, — le» 
autres tombés, hélas ! en s' embrassant. — femmes, faites 
des enfants ! 

Se déchirant les seins avec leurs ongles, les femmes, — les 
mères hurlent à Bieu : Venge nos larmes ! . — De nos fils, vois 
un peu, les rois, ce qu'ils en font. . . — A quoi bon faire des 
enfants ? 

Théodore Aubanbl. 
Avignon . 



•mmt 



ai2 DIALECTB8 IfODBIWBS 

NOTES 
Stm LB 80US-DIALBCTB CARCASSONNAIS ' 

BT 

LES SOUS-DIALECTES LIMITROPHES 



L Le dialecte languedocien emploie deux articles pour le 
masculin: lou, lous; le, les. Le premier domine dans le bas 
Languedoc, à partir de Lézignan jusqu'au Rhône ; le second 
règne seul dans les arrondissements de Carcassonne, de Limoux 
et de Câstelnaudary, comme dans la haute Garonne. 

La finale s se fait toujours entendre comme z devant une 
voyelle {lous homes ) et devant une consonne douce ô, g, d, v 
{lous gavels); et comme s dur devant une consonne forte, 
comme p, c, t, f, l, m, n, etc. {lous plagnuns, lous tems). 

L'auteur des vers que nous publions ci-après, originaire 
d'Escales, situé sur la ligne même de séparation des deux 
articles, se sert dans ses vers tantôt de l'un, tantôt de l'autre. 
Dans le morceau intitulé l'Agnèl e lou Bouché, il emploie exclu- 
sivement l'article lou, quoique son dialecte appartienne au 
carcassonnais pur. 

L'article féminin est partout la, pour le singulier, et las, pour 
le pluriel. 

Les articles contractés sont les mêmes pour les deux articles 
le et lou : 



dal, 


pour 


de le 


ou 


de lou; 


das, 


pour 


de les 


ou 


de lous; 


al. 


pour 


à le 


ou 


à lou; 


as. 


pour 


à les 


ou 


à lous. 



Outre ces deux articles contractés, le languedocien en a deux 
autres, formés avec les prépositions pèr (par ou pour), sw5 (sur) ; 
ainsi : 



NOTE SUR LE SOUS-DIALBCTB CARCASSONNAIS 313 



pèl, 


pour 


pèr le 


ou 


pèr lou; 


pès, 


pour 


pèr les 


ou 


pèr lous; 


sul. 


pour 


sus le 


ou 


sus lou; 


sus*. 


pour 


sus les 


ou 


su lous. 



Dans la partie du Languedoc de Béziers au Rhône, les arti- 
cles contractés dal, al, se changent en dau, au, 

IL A partir de Béziers, tout l'ouest du Languedoc emploie 
la finale o pour caractériser le genre féminin des noms, des 
adjectifs et la 3® personne du singulier des verbes (présent, 
imparfait et passé défini de Vindicatif) ; tandis que le bas Lan- 
guedoc emploie la finale a dans les mêmes cas, et la termi- 
naison è à rimparfait des verbes des trois dernières conjugai- 
sons (rawôe^o blanco , la lamo, la banco, la punto, flourejavo, 
Prouvidenço ; haut Languedoc : se risiô, i fasio, brandissio, fre- 
missiô ; bas Languedoc : se risiè, i fasiè, brandissiè, fremissiè). 

Les règles de l'accent tonique, dans les mots terminés en a 
et en o, sont donc les mêmes qu'en provençal (voj. Jkvue des 
langues romanes, 1'® livraison, 1870, p. 49). 

Il faut remarquer que le pluriel, se formant par l'addition 
d'un s, conserve l'accent tonique sur la même syllabe que le 
singulier [lalâmo, las lamas ; lapûnto, laspûntos), 

III. La 2* personne du pluriel des verbes prend une s finale, 
dans le bas Languedoc jusqu'à Carcassonne ; à partir de cette 
ville et à l'ouest, elle se termine Qxxts^i 

venès, venèts ; 

sentisses, sentissèts ; 

perdounas lou, perdounats lou; 

siès ou siôs, sièts, stots. 

* Lorsque sus est employé pour suis, sus les ou sus lous^ on fait sentir 
ïs final. On ne prononce pas la finale lorsqu'elle est suivie d'une consonne 
dans suSf préposition signifiant simplement sur. 

^ Un assez grand nombre d'écrivaiDS représentent le son is final par 
un flp. Nous avons, d'accord avec les principes d'orthographe posés par 
l'école des félibres et par la Société pour l'étude des langues romanes, 
abandonné cet usage, que rien ne justifie. 



314 MALBCTBS MODSRJNES 

IV. Le narbômiai» modifie d^uiie manière reittarquable et 
tout à fait originale Ift terminaison s ovl t$^ de» d^terminatifs 
mous, tous, sous, eto., ainsi que des prépositions oa des verbes. 
Il change cette lettre en t ftiiblé devant une consonne : 

sous libres, prononcez «o^t libres ; 

las mas, — lai mas; 

toûtis dous, — toûtii dous ; 

perdounats-lou, — perdounai^lou; 

dejoust lou coutèl, — dejoûi lou coutèl; 

lous brasses nuls, — loùi brassei nuts. 

Cet usage singulier, qui a probablement pour origine la tra- 
dition du latin mei, sut, tut, etc., se retrouve également dans 
le sous- dialecte d'Agde. 

V. Le V se prononce toujours b dans les sous-dialectes du 
haut Languedoc. La plupart des auteurs n'emploient même 
jamais le v dans récriture. Nous avons suivi la règle adoptée 
par la Société pour l'étude des langues romanes, qui est d'é- 
crire V toutes les fois que Tétymologie et Tusage général des 
autres dialectes l'exigent ; mais le lecteur doit être prévenu 
que cette consonne se prononce toujours b, La même particu- 
larité se remarque en espagnol, où le u et le 6 se confondent 
dans la prononciation, quoiqu'il ne soit pas permis de les con- 
fondre dans l'orthographe, 

VL Le y et le ck ont la valeur de dz ou. de» te vers les fron- 
tières nord de l'Aude, l'arrondissement de St^Pons (Hérault) 
et le département du Tarn ; ainsi : 

juchais, se) dit dzufyais ; 
flourefovo-, — ■- fhureéamfo. 

Le carcasdonnais et le narbonnaftsprotioticent/pttr, commis- 



NOTES SUR LE SOUS-I»[ALB€TB! GARGASSONNAIS 315 

en français, et ch comme tch, A partir de Béziers et à Test, le j 
ou le g devant e, i, se prononcent dj ou tch, 

VIL La terminaison on de la 3® personne du pluriel de 
rimparfait de l'indicatif et la terminaison an de la 3® personne 
du pluriel du futur se changent en du diphthongue dans le Tarn 
et dans la partie de FHérault qui touche ce département : 

vegnon, tegnon; vegnou, tegnou; 

aimaran, pourtaran ; aimarou, pourtarou. 

VIIL Nautres, vautres (nous, vous), usités dans le bas Lan- 
guedoc jusqu'à Béziers, sont remplacés par nous autres, vous 
autres, ou autris dans le narbonnais et le carcassonnais. 

IX. Les adjectifs et les participes forment leur pluriel par 
Paddition de is non accentué au masculin et os, également non 
accentué, au féminin. 

mountat, mountàdis, mountàdos ; 

bou, boûnis, boûnos; 

michani, , michàntis, michàntos ; 

vengut, vengûdis, vengûdos. 

Cette règle n'est pas suivie de Béziers au Rhône, où Ton dit : 

mountat, mountatSy mountadas ; 

bou ou bon, bous ou bons, bounas ou bonas; 
vengut, venguts, vengudas ; 

X. Les dialectes néo-romans sont particulièrement trèe- 
riches en expressions énergiques sans équivalents en français ; 
nous signalerons, dans les vers qui suivent : 

mannaty accompli, parfait ; 

tous plagnuns, les plaintes douces ; 

rescoumpassà, franchir à larges pas ; 

amagnagà, oaresger trè^-affectueusement ; 

espanjamat, ayant les vêtements en désordre ; 

espantado, hors d^elle, effarée; 
eoûrri que courriras, il court le plus* qu'il peut. 

B. Cantaorbl. 



316 DIALBCTB8 IfODBRNBS 



LAGNÈL E LOU BOUCHÉ 



Un agnél à raubeto blanco, 

Mannat, poulit coumo un anèl, 

Un jour, estirat sus la banco, 

Fremissiô dejoust lou coutèl. 

Déjà la punto de la lamo 
Flourejavo lou col dal paure malurous; 
Lou bouché se risiô de soun mèh-mèh plourous. 

De sous cops d'èls que fendion Tamo. 
Es finit, va péri !... Lous plagnuns de Fagnèl 

Èroun mountàdis vès lou cèl. 
Prouvidenço de Dieus ! Garo-aqui qu'uno abelho 
Pès pelses dal cruel brounzino sa cansou, 

Apèi t'hi rebound soun fissou 
Apuntat e rousent dins lou quèr de Taurelho. 
Juchats se Farrestèt. La vitimo, à soun tour. 
Se destaco, d'un saut rescoumpasso la porto ; 
Coùrri que courriras, arrive miejo-morto 

Al mitan d'une basso-court. 
Pèr asard s'i trouvèt une doumaiseleto 
Que vès l'estoumagat ; en sourriguent venguèt, 

Doucetomen Tamagnaguèt ; 
Lou pessant de pa blanc, i fasiô coulereto 

De sous brassons fis e mouflets, 

E lou manjavo de poutets. 
L'agnèl recouneissent el tabé caressavo 

La viergeto que Tembrassavo 
I flairavo las mas, lapavo sous detous, 

Lous auriots badats toûtis dous. 

Tout-d'un-cop lou bouché t' arrive, 



3n 



L'AGNEAU ET LE BOUCHER 



Un agneau à petite robe blanche, — accompli, joli comme 
un anneau, — un jour, étendu sur le banc, — frémissait sous 
le couteau. — Déjà la pointe de la lame — effleurait le cou 
du pauvre malheureux. — Le boucher se riait de son m^A dou- 
loureux, — de ses regards qui fendaient Pâme. — C'en est 
fait, il va périr. Les plaintes de Tagneau — étaient montées 
vers le Très-Haut. — Providence de Dieu 1 Voilà qu'une abeille 

— dans les cheveux du cruel fredonne sa chanson ; — ensuite 
elle lance son dard — effilé et cuisant dans la peau de Foreille. 

— Jugez s'il l'arrêta. La victime, à son tour, — se détache, 
d'un saut franchit la porte — et se met à courir ; elle arrive à 
demi morte — au milieu d'une basse-cour. — t^ar hasard, il 
se trouva là une petite demoiselle — qui vers l'essoufflé vint 
en souriant ; — elle le carressa doucement, — lui donnant 
du pain blanc ; elle lui faisait collerette — de ses petits bras 
fins et potelés ; — elle le mangeait de baisers. — L'agneau re- 
connaissant, lui aussi, caressait — la petite vierge qui l'em- 
brassait; — il lui flairait les mains, léchait ses petits doigts: 

— ils vous auraient ravi tous les deux. — Tout à coup arrive 



318 DIALECTES MODERNES 

Vionlet, carut, desalenat, 

Lous brasses nuts, espanjarnat, 

Brandissiô la fredo ganivo !... 

— (( Perdounats-lou ! perdouiia1»-lou ! » 

Las mas en crouts , aginoulhado, 

Crido la fllheto espantado ; 
E sas larmos, pietat ! bagnavoun Tagnelou. 
Sans peno, va cresets, lousinnoucents tramblavoun, 

Retenion Talé, se jountavoun 

Que se pot pas mai tendromen. 

Lou bouché, mut, sans mouvomen, 

Sentits Testoumac que si barro ; 

De sa ma toumbo lou coutèl : 
— « Lou perdoùni, diguèt ; me cal mai faire encaro : 

Angelou, te doùni Tagnèl. » 

Achile MiR. 



Escalos (Aude). 



l'agneau et le boucher 319 

le boucher, — violet, hor» d'Wcme, — les bras nus, les vête- 
ments en désordre ; — il brandissait le froid coutelas : — « Par- 
donnez-lui, pardonnez-lui ! » — les mains en croix, agenouillée, 
— s'écrie la petite fille tout effarée ; — et ses larmes, pitié I 
inondaient le petit agneau. — Sans peine vous le croyez, les 
innocents tremblaient, — retenaient Fhaleine, se serraient — 
on ne peut plus tendrement. — Le boucher, muet, sans mou- 
vement, — sent son courage faillir ; — de sa main tombe le 
couteau : — a Je lui pardonne, dit-il ; je dois faire encore 
davantage : t- petit an^e, je te donne Tagneau. » 



Achille MiR. 



Escales (Aude). 



PROUVENÇA 

( Segiùda ê fin ) 



IV 

LA PRBNSA 

Soulet es pas lou sang, aquel engrais de glôria 

Das poples braus e de sous rèis, 
Que flameja au frountou de nostra granda istôria : . 

Fa sa fe, sa lenga, sas lèis. 
Pamens se lou Renoum a set, que s'assadoule : 

Fa pa n cantounet dau Miejour 
Ount se plante un bigot que de sang ne regoule, 

Tant eai a rajat à grand gourg. 
Luchas e trincamens, n'avian que devaria ; 

A coumencà das Sarrasins, 
Que lou brave Guilhèm *, paire de la patria, 

Desgrunèt couma de rasins. 
Pioi venguèt lou Nourmand, TOungrés, trassa de tora... 

Gruerra as grands poples, as vesis.... 
L'estendard alandat e lou glàsi defora, 

Aqui, rai, nous sèn revesits. 
Tabé nostres anciens, dau Rose à Barcelouna, 

Das Arvernes as Capitouls, 
Sus Fencountrada en flou que lou sourel poutouna, 

D'ounous, de glôria èroun sadouls. 
Alargats au coumerce, espandissièn sas vêlas 

Embaumadas d'encens, de nard ; 
Dans FAsla, FAfrica, èra un moulou d'estellas 
Sus lou mirai dau ciel, la mar. 

'Guilhèm dau Court-Nas , duc deToulousa, que bastiguèt l'abadiè 
de SaiDt-Guilhèm-dau-Desert. 



PROVENCE 

(Suite et fin) 



rv 

LB PRBSSOIR 

Ce n'est pas seulement le sang, cet engrais de gloire — • 
des peuples forts et de leurs rois, — qui flamboie au fronton de 
notre grande histoire : — il y a sa foi, son langage, ses lois. 
— Pourtant, si la Renommée a soif, qu'elle s'abreuve : — il n'y a 
pas un petit coin dans le Midi — où la pioche s'enfonce, que 
du sang n'en ruisselle, — tant il y a coulé à grands flots. — 
Chocs et combats, nous en avions tant qu'on en est troublé, — 
en commençant aux Sarrazins, — que le vaillant Guilhem*, père 
de la patrie , — égrena comme des raisins. — Puis vint le 
Normand, le Hongrois, chenille hâve et chétive . . • . . — 
Guerre aux grands peuples, aux voisins... — L'étendard 
déployé et le glaive nu, — avec succès nous avons tenté 
le sort. — Si bien que nos ancêtres , du Rhône à Barcelone, 
— des Arvernes aux Capitouls, — sur la contrée fleurie que 
baise le soleil, — d'honneurs, de gloire étaient repus. — Lar- 
ges et hasardeux, au commerce ils étendaient leurs voiles — 
embaumées d'encens, de nard ; — en Asie, en Afrique, c'était 
une multitude d'étoiles — sur le miroir du ciel, la mer. 



* Guilhaume au court nez. duc de Toulouse, qui fonda Tabbaye de 
Saint-G uilhem-du-Désert . 

21 



3» DIALECTES MODERNES 

Sas universitats de drech, de medecina 

Fasièn grand bruch. Sous gouvernants 
Quitavoun au peïs sa coustuna latina 

Tène bon despioi ioch cents ans. 
La pensada èra libra : as palais de Gascougna, 

Au pargue dau pastre raiôu, 
Tout pregava en sa fe, sans crenta ni vergougna, 

Catoulic, Albigés, Jasiôu. 
Aqui ce qu'acoussèt la sequèla crousada 

Qu', au noum de Jésus pietadous, 
Knglandèt la nacioun e la tenguèt plantada 

Sus Taubre doulènt de la crous. 
Nous aparèren be, santa-di ! mes lou papa 

Innoucent très cridèt : Ranfort ! . . . 
E traguèt lou peïs à quau lou vôu Tarrapa : 

Au pus gus la pelha ! à Mountfort. — 
Anen , zou ! sagaten Beziès , Muret , Toulousa ; 

Avaliren sans remissioun 
La fe , la libertat , idèia espetaclousa 

Que s'enfla en d'aquela nacioun. 
Desoundt'en-la : la marca ! un mourrau ! un cabestre ! 

Que detràs lou Papa ou lou rèi 
Passeje sa vergougna, e dau càrri d'un mèstre 

Tome mouqueta à soun chinièi. — 

Entaneha de fruchan lou Orousat vendémiaire ! 

Grapilha tout fins un broutel ; 
Escaussella, derraba e passeja Taraire ; 

Lou sôu se neteja autour d'el. 
A la barra ! à la barra ! avèn mountat la prensa ! 

Qu'aparàs aqui ? de semaus ? 
Quand s'esquicha lou sang de la vièlha Prouvença ! . . . 

De valats founzuts, de canaus!... 
Sus la raca sannousa escala, siès lou mèstre : 

Un légat vai cridà que siès, 
Pèr la graca de Dieu, viscomte de Leicèstre, 



PROVENCE m 

Leurs universités de droit, de médecine — faisaient grand 
bruit. Leurs gouvernants — laissaient au pays sa coutume la- 
tine — intacte depuis huit cents ans. — La pensée était libre : 
aux palais de Gascogne, — au bercail du pâtre cévenol, — 
chacun priait dans sa croyance, sans terreur ni vergogne, — 
Catholique, Albigeois, Juif. — Voilà ce qui ameuta la cohorte 
croisée — qui, au nom de Jésus miséricordieux, flagella la na- 
tion et la tint clouée — sur Farbre dolent de la croix. — Nous 
nous défendîmes bien, morbleu ! . . mais le pape — Innocent 
trois cria : A l'aide ! . . . — Puis il jeta le pays au premier 
venu *, — au plus gueux le chiffon • ! à Montfort !!..—- Allons, 
sus ! égorgeons Béziers , Muret , Toulouse ! — Détruisons à 
jamais — les croyances, la liberté, idée grandiose, — qui 
grandit chez cette nation. — Déshonorons-la : la marque! une 
muselière ! un licou ! — Qu'à la suite du pape et du roi, — 
elle promène sa honte, et que, du char d'un maître, — elle re- 
tourne confuse à son chenil. 



Il en abat du fruit, le Croisé vendangeur; — il arrache tout 
jusqu'au dernier grappillon ; — il déchausse (la vigne), arrache 
et promène la charrue ; — le sol se dépouille autour de lui. — 
A la barre 1 à la barre ! nous avons dressé le pressoir I . . . — 
Que tendez-vous là? des baquets? — Lorsque l'on exprime le 
sang de la vieille Provence ... — des fossés profonds, des ca- 
naux ! . . . — ^ Sur une lie sanglante dresse -toi, tu es le maître. 
— Un légat va te proclamer, - - par la grâce de Dieu , vicomte 

* Litt. : à qui le veut l'attrape. 

- On dit proverbialement dans le Midi : Au pus fort ou Au pus gus la 
pelha^ Au plus fort ou Au plus gueux le chiffon, pour indiquer que Ton 
abandonne une chose au premier qui s'en em|:>arera. 



2U DIALBCTBS MODERNES 

Duc de Narbouna, de Beziès. 

Lou passerou besiat s'aclata jout las matas ; 

Es coufle e fai pas pus pieu-pieu ; 
Tèn lou cop de la mort, pecaire ! a virât bâtas... 

Mes chut ! s'escarabilha, es vieu. 
Poumpa un degout fresquet à la fiolha bagnada, 

Ëspincha un pau, s'estrementis, 
Fria soun bèc, alisa una ala escaraugnada, 

Pieuta, sauta, se samboutis, 
S'envoula ! Anas lou querre à la cima das pivous ! 

Amount, dins soun nis, recatat, 
L'aucelet dau bon Dieu, sus la coulça das ni vous, 

Coua riou de la libertat !! 



VÉUSA E NÔVIA 

Quand lou rèi Sant Louis, de passada à Bèu-calre , 

Après tout aquel reboulun , 
Devistèt la Prouvença : — « Oh ! souspirèt, pecaire ! 

T'an amoussada couma un lum ! 
Encontra de la mort tant pot un rèi qu'un gàrri, 

E tus n'as lou vesti dau cros ; 
Se m'ausisses, pamens , estripa toun susàri, 

Vèni-cai , aussa-te d'un tros. » 
— « Vas de-bon, gramecis, fier crousat de Sirla, 

S'hou dis, l'iol emprés, sen redoun, 
La véusa d'un sagat tant glourious ; espia 

S'es morta la Prouvença, adounc. . . » 

a ' 

Traguèt sa capa en-lai , mièja-nuda, en tunica, 

Agantèt un floc d'amelliè , 
Aubourèt sa talhola * e cridèt : « Republica ! 

' Ceintura em de ooulous que se devistoun de lion (mai que mai rouja), 
de moda de tout tèms en d'aquestes peïses. 



PROVENCE 325 

de Leicester, — duc de Narbonne et de Béziers. — 

L'oiseau souiïreteux s'accroupit sous les touffes 

d'herbe ; — il se gonfle et ne fait plus entendre son petit cri : 
— il a le coup mortel, hélas ! il est mort* ... — Mais chut ! il 
se réveille, il est vivant. — Il aspire une gouttelette fraîche à 
la feuille humide ; — il regarde ; il tressaille ; — il aiguise son 
bec, il lisse une aile meurtrie, — piaule, saute, se secoue, — 
s'envole. Allez le prendre à la cime des peupliers ! — Là-haut, 
abrité dans son nid, — l'oiselet du bon Dieu, sur le lit de plu- 
mes des nuages, — couve l'œuf de la liberté. 



VEUVE ET FIANCEE 

Lorsque le roi saint Louis, de passage à Beaucaire, — 
après tous ces troubles, — aperçut la Provence: « Hélas! 
soupira-t-il, — on t'a éteinte comme un flambeau ! — Contre la 
mort, un roi n'est pas plus puissant qu'une taupe, — et tu es 
vêtue pour la tombe. — Toutefois, si tu m'entends, déchire 
ton suaire ; — viens ici, lève-toi. » — « C'est bien, grand 
merci, fier croisé de Syrie, — s'écria, l'œil enflammé, le sein 
rebondi, — la veuve d'une lignée si glorieuse ; regarde donc — 
si la Provence est morte. » — Jetant sa cape au loin, demi-nue, 
en tunique, — elle saisit une branche d'amandier, — arbora sa 
taillok* et cria : République ! — ^Arles ! Avignon ! Montpellier ! » 
— « Insensée, que fais-tu? — tu veux combattre encore ' ? — 



^ Littéralement : il a tourné les pattes (en l'air). 
* Ceinture de couleur éclatante (ordinairement rouge), en usage de tout 
temps chez les peuples méridionaux. 
' Litt. : tu te retrousses encore ? ( pour te préparer au combat) . 



326 DIALECTES MODERNES 

Arles, Avignoun, Mount-peliè I » 

— « Que fas , paura de sen , tourna-mai te rehausses ? 

L'an pas trepilhat toun terrau ?. . . 
N^as pa§ prou de Talé qu'a bufat sus tous causses 

Quicon pus crud que lou mistrau ? 
Lou sou n'a tremoulat, toun obra es engrunada ; 

Se toun ciel demourava pas , 
Degus la saupriè pas, tant es endavalada ! 

Pas pus res : rouïna, clapàs. 

Mes, te vole ajudà, t'aime, bella Prouvença ! 

Vai ! que toun pople siègue mieu, 
l'entournarai sas lèis, sa vièlha independença. . . 

Pèr tus, moun anèl espousieu. » 

— « Noun lou rebute, amai que toun cor Tacoumpagne, 

Respoundèt Tautra; aquel anèl, 
Witikind lou baisèt au det de Charle-magne, 

Abderama as pèds de Martel. . . 
Mes n'ai un pus friand, se pensèt la Prouvença, 

Que me fai véusa das Césars ; 
El, retrais ma grandou, ma força, ma jouvença , 

Devouris moun cor e mas cars. 

a 

Tabé pèr l'agantà soun toutes en campagna. » 

De-fèt, l'Europa la vouliè ; 
Galejavoun l'Anglés, l'Italia, l'Espagna. . . 

E tus Taguères pèrmoulhè. 
Franc de noum e de fèt, poulit e counquistaire, 

Aviès tout l'anà d'un galant ; 
Un pau pesuc, belèu, pas prou de saupre-faire. 

Mes d'idèia e foca balan. 
Ela t'agantèt pas couma una galimanda, 

Una omenenca sans ounou ; 
Dins soun vielhun aviè ce que l'amour demanda 

A la pus bella, de pudou. 

Tabé luchèt bon brieu. Lous siècles se passèroun. 



PROVENCE 327 

Ne Ta-t-on pas assez piétiné, ton sol ? — N'as-tu pas assez 
de cette haleine qui a soufflé sur tes montagnes, — quelque 
chose de plus âpre que le mistral ? — La terre en a tremblé, 
ton œuvre est effondrée; — si ton ciel n'était immuable, — 
nul ne la découvrirait, tant elle est engloutie ! — Plus rien, 
ruines, tas de pierr îs. 



Mais je te veux venir en aide, je t'aime, belle Provence î 
— Va ! que ton peuple soit à moi, — je lui rendrai ses lois, sa 
vieille indépendance. . . — A toi mon anneau de fiancé. — «Je 
ne le repousse pas, pourvu que ton cœur l'accompagne, — 
répondit l'autre ; cet anneau , — Witikind le baisa au doigt de 
Charlemagne, — Abderame aux pieds de Martel. . . — Majs 
j'en ai un plus brillant , pensa la Provence, — ( un ) qui me 
fait veuve des Césars ; — il rappelle ma grandeur, ma force, 
ma jeunesse; — il dévore mon cœur et ma chair. —Aussi 
pour s'en saisir sont-ils tous en campagne. » — L'Europe, 
en effet, la voulait ; — ils coquetaient, l'Anglais, l'Italien, l'Es- 
pagnol — et tu l'eus, toi, pour moitié. — Franc de 

nom et de fait, beau et conquérant, — tu avais les allures d'un 
amoureux; — un peu lourd, peut-être, n'ajant pas assez 
d'usage, — mais de l'intelligence et beaucoup d'élan. — Elle 
ne se jeta pas sur toi comme une mégère, — une dépravée sans 
honneur; — dans sa vieillesse, elle avait ce que l'amour de- 
. mande — à la plus belle, la pudeur. 



Aussi lutta-t-elle longtemps. Les siècles s'écoulèrent. — De 
ses Parlements, de ses États, — elle se renforça, la fiancée, 



3^8 DIALECTES MODERNES 

De SOUS Parlamens, das Estais 
S*afourtîguèt la nôvia, e de rèis se lassèroun 

Qu'aquesta se lassava pas. 
Car sans pausa ni fin se teniè d'aparada ; 

Pèr sa gouverna saviè be 
Qu'un crouchet desmargat èra vîla toumbada; 

E de Prouvencaus atabé 

a 

Pertau le disîèn : bauja ! ingrata ! vanitousa !... 

Prenièn grandou pèr vanitat. 
Bauja? e de soun sicap TEuropa èra jalousa. 

Ingrata ? franc sa libertat , 
Que noun bailava pas? argent, counsels, ajuda... 

Soun sang. Ta pas marcandejat ! 
Au crid das Franchimands : Rescoussa ! es pas venguda ? 

Sa destrau n'a pas fadejat ? 
França I aqui nTa pas prou ? te la eau touta nuda ? 

E parque noun despoulhes, tus, 
Tout toun vièl sauvajun, ta coustuma mourruda, 

Pèr caminà dins soun trelus. 
Desnèbla-te, pèr veire, atuba toun genla, 

Escala en civilisacioun ; 
La santa Libertat, o França ! o ma patria ! 

Sourelharà toun ascensiqun. 



VI 



Fin ônala, aici i'a la Reforma e la Liga ; 

En miech, lou peïs desmargat, 
, Qu'ausis d'un biais : amarra I e de l'autre : naviga !. 

S'entancha e tèn de navigat. . . 
Seguis lou Genouvés que la terra Iberica 

Espia despioi tant qu'un Dieu ; 
Sa boussola à la man trespassa l'Atlantica 

En faguent au Prougrès : soui tieu. 
Trefoulis en repaus : saupre, aqui sa devisa. 



PROVENCE 3» 

et des rois se lassèrent qu'elle ne se lassa pas. — Car sans 
trêve, sans fin, elle se tenait en défense; — - pour sa gou- 
verne, elle savait bien — qu'une agrafe défaite était ( une ) 
vile perdue ; — et , avec elle , des Provençaux. — Aussi lui 
disait-on : folle, ingrate , vaniteuse ! . . . — confondant gran- 
deur et vanité. — Folle ? et de son jugement l'Europe était 
jalouse. — Ingrate? sauf sa liberté, — que ne donnait-elle 

pas? argent, conseils, secours ! — Son sang, elle ne l'a 

pas marchandé. — Au cri des Français : rescousse ! n'est-elle 
pas accourue? — N'a-t-elle pas bien joué de la hache ? — Et ce 
n'est pas assez ? France ! il te la faut toute nue ? — Et pourquoi 
ne dépouilles-tu pas, — toi, ta vieille sauvagerie, ta coutume 
farouche, — pour marcher dans son rayonnement. — Voyons, 
sors de tes brouillards, attise ton génie, — grandis en civili- 
sation. — La sainte Liberté, ô France ! ma patrie, — comme 
un soleil éclairera ton ascension. 



VI 



Enfin et pour terminer, voici la Réforme et la Ligue ; — au 
milieu, le pays en désordre, — qui entend d'un côté : amarre ! 
et de l'autre : navigue ! — se hâte et progresse toujours. . . 
— Il marche sur la trace du fameux Génois que la terre 
ibérique — considère depuis lors comme un Dieu ; — sa bous- 
sole en main, il passe au delà de l'Atlantique, — en criant au 
Progrès : je t'appartiens. — Il trépigne dans l'inaction : savoir 
est sa devise. — Il dit : notre père au Mayençais*; — maîtres, 

' Gutenberg. 



980 DIALECTES MODERNES 

Dis nostre paire au Maiencés ; 
Majouraus à Kepler, Bacoun, au vièl de Pisa; 

Genia à nostre grand Francés 
Descarte. Aqui s'engourga; e la poila Ignourença, 

Que tras Mountaigna e Palissi 
Dessouta Sant-Vincen e Peiresc en Prouvenca, 

Idoula e derranca d'aici. 

- Vai, lourda ! enculpa-f en, s' au tèms qu'èren empreses, 

Tafurats pèr la religioun , 
D'Espagnôus, d'Italians, d'Alemands, se d'Angleses 

Escartelèroun la nacioun ; 
Se nostre sang rajava — aiçô's pas de sournetas — 

Sul pioch, en plana, as tamaris ! • . . 
Mes venguèt la lusida : au bruch de las troumpetas 

Enric-Quatre intrèt à Paris. 

S*entre tant bravas gènts que la mort enredena 

As pas desoublidat un noum ; 
Se toun sen amistous, o Prouvenca, encadena 

A Rouger*, Pèire d'Aragoun ; 
Au Gascoun que pourtava à toutes delivranca 

Serva un cantounet de toun cor. * 

Enric sauvèt dau cop sa patria e la França. 

Pioi lou coutelèroun. El mort, 
Seguèren matrassats. Privilèges, coumunas, 

Libertats, un poudé reiau. 
Nous las aguèt à flocs, de-longa, à bellas unas. . . 

Luchàven au derniè badau ! 
Ne repoutegan^pas, segu, car la Prouvenca, 

Bella mitât de la nacioun, 
Qu'aviè facb lou grand siècle après la Renaissença, 

Embrandèt la Revoulucioun. 

— França ! diga-nous s'avian Tama tebesa, 

* Ramoun-Rouger, viscomte d'Albi, de Beziès e de Carcassouna, que 
seguèt près pèr Mountfort e mouriguèt en prisoun. 



PROVENCE 881 

à Kepler, à Bacon, au vieillard de Pise * ; — génie, à notre 
grand Français — Descartes. C'est là qu'il se repaît; et la lâche 
Ignorance, — qui, à la suite de Montaigne et de Palissy, — dé- 
couvre Saint- Vincent et Peiresc en Provence, — hurle et fuit 
de ces lieux. — Va, laide, accuse-toi si, à Tépoque où nous étions 
embrasés, — exaltés par la religion, — des Espagnols, des 
Italiens, des Allemands, des Anglais, — écartelaient notre 
pays ; — si notre sang coulait — ( et ce ne sont pas là des 
fables) — sur les montagnes, en plaine, vers les tamarins ! . . . 
— Mais le beau temps revint ; au bruit des trompettes, Henri IV 
entra dans Paris. 



Si, parmi tant de braves gens que la mort a raidis, — tu 
n'as perdu la mémoire d'aucun nom ; — si ton bon sens affec- 
tueux, ô Provence, enchaîne — à Roger', Pierre d'Aragon; — au 
Gascon qui portait à tous la délivrance — réserve une petite 
place dans ton cœur. — Henri sauva du même coup sa patrie 
et la France. — Puis on l'assassina à coups de couteau. Lui 
mort, — nous fûmes maltraités. Privilèges, communes, — 
libertés, un pouvoir royal — nous les prit par morceaux, à la 
longue, une à une ; — nous luttions jusqu'au dernier souffle ! 
— Nous ne nous en plaignons pas, certes, car la Provence, — 
belle moitié de la nation, — qui avait fait le grand siècle après 
la Renaissance, — alluma la Révolution. — Dis-nous, ô France î 
si nous avions l'âme tiède, — le cœur desséché, le jugement ma- 

« Galilée. 

2 Raymond-Roger, vicomte d'Alby, de Béziers et de Carcassonne, qui 
fut fait prisonnier par Simon de Montfort, et mourut en captivité. 



382 DIALECTES MODERNES 

Lou cor sabat, Ion sen malaut ; 
Se lou drapèn sacrât de la nacionn francesa 

L*aYèn pa tengut rede e naut ; 
S'au bon tèms de la pas, granda e dWa patria , 

Quitan dôure e s'agroumouli 
Coumèrce, agricultura, arts, sciença, industria, 

Sus la terra de Goudouli. 



0. Bringuier 



Mount-peliè, aoust de 1870. 



•o~ 



LI DINDOULETO 
(parla dou rose) 

 Madamisello S de L. . . 

Dins soun rouge mantèu, lou soulèu-rei i porto 
De soun palais descend. Lou Rose îe semound 
Soun mirau ; eu Tabraso, abraso bos e mount, 
E lucbo emé la Niue que sara la plus forto. 

Lèsto, li dindouleto, en cantant, soun pèr orto ; 
délice ! à travès Tencèndi dôu tremount 
Passon alegramen, se croson peramount, 
Voulant coume de flour negro que Tauro emporte. 

Sus la terro, à-cha-pau, tout vèn melancouniéu : 
Mai tant aut, mai tant liuen s'envan li dindouleto 
Que riue noun pôu segui lou camin dis aleto. 

E de li mira' nsin jouga dins For di niéu 
Crese vèire toujour d'amo, d'amo de femo 
S'envoulant di trebau vers la patrie semo. 

Teodor Aubanel. 



PROVENCE 333 

lade ; — si le drapeau sacré de la nation française, — nous ne 
Tavons pas tenu ferme et haut ; — si, à la bonne époque de la 
paix, grande et divine patrie, — nous laissons souffrir et s'af- 
faisser — commerce, agriculture, arts, science, industrie, — 
sur la terre de Goudouli. 

Octavien Brinouier. 

Montpellier, août 1870- 



LES HIRONDELLES 

( SOUS-DIALECTE DES BORDS DU RHÔNE ) 



A Mademoiselle S de L 

Dans son rouge manteau, le soleil-roi aux portes — de son 
palais descend. Le Rhône lui offre — son miroir ; lui Tem- 
brase, il embrase bois et monts, — et lutte avec la Nuit qui 
sera victorieuse. 

x\.giles, les hirondelles, en chantant, vont par Tair ; — ô dé- 
lices ! à travers l'incendie du couchant — elles passent gaî- 
ment, se croisent dans le ciel, — volant comme des fleurs 
noires que le vent emporte. 

Sur la terre, peu à peu, tout devient mélancolique: — mais si 
haut, mais si loin s'en vont les hirondelles — que l'œil ne peut 
suivre le chemin des petites ailes^ 

Et devant leurs ébats dans l'or des nues — je crois toujours, 
moi, voir des âmes, des âmes de femmes — qui remontent de 
l'exil vers la calme patrie. 

Théodore Aubanbl. 



ŒUVRES CHOISIES DE ROUDIL 

(xvii^ siècle) 



( Suite et fin ) 



ODA D^HOURACA 

Audivere, Lyce. . . 

Lous diéous m'an éscoutat, m'an éscoutat, Charlota; 

Siès vièlha couma un ban ; 

Per aco vas pas plan, 
Mes vos fayre toujour la jouve é la bélota. 

Tus patofies* pertout ; tus chiques, ésfrountada ; 

Pioy, lassa de chiqua, 

Té tuhés d'aluquà 
Daou fougayrou d'amour lou paou dé calivada. 

D'amour qu'émbé soun arc sus las gaoutas s'ajouca 

Dé la biscarda Alis, 

Que surtout s'émbélis 
Quand, per cantà quaouqu'èr, doubris sa rouja bouca. 

' Patofià ou Petofià^ caqueter, méd.re. «Montpelher est le trosne dfe la 
Patofia. . ., s'écriait déjà, vers 1658, certain Leblanc, dans ses Remarques 
mss. sur le Languedoc. La Patofia est une indiscrète parleuse qui tracasse 
et fait enrager qui bon lui semble, par un privilège qu'elle s'est conservé 
depuis sa naissance, qui est aussy ancienne que la fondation de la ville. 
Je la crois engendrée de la Discorde, des Envies et des Furies à crinière et 
langue serpentines, et n'avoir fait tant de progrès que par les dispositions 
naturelles des esprits du pays à la recevoir et les écouter favorablement ; 
engeance maudite, qui n'a pu être étouffée comme les honnêtes gens et 
raisonnables auroient pu souhaiter, dans le temps, des dififérents mouve- 
ments et séditions . • » 



ŒUVRE» CHOISIES DE KOUDIL 3îfé 

El n'ajma rés dé séc, é té fuch, lou foulége, 

Car tas déns dé safran, 

L'émboul dé toun pèou blan, 
Tas ussas, toun parpèl, té fan un moure iréje. 



As bèou té requinqua, ta béléza inutila 

Pot pas fajré tourna 

Lou téms qu'as vist anà, 
Despioy qu'él es éscrich as archis de la vila. 

En quinta part, pécayré, a fugit ta gracéta, 
Toun biay, toun gay caquet, 
La flou dé toun mourét, 

E tout ce qu'en beoutat té faziè la souléta ? 

Que té resta d'aco, d'aco qu'on adourava ? 

D'aco que fay Tamour, 

E qu'à moun dam, un jour, 
Mé raviguèt à iéou per mé fa toun ésclava ? 

Hurousa é counéguda en tas douças minétas, 

A la mort dé Goutoun 

N'ajères lou rénoum 
Dé passa la béoutat de las aoutras filhétas. 

Mes poulida Goutoun, çay a pas viscut gavre, 

E tus çay vives may 

Que la gralha noun fay, 
Per servi de jouguét aou jouve caliniayre. 



886 DIÂLBCTB8 MODBRNBS 



VI 

EPITAPHA HISTOURIQUA 
DB DONA CATARINA, BARALHÈIRA DÉ PIGNAN 

Ajci jajs dona Catarina, 
Que nasquéguèt ras d'untinaou. 
Sa majre, péndén sa jassina, 
Aoulioc daou brès d'una vézina, 
La métèt dins una sémaou ; 
Pioy Fadouzilhèt paouc à paou 
A béoure d'ayga dé la tina. 
Ela à dèch ans virèt Tésquina 
A l'ourjeou, à la gourgoulina, 
Fer poutounéjà lou pégaou. 
Après douch'ans dins soun oustaou , 
Per mantèné sa frésca mina, 
En lou couzin é la couzina, 
Toujour né buviè quaouque paou. 

Anfin sa mayre Pégoulina, 
Un jour li diguèt : « Catarina, 
Saouprés que vostre iol tout friscaou 
Tantalèou mé fa trayre maou, 
Quand dégus noun li fa jouguina. 
Caou qu'iéou parle à nostra vézina 
Per vous fayre donna à Vinaou. » 

Ela que véy qu'aquél lébraou 
Saviè fayre bouta é baraou 
E bén plégà soun amarina, 
Né respoundèt à Pégoulina : 
c( léou trove bon vostre prépaou ; 



ŒUVRES CHOISIES DE ROUDIL 337 

Car un home que fay baraou , 
Bouterla, broc, amaj sémaou, 
Roumplis, quant a fach, soun ayzina ; 
Ansin la paoura Catarina, 
Tiran adéré daou pégaou 
Pourtarala coulou pus fina. » 
Aco dich é péssat ataou, 
Quaou fouguèt novi? Jean Vinaou. 
Quaou fouguèt novia ? Catarina. 
Adoun s'aoumentèt la couzina ; 
Adoun Taste émbé la cassina , 
Adoun lou broc é lou baraou, 

Pareisséguéroun couma caou. 
La noça fâcha, éla en jassina. 

Es lou capou, es la galina, 

Roustis per dona Catarina, 

Car la jazén * émbé Vinaou, 

Doun que vénguès voulien de raou *. 

Lou coumpayre émbé la mayrina, 

En coumpagna dé lur vézina, 

Visitoun dona Catarina : 

Vinaou sanna un'aoutra galina. 

Anfin Catarina é Vinaou, 

Car la gorja es un petit traou 

Que prou dé vianda s'y trahina, 

Faguèroun tan bona couzina 

Que lurs terras é lur cabaou 

S'avaliguèroun paouc à paou ; 

E la bèûa dama famina 

Vénguèt habita lou cazaou. 

Adoun se manjèt l'amarina ; 

Adoun se buguèt la sémaou, 



La jazéa ; l'accouchée. — - Raou : rôti. 



388 DIALECTES MODBRNEb 

Bouterla, broc, amay baraou ; 
Se véndèt lénsoôus é courtina ; 
Quand la laïada Catarina, 
Sus quaouquas dougas dé sémaou, 
S'aliéchèt d'un maou dé pétrina. 
E d'aqui cridava tout haou : 
« Anas-mé dire à la vézina 
Que mé preste soun grand baraou 
Plén daou vin daou mas de Péraou ; 
Car aquéla liquou tant fina 
Voou may que cap dé médécina. » 
E d'un toun lanfious couma caou, 
Antaou parlct à Jan Vinaou : 
« Pioy qu'anfin sépara nous faou 
Per gagna la gloria divina, 
Assistas-mu, péndén mounmaou, 
Noun pas dé cap dé médécina. 
Mes dounas-mé toujour un paou 
Daou milhou vin dé vostre claou. 
Quand noun série qu'un pléndédaou. h 

E tant é quan virèt Tésquina 
Tout en mandan una vécina 
Que roumpliguèt dé pudicina 
Toutes lous cantons dé Toustaou. 
E sans tène daoutre prépaou. 
S'en anèt dona Catarina, 
Que, pèr rhounou dé Jan Vinaou, 
Entarèroun dins unatina 
Aou tinaou dé dona Bibina, 
La testa dédins un pégaou. 



ŒUVRES CHOISIES DB ROUDIL 3^9 



VII 



EPIGRAMMAS 



1 



Dos poulas dé las pus upadas, 
Qu'avièn toujour vis eut fort bén, 
Ara soun en disputa énsén 
E se donoun mila bécadas. 
Lou sujet dé lur diférén 
Es un gai dount an fach présén 
Emb'una d'aquélas sucradas ; 
L'aoutra de sén plagne .... débadas î 
D'aco caou-tis'estounà? Nou : 
Sérièn d'accord s'èra un capou. 



Quan Micoulaou toca et manéja 
La quioyssa dé soun Izabèou, 
Es ravit dé la trouva fréj a, 
E crey aco fort rare é bèou. 
Aqui n'i a pas grand mérévilhas : 
Las quioyssas dé toutas las filhas 
Soun toujour fréscas comma un glas. 
La razou d'aquéla frésquièyra 
Vèn qu'an lou garbin per détras 
E pôr davan una rébièyra. 



340 DULBCTBS MODERNES 

vm 

LOUS COUMPAGNOUS ARCHES 
AS MARIDAS* 

Gens maridas sount papas gens. 
Sien énségnas, sien lioténens, 
Aco n'es rés que rafatalha ; 
N'iàque la joujnéssa que valha. 
Un vièl vaou pas lou regarda, 
Siè que s'agisqua dé banda 
Per tira Tare drécb à la buta ; 
Un vièl fa chic à la débuta. 
Lou jouve es toujour pus adréch : 
Banda bén Tare é tira drécb, 
Sans né jamay cerca d'éscuza : 
E sans uza dé cap dé ruza 
Se caou toucà dédin lou blan. 
Aou prémiè cop met aou mitan. 
Un vièl tout en tramblan rédouta 
Dé néjpécà dé poou la monta ; 
E se se tira aou parouquét,. 
Un maridat es tout mouquét, 
May que se done grand fatiga, 
D'agandi pas à miècba biga. 
Cala- vous, douncos, maridas ; 
Fagàs papus tant lous souldàs ; 
Car à quinte joc que se fassa, 
Lou jouvén toujour vous despassa ; 
Ouy, en déspiè dé vostras déns, 
Gens maridas sount papus gens. 

^ On connaît la licence incroyable des équivoques dont les ballets de 
ce temps sont remplis. Roudil en composa plusieurs ; mais son manuscrit 
ne donne pas le titre du ballet patois dont il a tiré ce Récit des compa- 
gnons archers. 



ŒUVRES CHOISIES DE ROUDIL 341 



IX 



LOU TESTAMEN DAOU SAGE 

léou n'aviéi bé pensât tout lou téms dé ma vida 
Qu'un jour, quin que fougues, la mort esfazoulida * 
Coupariè dé mous ans la trama en soun coutèl , 
Et qu'enfin iéou soulét n'ère pas immourtèl. 
May dé se prépara couma un chréstian déou fayre, 
Iéou counfesse tout haout qu'iéou noun pénsave gajre. 
Aou countrari perdut dins ma meschancétat, 
Iéou visitave may lou bourdèl que Taoutat ; 
Et quéqué mous amis sapièssoun aqui dire, 
Iéou lur faziè daou sour ou crébave dé rire, 
Crézén que suffizièper intrà dins lou Ciel, 
Bén qu'on visquèsse en porc, dé mouri couma aniel. 
Ansin iéou me flattave, é daou j oc à la taoula 
Poussave, malhurous, moun téms émbé Téspaoula; 
Si bén, qu'après avé ma ramilla manjat, 
Estre en cent mila pars véndut ou éngajat, 
Dins lou liech dé la mort, laguiat mé vèné métré, 
Sans saoupre, mésquinas, à quin san mé proumétre. 
Lou peccat m'a tant fort desfach é contrafach. 
Que mêma lou bon Dieou doutara s'él m'a fach ; 
Car iéou souy tant hidous dé corps et dé visage 
Que lous pichos enfans fujoun parlan daou Sage. 
Lou drac amay lou loup lur fan pas tant de poou 
Que ma cara lur fay sans masque ni lénsoou. 
Réduit émb'aquél poun, mé caou préne patiénça, 
Hurous aoumén s'avièi la pas de la counsciénça : 
Car iéou counouysse bé, tan iéou souy déglézit, 

* Esfazoulida , matgrre, décharnée. 



342 DIALECTB8 M0DERNE8 

Qu'iéou né souy de mous jours aou terme éndémézit *. 

Douncos, per prouvézir aou salut dé moun ama, 
léou prègue dé bon cor Jésus é Nostra-Dama 
Que, suivan lur bountat, intercèdoun per iéou, 
Que iéou piosque obténi ma graça dé moun Diéou. 
El pioy que quicoumét dé mous mouyèns mé resta, 
Malaoute dé moun corps, mes bén san dé ma testa, 
Noun sera pas maou prés, s' iéou faou moun testamén, 
Per saoupre après ma mort dé quaou sera moun bén ; 
Car un home dé sén déou métré toujour ordre. 
Que la Cour sus sous béns noun aje déqué mordre : 
Amay es bé razou dé fa caouque légat 
A toutes mous amies qu'oun m'an pas renégat. 

. Iéou mé counfesse donne dé ma vida passada 
Et déclare tout haout ço qu'ay dins la pénsada. 
Iéou more cathoulic é vole èstre éntarrat 
A San-Pierre, sans bruch, en la crous daou curât. 
Un home déou garda lou rénoum d'èstre sage, 
Et noun cargà pas trop dé crouzes Théritage. 
Per ço qu'es dé mous béns, iéou done à Thespitaou 
Dé rénda cada mes dé farina un quintaou, 
Que l'héritiè noummat pagara per avança. 
Item vole dounar à nostra vièlha ranca, 
Outra Taoumén dé dot, lou mas de Cantagril, 
Ma cayssa dé boy blan, ma peyra é moun fuzil ; 
Car quand dessubre nioch voudra préne una nièyra, 
Alumara dé fioc sans an'à la carrièyra. 
Item à soun postum, en cas que sièga préns, 
Ce qu'iéou créze pas fort à caouza dé soun téms ; 
Mes Dieou, qu'es tout puissan é tout bon é tout sage, 
Ou pourrie fa maougrè sas ridas et soun âge. 
Siè douncos que que siè, iéou nou dévigne pas 
Se lou bon Dieous ou voou, iéou done émb'aquél cas, 
Siè un, siè dous, siè très, siè mascles, siè fémèlas, 

' Endémézit, fixé 



ŒUVRAIS CHOiSIBS DE ROUDIL 343 

Tout lou dréch é la part qu'ay à las Aygarèlas ; 

Et bayle en préciput, que qu'arrive à moun fil, 

Ma part de Caraveta amay dé Pioch-Conil. 

Item iéou faou légat à Tavoucat Pourada 

Das linsoous dé moun lièch amaj dé ma fiassada, 

É li done atabé moun balandran fourat 

E moun bounét dé nioch : car soun bounét carat, 

Qu'èra fach aoutrafés dé sarja de Flourença, 

Li pot pas may servir aou liech qu'à Faoudiença. 

Item à Charbounèou, quant es dé moun méstiè, 

Li done vint soous d' ancra é vint frans dé papiè. 

Un miech mioch dé muscat, un quintaou dé froumagq. 

Fer béoure nioch é jour aou souvéni daou Sage ; 

A conditioun, s'éntén, qu'él fara moun rouman 

Et descrieoura mous faits en léngage alaman. 

Aoutramén d'aquést pas dé soun légat lou prive, 

Et couqui qu'él sera, soulamén iéou li' scrive, 

Aou lioc daou vin muscat d'ayga daou Merdansou, 

Et aou lioc daou froumage un éstron dé maçou. 

Item à La Cougnè, hoste franc et fidèla, 

Li done un mioch dé vin é dès sacs dé touzèla ; 

Lou blat dé Cantagril é lou vin dé moun grés. 

Qu'él manje soun sadoul é bègue se voou frés ; 

Car èl m'a tant servit ara dins ma disgraça 

Que ma mouliè qu'aoura Cantagril, mas é jassa, 

Noun réfuzara pas, vézén ma voulountat. 

Dé li pagà lou vin ni lous dès sacs dé blat. 

É per mous aoutres béns, iéou nomme dé ma bouca • 

Un home que jamay noun a dérabat souca, 

Oudinet moun gran cor qu'iéou faou moun héritiè. 

Et s'iéou ère ségnon d'Assas, dé Mountfarriè, 

Dé Clapiès, de Orabéls, daou Crès, de Salanova, 

Dé San-Jordi, Pignan, Cournoun é Vilanova, 

Iéou li rémôtjpiè l^put, amay éncara may, 

Daoutan bon cor qu'iéou faou las bicocas qu'iéou av. 

Douncos iéou l'institue, ourdoune amav coumande 

Que rés déssug ipp.us b.éns dégels nouji li démande, 



344 DIALECTES MODERNES 

Qu'él jouïgue en répaou dé mêma qu'iéou ay fach 

Dé mous quatre grans cams qu'iéou li lajsse en garach ; 

Qu'él préngue poussessioun daou mas de Pézoulièiras, 

Daou prat das Caladous, das cams dé Graouzélièiras, 

Dé mas vignas daou Graou, daou castèl d'Enrocas, 

Daou lougis dé Jalan, daou bosc de Tar-i-Aouras ; 

Qu'él se faga pagà das laouzes, das viages, 

Das quins é das requins, dé mous dréchs dé péages, 

Que vèngue d'aquést pas habita moun oustaou 

E qu'iéou lou fague mèstre en li baylan la claou. 

Toutasfés, iéou m'ésplique, é vole qu'él entende 

Que moun inténtioun es qu'après sa mort él rende 

A moun fil, ount que siè, lou vièl Substantioun, 

Car la natura voou qu'él n'aje sa pourtioun ; 

Et vole qu'as déspéns dé toutes dous se cave 

Dins lou cher de la glèyza é toujour se récave, 

Jusquas qu'aouran troubat lou trésor éncantat, 

E pioy tout lou bahut partigoun per mitât ; 

Car aoutrafés, cavan dins aquéla mazura , 

leou trouvère un pergam d'una antica éscritura 

Que counténiè Testât dé For é dé l'argén 

Que fouguèt aqui mes per una éstranja jén. 

Pus bas, diziè Tescrich, quaou voudra préne péna 

Troubara dins lou roc una crota que mena 

A la riba daou Lez, fermada d'un clédat, 

Qu'iéou que teste cent fés ay vist et regardât. 

Dins aquel gazian se troba à man senèstra, 

Cavat'dins lou^roucas, lou traou d'una fénèstra 

Que sert dé pourtanèl per intrà dins un lioc 

Ounte despioy mil' ans n'y agut ni fun ni fioc. 

Alins es un géant sus una grand cadièyra, 

Fil daou pioch dé San-Loup et d'aquésta rébièyra, 

Que garda lou coufras dé ferre tout bandât 

Et noun viéou que, daou soun dé l'argén mounédat. 

Dédins se troubaran dous cent mila réalas, 

Cinq cens cinquanta très mila philippodalas, 

Très cens mila angelots, cent mila patagouns, 



ŒUVRBS GHOISIBS DE ROUDIL 345 

Cent mila miliaréts, aoutan dé ducatouns , 
Quatre cens miliouns doubles ducats d'Ëspagna, 
Aoutan dé miliouns dé ridas d'Alamagna, 
C'inquanta mila Alberts, é, per conte final, 
Quatre cens mila frans tant à pè qu'a chival, 
Sans counta lous niquéts, siejzénas, pinatèlas, 
Prélingas, carolus et d'aoutras bagatèlas, 
Dé pirouz et dé blans, dé doublas et dé soous, 
D'espazeras et liars que rodoun per lous soous. 
Douncos, cher Oudinet, vous poudès manda querre 
Quaouqués picous-rouquiès en dé palas dé ferre. 
É coumençà d'abord qu'iéou séray trespassat, 
De oava dins lou lioc qu'iéou vous ay éndressat ; 
Car, se moun fil é vous ses bén d'intelligença, 
Noun poudès pas manqua dé n'avé jouïssença. 
Surtout ténès bén l'iol que quaoucun das pillars 
Que cavaran alins noun vous fagoun las pars. 
Après qu'aourés troubat tout'aquélas mouninas , 
Doublas-né, se voulès, vostrés mantels d'herminas. 
léou n'y prétende rés ; mes vole soulamén 
Que dressés à moun noum un floc dé monumén 
Ounté pichot é grand, géntilhome é poudayre, 
Jjégisque una épitapha en lénga dé ma mayre ; 
Et per né dounà pas la péna à Charbounèou, 
Vaoutres métrés ayço dessubre aquél toumbeou : 
« Ayci gis un foulas qu'appélavoun lou Sage, 
» Qu'es mort dé mala fan ém tout soun héritage. » 
Aco's ma voulountat é darriè testamén 
Que iéou mêmes éscribe é sinne éspressamén 
Embé lous très témoins, Toni dé la Fo^ntassa, 
Bertoumiou Tescroupat é mestré Carabassa, 
Secundum l'estatut dé nostre Mounpéliè 
L'annada quranta dous, lou mes davan janviè *. 

' Daniel (et non David) Sage mourut, en effet, dans un coin de ca- 
baret, en décembre 1642, le jour même que les recteurs de l'hôpital avaient 
décidé son admission. Il était né le 8 ou le 9 février 1567. 



346 DIALBC1^8 MODIDRNES 



EPITAPHA DAOU SAGE 

Déjout aquéste roc naoutres avèn ôcat 
Lou Sage, qu'en soun téms a talamén pécat. 
Que toutes lou crézian un fol puléou qu'un sage ; 
Si bén que, quant a vis sa santat ana maou, 
El a tant prégat Diou dé cor é dé courage 
Que, per may Toubligà d'avé piètatdaou Sage, 
S'és vougut fa pourtà mourèn dins soun oustaou V 



SO LAS FOU LIÉ S DAOU MÈMA 

bdoudas tant que voudrés, Rabastén é Toulouza, 
ou bén lou Prouvencaou ou lou boufifoun Béziès, 
<1aoutres né véirés pas dé musa pus poumpouza 
Oédins aquéles liocs que dins nostras Fouliès. 
H-ioy noum se vanta pus la musa Goudoulina ; 
tr^'aoutur que légissès emporta l'égléntina. 

* L'Hôte'-Dieu. 



347 

BIBLIOGRAPHIE 

DICTIONNAIRE ETYMOLOGIQUE DE LA LANGUE FRANÇAISE 

par Â. Brachbt 

Dans la préface, M. E. Egger, membre de Tlnstitut, fait 
rapidement Thistorique de la philologie romane et attribue à 
chacun sa part. Nous y avons vu, avec plaisir, cité et jugé très- 
favorablement notre correspondant M. C. Chabaneau, pour 
« sa pénétrante étude sur V Histoire et la théorie de la conju- 
gaison française. » 

L'ouvrage de M. Brachet se divise en deux parties princi- 
pales : 1** l'Introduction, composée de trois livres ; 2° le Dic- 
tionnaire étymologique. Dans la première partie, Fauteur ex- 
pose ses doctrines scientifiques et sa méthode, en même temps 
qu'il initie le lecteur au maniement de l'étymologie. 

Quelques contradictions à signaler : p. li, croisade, cadenas *, 
sont indiqués comme mots d'origine provençale, et à la p. lui 
comme mots d'origine italienne ; — p. lxi, bouracan, donné 
comme un emprunt aux langues sémitiques, est, dans le 
Dictionnaire, accompagné de la formule suivante : « Origine 
inconnue. » 

Le Dictionnaire étymologique proprement dit, où M. Bra- 
chet a condensé le résultat de ses recherches et celles de ses 
devanciers, MM. Diez, Littré et Scheler, est un ouvrage sé- 
rieux et intéressant, qui complète heureusement la Grammaire 
historique de la langue française du même auteur. 

A. B^^ 



ARMANA PROUVENGAU, pèr Van de Dieu 1871, adouba e publica 
de la man di felibre. — Avignon, Roumanille. 

L'antique lutte du Nord et du Midi, avec ses contrastes de 
bestialité et de convoitise, vient de se produire de nouveau 
dans une phase terrible. De nouveau le Midi a été vaincu. 

' Cadenas vient de catenacium- V. Ducang;e. 



348 BIBLIOGRAPHIE 

Il Fa été encore pai* sa faute : les mêmes erreurs amènent les 
mêmes châtiments. Mais une espérance nous reste : le désastre 
ne sera pas aussi irréparable ; et, si nous savons profiter de 
Texpérience acquise, cette épreuve sera utile et substituera 
définitivement à Tidolâtrie des prétentions humaines le res- 
pect de la seule légitime souveraineté. 

On voit, à cette heure, combien nous étions dans le vrai, 
malgré notre petit nombre, nous qui désirions que la libre vie 
du peuple ne fût pas un vain mot ; nous qui voulions que sa 
loi pût se manifester pleinement à tous les degrés, par de for- 
tes et vivaces autonomies. Aussi, plus que jamais après nos 
désastres, devons-nous persister dans nos croyances et de- 
meurer, comme le sage, inflexibles et inébranlables dans nos 
principes. 

La race latine tout entière, qu'on le sache bien, ne peut 
se relever de son vil abaissement qu'en plaçant de nouveau 
rintelligence au-dessus de tout, et qu'en étant convaincue à 
jamais que l'Idée est la seule force qu'on ne brise pas. Elle 
laissera croître à son ardent soleil tous les rameaux, main- 
tenant épars et meurtris, de sa fière et glorieuse nationalité. 
C'est pourquoi notre association romane doit reprendre son 
œuvre interrompue, et donner à tous, dans la mesure de ses 
forces et de ses convictions, l'exemple de l'initiative et la 
confiance dans l'avenir. 

Parmi ceux qui n'ont jamais désespéré de la province, les 
félibres tiennent le premier rang. Cette année, VArmana 
prouvençau, malgré les cruelles préoccupations de la guerre, 
porte l'empreinte profonde de leurs constantes intentions. 
Quoique commençant par une plainte, la paraphrase des psau- 
mes de la pénitence, et finissant par une menace, lou Revenge, 
on y sent passer un souffie de vie et de réforme pacifique. 

Je regrette, comme toujours, de ne pouvoir rien citer ; 
mais ce modeste avertissement ne peut empiéter sur les 
droits de la critique spéciale. 

Ach. MONTEL. 



■ 349 

CHRONIQUE 



V Académie des Jeux Floraux de Toulouse a tenu sa séance solen- 
nelle le 3 mai. La fête des Fleurs était présidée par M. Rodière. 
L'éloge de Clémence Isaure a été prononcé par M. Jules Buisson; 
le rapport sur le Concours lu par le secrétaire perpétuel, M. Jules 
de Rességuier. 

Voici Tindication des pièces couronnées : 1® Chant de Cléopdtre la 
veille d^Actiurrif ode, par M. Auguste Postel, professeur au lycée 
d'Amiens, qui a obtenu une violette ; 2» la Locomotive dans le Far- 
West, poëme, par M. Charles Lomon, de Toulouse, qui a obtenu 
une violette ; S® Mignon consolée, élégie, par M™« Amélie F^ernod, 
de Lyon, qui a obtenue un œOlet ; 4® le Suffrage universel chez les 
animaux, apologue, par M. Auguste Roussel, de Paris, quia obtenu 
la primevère ; 5® Quelle a été l'influence de la presse périodique sur la 
littérature contemporaine, discours en prose, par M. Henri Delpech, 
de Montpellier, qui a obtenu une violette; 6® enfin un autre discours 
sur le même sujet, par M. Ernest Adde, de Ghâlons-sur-Mame, 
qui a obtenu un œillet. 

* ¥ 

Nous regrettons que, parmi ses fleurs, l'illustre Académie n'en 
ait aucune pour la langue d'oc, pour cette langue qui fut à l'ori- 
gine sa raison d*ètre et sa gloire. — Alors qu'Agen se souvient, 
il n'est pas admissible que Toulouse se crût le droit d'oublier. Ce 
serait de Tingratitude, si ce n'était de l'inadvertance. L'Académie 
des Jeux Floraux a pu, comme nous tous, avoir ses préjugés; mais, 
aujourd'hui que nos villes méridionales se réveillent de leur long 
sommeil, que la Provence et la Catalogne ont déjà deux littératures 
charmantes, si parfaitement originales l'une et l'autre, il nous sem- 
ble qu'elle devrait se souvenir de l'intention de ses fondateurs, les 
sept derniers troubadours, et de sa poétique réorganisatrice. 11 y a 
là, pour la Cité palladienne, un devoir avec lequel elle ne peut 
transiger. 

Les Jeux Floraux de Béziers ont eu lieu le 26 mai, jour de l'As- 
cension. Le principal lauréat a été M. J. Monné, de Marseille, 
pour sa pièce de vers intitulée VArtisto; la !'« mention a été accordée 
à dom Garnier, bénédictin de Solesmes, pour un chant de son poëme 
lis Isclo de Lerin; la 2^ mention à M. Guillaume de Bataille, de 
Pontac (Béarn), pour son poëme las AunotLS de Gastou Fèbus. On a 
mentionné encore la Fiho de Bouman, de M. V. Bourrelly ; la Nèu del 
20 janè 1870, de M. Roux, curé d'Estagel, en Roussillon; lou Mège, 
de maître Eisseto, baile du Mas de Vert, en Camargue; Avignoun, 
de M. M. Marius Bourrelly; Moun vin rousa, de M. G. Gleyse, 
d'Arles. 

Les Dictionnaires de la langue d'og moderne. — Il se prépare 
en ce moment, sur divers points des pays de langue d'oc, un en- 
semble de travaux lexicographiques dont le résultat doit être des 
plus importants pour l'étude des dialectes de nos contrées. 



390 CHRONIQUE 

Tandis (]uc le grand poëte Mistral, qui est aussi un philologue 
des plus distingués, poursuit son Dictionnaire de tous les dialec- 
tes ae la langue méridionale ; tandis que don Mariano Aguilô, le 
savant conservateur de la Bibliothèque provinciale de Barcelone, 
recueille les matériaux d'un Dictionnaire catalan, et que kl Société 
pour l'étude des langues romanes s'apprête à livrer au puLlic une 
série de glossaires spéciaux, M. Ganriel Azaïs continue la publi- 
cation de son Dictionnaire languedocien; M. d'Hombres, avocat 
érudit, prépare l'impression d'un livre qui doit laisser bien loin der- 
rière lui le dictionnaire estimable, mais très-incomplet, de l'abbé 
de Sauvages (à Alais, chez Veirun); M. Malval> de Clermont-Fer- 
rand, s'occupe de la publication de son Dictionnaire niçard; et 
enfin M. Louis Boucoiran-Pons,de Nîmes, n'attend qu'un nombre 
suffisant de souscripteurs pour livrer à l'impression un ouvrage 
auquel il travaille depuis huit années , et qui a pour titre ; Diction- 
naire analogique et étymologique des idiomes méridionaux , qui sont 
jiarlés depuis Nice jusqu'à Bayonne, et depuis les Pyrénées jusqu'au 
centre de la France. L'introduction et un extrait de ce travail ont 
été communiqués à la Société pour l'élude des langues romanes. 
Il y aura là d'excellentes choses à recueillir, et M. Boucoiran- 
Pons a rendu un vrai service à la philologie méridionale. Toutes 
les personnes que ces études intéressent auront à cœur de hâter 
la publication d un ouvrage aussi utile. Le Dictionnaire de M. Bou- 
coiran-Pons formera deux volumes in-8" Jésus, contenant chacun 
environ 500 pages, à deux colonnes. Le prix est de vingt francs 
pour les cinq cents premiers souscripteurs. On souscrit à Nîmes, 
chez l'auteur, rue des Bains, 5, et, à Montpellier, au bureau des 
publications de la Société pour l'étude des langues romanes, de même 
que pour les autres ouvrages dont nous venons de parler. 



* 



Le premier numéro de la Revue celtique a paru au mois 
de juillet dernier. Nous ne saurions trop recommander cet 
excellent recueil à F attention de nos lecteurs. 



* * 



Le mouvement littéraire national de la Catalogne s'accentue 
chaque jour avec plus de vigueur. L'espace nous manquerait 
pour donner seulement le titre des œuvres dramatiques, écrites 
en catalan, qui ont fait dans ces derniers temps leur apparition 
sur les divers théâtres de Barcelone. Deux nouveaux journaux 
en langue catalane viennent d'être fondés dans cette dernière 
ville ; l'un, la Renaxensa, est consacré à la littérature, aux 
sciences et aux arts ; le titre de l'autre indique assez le but 
élevé que se proposent ses fondateurs : La Llar, Revista dedi- 
cada a la instrucciô y educaciô de la dona ( Le Foyer, Revue 
consacrée à l'instruction et à l'éducation de la femme'. 



TABLE DES MATIÈRES 

DU PREMIER VOLUAfE 



Pages. 

Introduction . ( A . M , ) i 

DIALECTES ANCIENS 

La Chirurgie d'Albucasis, traduite en dialecte toulousain (bas 
pays deFoix) du xiv® siècle. (Gh. de Tourtoulon.) . . 3, 301 .^ 

La Passion du Christ; poëme écrit en dialecte franco-vénitien ^^ 

du xiv® siècle. (A. Boucherie.) 18, 108, 208 

Proclamations faites à Assas, près Montpellier, par ordre des 
seigneurs du lieu, en 1483. (L'abbé L. Vinas.) 97 

Certificat en langue d'oc — Gévaudan — xvi^ siècle. (Tn.). . 118 

Crides de la œurt de Monsieur de Lauzière, au diocèse de Lo- 
dève, en 1610. (L'abbé L. Vinas) 193 

Les Prétérits en egui, dans la langue d'oc ; réponse à M. Paul 
Meyer. (Gh. de Tourtoulon .) 232 

Etudes sur la langue des Troubadours. — 1. La libre forma- 
tion des mots. (A. Montel.) 234 

Documents relatifs aux guerres du xv^ siècle. (L'abbé L. 
Vinas.) 289 



DIALECTES MODBRNES 



* 



De rOrthographe . ( Ach . Montel . ) 40 

Note sur le dialecte provençal et ses sous-dialectes. (Tn.). . . 42 

La Princesso Clemènço, ( Frédéric Mistral.) 50 

A Vamigo que n'ai jamai visto. (Théodore Aubanel) 62 

Écrivains contemporains en langue d'oc. — Albert Arnavielle 

( Ant. Glaize . ) • 70 

Note sur le sous-dialecte de Montpellier. (Gh. de Tourtoulon). 1 19 

Prouvença. (Octavien Bringuier .) 126, 320 

La Baga d^or, romance populaire. (Tn) 1 46 

L. Roumieux. (Ach. Montel.) 158 



3U TABLB DBS MATIÂRBS 

PmE6S 

Écrivains contemporains en langue d'oc. — Remy Marcelin. 

(Ant. Glaizb.). . . ^ 161 

Œuvres choisies de Roudil. (L. G.) 249,334 

Notice sur le poëte potier J.- A. Peyrottes. (Léon Rouquet).. 268 

La Guerro. (Théodore Aubanel.) 308 

Notes sur le sous-dialecte carcassonnais et les sous-dialectes 

limitrophes . (B. Cantaqrel. ) 312 

UAgnèl e lou Bouché. (Ach. Mm.) 316 

Li Dindoulelo. ( Théodore Aubanel) 332 

PHILOLOGIE GENERALE 

La "Vigne et le Vin chez les Sémites et les Ariens. — Essai 
d'application des travaux philologiques contemporains à une 
question d'œnologie historique. (Paul Glaize. ) 270 

VARIETES PHILOLOGIQUES ET LITTERAIRES 

La Littérature du moyen âge et le Romantisme. (Gh. Revillout.) 169 
Anecdote philologique sur le cardinal Mezzofanti. (D'. Ad. 
Espagne ) 186 

NÉCROLOGIE 
François Camhouliù. (Ach. Montel.) 74 

BIBLIOGRAPHIE 

L'Armana prouvençau de 1870. (Ach. Montel.) 86 

Bulletin bibliographique de la langue d'oc pendant Tannée 

1869. (8. Léotard.) 88 

Maguelone sous ses évêques et ses chanoines, par M. Germain. 

(Gh. Rt.) 188 

La Coutume de Thégra, par M. de Rozière. (Ch. Rt.) 189 

Les Troubadours de Béziers, par M. Gabriel Azaïs. (A. M.) 285 
Dictionnaire étymologique de la langue française, par A. Bra- 

chet. (A. B.) 347 

L'Armana prouvençau de 1871 . (Ach . Montel) Ibid. 

Chronique 95, 190, 286, 349 

pîn de la table du premier volume 

MontpeUier, imp. Gras. 



».> 



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by retaining it beyond the speoifled 
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